Consécration linguistique pour le GIF (Graphics Interchange Format), type de fichier d’image ou d’animation élu, en ce mois de novembre 2012, « mot de l’année » par le dictionnaire américain Oxford. Un temps considéré comme vestige honteux de la préhistoire d’Internet, il est revenu en grâce via les forums, la culture « LOL » et les mèmes, jusqu’à devenir un des formats les plus en vogue sur la toile. Autre consécration, son omniprésence, avec plus largement toutes les formes d’images, sur le tumblr de campagne de Barack Obama, à qui revient sans doute le privilège d’avoir introduit le mur de GIF en politique.
C’est une particularité de ce Tumblr, pivot de la campagne numérique du président américain sortant, qui m’a très tôt frappé : le parti-pris très net de privilégier les images – GIF donc, Instagrams, infographies … – contre les vidéos. Je n’ai pas de chiffres précis, mais une rapide visite sur ce site de campagne suffit à constater un ratio images/vidéos en écrasante faveur des premières. Ce n’est pas banal, car la tentation, dans le monde politique en particulier, est généralement de considérer la vidéo comme moyen le plus moderne et donc (hic jacet lepus) le plus efficace de communiquer ; on se souvient, par exemple, de la « Sarko TV » de l’élection 2007 en France. Et ceci alors même que les vidéos de propagande, en politique en tout cas, plafonnent en général à quelques milliers de vues.
Pourquoi cette prééminence des images chez Obama ? Pour s’adapter aux usages des jeunes, cible de ce Tumblr ? Explication circulaire … qui n’explique pas ce qu’un nombre croissant de professionnels d’Internet constatent, à savoir la viralité supérieure d’un format censément plus pauvre et moins moderne, l’image, par rapport à la vidéo ; ou en tout cas le caractère indispensable de l’image dans une stratégie en ligne. Je lisais ainsi récemment sous la plume de Virginie Berger, spécialiste de la communication numérique dans le monde de la musique, dans un billet à propos des bonnes pratiques sur Facebook : « Utilisez des photos. Les posts qui en plus intègrent une photo ont une interaction de plus de 39% par rapport à ceux qui n’en utilisent pas. Soyez prudent avec les vidéos. Les vidéos reçoivent moins de likes, partages et commentaires que la moyenne ». Ou encore ailleurs au sujet de Twitter : « tweeting without ever including a picture is becoming increasingly difficult to avoid » (Social Media Today, 5 Reasons Why Your Business Needs Pictures When Tweeting ».
Quels sont les atouts de l’image – fixe ou animée – qui la distinguent de la vidéo ? Postulons qu’il existe deux grands types de médias, synchroniques et diachroniques. J’appelle médias synchroniques ceux dont on peut appréhender le contenu dans l’instant, d’un coup d’œil. Cela ne veut pas dire que l’on va épuiser tout leur sens en quelques secondes, mais que l’on peut très rapidement saisir de quoi il retourne. J’appelle a contrario médias diachroniques ceux qui nécessitent un temps long (à l’échelle du web, de quelques minutes par exemple) et incompressible pour être appréhendés. Une photo, une animation GIF, une dataviz, un raisonnement écrit entrent clairement dans la première catégorie ; une vidéo ou un texte fictionnel dans la seconde. Autant on peut en quelques secondes, par un regard « en diagonale », se faire une idée du contenu d’une infographie ou d’un raisonnement structuré, autant un texte non structuré, un enregistrement sonore ou une vidéo nécessitent une allocation de ressources attentionnelles non négligeable, et quelques minutes incompressibles à y consacrer (sauf à tenter de comprendre une vidéo en avance rapide).
Ce clivage est fondamental. Parce que l’Internet actuel est de plus en plus un réseau de l’instantané et du fractionné, où une notification chasse l’autre et où l’attention (déjà réduite de 40% en dix ans, à en croire des chiffres récemment publiés) est une ressource extrêmement sollicitée. Les réseaux sociaux conditionnent une navigation en ligne où l’on papillonne, glisse sur une multitude de contenus, sans avoir le temps (ni l’envie) de se plonger dans chacun d’entre eux. De manière significative, un lien peut ainsi être abondamment tweeté et retweeté … sans pour autant être cliqué, et donc réellement consulté (voir l’étude de Hubspot à ce sujet). Afficher une image insérée dans un tweet prend une fraction de seconde. Mais aurez-vous le temps et la volonté de dépenser 2 précieuses minutes pour regarder la vidéo du tweet suivant, sauf si elle porte une promesse réellement motivante (bande-annonce d’un film attendu, vidéo présentée comme particulièrement drôle …) ?
Argument connexe, les images sont des formats simples et plus robustes que les vidéos. Une image s’affiche simplement sur tout appareil, elle ne risque jamais, à la différence d’une vidéo, de « planter » pour un problème de lecteur Flash non mis à jour, ou parce que votre smartphone n’est pas compatible. En outre, cette simplicité permet et favorise détournements, reprises, modifications, toutes pratiques essentielles de l’actuelle culture web. Réaliser les mêmes opérations sur une vidéo nécessite une compétence technique (et là encore, une quantité de temps) bien supérieure.
