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Expansion de l'islamisme: les racines

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Depuis 2011, les mouvements islamistes sont en expansion au Moyen-Orient. Ce billet de blogue propose une approche historique pour tenter d'expliquer cette popularité.

Islamisme vs socialisme arabe

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À gauche, le symbole des Frères musulmans, une organisation islamiste. À droite, un symbole Baas, un socialisme arabe

Entamée dans l'entre-deux-guerres, l'ère des indépendances des États du Moyen-Orient entre dans sa phase décisive durant la Seconde Guerre mondiale. Ces indépendances s'opéreront toutefois dans le cadre des frontières fixées par la Première. La disparition graduelle de la tutelle occidentale (Égypte, Irak, Liban, Syrie, Tunisie, Algérie, Maroc, Iran...) laisse le champ libre pour l'expression de nouveaux modèles politiques. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord se scinde alors en deux grandes tendances idéologiques qui lutteront l'une contre l'autre dans les décennies suivantes.

On regroupe la première tendance sous l'étiquette de socialisme arabe. Si l'expression est créée par la figure de proue du mouvement, le président égyptien Gamal Abdel Nasser, les racines idéologiques sont plus lointaines. Elles remontent aux mouvements nationalistes qui ont germé lors de la décadence de l'Empire ottoman, et s'incarnent notamment dans la fondation du parti baas par Michel Aflak et Salah Bitar.

Le socialisme arabe n'est pas homogène, mais on retrouve au sein de ses défenseurs des convergences idéologiques importantes : liberté, nationalisme et unité arabe, socialisme, anti-impérialisme (donc opposition aux Occidentaux), de même qu'une certaine laïcité de l'État. Les principaux États qui l'adopteront sont la Syrie, l'Égypte, le Yémen, la Libye, l'Algérie et l'Irak, mais des cellules clandestines du Baas et autres socialismes essaiment néanmoins dans plusieurs autres pays du MENA, notamment le Liban et la Jordanie, où des tentatives de prise du pouvoir échouèrent. Ce mouvement est généralement porté au pouvoir par coup d'État, souvent guidé par une clique de jeunes officiers modernistes qui établissent ensuite un régime liberticide. Bien qu'ils entretiennent généralement une ambition de non-alignement dans le conflit de la Guerre froide, leur système économique et surtout leur anti-impérialisme les pousseront naturellement vers une collaboration économique et militaire étendue avec les Soviétiques. Sur le plan de l'unité arabe, on retrouve certaines tentatives, échouées ou avortées, notamment la fondation en 1958 de la République arabe unie (RAU), réunissant en un seul État la Syrie et l'Égypte.

La seconde tendance regroupe les différents États et mouvements sociaux qui se réclament de l'Islamisme. Elle mise sur la nécessité d'une réislamisation de la société, par des moyens qui divergent fortement d'un acteur à l'autre. Ses principes sont centrés sur un rigorisme moral, une interprétation littérale du coran et donc un fort conservatisme religieux. Au niveau étatique, on la retrouve principalement chez les pétromonarchies du Golfe persique de même qu'en Iran à partir de la révolution de 1979. Dans le cadre de la Guerre froide, les intérêts des États-Unis et des membres de ce camp s'alignent naturellement, notamment en raison de l'hostilité des islamistes à l'athéisme promu par les Soviétiques ou au laïcisme des États socialistes arabes. Cependant, l'islamisme est surtout le fait de mouvements sociaux, existant dans l'ensemble du Moyen-Orient, lesquels cherchent une purification religieuse de la société. Leurs moyens divergent selon plusieurs facteurs, dont leur statut légal dans leur terrain d'opération, le statut socioéconomique et les valeurs des membres des différentes organisations, les conjonctures politiques et militaires locales, etc.

Ainsi, de nombreux salafistes prônent une revitalisation par le prêche, donc par le bas, dénigrant l'intégration au jeu politique alors que d'autres, notamment la société des Frères musulmans, s'intègrent au jeu démocratique (s'il est libre) et tentent d'atteindre le pouvoir politique pour ensuite gouverner en conformité avec les principes de l'Islam. Si l'islamisme est interdit, réprimé, exclu par la force du jeu électoral, comme ce fut généralement le cas chez les régimes d'inspiration socialiste arabe, les mouvements islamistes peuvent alors se tourner vers la voie violente pour arriver à leurs fins. Il faut donc constater que la grande majorité des islamistes sont originalement hostiles au recours à la violence pour atteindre leurs objectifs.

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Plusieurs figures marquantes de l'islamisme (de gauche à droite) : Hassan al-Banna, Sayyid Qutb et Ruhollah Khomeini

Les deux tendances idéologiques convergent néanmoins sur certains points. Toutes deux visent la régénérescence, la revitalisation d'une société dite corrompue, gangrenée par les tutelles étrangères9. Inversement, chaque mouvement comporte en son sein, son lot de rivalités. Prenons pour exemples la dissolution de la RAU (1961) en raison des tendances centralisatrices du Caire ou encore la lutte entre les différents États socialistes (Égypte, Irak, Syrie) pour atteindre le statut de «leader de l'unité arabe»... Dans l'autre camp, l'Arabie-Saoudite est en conflit avec l'Iran pour se présenter comme le leader des mouvements islamistes et l'Arabie-Saoudite, État wahhabite, reconnaît les Frères musulmans comme une organisation terroriste.

