Montréal vit-elle bien sa nordicité?
Après 375 hivers, il semblerait que Montréal a encore beaucoup à faire pour apprivoiser cette saison. Si les Montréalais veulent vraiment vivre leur nordicité, plutôt que de la subir, une réflexion s'impose.
Un texte de Mélanie Meloche-Holubowski
Même si un climat hivernal règne sur la ville pendant près de six mois annuellement, plusieurs éléments n’ont toujours pas été adaptés à cette réalité.
Malgré tout, au cours des dernières années, Montréal a « commencé une réappropriation de l’hiver », dit Olivier Legault, conseiller en urbanisme et aménagement du territoire pour l'organisme Vivre en ville.
On cherche de plus en plus à ne pas fuir l’hiver, mais à l’assumer.
Alors que s'ouvre lundi à Montréal la Semaine de l'Observatoire arctique et antarctique à l'Université du Québec à Montréal, voici quelques pistes de solution pour mieux vivre la nordicité de Montréal.
Trop centré sur les événements?
Certes, la ville est reine de grands événements : Montréal en lumière, la fête extérieure du Nouvel An dans le Vieux-Port, du curling illuminé, une tyrolienne en plein centre-ville et l’exposition Illuminart.
Mais ces événements sont toujours à la merci des caprices de dame Nature. Froid, neige, sloche, gadoue, vent, redoux : les hivers à Montréal sont toujours en dents de scie.
« L'hiver n’est pas défini par le calendrier. La preuve, c’est que la Fête des neiges, il pleut presque tout le temps. Il ne faut pas juste prévoir le froid, mais la variabilité », ajoute Daniel Chartier de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique de l’Université du Québec à Montréal.
Par ailleurs, des événements sont rassembleurs et attirent les touristes, mais sont trop éphémères, regrettent MM. Chartier et Legault.
Des infrastructures à améliorer
Selon le guide de design d’hiver de la Ville d’Edmonton, l’une des villes d’hiver du Winter Cities Institute, il y a cinq principes à respecter pour mieux adapter une ville à l’hiver.
- Réduire les couloirs de vent pour les piétons
- Mieux orienter les bâtiments pour maximiser l’exposition au soleil
- Utiliser davantage de couleur pour enjoliver le paysage hivernal
- Créer des jeux de lumière
- Se doter d’infrastructures qui facilitent la vie urbaine hivernale
« Montréal célèbre l’hiver en affirmant sa nordicité par les activités collectives. Mais pour tout ce qui est question d’aménagement, ça ne fait que commencer à ressurgir dans les débats », explique Marie-Hélène Roch, étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’Institut national de recherche scientifique.
L’hiver, les enfants fréquentent moins les terrains de jeux, plusieurs chalets de parcs sont fermés, les piscines extérieures sont désertées et la plupart des activités de loisirs se transposent à l’intérieur. « Les villes n’encouragent pas l’accès à ces infrastructures en hiver », déplore Sylvain Thériault.
Montréal devrait aménager des espaces plus polyvalents, qui sont accessibles pendant les quatre saisons. Par exemple, pourquoi dépense-t-on autant d’argent pour des pataugeoires qui ne sont utilisées que 15 % de l'année? demande M. Chartier.
Rendons-nous compte qu'on ne vit pas en Virginie, pas en Californie et pas dans le sud de la France. Donc, imaginons des usages doubles pour ces aménagements.
Certaines villes nordiques ont pourtant innové en la matière. Par exemple, un terrain de basketball dans le quartier River Bend, à London, en Ontario, est transformé en patinoire chaque hiver.
Pour sa part, Marie-Hélène Roch aimerait voir des bancs qui ne gèlent pas les arrières des Montréalais et qui sont placés à des endroits stratégiques, à l’abri du vent et avec un maximum d’ensoleillement. La Ville devrait notamment prendre en compte l'existence de microclimats dans certains parcs montréalais avant d'y installer des infrastructures, selon elle.
