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lundi 11 octobre 2010

[Audio] Un échange militant pour faire avancer la lutte contre le gouvernement à Québec

Le 8 octobre dernier, le Collectif anarchiste La Nuit tenait une assemblée publique au café Nagua, dans Limoilou, sur le thème «Budget libéral, comment faire reculer le gouvernement». Nous voulions permettre des échanges militants pour relancer la lutte dans la région de Québec.

À notre avis, l'assemblée fut un franc succès. Nous avions invité des panélistes, non pas sur la base de leur affinité (ou pas) avec l'anarchisme mais en fonction de leur participation à divers mouvements sociaux. Beaucoup de gens de différents milieux, donc, et pas seulement les suspects habituels.

Les discussions ont porté sur la lutte contre le gouvernement mais aussi sur le néolibéralisme en général et, région de Québec oblige, sur la droite populiste et les radios poubelles. Il semble que trois idées forces ont pas mal fait consensus. Premièrement, il faut que les mouvements sociaux se coalisent à Québec pour rompre leur isolement et s'inscrire dans la lutte nationale contre la tarification et les privatisations. Deuxièmement, il est primordial de réussir une vaste campagne d'éducation populaire et de travailler dans une perspective d'escalade des moyens de pression. Troisièmement, il faut trouver une manière permettant aux personnes isolées et aux militant-e-s de base de s'inscrire dans la lutte, ce qui pourrait se faire par la création d'un comité de mobilisation intersectoriel régional.

Plusieurs personnes qui ne pouvaient être présentes nous ont demandé de leur donner des nouvelles. Nous avons encore mieux à vous proposer. Nous avons enregistré l'assemblée! En voici donc l'essentiel en deux morceaux (le premier c'est le panel, le deuxième c'est le débat). Il ne manque que quelques interventions qui n'ont malheureusement pas été faites au micro.



3657-1-Assemblee_publique_-_panelistes.mp3



3657-1-Assemblee_publique_-_public.mp3

Dans les prochaines semaines, le Collectif anarchiste La Nuit va réfléchir aux suites à donner à cette assemblée [et il y en aura!]. Si vous voulez être tenu au courant de nos démarches, écrivez-nous.

dimanche 3 octobre 2010

Assemblée publique le 8 octobre

« Budget libéral: comment faire reculer le gouvernement? » Assemblée publique le 8 octobre au Café Nagua

Le Collectif anarchiste la Nuit invite la population de Québec à une assemblée publique vendredi le 8 octobre au Café Nagua à 19 heures. Réunissant des panélistes issu-e-s des mouvements sociaux de Québec, ce sera l'occasion de réfléchir au budget libéral anti-social et aux stratégies pour faire reculer le gouvernement.

En dévoilant son budget, le gouvernement libéral a choisi son camp: celui des classes riches au détriment des classes populaires. Malgré une situation stable économiquement, Québec ayant été épargné par la crise économique avec un déficit de 1,6% du PIB cette année par rapport à 9% pour les États-Unis, le gouvernement sonne l'alarme. Tout à coup, une contribution santé, une augmentation de la TVQ et une hausse des frais d'électricité sont déclarés essentiels au maintien de l'économie. Pourtant, du même souffle, Jean Charest annonce pouvoir allonger 45% d'argent public pour financer un amphithéâtre à Québec dont il ignore tout du coût final!

Ce gouvernement ne représente que l'élite politique et une classe privilégiée d'hommes d'affaires. Il a perdu toute légitimité et adhésion populaire, qu'il prétend pourtant représenter. Il doit reculer et entendre les voix de la rue qui réclament une plus juste redistribution de la richesse. Déjà, la population s'est fait entendre et la mobilisation a forcé le gouvernement Charest à laisser tomber le ticket modérateur. Il faut continuer à lutter pour faire entendre la voix des exclu-e-s.

Des panélistes du milieu syndical, communautaire, féministe, étudiant et anarchiste partageront leurs analyses de la situation de la lutte 2010-2011 dans la région de Québec. Le public est invité à contribuer à cet échange en faisant entendre ses idées, ses stratégies et ses perspectives de lutte.

Les panélistes (*) sont

- Dany Harvey, organisateur syndical de la FTQ
- Pierre-Élie Hupé est représentant externe du RÉSUL (Regroupement des étudiants de sociologie de l'université laval).
- Vania Wright-Larin, du Regroupement d'éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC)
- Marie-Ève Duchesne, du Regroupement des femmes sans-emploi du Nord de Québec (ROSE du Nord)
- Mathieu Houle-Courcelles de l'Union Communiste Libertaire

Quand: vendredi 8 octobre, 19h
Où: Café Nagua, 990 1ere avenue

(*) N.B.: L'affiliation des panélistes est indiquée à titre d'information

mardi 1 juin 2010

L’anticapitalisme : perspective essentielle aux luttes sociales ?

Le 15 mai dernier, je faisais la conférence de clôture d'une journée d'étude sur l'anticapitalisme organisée conjointement par le Centre Justice et Foi et le site web Presse-toi à gauche. Voici l'essentiel de ma présentation. Si vous avez des commentaires, vous pouvez les faire ici, c'est impossible sur PTÀG.

L’anticapitalisme : perspective essentielle aux luttes sociales ?


En regard du titre de la conférence qu’on m’a demandé de prononcer, je serais tenté de répondre « non ». Non, l’anticapitalisme n’est pas une perspective essentielle aux luttes sociales actuelles. La preuve ? Il y a plein de luttes sociales qui se mènent sans perspective anticapitaliste.

C’est même le cas de la majorité des luttes au Québec. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, qu’une perspective anticapitaliste n’a aucun intérêt, au contraire. Il faut juste remettre les choses en perspective : nous ne sommes pas essentiels.

Quel intérêt ?

Il faut comprendre et expliquer le monde et les phénomènes sociaux si on veut s’inscrire dans la réalité et influer sur elle. On peut comprendre le monde de plusieurs façons, en utilisant plusieurs grilles d’analyse différentes (nationaliste, libérale, réformiste, etc.). Toutefois, si on veut aller au fond des choses, il faut être radical et aller à la racine des problèmes. Et, dans le cas des problèmes sociaux, la racine c’est souvent le système capitaliste, d’où l’intérêt d’une perspective anticapitaliste.

Une perspective anticapitaliste est essentielle parce que dans le système économique actuel, la véritable justice sociale et l’égalité sont impossibles. On peut corriger des injustices, redresser des situations inégalitaires mais, fondamentalement, on ne peut espérer avoir la justice et l’égalité pleine et entière dans le système capitaliste. Tout simplement parce que le fonctionnement même du capitalisme produit de l’inégalité et de l’injustice. C’est dans sa nature. Pas d’exploitation de la force de travail, pas de capitalisme. Pas d’inégalité entre les salariéEs et les patrons, pas de capitalisme. Et ainsi de suite.

Il y a aussi la question de la transformation sociale. Comment obtient-on des avancées, comment fait-on des gains ? Notre société ne fait pas de cadeau aux perdants. C’est une société extrêmement dure. Si on redresse une situation d’injustice, si on donne plus à un groupe, forcément c’est qu’on enlève à un autre. Si on augmente la proportion de la richesse produite qui revient au travail, c’est forcément au détriment du capital (et vice-versa). Il faut comprendre qu’il y a des intérêts contradictoires qui sont en jeu. Il faut comprendre que la transformation sociale implique un rapport de force. Il ne s’agit pas de dialogue social mais de lutte sociale. Ce n’est pas la même chose. Dans ce contexte aussi, une perspective anticapitaliste est utile.

Lire la suite sur le site de Presse toi à gauche

mercredi 5 mai 2010

15 mai : Un Québec contrasté

Texte extrait du numéro de mai du journal Droit de parole.

Militants gais et cathos, réactionnaires et progressistes, réunis et manifestant dans la capitale le même jour.

Le 15 mai, Québec sera l'hôte d'activités pour le moins contrastées. Pendant que la droite catholique se réunira en haute-ville sous l'égide de la très conservatrice Campagne Québec-Vie, la gauche se réunira en basse-ville pour parler d'anticapitalisme, à l'appel du Centre Justice et Foi, le tout sur fond de célébration de la Journée internationale contre l'homophobie!

Anti-choix


La Campagne Québec-Vie, fer de lance bien de chez-nous des anti-choix, tient son congrès annuel à l'hôtel Château-Laurier, le 15 mai, sur le thème «une lutte pour l'âme du Québec : deux visions du mariage et de la famille». À regarder l'horaire, il semble que les pro-vies en ait aujourd'hui contre le projet de loi sur l'euthanasie et le suicide assisté déposé à la chambre des communes par la députée bloquiste Francine Lalonde. C'est en tout cas le thème qu’abordera le président de Campagne Québec-Vie lors d'un atelier en matinée et en assemblée générale.