Le cas de l'Algérie constitue un bon exemple pour illustrer toute la dynamique énoncée ci-haut. En 1954, s'entame la guerre d'indépendance algérienne contre la puissance coloniale française. Le principal groupe luttant contre l'impérialisme est le Front de libération nationale (FLN), organisation politique d'inspiration socialiste et arabo-nationaliste disposant de son bras armé. La guerre aboutit sur l'indépendance de l'Algérie en 1962 et le FLN constitue alors un régime à parti unique qui ne tolérera pas la dissidence. Vers la fin des années 1980, le gouvernement entame une démocratisation du régime, permettant la fondation de nombreux partis politiques d'opposition. Or, le premier tour des élections de 1991 projette justement la victoire d'un parti islamiste, le Front islamique du salut (FIS). Soutenue par les partis laïcs et démocrates qui craignent un gouvernement islamiste, l'armée bloque le processus électoral, exigeant la dissolution du FIS et l'arrestation de ses leaders. Mohamed Boudiaf, membre fondateur du FLN, est rappelé pour diriger l'État. L'islamisme, relégué à la clandestinité, verse alors dans la violence; fondation du Groupe islamique armé (GIA), début d'une guerre civile de 10 ans. Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), fondé par des dissidents du GIA, deviendra éventuellement Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Cette dérive est évocatrice : le combat d'Al-Qaïda, comme de plusieurs autres groupes néo-fondamentalistes, se veut international, transfrontalier, entre autres en raison de l'échec des voies nationales et politiques de l'islamisme.

Pourquoi l'expansion récente?

Les États gouvernés selon le socialisme arabe avaient nationalisé une grande partie des entreprises privées et des ressources naturelles. Ils avaient créé un État providence, un filet de sécurité sociale pour venir en aide aux nécessiteux. Cependant, à partir des années 1980, sous la pression des tendances mondiales de l'économie et des exigences domestiques, ils entamèrent généralement une libéralisation de l'économie, une privatisation de certains secteurs étatisés et un démantèlement de l'État providence, abandonnant une bonne part de leurs préceptes idéologiques fondamentaux. Toutefois, ces «Républiques» conservèrent souvent leur nature dictatoriale et répressive (Égypte, Syrie...). C'est dans ce contexte que la crise économique de 2008 vint frapper la région et aggraver la misère populaire.

Arrive alors le printemps arabe de 2011, le marasme économique déflagrant les tensions latentes reliées au non-respect des libertés individuelles, à la corruption endémique, etc.La montée en popularité des mouvements islamistes peut alors s'expliquer ainsi :

  1. L'échec du socialisme arabe pousse vers de nouvelles avenues. En effet, son projet d'unité arabe a globalement échoué, les États s'étant repliés sur leurs frontières. De même, son aspect «socialiste» a été délaissé et l'écroulement de l'URSS en 1991 semble consacrer cette déchéance.
  2. Dans certains cas, une certaine libéralisation politique après le départ des dictateurs permet la réémergence légitime de mouvements populaires violemment étouffés par le passé. Prenons le cas de l'Égypte. Lorsque l'armée assure la transition du pouvoir après la chute de Moubarak, elle fait appel aux Frères musulmans pour joindre le jeu politique, considérant qu'eux seuls détiennent l'appui populaire suffisant pour donner de la légitimité au processus électoral. Ces derniers, d'abord méfiants en raison du passé répressif, acceptent et participent aux élections, qui font sortir Mohammed Morsi vainqueur en 2012. Il est toutefois rapidement renversé par l'armée, ce qui replonge les FM dans la clandestinité, l'organisation étant déclarée terroriste, notamment sous la pression des Saoudiens. Après le départ de Ben Ali, qui avait alterné tolérance modérée et répression envers les islamistes, la Tunisie opte également pour l'élection des islamistes du parti Ennahdha en 2011.
  3. L'islamisme propose une vision traditionnelle de la société, une référence à un passé souvent idéalisé. Or, les déboires économiques liés à la mondialisation et la crise boursière sont associés aux risques de la modernité. L'islamisme peut alors être considéré comme un refuge, offrant des repères et une stabilité dans un monde mouvant, en constante transformation.
  4. Le printemps arabe provoque une déstabilisation de régimes que tentent de récupérer à leur avantage les puissances extérieures. Ainsi, l'Arabie-Saoudite et autres mécènes traditionnels des mouvements salafistes à l'étranger, stimulent l'islamisme (financement, armement, propagande et propagation, etc.) en espérant déstabiliser d'anciens ennemis et voir émerger des gouvernements sympathiques à leurs projets politiques et économiques, et ce malgré les risques domestiques encourus.

Daniel Beauregard, professeur d'histoire au Collège Jean-de-Brébeuf
Ce blogue fait suite au billet La Première Guerre mondiale et la redéfinition du Moyen-Orient

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