La temporalité propre à l’Internet actuel favorise une attitude cognitive de « poisson rouge », où l’on consomme dans l’instant une grande quantité de contenus successifs, généralement vite oubliés et remplacés par d’autres contenus, noyés dans un flot de notifications issues de multiples applications et réseaux sociaux. La photo y trouve sa place sans effort, là où la vidéo nécessite au contraire plus d’efforts que de coutume pour être consommée. Cela ne veut bien entendu pas dire qu’elle est devenue un média de seconde zone (confere le succès inouï du Gangnam style), mais qu’elle a vocation à être utilisée de manière plus parcimonieuse et surtout plus qualitative, pour avoir une chance de percer dans la jungle des sollicitations attentionnelles.
Romain Pigenel
La gauche pire que le FN : vous en rêviez, l’UMP l’a dit
En ces jours critiques qui voient la « digue » entre l’UMP et le FN se couvrir d’inquiétantes lézardes, on tend à se focaliser sur quelques personnalités très saillantes – élus ouvertement pro-FN, ou « ténors » type Nadine Morano – pour prendre le pouls du premier parti de droite. C’est un tort : en pareille situation, il est toujours plus intéressant, et révélateur, de s’intéresser aux faits et gestes des élus et responsables politiques moyens, représentatifs de la majorité de leurs pairs, pas particulièrement connus pour leurs excès.
Connaissez-vous Philippe Marini ? Costume-rayé-bleu-cravate-rouge très fillonesques, fines lunettes, cheveux blancs, l’air sérieux, interviewé sur Public Sénat car sénateur-maire et président de la commission des finances de l’auguste assemblée. Un homme sérieux, on vous dit, plus connu, sauf erreur de ma part, pour des interventions budgétaires que pour des scandales médiatiques ou sorties hasardeuses sur les civilisations qui ne se valent pas.
On imagine Philippe Marini très concerné par l’entre-deux-tours des législatives, l’avenir de l’UMP et dans l’immédiat de ses députés. Très conscient de l’intérêt grandissant pour le FN des électeurs de droite, et des débats à la tête de son parti sur l’attitude à adopter à l’égard de la formation d’extrême-droite. Bref, un bon mètre-étalon des préoccupations moyennes de tout cadre ou militant UMP, actuellement. Interrogé, donc, par les journalistes de Public Sénat sur le cas de Roland Chassain – candidat de l’ex-parti présidentiel se désistant en faveur du FN pour le deuxième tour des législatives – il livre cet étonnant raisonnement en plusieurs étapes.
Premièrement : « il appartient [à Roland Chassain] d’apprécier l’état d’esprit de ses électeurs et le climat de sa circonscription ». Marini, « décentralisateur », refuse de le juger. Pendant ce temps, Jean-François Copé, chef jusqu’à preuve du contraire de l’UMP, a officiellement condamné les alliances de ce type (c’est le sens du ni-ni) et enclenché la procédure d’exclusion de Chassain. Y a-t-il encore une ligne politique unique et partagée à l’UMP ? Mystère. En attendant, la position de Marini est absolument explicite : l’attitude à avoir face au FN n’est pas ou plus une question de principe, mais d’observation du terrain, au coup par coup. En clair, la digue mentale a déjà cédé.
Deuxièmement : « s’il y a quelques députés en nombre très limité du FN, la République ne va pas être transformée ». Curieux raisonnement : d’un côté, on admet que les députés FN sont en mesure de « transformer » (en mal, on imagine) la République ; de l’autre, on tolère leur présence. Résumons : les Frontistes sont dangereux sans l’être tout en l’étant. Tout ceci est, on en conviendra, d’une extrême cohérence.
Troisièmement : « à l’inverse, si le Parti socialiste a tous les pouvoirs dans cette République, y compris le pouvoir constituant, nous serions en grave danger ». On touche ici au sublime, la conjonction de l’idée à mode à droite – le FN est quand même fréquentable – et d’un élément de langage éprouvé de l’UMP post-6 mai – si le PS gagne les législatives, il deviendra un parti totalitaire.
Analysons un peu cet intéressant syllogisme. Si le PS a « tous les pouvoirs » (collectivités territoriales, Sénat, Assemblée, Présidence), il mettra en œuvre une politique de … gauche. Ni plus ni moins. Si des députés FN sont élus, ils se feront les porte-paroles d’une politique d’extrême-droite. Ce que nous dit donc très tranquillement Marini, c’est que dans l’absolu, la mise en œuvre d’une politique de gauche est un si grave danger que tout ce qui permet de l’endiguer est bon à prendre – même l’élection de députés capables, s’ils étaient plus nombreux, de mettre à bas la République.
Bref, que la gauche est potentiellement plus dangereuse que l’extrême-droite.
Cela rappelle un slogan déjà entendu dans l’Histoire – Better dead than red. Qu’en pensent Jean-François Copé et François Fillon ? Vont-ils exclure les UMPistes mettant en pratique cette théorie (Chassain) mais fermer les yeux sur ceux qui la prêchent (Marini) en toute franchise ?
Y a-t-il encore une ligne politique à l’UMP ?
Romain Pigenel