L'après-midi sera plutôt consacré à diverses conférences sur des thèmes comme l’activisme pro-vie, les adolescents et la question de l'avortement, la natalité au Québec, l’idéologie du féminisme radical (!) et «l'homosexualisme» (sic). En soirée, Marc Ouellet, ci-devant cardinal de Québec, sera l'invité d'honneur d'un souper. À notre connaissance, c'est la première fois que la hiérarchie catholique s'associe ouvertement à l'aile réactionnaire et activiste du mouvement anti-choix.

Anti-capitalistes

Fait plutôt cocasse, au même moment une institution de l'aile gauche de l'Église, le Centre justice et foi, qui publie la revue Relation, organise une journée d'étude au cégep Limoilou sur «les défis de l'anticapitalisme», en collaboration avec le site Internet Presse toi à gauche. De leur côté, les progressistes vont parler, entre autre, de la marche des femmes pour leur émancipation, d'une lecture chrétienne de l'anticapitalisme, du défi écologiste, des inégalités nord-sud, de la crise du capitalisme, etc. Aucun bonze de l'Église n'étant attendu à cette activité, c'est plutôt le mécréant auteur de ces lignes qui prononcera la conférence de clôture (sur «la perspective anticapitaliste dans les luttes sociales», c’est vous dire). [Attention, si ça vous intéresse, il faut s'inscrire et c'est la dernière semaine ou vous pouvez le faire!]

Contre l’homophobie

Cerise sur ce sunday idéologique, c'est aussi le 15 mai, pour des raisons de commodité, que le GLBT-Québec/Lutte à l'homophobie a choisi pour souligner la Journée internationale contre l'homophobie (le 17 mai). La marche, cette année, débutera à l'Assemblée nationale à 13h30 et se dirigera vers le Musée des beaux-arts, sur le thème de l'homophobie dans le monde du sport.

Science fiction


Que ce passera-t-il si tout ce beau monde se croise sur un coin de rue? Qui sait, certainEs voudront peut-être provoquer des rencontres…

jeudi 31 juillet 2008

Matière à réflexion stratégique : Conquête et contre-pouvoir (1993)

Dans l'édition estivale du Drapeau Rouge, un article "répond" à la brochure critique que j'ai fait du programme du PCR (voir ici). Le principal reproche qui est fait aux libertaires est de ne pas avoir de stratégie révolutionnaire. Il est vrai que la NEFAC n'a pas encore de document équivalent au "Programme" du PCR rendant la critique de notre organisation plus difficile. Pourtant, au fil des textes se dessine une ébauche de cohérence théorique et tactique. Ainsi, côté stratégie, nous mettons de l'avant l'idée de contre-pouvoir (ici par exemple). Voici, à ce sujet, matière à réflexion stratégie. Il s'agit d'un texte de congrès adopté par nos camarades d'Alternative libertaire en 1993.


Conquête et contre-pouvoir
Extrait de «Etre révolutionnaires aujourd’hui»

En prenant le parti des luttes sociales et du contre-pouvoir, nous affirmons clairement que des changements peuvent être imposés dans la société. Ce qui nous situe à la fois en contradiction avec la social-démocratie (pour laquelle les changements sont opérés par les partis de gauche depuis les institutions) et avec l’ultragauche (« rien ne peut être obtenu dans le système capitaliste »).

Rupture avec l’ultragauchisme

Le refus de prendra en compte les avancées possibles au sein du capitalisme n’est pas seulement l’apanage de quelques petites sectes. C’est une attitude qui a longtemps pesé sur les diverses variantes de l’extrême gauche ; les rangs de notre propre courant n’ont pas été épargnés. Il s’agit dans ce cas de démontrer que rien n’est possible, rien n’est gagnable dans ce monde et que par conséquent « il faut faire la révolution » - car avec elle tout deviendra réalisable. En bonne logique on dénonce donc les revendications, forcément « réformistes » puisqu’elles visent à améliorer les conditions de vie ou de travail. On dénonce les luttes locales ou sectorielles, parce que c’est « tous ensemble » qu’il faut se battre. Les tentatives pour travailler et vivre autrement dès aujourd’hui, toutes les expériences alternatives, associatives, culturelles, sont indistinctement condamnées à périr étouffées ou à se confondre tôt ou tard avec le capitalisme ambiant.

Cet ultragauchisme colore encore les orientations de [plusieurs] organisations. Dans les faits, il conduit soit au double langage (on a un discours très « dur », et dans le quotidien, « on s’arrange ») soit à l’incapacité à peser dans les luttes et dans la société ; avec, à la clé, l’isolement et le découragement. Une orientation ultragauchiste coupe les militants politiques de leurs secteurs d’intervention, et y compris des éléments les plus combatifs.

L’ultragauchisme détruit les possibilités d’aller vers une révolution parce qu’il suit un cheminement purement idéaliste.

Nous affirmons au contraire que le capitalisme n’est pas une société homogène mais une société complexe, sous domination, mais parcourue de conflits incessants. Les luttes n’ont pas cessé d’imposer des compromis aux classes dirigeantes. La société dans laquelle nous vivons n’est pas seulement le produit de décisions unilatérales venues d’en haut. C’est aussi le fruit de la lutte des classes, des luttes contre les oppressions, des luttes d’idées, des chocs de pratiques sociales, culturelles, politique opposées.

Ainsi dans l’entreprise, le droit du travail, la représentation syndicale, sont des concessions arrachées par les travailleurs ; de même, le droit à la contraception, à l’avortement, sont des acquis importants face à l’idéologie d’ordre moral.

A chaque fois, ces acquis ont un caractère double : à l’origine conquête des dominés, ils deviennent un instrument de régulation pour les classes dominantes. Mais le deuxième caractère ne doit ni faire oublier le premier, ni en minorer l’importance.

Dans la production, et donc dans la société, qui est dominée par la sphère de la production, le pouvoir est évidemment détenu par les classes dirigeantes et nous le contestons radicalement. Mais il y a le contre-poids des travailleurs, leur résistance permanente, leur force de contestation. Dans l’économie, il n’y a pas seulement des secteurs capitalistes. Des pans entiers des activités humaines échappent, au moins en partie, à la seule loi du profil, même si celle-ci est largement dominante. Il ne s’agit pas ici de magnifier le secteur social ou les activités associatives. Mais ces secteurs échappent bien en partie aux règles dominantes. Et ils concernent des milliers d’hommes et de femmes (ceci dit, la défense de leur objet principal, et surtout la manière de gérer ce secteur, sont des enjeux de lutte permanents souvent repris par les organisations syndicales qui y sont implantées).

Les institutions même, l’Etat, le droit, portent contradictoirement les traces de luttes démocratiques et des aspirations il la justice sociale.

En d’autres termes la société est déjà travaillée par la contradiction entre pouvoirs et contre-pouvoir, société et contre-société, règles dominantes et exigences démocratiques et sociales.

Conquête et contre-pouvoir

C’est dans ce champ de bataille qu’est le capitalisme que nous proposons d’intervenir afin de faire grandir dans le système des pratiques sociales et politiques associant des pans entiers de la population contre le capitalisme et l’étatisme.

Ce sera quand des millions de gens commenceront à conquérir consciemment des secteurs de pouvoir collectif ; quand ils imposeront à nouveau concrètement des changements, que la perspective d’une rupture globale, du passage d’une société à une autre, pourra redevenir crédible à leurs yeux.

C’est ce que nous nommons une stratégie de transformation de la société fondée sur la reconquête et le contre-pouvoir :

- Multiplier les espaces de contre-pouvoir : Assemblées de citoyens, assemblées de travailleurs.

- Mener les luttes autour de projets alternatifs, qui proposent des transformations profondes, opposées aux logiques du profit et du centralisme : contre-plans élaborés avec les salariés, projets alternatifs dans l’Éducation, etc.

- Dans les entreprises, poser la question même du pouvoir et de la finalité du travail. Imposer des droits nouveaux.

- Favoriser le développement d’un vaste secteur alternatif autogéré.

- Se battre pour une transformation radicale des services publics.

- Combattre les institutions actuelles en proposant de profondes transformations démocratiques, fédéralistes, autogestionnaires.

La logique de contre-pouvoir implique qu’on ne quitte jamais une position de lutte intransigeante, que l’on agisse depuis des espaces d’auto-organisation, autonomes par rapport aux institutions en place.

La logique de conquête conduit à se battre pour imposer des modifications concrètes et structurelles : dans le droit, dans l’organisation du travail, dans les institutions. Modifications qui seront autant de points d’appui pour que s’exercent en permanence et concrètement le contre-pouvoir des citoyens dans la cité, des travailleurs dans l’entreprise, des jeunes et des salariés dans l’Éducation.

