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Le Marocain, un citoyen de seconde zone dans son propre pays?

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MAROC
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SOCIÉTÉ - La levée de boucliers de certains journaux et radios, ainsi que de la société civile, concernant la décision de séparation des espaces hommes et femmes dans les salons de coiffure, prise par le conseil de la ville de Fès, a de quoi nous interpeller.

Au-delà du signe du malaise profond qui touche la société et qu'elle a révélé, et des réactions, parfois disproportionnées, de certains commentateurs qui ont laissé leur imagination aller très loin pour la critiquer, nous sommes en droit de nous poser la question: pourquoi la ville de Fès a pris cette décision?

N'ont-ils pas suffisamment de problèmes dans leur ville - la saleté, l'habitat insalubre, l'insécurité, la corruption, l'urbanisme... et j'en passe -, pour légiférer sur un problème qui pourrait concerner tout au plus deux à trois salons dans toute la ville?

En effet, nous savons tous que cette ville, profondément ancrée dans la mouvance conservatrice, ne possède ni salons de coiffure ni salles de sport ni centres de soin où la mixité est pratiquée de manière naturelle par les résidents de la ville. Même les restaurants avec pignon sur rue qui servent de l'alcool peuvent se compter sur le bout des doigts d'une main.

La mixité se pratique dans les spas des hôtels et, selon certains journaux, est strictement réservée aux touristes. Comme si le Marocain, dans son propre pays, était un citoyen de seconde zone. Peu importe qu'un couple soit marié, il ne peut pas bénéficier des mêmes prestations. Dans son propre pays, le Marocain est victime de discrimination, n'a pas la même liberté accordée à ses honorables visiteurs.

La raison invoquée par le conseil de la ville est "d'organiser ces professions" et de lutter contre l'utilisation de certains espaces comme écran pour pratiquer la prostitution. Cela les honore en effet, mais cela entre déjà dans les prérogatives du conseil, sans qu'il ait besoin de légiférer de nouveau. Ce n'est pas en créant des espaces différents dans les salons de coiffure que ceux qui profitent de ce genre de pratiques, condamnables à tous égards, vont arrêter tout à coup. La notion même de séparation est "ségrégationniste", en contradiction avec l'esprit de la liberté et de l'égalité homme-femme.

Je pense pour ma part que cette nouvelle loi a été faite pour créer un précédent. Une sorte de jurisprudence, afin que d'autres villes s'en inspirent et commencent à appliquer petit à petit le programme idéologique de leur parti politique. Cette règle a été faite pour créer une nouvelle zone de flou entre ce qui est peut-être autorisé ou non, et d'outrepasser plus aisément les autres sortes d'ouvertures qui existent.

Rien ne les empêchaient de mieux surveiller ces centres. S'ils ont légiféré, nous sommes en droit de nous demander si ce n'est pas pour servir un autre agenda. C'est pourquoi il faut lutter afin que la sphère privée des convictions religieuses n'interfère pas avec la gouvernance d'une ville ou même d'un pays.

Si nous nous taisons, si nous ne luttons pas contre ce genre de décisions arbitraires, nous les laisserons dérober le peu de droits qui nous restent. Nous perdrons le brin de libertés individuelles acquises de longue lutte.

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