« Zavez une cigarette ? »

Mon homme entre en râlant contre les deux flics parce que ses menottes sont trop serrées, il n'a pas un regard pour ce qui se passe devant lui ni qui s'y trouve, il n'est concerné que par son problème du moment. "Allez Monsieur, calmez-vous ; tournez-vous, on les enlève", lui dit l'un des policiers de l'escorte, rompu à l'exercice.

Désentravé, David s'approche enfin, en titubant, du bord du box et de son micro, ouvert en permanence dans cette salle ; il est à un mètre de moi, nous nous sommes rencontrés la veille et deux fois aujourd'hui, la dernière il y a quelques minutes, pourtant en me voyant il s'exclame, bien fort dans le micro : "Oh, c'est vous mon avocat ? Zavez une cigarette ?"

Le temps des deux secondes que prend le Président pour décider de ce qu'il va lui dire pour le ramener sur Terre, je soupire, regarde la salle : il est quatorze heures dix, salle bondée, audience de comparutions immédiates, trois magistrats du siège et un du Parquet, huissier, greffière, avocats, journalistes, public en masse de gens concernés par les affaires du jour ; je suis debout dans le box de la Défense, séparé par un muret de mon client, ce David qui n'a en réalité, malgré nos entretiens précédents et les trois jours écoulés, pas la moindre idée d'où il se trouve, ni pourquoi au juste. Il risque théoriquement...

Il ne le sait pas - et le saurait-il qu'il ne comprendrait pas ce que ça veut dire. Il risque théoriquement vingt ans d'emprisonnement. Et, nettement moins théoriquement, une peine ferme qui ne se comptera pas en mois. Lire la suite

A bientôt ma puce, forcément.

Elle s'appelle Sandrine, pas question de ne pas dire son vrai prénom. C'est une de mes rares vraies amies filles, je veux dire par là sans aucune arrière-pensée, juste amis pour de bon, comme avec mes amis mecs.

Il faut dire qu'avoir la chance de la rencontrer et ne pas devenir son ami serait une ineptie : elle a tout. Elle est belle, elle est drôle (et quand elle rit de bon cœur, ce qui lui arrive souvent, elle guérit deux mille dépressifs d'un seul coup), elle est intelligente, elle est généreuse, et ce qui la caractérise le plus à mes yeux est son absolue gentillesse : je ne sais pas si vous connaissez autour de vous une seule personne que vous n'avez jamais entendue dire de mal de quelqu'un, jamais entendue se plaindre non plus ? Moi oui, grâce à elle.

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En hommes probes et libres

[Déclaration d'amour publiée dans la Gazette du Palais du 14 juin 2016, que j'édite à nouveau ici au sortir d'un dur procès criminel...]

 

C’est la plus belle juridiction de France.

La plus difficile, aussi.

Et c’est là qu’on y trouve le plus la vérité.

Tout devrait toujours s’y juger comme on y juge. L’on a failli en 2010 en supprimer les jurés ; on a partiellement réussi en 2012 en en tuant trois - il semble donc que l’on juge mieux avec moins de cerveaux…

En 2009, on a même osé penser y appliquer la procédure de "plaider coupable", cette non-justice déjà offensante pour les délits.

La justice est pauvre et on n’y affecte jamais de nouveaux moyens ; on y cherche au contraire de nouvelles économies, au mépris très souvent du seul critère essentiel : la seule bonne justice est celle qui juge bien. J’ai peur pour les assises, j’ai peur pour les jurés, je veux demander qu’elles demeurent, au-dessus de tout. Lire la suite

Lettre à Adil dont la détention provisoire a pris fin.

[Ce maigre cri a été précédemment publié sous forme de Tribune dans la Gazette du Palais du 1er mars 2016. Je la reprends ici pour mes fidèles adorés qui ne l'auraient pas lue - et parce que j'y tiens.]

 

Mon Cher Adil,

Je t’écris dans la douleur : j’étais ton avocat, si tu es mort en déten­tion c’est forcément en partie de ma faute.

Mais c’est aussi parce que je demeure viscéralement certain que tu n’aurais pas dû être en détention provisoire.

Pas à cause de l’innocence que tu criais, pas ici. Ta mort fait que tu es innocent à jamais, puisque tu ne seras jamais jugé, et que l'article préliminaire du Code de procédure pénale clame qu’une personne poursuivie "est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie" ...

Non, au-delà même, à cause de la détention provisoire elle-même, dont j’affirme qu’il faut, sauf désormais d’enfin rares et uniques vraies excep­tions, la supprimer.

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Avocats : toujours là !

[Une fois n'est pas coutume : ce texte est plutôt à destination des avocats... Mais ça n'empêche personne de le lire, bien sûr - et, en cas de sympathie, d'adhérer ! Justiciables, et TOUS, ça nous fera du bien !! Pour les explications de fond, un jeune avocat inconnu mais relativement brillant les donne ici .]

 

Confrères,

Ce mot prend tout son sens ces jours-ci n'est-ce pas ? Nous avons un beau serment...