Contre-pouvoir et révolution

Nous ne croyons pas que toute la société puisse être transformée graduellement depuis des positions de contre-pouvoir. Ce qui est en jeu c’est une dynamique, c’est la création d’une situation politico-sociale nouvelle où la société serait traversée par une profonde opposition : d’un côté des pratiques sociales permanentes (des luttes mais aussi des formes de solidarité, de vie, des pratiques démocratiques, des secteur alternatif, des institutions démocratiques, associant et fédérant de larges pans de la population). Et d’un autre côté, apparaissent comme un frein au développement de ces pratiques positives, comme un carcan à faire éclater, les structures capitalistes et étatiques. Les formes de contre-pouvoir se fédérant, on passerait alors à un contre-pouvoir général, avec sa propre logique, ses valeurs, son institution, ses secteurs de contre-société. Une situation de « double pouvoir » ouvrant la voie à une rupture révolutionnaire, rendue crédible et possible grâce aux réalisations autogestionnaires et aux acquis accumulés par les luttes.

Luttes révolutionnaires, luttes réformistes

Etre révolutionnaire aujourd’hui ce n’est donc pas fuir les réalités mais les confronter tout de suite à l’utopie autogestionnaire, pour proposer immédiatement des transformations possibles, crédibles et en même temps subversives parce qu’inspirées par cette utopie. Et puis c’est se plonger dans les luttes sociales, et compter parmi leurs animateurs, pour les infléchir, en respectant leurs rythmes et avec le plus grand nombre, vers la radicalisé et l’autogestion.

Ceci passe par des transformations qui contribuent à avancer vers une révolution ultérieure.

Quelle est alors la ligne de partage, la ligne de frontière entre lutte révolutionnaire d’aujourd’hui et réformisme, si la première appuie des réformes radicales ?

Pour les réformistes, le combat politique vise à des réformes mises en place dans le cadre de la délégation de pouvoir, par l’action gestionnaire des partis placés à la tête des institutions en place. C’est ce qu’on pourrait nommer le « réformisme politique ».

Pour les révolutionnaires, le combat est politico-social et il vise à des transformations et à des réformes imposées par les citoyens, les travailleurs et les jeunes eux-mêmes, et dans tous les cas discutées démocratiquement, élaborées avec eux, décidées démocratiquement.

Pour les réformistes, les réformes se situent dans une stratégie d’amélioration graduelle du capitalisme, sans remise en cause radicale de celui-ci. C’est le réformisme, qu’il soit politique ou syndical, ou encore associatif. Pour les révolutionnaires, la dynamique de lutte pour des transformations et des réformes radicales vise à mettre en place dans la société des pratiques contraires au capitalisme, en vue de préparer une rupture révolutionnaire ultérieure. Agir tout de suite pour transformer la société est la meilleure garantie pour que renaisse un projet révolutionnaire.

Adopté au IIe congrès d’Alternative libertaire - Montreuil, avril 1993

lundi 16 juillet 2007

K comme Kronstadt (ou la faillite du léninisme)

En mars 1921, les marins de Kronstadt, qui avaient été à l’avant-garde des révolutions russes de 1905 et 1917, se soulèvent contre la dictature du Parti communiste aux cris de « tout le pouvoir aux soviets et non aux partis ». Les insurgéEs exigent la fin des privilèges (salaire égal pour touTEs), la restauration de la démocratie socialiste (élections libres dans les soviets) et le retour du pluralisme révolutionnaire (libération de touTEs les militantEs socialistes-révolutionnaires et anarchistes). La révolte de Kronstadt sera réprimée dans le sang par le pouvoir léniniste. Il s’agit pour les anarchistes de la confirmation brutale du caractère fondamentalement autoritaire et néfaste de l’idéologie marxiste-léniniste.

Des soviets à la dictature

La révolution russe d’octobre 1917 balaie la bourgeoisie et le parlementarisme et proclame « tout le pouvoir aux soviets ». En russe, « soviet » signifie tout simplement « comité ». Les soviets de 1917 sont des comités de soldats et d’ouvrierEs, composés de déléguéEs éluEs lors d’assemblées démocratiques dans les usines et les casernes où les masses élaborent des résolutions et discutent de politique. À l’origine, la révolution russe promettait un socialisme démocratique que ne reniaient pas plusieurs libertaires.

Le pays est rapidement plongé dans une guerre civile tandis que les anciennes classes dirigeantes tentent de reconquérir militairement le pouvoir. C’est dans ce contexte de guerre que le Parti bolchevique, majoritaire, impose sa dictature et réprime les autres courants révolutionnaires. C’est le début du régime de parti unique et les soviets, dans ce contexte totalitaire, sont vidés de leur substance. Quand les masses s’insurgent en 1921 –grèves insurrectionnelles à Petrograd, révoltes dans les campagnes, insurrection à Kronstadt—le pouvoir léniniste répond par encore plus de répression, allant jusqu’à interdire les tendances à l’intérieur même du Parti bolchevique.

La faillite du léninisme

La faillite du léninisme était pourtant prévisible étant donné sa philosophie autoritaire, son programme dictatorial et sa forme d’organisation centralisée. À la base du léninisme, on retrouve l’idée que la classe ouvrière ne peut pas, par elle-même, développer une conscience révolutionnaire. Au mieux, les ouvrierEs peuvent s’organiser en syndicats et lutter pour de meilleurs salaires mais jamais ils et elles ne deviendront révolutionnaires « naturellement ». Pour Lénine et la plupart des marxistes de son époque, ce sont des intellectuelLEs bourgeoisES qui ont inventé le socialisme et l’ont amené aux ouvrierEs. Sans nier que les intellectuelLEs ont eu un rôle à jouer, les anarchistes ont une vision différente. Pour nous, le socialisme émerge directement des pratiques développées durant les luttes ouvrières. Des intellectuelLEs, dont un grand nombre d’ouvrierEs autodidactes, l’ont sans doute synthétisé, mais ils et elles l’ont fait à partir de leurs observations des luttes (c’est en tout cas ce que reconnaissent la plupart des intellectuelLEs à l’origine de l’anarchisme).

Pour les léninistes, l’organisation des révolutionnaires (un parti dans leur cas) est composée d’intellectuelLEs dont le rôle est de rassembler les ouvrierEs les plus conscientEs, de leur apprendre le socialisme afin de constituer une « avant-garde » capable de diriger la classe ouvrière et de la mener au combat révolutionnaire. Il ne peut y avoir qu’une seule « avant-garde » de la classe ouvrière et un seul parti « d’avant-garde ».

Ce différent sur l’origine du socialisme et le rôle de l’organisation des révolutionnaires, qui peut ressembler à un débat sur le sexe des anges pour les non-initiéEs, est loin d’être innocent. En effet, si le socialisme émane des travaux des intellectuelLEs et non des luttes des ouvrierEs et si le parti regroupe « l’avant-garde », alors en cas de conflit entre la classe ouvrière et le parti, le parti est justifié d’aller à l’encontre de ce que veut la classe ouvrière réelle au nom du « socialisme » et des « intérêts supérieurs » d’une classe ouvrière mythique.

L’alternative libertaire

Les anarchistes savent bien que la combativité et la conscience révolutionnaire ne sont pas distribuées également dans la population. Seule une minorité est combative et révolutionnaire aujourd’hui. On pourrait à la limite parler « d’avant-garde » mais le concept est trop flou et implique pour le commun des mortelLEs une certaine supériorité et la volonté de diriger. Quant à nous, nous ne sommes pas en avant ou en dehors des masses, nous sommes dans les masses, nous en faisons partie. Nous préférons donc parler de « minorité agissante ».

Selon nous, la « minorité agissante » doit être organisée pour être pleinement efficace. La « minorité agissante » est surtout une force de proposition et d’éducation. Cela peut se faire bien sûr par la propagande et par l’intervention des militantEs dans les luttes mais aussi en donnant l’exemple par une action collective, résolue et décidée. Nous vivons l’organisation révolutionnaire comme l’un des moments des luttes sociales, une assemblée de militantEs politiquement sur la même longueur d’onde qui coordonnent leurs actions. L’organisation anarchiste n’aspire pas à diriger les luttes, elle veut simplement les radicaliser. Quand des militantEs libertaires se retrouvent en position de leadership, ils et elles poussent au maximum l’autogestion et l’autonomie des forces populaires. Nous prenons très au sérieux la devise de la Première Internationale : « L’émancipation des travailleurs et des travailleuses sera l’œuvre des travailleurs et des travailleuses eux et elles-même ». Qu’on se le tienne pour dit!


(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

«Locataires en colère! Locataires solidaires!»

Au delà des slogans, quelles pistes pour le mouvement?