Et pourquoi pas des abribus chauffés (une idée pourtant proposée dans les années 70) et des espaces de réchauffement à des endroits stratégiques, comme sur les rues piétonnes?
« Ça changerait la dynamique en ville », croit Marie-Hélène Roch, qui ajoute que de meilleurs aménagements contribueraient à améliorer la santé physique et mentale des Montréalais. « Certaines populations sont isolées pendant tout l’hiver. Cela a des effets sur la santé publique. »
Justement, Olivier Legault et Marie-Hélène Roch croient que la Ville doit, en priorité, apprendre à gérer la gadoue qui rend souvent les rues et trottoirs impraticables.
Être piéton à Montréal en hiver, c’est un sport extrême. C’est incroyable qu’il n’y ait pas de solutions pour des marées de sloche aux intersections de trottoirs.
Innover ici
Pourquoi est-ce si difficile pour Montréal d’intégrer la variabilité du climat dans ses pratiques d’aménagement, même après trois siècles d’hiver?
Trop souvent, les urbanistes, architectes et aménagistes québécois s’inspirent de villes européennes et américaines qui ont des climats très différents de celui de Montréal, avoue le président de l’Association des urbanistes et aménagistes municipaux du Québec.
C'est ça l'erreur. On prend le modèle du sud et on l’arrange pour qu’il puisse marcher dans notre climat. Quand on adapte, c'est toujours bric-à-brac.
« C’est pour ça que lorsqu’on construit un immeuble, quelques années plus tard, on voit des pancartes " attention chute de glace ". Pourtant, on sait qu’après 400 ans, la glace revient toujours », dit Daniel Chartier. Il dit avoir été étonné lorsqu’un étudiant montréalais en architecture lui a raconté que la question de l’hiver avait été abordée seulement lors de sa cinquième année d’études.
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Si Sylvain Thériault croit que les architectes doivent se tourner vers d’autres sources d’inspiration, comme les pays scandinaves, Daniel Chartier croit que Montréal est trop unique et doit plutôt innover et faire preuve d’audace.
On a beau dire "allons chercher des solutions ailleurs", il n'y en a pas ailleurs. C'est nous qui devons les inventer.
« La différence entre les pays scandinaves et le Québec, c’est que le design est intégré dans tous les éléments de la vie. On n’intègre pas le design dans le dernier stade d’un projet », ajoute Caoimhe Isha Beaulé, étudiante à la maîtrise à la Faculté de l’aménagement en design et complexité de l’Université de Montréal.
De son côté, Olivier Legault souhaiterait que Montréal crée un laboratoire d’hiver et puisse ainsi réinventer la vie urbaine en hiver.
Et pourtant, les idées ne manquent pas…
En 2013, l’Association du design urbain du Québec, en collaboration avec Vivre en ville et le Bureau du design de la Ville de Montréal, avait lancé le concours « Nordicité » pour stimuler la recherche d’idées novatrices. Plusieurs idées, certaines ludiques, d’autres novatrices, y avaient été développées par des professionnels et des étudiants.
On proposait notamment d’utiliser les piscines publiques extérieures comme espaces de performances hivernales. Une fois la piscine vidée de son eau, les parois peuvent créer un refuge par rapport au vent et permettraient ainsi la tenue d’activités de quartier, comme des cinémas en plein air.
Un autre groupe suggérait la mise en place d’un réseau de transport en ski de fond en utilisant les réseaux cyclables déjà existants.
D’autres ont imaginé un système de glissades à travers la ville qui utilise les différentes pentes et les escaliers (comme celui de l’oratoire Saint-Joseph).
Une autre idée, plus poétique, proposait de mettre en glace des fleurs et des plantes d’hiver pour en créer des sculptures qui rappellent les quatre saisons.
Avec de telles idées innovatrices, Montréal pourrait non seulement convaincre ses citoyens de profiter des aménagements de la ville toute l'année, mais pourrait attirer encore plus de touristes, curieux de vivre l'hiver urbain. « Pourquoi ne pas tirer un avantage de la condition dans laquelle on vit? » demande Daniel Chartier.