Mes Chers Confrères,

Je fais partie de nos vieux, désormais. Quand j'ai lu, il y a ce qui semble cent ans, que nos instances, Conseil National des Barreaux en tête, n'acceptaient pas l'article 15 du budget 2016 prévoyant de prélever (encore plus) les CARPA, ni qu'on présente la nouvelle répartition de nos déjà si piètres Unités de Valeur comme un formidable progrès, quand il s'agissait en réalité de diminuer encore, parfois radicalement, cette "indemnisation" des avocats plaidant pour les gens qui ne peuvent payer leur avocat, je l'avoue, j'ai ricané dans mon coin, j'ai même moqué les "motions" prises ça et là, dont 23 années de Barreau m'ont appris qu'elles ne font que déboiser nos forêts et remplir les corbeilles de la Chancellerie...

Je me suis dit, une fois encore, que nous, fameux "auxiliaires de Justice" (je n'aime pas ce terme, disons ce... diminutif), allions raquer, et puis c'est tout, qu'"on" plaçait nos "indemnités" exactement là où "on" plaçait l'estime de notre belle profession – et c'est un endroit que la correction m'interdit de nommer... Lire la suite

Bon anniversaire, Monsieur.

Une magistrate que je ne connais pas autrement que par son petit nom Twitter, @JugeGrise, m'a fait l'honneur de m'adresser une Histoire Vraie1 qui l'a marquée, en m'offrant de la publier ici.

Comme vous allez pouvoir le voir, elle ne déroge pas, je crois, à l'esprit général des textes de ce blog.2

Cette histoire en reflète de nombreuses autres, similaires - c'est souvent cela, en réalité, la "délinquance sexuelle" ; évidemment pas toujours, mais souvent ; elle dit aussi à quel point les actes d'un homme et l'homme lui-même sont à considérer tous deux pour correctement juger - ou défendre. Elle rappelle que, pas moins que les avocats qui "font du pénal", les magistrats qui rendent cette justice-là sont constamment confrontés à l'humanité des personnes, au risque parfois d'y blesser la leur...

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  1. Dont évidemment comme toujours les références réelles, prénoms notamment, ont été modifiés []
  2. A un détail près : c'est une magistrate qui l'a écrit, c'est donc beaucoup plus court que mes textes d'avocat..! []

Test de l’été : les résultats

Comme d'habitude (oui, à partir de deux fois, on peut décréter qu'il s'agit d'une habitude), vous trouverez ci-dessous les résultats du test de personnalité aux questions duquel vous n'aurez pas manqué de répondre préalablement, sinon c'est de la triche.  Lire la suite

Test de l’été

 

Un an déjà depuis ma dernière publication ici, il n'y a pas de quoi se vanter. Il serait moins glorieux encore de réitérer le même type de billet en ne vous parlant ni d'enfants maltraités, ni de justiciables heureux, mais en me contentant simplement de vous reproposer un test idiot, n'est-ce pas ?

Certes.

Mais comme je suis imperméable à la honte, que Maître Mô m'a envoyé un SMS absolument irrésistible m'affirmant que j'avais tous les droits ici (j'ai évidemment fondu en le lisant, vous vous en doutez), que Totomathon m'a appris à fabriquer des gifs, que d'aucun(e)s étaient mécontent(e)s de leurs résultats de l'an dernier et que la fin de mes vacances est bien trop proche pour que je me lance dans une histoire d'enfants perdus, paf, revoilà le test de l'été !  Lire la suite

Grand O tôt, Grand O râles…

[J'ai récemment lu cet excellent récit sur ce joli blog, et ça m'a donné envie de vous raconter la mienne, d’Épreuve... Merci donc, @eclatdavocat (petit nom de l'auteur sur Twitter) !]

Il y a maintenant, euh... un certain temps1 , à l'issue de cinq années harassantes d'études attentives2 j'ai passé l'examen d'entrée à l’École de Formation des Avocats du Ressort de la Cour d'Appel de Douai.

A l'époque, la scolarité dans cette école durait un an, à l'issue duquel il n'y avait pratiquement pas d'échecs : parvenir à y entrer, c'était très concrètement être assuré d'en sortir avec en poche le Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat, le splendide CAPA ; c'était donc, tout simplement, la seule vraie dernière marche avant de devenir avocat...

Et devenir avocat, je le voulais, vraiment, je n'avais "fait Droit" que pour ça...3 Lire la suite

  1. On se dit tout : c'était en 1992... Oui, je sais, certains d'entre vous n'étaient, à l'instar des escalopes, pas nés ; qu'ils sachent d'entrée que je ne les en félicite pas. []
  2. desquelles je suis malheureusement ressorti définitivement alcoolique, apprenant ainsi avant l'heure l'adage bien connu des pénalistes "On n'a rien sans rien"... []
  3. Ou journaliste, mais comme le concours d'entrée à l'ESJ comportait une dictée, j'ai rapidement laissé tomber. []