Depuis quelques années, le mouvement pour le droit au logement a connu une forte progression au plan de la visibilité. Avec une crise du logement qui n’en fini plus de finir, les groupes membres du FRAPRU (1) et du RCLALQ (2) ont multiplié les interventions publiques et les actions en tous genres. Les médias sont au rendez-vous, mais peut-on en dire autant des locataires? De l’avis de chacun/chacune, la mobilisation reste difficile. Si les moyens d’actions prennent parfois une tournure un peu plus offensive, les revendications mises de l’avant, elles, ne parviennent pas à sortir des sentiers battus et restent souvent platement réformistes. Coincé entre l’arbre et l’écorce, le mouvement pour le droit au logement piétine… Peut-on sortir de cette position ambiguë sans adopter pour autant une position complètement « déconnectée » du contexte social actuel?

La publication récente du livre de François Saillant sur les 25 ans de la Régie du logement nous donne l’occasion de réfléchir sur ces questions. La thèse présentée par le coordonnateur du FRAPRU pourrait se résumer ainsi : la Régie du logement, loin d’être un « chien de garde » efficace du droit au logement, n’a pas le mordant nécessaire pour remplir de façon adéquate le rôle et les responsabilités que l’État lui a confié. Il y a une trentaine d’année, l’État québécois a reconnu sa responsabilité en matière de logement. François Saillant cite des extraits du Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires publié en 1977 par le gouvernement du Parti Québécois, document qui servira à orienter le travail de la Régie du logement : «Quelles que soient les conditions de vie des groupes ou des individus, le logement représente pour tous un bien essentiel au maintien de la vie ». Le livre blanc allait beaucoup plus loin encore, en reconnaissant que « l’État a un rôle important à jouer pour assurer que chaque citoyen puisse se loger convenablement ». Il ajoutait qu’une partie de ce rôle consiste à garantir « des relations harmonieuses mais également équitables pour tous, lorsque l’occupant d’un logement est locataire ». Faisant allusion aux milliers d’évictions pour non-paiement de loyer, Saillant souligne à juste titre que la Régie du logement est devenue au fil des ans une vulgaire « agence de recouvrement » au service des propriétaires. L’auteur résume bien les principales critiques adressées par les locataires face au travail de la Régie : la portée limitée de son champ d’action; la disparité entre les recours des propriétaires et ceux des locataires; la longueur des démarches; la complexité de se défendre seul; la prépondérance du droit de propriété sur le droit d’être logé. Loin de se résorber, une « iniquitée » s’est creusée entre les propriétaires et les locataires. Il faudrait revoir le fonctionnement de la Régie pour lui donner les moyens d’atteindre les objectifs définis dans le Livre blanc. Vraiment ?

Ne pas confondre la notion d’équité avec celle d’égalité

Lorsque l’État québécois donne le mandat à la Régie du logement de garantir des relations « équitables » entre locateurs et locataires, il ne sous-entend pas de mettre sur un pied d’égalité les deux parties. En fait, l’État prend acte de leur « puissance inégale ». Les propriétaires ne renonceront jamais à leur droit de propriété, et ce n’est pas la Régie du logement qui va changer quoi que se soit à la situation. Néanmoins, puisque le logement est un besoin essentiel, il est souhaitable de définir un compromis « acceptable » entre les deux parties de manière à préserver un semblant « d’harmonie » sociale. L’équité vise à établir un équilibre entre les intérêts de chacun (pour le propriétaire, être payé, pour le locataire, avoir un logement convenable) en tentant de prévenir « de manière impartiale » les « abus de droit » et la « mauvaise foi » qui pourrait favoriser indûment l’une des deux parties dans le processus de location

Pour l’État, parler d’équité plutôt que d’égalité n’est pas un choix banal. Ce concept restreint considérablement le champ des possibles. Sans qu’il s’agisse d’un choix « conscient » (du moins je l’espère!), le mouvement se retrouve piégé par cet horizon limité. En nous inscrivant de facto dans cette logique, nous sommes poussé vers un discours qui dénonce les « abus » des propriétaires sans jamais remettre en cause la légitimité du mode d’exploitation capitaliste. Ainsi, on parlera de mettre un terme aux « hausses abusives » de loyer plutôt que de faire campagne pour leur abolition pure et simple… Commode d’un point de vue stratégique (nous n’avons pas à nous justifier face à « l’opinion publique »), mais contre-productif si l’on se place dans le camp du changement social. En fait, nous nous tirons dans le pied en adoptant cette ligne, dans la mesure où nos interventions auprès des locataires renforcent le sentiment que nous pouvons, en dernière analyse, obtenir une plus grande justice à travers le processus juridique de la Régie, même si nous savons très bien qu’il ne s’agit pas d’un outil d’émancipation. Avec ou sans Régie du logement, une inégalité profonde subsiste entre ceux et celles qui possèdent la richesse foncière et celles et ceux qui doivent payer pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Est-ce à dire que nous devrions revendiquer son abolition pure et simple, comme le font les associations de propriétaires?

Il est sans doute possible de revendiquer une plus grande « équité » sans mettre aux poubelles une perspective égalitaire. Nous n’obtiendrons pas l’égalité en la
« revendiquant » (comme on peut revendiquer un contrôle obligatoire des loyers). Nous y parviendrons en abolissant le régime de propriété privée. Pour être en mesure d’y arriver (et de gagner des batailles chemin faisant), nous devons nous organiser de manière différente. Pour l’instant, les comités logement fonctionnent souvent comme des outils d’information alternative (3) et, de façon ponctuelle, de mobilisation collective. Sans mettre de côté toutes les revendications face au gouvernement (4), ni le mandat d’information sur les recours à la Régie (qui demeurent importants à comprendre, ne serait-ce que pour éviter de se faire fourrer davantage), il nous faut accorder une plus grande importance à une critique en profondeur du marché locatif privé et du rôle de l’État dans la reproduction de ce système d’exploitation. Au delà des lieux communs ou de la langue de bois, il y a lieu de réactualiser cette approche de manière à l’ancrer plus profondément dans le vécu quotidien des locataires.


S’organiser autrement?

On doit constater que les recours à la Régie font en sorte d’individualiser plutôt que de collectiviser les luttes. En ce sens, le système de « justice » est à l’image de la société capitaliste et de l’idéologie libérale. Il suffit d’avoir tenté des recours collectifs devant la Régie du logement pour se rendre compte que les associations de locataires d’immeuble n’ont aucune légitimité devant ce tribunal. Contrairement à ce qui prévaut dans le monde du travail, les propriétaires n’ont pas non plus l’obligation de négocier avec elles. La création de telles associations est pourtant essentielle si nous souhaitons voir la lutte être prise en charge par les locataires eux et elles-mêmes. Là où elles existent, les associations jouent parfois un rôle de premier plan dans l’affirmation d’un contre-pouvoir, certes embryonnaire mais néanmoins efficace, face aux diktats des proprios.

Le mouvement pour le droit au logement pourrait aller beaucoup plus loin dans l’organisation rue par rue, bloc par bloc, propriétaire par propriétaire, pour favoriser la création de comités auto-organisés de locataires fédérés entre eux à travers des associations au niveau du quartier ou de la municipalité. Les comités logement actuels peuvent jouer un rôle premier plan dans cette stratégie d’organisation de type « syndicale », tout particulièrement lorsque la taille des immeubles permet difficilement la création d’une association.

Si le fait de prendre conscience de ses « intérêts » à court terme (ex : payer le moins cher possible pour des logements dans le meilleur état possible) va généralement de soi pour celles et ceux qui choisissent de se regrouper, on ne peut en dire autant des intérêts à long terme des locataires (se débarrasser des propriétaires et socialiser les logements). Pour reprendre des catégories élaborées par d’autres, le passage d’une conscience « trade-unioniste » vers une conscience « révolutionnaire » n’est pas une mince tâche. Bien des étapes doivent être franchies avant que cette transition soit envisageable concrètement. À l’heure actuelle, les locataires sont pour la plupart prisonnier-e-s de la précarité de leur statut. De plus en plus pauvres, bien des locataires sont pris à la gorge par les hausses de loyer à répétition, sont victimes de harcèlement, vivent sous la menace des reprises de possession ou des évictions pour non-paiement de loyer. Qui plus est, la relation entre propriétaire et locataire, tout comme celle entre patrons et salarié-e-s sur un lieu de travail non-syndiqué, reste avant tout individuelle. Difficile de créer un vrai rapport de force dans ces conditions. Il faut commencer par donner confiance aux locataires dans leur propre pouvoir d’action. Pourquoi ne pas consacrer davantage de temps à la mobilisation et au soutien des locataires qui souhaitent s’organiser? Ce choix, plus facile à dire qu’à faire, aura d’autres retombées positives, dont celle de freiner la bureaucratisation croissante de nos associations. Notre pratique et nos revendications doivent nous permettre d’ouvrir cette porte, mais également nous amener à une remise en cause du pouvoir des propriétaires, de l’État et du système de justice en proposant les contours d’un projet de société égalitaire, solidaire et libertaire.

Michel Nestor
(Québec)

Notes:

(1) Front d’action populaire en réaménagement urbain
(2) Regroupement des comités logement et association de locataires du Québec
(3) Bien des locataires confondent le travail des comités logement avec celui… de la Régie du logement!
(4) N’étant pas un partisan de la politique du « pire », je pense qu’il faut défendre avec acharnement les rares droits que nous avons face aux attaques de l’État et des associations de propriétaires. De même, je pense qu’il faut voir d’un bon oeil les mesures qui peuvent entraver la capacité des proprios à faire toujours plus de profits (ex : contrôle obligatoire des loyers) ou celles qui nous permettent de respirer un peu plus librement du point de vue financier (les logements sociaux).

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

Mouvements communautaire et anarchiste : une rencontre fructueuse?

À la demande de militant-e-s de longue date, issu-e-s de traditions marxiste ou chrétienne, le Centre justice et foi (CJF) organisait à Québec, le 30 mars dernier, une « Soirée Relations » sur le thème de la rencontre entre les mouvements communautaire et anarchiste. Concrètement, il semble que certain-e-s « vieux de la vieille » cherchent à comprendre le sens de l’implication des nombreux/nombreuses « jeunes » anars qui débarquent dans les groupes communautaires depuis quelques années. Pour lancer le débat, les organisateurs et organisatrices avaient réuni un panel composé de trois libertaires pour discuter du potentiel et des limites de leurs implications dans les groupes communautaires « mainstream ». Le texte qui suit résume ma contribution au débat, à titre de militant communiste libertaire et de salarié d’un groupe populaire.

De quoi parle-t-on?

Avant de parler de rencontre entre « mouvement communautaire » et « mouvement anarchiste », il faudrait réussir à s’entendre sur ce que recouvrent ces termes. Comme l’ont souligné plusieurs participantes au débat du CJF, dans les deux cas on peut difficilement parler de « mouvement » tant les réalités, les analyses et les pratiques diffèrent d’une organisation, voire d’une personne, à l’autre.

L’anarchisme

Dans le cas des anarchistes, l’appellation « mouvement » est encore plus inappropriée dans la mesure où il n’y a aucune espèce de réalité organisationnelle commune entre la plupart des libertaires. Pour qui a connu les courants communistes bien organisés des années 1970, les termes « mouvement anarchiste » peuvent porter à confusion. Contrairement aux marxistes-léninistes de jadis, il n’y a jamais eu de congrès où l’entrée en masse dans les groupes communautaires aurait été votée, pas plus qu’il n’y a d’instances pour élaborer de « ligne juste ». Si les libertaires sont souvent d’accord dans les groupes, ce n’est pas parce qu’il y a eu une réunion la veille pour décider de « la ligne » mais bien parce qu’ils et elles partagent un ensemble de valeurs et de pratiques propres à leur courant politique.

L’anarchisme est pour moi une façon d’appréhender le monde, une façon de « lire » la société. Même s’il y a des similitudes, il s’agit d’une « grille d’analyse » différente du marxisme. S’il y a un accent mis sur le matérialisme, l’exploitation et les classes sociales, ce qui différentie l’anarchisme du marxisme, c’est l’attention égale portée aux rapports de domination, la sensibilité antiautoritaire et le respect de l’individu et de son autonomie. Tous ces aspects se trouvent au coeur du projet libertaire. Cette « grille d’analyse », qui est essentiellement une critique de la société en regard des rapports d’exploitation et de domination, se traduit en un programme. Réduit à sa plus simple expression, le programme libertaire veut l’abolition du capitalisme, de l’État, du patriarcat et de tous les autres rapports de domination afin de construire une société égalitaire, libertaire et fédéraliste. Notre organisation va un peu plus loin en se positionnant clairement en faveur d’un communisme antiétatique, mais c’est loin d’être le cas de tous/toutes les anarchistes.

Les valeurs principales des libertaires sont l’égalité, la liberté et la solidarité. Le respect de la personne amène une actualisation un peu particulière de ces valeurs. Les libertaires, par exemple, croient fondamentalement que non seulement tout le monde est égal mais aussi que chaque individu à un très grand potentiel d’autonomie et peut ultimement le réaliser (la même chose valant pour les groupes et les communautés). Tout cela se traduit par un attachement parfois maladif au processus qui est souvent vu comme aussi important que le résultat. Afin de laisser toute la place possible aux individus et à leur autonomie, les libertaires prônent une organisation horizontale basée sur l’autogestion, la prise de décision en assemblée où tous et toutes sont appelé-e-s à s’exprimer. Ajoutons à cela le refus d’élire des représentant-e-s et des dirigeant-e-s (qui sont tant bien que mal remplacé-e-s par des délégué-e-s révocables, chargé-e-s de relayer les décisions des assemblées ou d’en exécuter les mandats). Quand vient le temps d’agir, les mêmes valeurs poussent les libertaires à favoriser les rapports de force et l’action directe sur les causes des problèmes plutôt que de s’en remettre à des politicien-ne-s ou aux « autorités compétentes ».

Le communautaire

Le terme « communautaire » recouvre tout et n’importe quoi en Amérique du nord, jusqu’à la police qui se dit parfois « communautaire » ! À priori, ce qui nous intéresse ici est assimilable à un mouvement social. Ce sont des groupes autonomes qui émergent depuis les années 1960 dans les quartiers ouvriers des villes pour s’occuper des questions liées aux conditions de vie des pauvres. Théoriquement, ces groupes sont fondés et animés par les gens directement concernés, plus souvent par des « alliés » (militant-es politiques ou organisateurs communautaires de CLSC). Si à l’origine on parlait de « mouvement populaire » et de « deuxième front » (le premier étant le mouvement ouvrier), aujourd’hui on parle plus souvent « d’action communautaire autonome » pour marquer la différence avec les patentes étatiques, caritatives ou religieuses. Dès l’origine, le mouvement s’est scindé en deux : d’un côté, les groupes dit « de service » (qui offrent des alternatives plus ou moins autogérées au secteur public), de l’autre les groupes dit « de défense de droits » (qui organisent des luttes sociales, en général sur une question en particulier).

Des rencontres

Il y a une convergence qui me semble évidente au niveau des valeurs et des pratiques entre les libertaires et une partie du communautaire (voir le texte sur l’éducation populaire autonome). Bien sûr, il arrive qu’on ne nomme pas les concepts de la même façon de part et d’autre, mais au delà des mots, on parle souvent de la même chose. Là où il y a divergence, c’est sur la finalité : il y a un malentendu sur la portée de la transformation sociale recherchée. Plusieurs libertaires ont l’impression que l’action communautaire ne réussi qu’à rendre le monde plus tolérable, qu’elle accouche d’une souris. C’est indéniable, le communautaire porte des valeurs et emploie des moyens proches de ceux des libertaires mais avec un résultat essentiellement réformiste.

Qu’est-ce que les anarchistes présent-e-s dans le communautaire viennent changer à ce mouvement? Pas grand chose en fait : les libertaires viennent renforcer un tendance traditionaliste et « puriste » de l’action communautaire. Pour la « ligue du vieux poêle » du communautaire, l’arrivée de libertaires ressemble à un « retour aux sources » (ou au retour de « vieux démons » selon le point de vue). Simple constat générationnel, l’arrivée de libertaires à tendance à rajeunir et redynamiser un mouvement qui, disons le, à tendance à se faire vieux.

Après avoir milité et travaillé des deux côtés de la barrière pendant plusieurs années, des limites évidentes m’apparaissent d’un bord comme de l’autre.

Des limites de l’anarchisme

D’après mon expérience des militant-e-s et des groupes anarchistes, j’estime que le milieu manque souvent de maturité politique. Encore aujourd’hui, nous en sommes encore à l’étape du « tout ou rien » et nous sommes souvent incapables de mesurer les gains et de capitaliser sur les victoires partielles. Nous manquons cruellement de pragmatisme. Résultat, nous sommes rapidement déçu-e-s et, malheureusement, peu de libertaires s’engagent dans les luttes sur le long terme (ce qui fait qu’on est vu-e, comme les autres militant-e-s politiques, comme étant « pas fiables »). Dans le même ordre d’idée, trop de libertaires sont imprégné-e-s d’un indécrottable idéalisme à la limite de l’élitisme et du mépris (« nous, nous avons compris, les autres sont aliéné-e-s »). Pour une critique plus en profondeur du milieu libertaire, voir le texte sur les ,a href=http://nefac.net/node/1830>cinq ans de la NEFAC dans le dernier numéro de Ruptures.

Des limites du communautaire

Avec les années, le communautaire s’est institutionnalisé et professionnalisé. À bien des égards, il s’agit d’un mouvement social sclérosé, voire d’une coquille vide dans certains cas. Il y a une distance et une tension relativement grande entre le discours (voir l’autre texte sur l’Éducation populaire autonome) et les pratiques. Une bonne partie de cette distance vient du point aveugle du communautaire : les permanent-e-s salarié-e-s. Ceux-ci et celles-ci sont globalement absent-e-s du discours du communautaire sur lui-même. À la limite, ils et elles ne sont vu-e-s que comme des outils plus ou moins neutres et ne sont pas vraiment intégré-e-s comme partie prenante des processus, comme des militant-e-s au même titre que les autres (bonjour l’aliénation!). Dans les faits, les permanent-e-s ont un pouvoir énorme dans les groupes et ce pouvoir est rarement reconnu. C’est ce qui explique en partie pourquoi il est parfois si difficile d’être un-e militant-e politique dans un groupe communautaire. Plusieurs permanent-e-s ont été traumatisé-e-s par l’expérience des « marxistes-léninistes » des années 1970 qui ont tenté d’instrumentaliser les groupes communautaires. Souvent, même si ce n’est jamais dit comme cela, les permanent-e-s ont une image du « vrai monde » comme étant plus ou moins « vierge politiquement », des « cruches vides » qu’il faudrait remplir (ou conscientiser et politiser). À ce titre, les militant-e-s politiques ne sont pas vu-e-s comme du
« vrai monde » et on les soupçonne souvent d’avoir des arrières pensées, d’être là uniquement pour « faire de la propagande », bref de ne pas être sincères dans leur démarche. Les militant-e-s politiques sont souvent des empêcheurs/empêcheuses de tourner en rond, entre autre parce qu’ils et elles sont en mesure de remettre en cause la parole et les analyses des permanent-e-s. Il faut dire que permanent-e-s et militant-e-s politiques sont souvent sorti-e-s du même moule (l’université) et qu’ils et elles ont souvent plus en commun les un-e-s avec les autres qu’avec les membres de la base de la majorité des groupes communautaires (d’ailleurs, ce que je viens de dire des permanent-e-s en général s’applique aussi à bon nombre de militant-e-s politiques). Le communautaire a des limites qui lui sont propres, mais tout n’est pas non plus la faute des méchant-e-s permanent-e-s. Souvent, à entendre certain-e-s libertaires, on croirait presque que c’est la faute aux permanent-e-s si les groupes ne sont pas plus radicaux. Il faut reconnaître que si c’est souvent le cas, il arrive aussi que les groupes ne sont pas plus radicaux tout simplement parce que ce n’est pas là que les membres sont rendu-e-s…

On a tout à gagner à se mêler…

À force de se frotter à l’action sociale « réelle », les anarchistes ont beaucoup à apprendre. Entre autre, apprendre à « partir des préoccupations des gens » et non pas décider ce que le peuple devrait dont vouloir (et se surprendre ensuite que notre « comité de quartier » ou notre « centre communautaire » ne soit peuplé que de libertaires). Dans le même ordre d’idées, les libertaires auraient tout intérêt à cesser de mépriser les gains qui se font. Il faudra bien un jour re-développer une perspective politique qui fasse le lien entre le besoin de réformes ici et maintenant et le désir de révolution (ce que l’on nomme dans le jargon communautaire « la poussée du besoin et la tirée de l’espoir »). Le communautaire, quant à lui, peut renouveler ses pratiques et prendre un bain de jeunesse avec l’arrivée de libertaires. Qui sait, peut-être qu’ensemble libertaires et communautaires trouveront une voie pour sortir de la lutte sociale « symbolique »?

Marc-Aurel
(Québec)

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

Chemin faisant, nous apprenons

Les cinq premières années de la NEFAC



La fin des années 1990 a été une période déprimante pour les anarchistes de l’Amérique du nord. Le mouvement n'allait pas vraiment bien. Énormément de militantEs de longue date sont passéEs à autres choses tandis que plusieurs projets ont été dissouts ou mis en veilleuse.

Les anarchistes des années 1990 avaient beaucoup essayé de développer une stratégie et de se positionner pour la prochaine montée des luttes, le prochain grand mouvement social. CertainEs ont parlé d'écologie, d'autres de contre-institutions (hum… de librairies alternatives), d'autres ont tenté de développer en marge un militantisme anarchiste ou radical (Anti-Racist Action, Earth First!, Food not Bombs, Copwatch, Anarchist Black Cross, etc.) pendant que d'autres encore n’ont juré que par la contre-culture (essentiellement le mouvement punk). D’aucunEs ont même tenté de mettre sur pied des organisations et des réseaux anarchistes.

Anti-Racist Action: mouvement antiraciste qui prône l’action directe et la confrontation contre l’extrême droite.

Earth First!: mouvement dit «d’écologie profonde» pronant l’action directe non-violente et le sabotage.

Food not Bombs: mouvement pacifiste spécialisé dans la distribution gratuite de bouffe végétarienne récupérée. Le chapitre de Québec publiait le zine Hé... Basta!

Copwatch: pratique militante consistant à surveiller les agissements de policiers en les filmant. Le COBP fait, entre autre, du «copwatch».

Anarchist Black Cross: mouvement de soutien aux prisonniers politiques.

Love & Rage: organisation politique libertaire ayant publié un journal du même nom pendant 9 ans. Voir le bilan de cette organisation publié dans le premier numéro de Ruptures (disponible sur nefac.net).

Démanarchie: tabloïd anarchiste et populiste publié au Québec dans les années 1990.

Plateformiste: courant organisationnel de l’anarchisme s’inspirant de la «Plateforme d’organisation des communistes libertaires», un document produit par un groupe d’anarchistes russes en exil après leur défaite de 1921 aux mains des bolshéviks. La Plateforme prône une organisation politique anarchiste basée sur un haut niveau d’entente théorique et tactique et la responsabilité collective. Plus de détails sur nefac.net et dans le premier numéro de Ruptures.

Lutte-de-classiste: se dit des révolutionnaires qui pensent que les luttes de classe sont l’un des principaux --voire LE-- moteur de changement social.

En 1998, l'organisation que tout le monde prenait plaisir à détester (ou admirer), la Fédération Révolutionnaire Anarchiste Love & Rage, a implosé tandis que la plupart des projets qui se définissaient par opposition à elle ou qui se trouvaient simplement dans son ombre ont éprouvé de sérieux problèmes. Au Québec, le mouvement a aussi piqué du nez avec les disparitions de Démanarchie, Food Not Bombs et plusieurs autres groupes et collectifs. Plus d'une décennie de militantisme anarchiste semblait s'évaporer. Pour beaucoup, il était clair à cette époque que le mouvement anarchiste des années 1990 avait échoué et était en train de fermer boutique. En fait, quand le grand mouvement social attendu a finalement fait irruption dans les rues de Seattle en 1999, non seulement tout le monde a été pris par surprise mais il ne restait presque plus personne pour commenter (sinon Chuck0, le webmestre d'Infoshop.org).

Seattle a donné un élan formidable au mouvement anarchiste. D'une scène politico-culturelle très marginale, celui-ci a été catapulté du jour au lendemain au coeur d'un mouvement de masse. C’est à ce moment-là qu’est née la NEFAC.

D’où vient l’idée ?
Les frustrations avec la « scène »

Nos frustrations face au mouvement anarchiste nord-américain étaient nombreuses et profondes. Être libertaires ne nous empêchait pas de trouver que ce mouvement manquait de cohérence politique et de coordination. La plupart du temps, selon nous, les anarchistes tenaient un discours politique plutôt mal dégrossi et on les retrouvait soit isoléEs dans des organisations de masse réformistes ou encore rassembléEs dans des groupes radicaux eux-mêmes isolés. En tout cas, nous trouvions que les anarchistes étaient «déconnectéEs» des oppriméEs, de leurs mouvements, et manquaient de leviers pour changer les choses.

Cette absence de lien avec les oppriméEs signifiait aussi que le destin de l'anarchisme devenait intimement lié à celui de sous-cultures –le mouvement punk et, dans une moindre mesure, les manifestations modernes du « peace and love » des hippies– au point ou l’anarchisme lui-même était en train de devenir un sous-produit de ces sous-cultures, totalement étranger à la vie des classes populaires. Et si la plupart d'entre nous proviennent du milieu punk ou skinhead, nous pensons néanmoins que l'anarchisme va beaucoup plus loin qu'un simple mode de vie ou une éthique « do-it-yourself ». Pour nous, l'idéal anarchiste est d'abord et avant tout une philosophie politique qui doit être ouverte à touTEs pour arriver à se réaliser pleinement (et la perspective de voir un jour tout le monde devenir punk ou skinhead nous apparaît hautement improbable…).

Les discussions pour former une nouvelle organisation anarchiste ont donc commencé peu de temps avant Seattle, dans la période qui a suivi la dissolution de Love and Rage et Démanarchie. À ce moment-là, l'idée n’était partagée que par une petite bande d'anarchistes disséminéEs dans tout le nord-est américain. Que le contact entre deux petits collectifs de Québec et Boston n’ait pu se faire que par le biais d’un article paru dans une revue anarchiste britannique (Organise!) en dit long sur notre niveau d'aliénation et d'isolement à l’époque. Rien d’étonnant si l’on sait que le discours officiel du mouvement anarchiste était alors la propriété exclusive des anti-organisationnalistes de Anarchy!, Fifth Estate et Infoshop.org. Pour ces gens, l'idée de former une organisation anarchiste avait déjà été essayée et n’avait mené qu’au gauchisme; il s’agissait d’un échec programmé, d’un projet dangereux, point à la ligne. Nous avions un autre point de vue sur la question.

CertainEs d'entre nous avaient eu la chance de voyager en Europe et de constater sur place les avantages réels d’une organisation. Plusieurs lisaient avidement la presse anarchiste européenne qui apparaissait beaucoup plus mature que sa contre-partie nord-américaine. Sans com-pter que le mouvement européen demeure, c'est le moins qu'on puisse dire, beaucoup plus gros, arrivant à produire quelques hebdomadaires et de multiples mensuels alors qu’ici nous avons de la difficulté à faire paraître une revue quatre fois par année. Nous désirions reproduire le succès de nos camarades anarchistes d’outre-mer. Nous avons donc commencé à étudier l'histoire et les structures de leurs organisations.

En raison de nos expériences dans le contexte nord-américain, nous avons été attirés par la tradition plateformiste du communisme libertaire. Ce qui n’empêchait pas une très forte sympathie pour l’anarcho-syndicalisme, l’autre tradition lutte-de-classiste large et cohérente de l’anarchisme. Mais le fait que les organisations syndicalistes révolutionnaires n'allaient nulle part et la manière dont le mouvement syndical s’est institutionalisé ici –avec nos lois forçant le monopole de la représentation syndicale (« close shop ») et l'absence d'un syndicalisme minoritaire ou même pluriel– ne nous laissait pas croire qu’il y aurait de l’espace pour construire un tel mouvement en Amérique du nord. De plus, pour des raisons de proximités culturelles, sociales et linguistiques, les arguments en faveur d'une organisation communiste libertaire de deux groupes anglophones, l'Anarchist Federation et le Worker's Solidarity Movement, nous apparaissaient très sensés.

L’arrivée de la NEFAC

La NEFAC a enfin été fondée, après un an de cogitation, lors d'un congrès tenu à Boston en avril 2000.

Si elle adhère aux principes plateformistes que sont l'unité théorique et tactique, la NEFAC a toujours eu des attentes modestes de ce côté. L’idée était simplement de construire une organisation qui rassemblerait des révolutionnaires autour d'une tradition commune et d’un désir d’élaborer une théorie et une pratique collectives. En dehors de cette idée, les membres fondateurs de la NEFAC possédaient peu de chose en commun sinon une volonté de s’enraciner dans la classe ouvrière et ses mouvements sociaux. Nous voulions y tester nos points de vue et, éventuellement, créer un anarchisme à caractère populaire qui redonnerait à notre mouvement l'influence qu'il a eue par le passé au coeur des luttes de classes. Avant tout, nous nous sommes atteléEs à concrétiser notre désir de s’organiser.

On peut identifier une première période de construction des fondations de la NEFAC. Pendant un an, nous avons discuté de nos buts et principes, de notre constitution et de notre orientation stratégique minimale; puis nous les avons testés en pratique.

Les «Buts et principes» furent directement inspirés d'un document, en tout point similaire, publié dans chaque numéro de Organise!, la revue de la Fédération anarchiste britannique. C'était, et ça demeure, une courte déclaration de nos accords politiques de base.

Notre constitution, pour sa part, a été inspirée de documents similaires produits depuis les années 1970 par le mouvement libertaire français, principalement la constitution de l'Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Il peut sembler drôle, ou triste selon le point de vue, que notre constitution ait été écrite en prenant pour modèle une organisation qui comportait des douzaines de groupes et des centaines de membres tandis que de notre côté, en comparaison, nous ne pouvions compter que sur deux vrais groupes et une douzaine d'individus isolés. Au fond, il s’agissait plus de notre «vision idéalisée» du fonctionnement d’une organisation révolutionnaire que d’un document pratique reflétant notre développement réel.

Pour ce qui est de notre orientation stratégique minimale, elle s’est résumée à cette phrase désormais sur-utilisée et qui est originalement tirée de nos Buts et principes : « La NEFAC est une organisation de militantEs révolutionnaires de divers mouvements de résistance qui s'identifient à la tradition communiste dans l'anarchisme. L'activité de la fédération est organisée autour du développement théorique, de la propagande anarchiste et de l'intervention dans les luttes de notre classe, que ce soit de façon autonome ou par le biais d'une implication directe dans les mouvements sociaux. »

Pendant cette première période, les interventions de la NEFAC se sont inscrites dans le cadre du mouvement anti-mondialisation et du mouvement anticapitaliste plus ou moins anarchiste. Malgré quelques succès réels, notamment à Washington et Québec, les limites de ce type d'action nous sont rapidement apparues (comme au reste du mouvement anticapitaliste, d'ailleurs). C'est à partir d'une critique de la «course aux sommets» et de notre volonté d'enraciner nos pratiques dans les mouvements sociaux des classes ouvrières et populaires que nous avons décidé d'essayer autre chose. Ainsi, pour concrétiser cet enracinement et contribuer à ce que l’anarchisme retrouve l’influence plus large du passé, nous avons laissé derrière nous un certain activisme (la planification du contingent radical de la prochaine manif…) pour commencer à penser et agir en fonction d’une stratégie à plus long terme.

Vers une stratégie

Cortège libertaire au camp des mal-logéEs.

Deux ou trois ans après avoir défini les grands axes d'intervention de la NEFAC, le temps est venu de clarifier ce que nous voulions dire par «intervention dans les luttes de notre classe». D’abord, notre compréhension de la relation théorique entre l'organisation anarchiste et les mouvements sociaux a été expliquée dans un texte officiel, La question de l'organisation révolutionnaire anarchiste :

«Une perspective radicale ne peut émerger, selon nous, que de mouvements sociaux. C'est pourquoi nous prônons la radicalisation de toutes les luttes (du latin "radix", c'est-à-dire "racine" : radicaliser signifie aller aux racines des problèmes). Par le biais de cette radicalisation et de notre engagement en tant que communistes libertaires dans divers mouvements de résistance, nous voulons contribuer au développement d'une conscience de classe autonome, seul garde-fou contre les récupérations politiques de diverses tendances (incluant une éventuelle récupération par un courant anarchiste). La révolution que nous souhaitons ne sera pas l’oeuvre d'une organisation, même anarchiste, mais d'un large mouvement de classe par lequel les "gens ordinaires" vont prendre directement le plein contrôle sur la totalité de leur vie et de leur environnement.»

Comme nous sommes une toute petite organisation, nous avons également décidé de choisir un certain nombre de priorités spécifiques et de concentrer notre implication à long terme sur celles-ci. Nous avons opté pour intervenir prioritairement sur les fronts du travail, de la communauté, ainsi que de l'immigration et du racisme. Cette décision a représenté un pari puisque rares sont les membres de la NEFAC qui avaient une expérience réelle de l'un ou l'autre de ces fronts de lutte. Néanmoins, nous les avons choisis parce que nous croyons que ce sont ceux où un pouvoir social et une culture de résistance peuvent croître, de même qu’en raison de leur importance stratégique dans une perspective révolutionnaire.

Le front du travail va de soi pour une organisation qui parle toujours de lutte de classes et prétend être enracinée dans la tradition communiste libertaire. Pour nous, le lieu de travail demeure l'endroit où, fondamentalement, se manifeste l'exploitation comme il est l'endroit où devra commencer une transformation radicale de la société. C'est aussi là où les gens ordinaires disposent du plus grand potentiel de pouvoir.

Le front de la communauté était moins évident mais nous pensons que, si le travail est encore central, la communauté a pris une nouvelle importance depuis les années 1960 avec l'émergence des luttes urbaines. En tant que relation sociale, le capitalisme est un phénomène global qui a une incidence partout et, au fur et à mesure que la présente restructuration de l'économie se réalise (avec pour résultat l'atomisation des lieux de travail par la sous-traitance, le «travail autonome», etc.), la communauté a maintenant un potentiel aussi fort que le lieu de travail pour favoriser l'émergence d'une nouvelle conscience de classe. Le communisme libertaire a une longue et belle histoire d'implication dans les luttes communautaires et nous la continuons par notre présence dans des groupes anti-pauvreté, des associations de locataires, des comités de quartier, etc.

Enfin, étant donné les attaques actuelles contre les immigrantEs, l'histoire du racisme et l’impact de celui-ci sur la classe ouvrière de ce continent, nous avons également choisi de concentrer notre énergie sur les problèmes d'immigration et de racisme (qui sont aussi des problèmes ouvriers et communautaires).

La NEFAC avance qu’un programme révolutionnaire doit commencer avec les besoins et les revendications des personnes les plus opprimées et que les militantEs doivent lutter coude à coude avec celles-ci. C’est ce que nous tentons de faire. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, nous avons tenu notre pari et réussi à réorienter l'activité des membres de notre organisation dans ces champs d'action.

Nous pensons qu'une distinction doit être clairement faite entre une organisation politique spécifique et un mouvement social mais nous ne croyons pas que les deux soient totalement étrangers l'un à l'autre. Pour nous, «la pratique organisationnelle anarchiste est l'un des moments des luttes sociales, c'est une assemblée de militantEs sur la même longueur d'onde, un lieu de confrontation et de synthétisation d'idées et d'expériences sociales et politiques» (autre extrait de La question de l'organisation révolutionnaire anarchiste). Nous ne nous voyons donc pas comme des gens qui « colonisent » les mouvements sociaux mais plutôt comme des militantEs comme les autres, à la recherche de la meilleure stratégie pour que ces mouvements gagnent. C'est dans cet esprit que nous abordons notre travail en tant qu’organisation politique et c'est pourquoi nous disons que nous ne recherchons pas de positions de leadership formel pour nous-mêmes mais plutôt un leadership idéologique, ce qui signifie essentiellement que nous voulons débattre démocratiquement à l'intérieur des mouvements pour faire avancer nos points de vue (lesquels peuvent changer si nous perdons la bataille des idées et si la pratique prouve que nous avons tort).

À contre-courant

Être pratiquement à contre-courant de l’ensemble du mouvement anarchiste ne va pas sans mal. Nous avons avant tout recruté dans ce bassin et, sur une période d’à peu près trois ans, du moins aux Etats-Unis, notre membership aura progressé de façon constante. Par contre, cette source de recrutement s'est tarie –on en fait vite le tour– et une organisation qui se tourne désormais vers les mouvements syndicaux, communautaires ou issus de l'immigration n'offre plus tellement d'attraits pour de jeunes militantEs en voie de radicalisation (profil de beaucoup d’anarchistes). Ainsi, malgré une croissance récente au Québec et en Ontario (toujours essentiellement due au milieu anarchiste), notre membership global stagne depuis deux ans.

À partir du moment où nous avons adopté notre nouvelle «ligne» d'intervention, nous avons tenté beaucoup de choses et accumulé une bonne dose d'expérience. Globalement, nous avons appris à soutenir et quelques fois à initier des luttes sociales sans tomber dans les pièges opportunistes d’une certaine gauche politique. Bien sûr, nous avons commis des erreurs et quelques-unes de nos interventions sont encore «déconnectées» ou trop franchement propagandistes mais, règle générale, nous sommes aujourd'hui les bienvenus là où nous nous impliquons et nos contributions sont appréciées. Mieux encore, certainEs de nos camarades ont appris le b.a.ba du syndicalisme en fondant des syndicats sur leurs lieux de travail et en initiant des luttes «originales et exemplaires» (au sens où elles dépassent les méthodes habituelles du syndicalisme institutionnel).

Par contre, si nous avons gagné un certain respect, nous n'avons pas encore réussi à intéresser à l’anarchisme les gens que nous rejoignons. Le lien n'est pas toujours clair entre nos orientations combatives, nos analyses et cet anarchisme. Même que nous avons malheureusement tendance à fonctionner en vase clos, sans réussir à impliquer réellement les gens proches de nous. Notre jeunesse et notre manque d'expérience, tant individuelle que collective, expliquent peut-être que nous ayons été un peu repliés sur nous-mêmes. Sauf que ça ne peut pas durer à moins de chercher à tourner en rond.

Pour progresser, il faudra une seconde mutation volontaire de la NEFAC, semblable à celle entreprise lorsque nous avons convenu de priorités organisationnelles spécifiques. À cette époque, malgré nos dénégations, notre orientation stratégique était essentiellent dirigée vers le mouvement anarchiste. Il s'agissait pour nous de convaincre nos pairs de la nécessité de s'organiser et de créer un pôle communiste libertaire légitime dans notre mouvement, ce que nous avons fait avec un certain succès (comme l'illustre le nombre de nouveaux groupes qui se disent communistes libertaires ou anarcho-communistes en comparaison d’il y a cinq ans). Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une étrange position : sans dépendre complètement du reste du mouvement anarchiste, nous n'avons pas non plus assumé pleinement notre nouveau «public cible». Plus bêtement, nous sommes assis entre deux chaises.

On s’en va où ? Sortir du nid douillet

Ashanti Alston, un ancien Black Panther, lors d'une conférence organisée conjointement par la NEFAC et le Collectif Reclus-Malatesta à Joliette.

L'anarchisme nord-américain est d’une ampleur si insignifiante qu'il ne sert pas à grand chose d'y constituer un pôle communiste libertaire. À l'avenir, il faudrait plutôt réfléchir dans l’optique de créer un pôle anarchiste au sein des mouvements sociaux, un véritable front libertaire au cœur des luttes de classes. Ce qui implique de réinventer nos pratiques et nos interventions propagandistes. Actuellement, nous achevons une première phase d'accumulation d'expériences. Sans changer nos priorités d’intervention, il faudrait maintenant passer aussi à une accumulation de forces.

Un premier pas dans cette direction pourrait être de rejoindre touTEs ces militantEs qui, au fil des ans, ont rompu les liens avec le soi-disant mouvement anarchiste au profit d'une implication plus profonde dans les mouvements sociaux. S’amalgamer avec ces vétérantEs pourrait être une première étape pour amener l'anarchisme social à devenir un pôle légitime de ces mouvements (sans qu’on puisse y voir un quelconque noyautage) et générer de nouvelles adhésions militantes à l'anarchisme. C'est-à-dire que le nombre de militantEs des mouvements sociaux se réclamant de l'anarchisme, et accessoirement de notre organisation, doit augmenter pour en venir à avoir un poids réel sur la société. Pour ce faire, il faut que l'anarchisme –et notre organisation– ait quelque chose à offrir à ces gens. Ce quelque chose pourrait être un cadre d'analyse ainsi que des méthodes d'action et d'organisation. Ce qui signifie pour nous, entre autres, un changement déjà commencé dans notre appareil propagandiste. Par exemple, l’apparition de journaux de la NEFAC essentiellement composés de nouvelles et d'analyses socio-politiques représente un pas dans cette direction.

Populariser l'anarchisme dans les mouvements sociaux implique aussi de rendre cet anarchisme accessible au commun des mortels, donc de renforcer sa présence politique dans nos villes. Notre courant propre, le communisme libertaire, ne peut pas non plus se permettre de demeurer confidentiel (et nous ne devons pas compter sur le reste du mileu anarchiste pour le présenter adéquatement à la population). Malheureusement, notre implication plus profonde dans les mouvements sociaux s'étant traduite par des changements de priorités, nous avons été moins visibles sur la place publique que par le passé. Il y a un travail de propagande générique qui se fait trop peu. Ce défaut devrait disparaître au fur et à mesure que nous allons prendre de l'expérience et, espérons-le, de l’expansion.

Après tout, comment voulons-nous que les gens qui se radicalisent deviennent anarchistes si nous ne sommes pas présents politiquement en tant qu’anarchistes? Propager une ligne combative, sans perspectives stratégiques et sans expliquer notre projet de société, n’est pas suffisant (et c’est pourtant ce que fait trop souvent la NEFAC). Tôt ou tard, les gens se posent des questions d'ordre stratégique et politique. Si nous ne sommes pas capables d'offrir un minimum de réponses, ils iront voir ailleurs (chez les communistes autoritaires ou les réformistes dont les programmes ont le mérite d'être clairs).

Une autre voie de développement que nous explorons depuis peu devrait être approfondie. Pour consolider l'anarchisme dans notre classe, nous allons maintenant là où il n'est pratiquement jamais allé : dans les petites villes de notre région. Cette nouvelle orientation propagandiste permet de faire connaître l’anarchisme là où il est faible ou inexistant. Pourrions-nous en faire plus de ce côté ?

À ses débuts, la NEFAC réclamait de ses membres un investissement considérable de temps et d'énergie car nous étions encore moins nombreux et tout était à construire. Maintenant, nous en sommes rendus à une étape où nous pouvons probablement dégager ce qu’il faut pour aider à la création et soutenir de nouveaux collectifs dans différentes régions, notamment en fournissant pas mal de propagande à peu de frais. Sauf que pour y arriver, il faudra faire les premiers pas.

La relation «normale» entre les anarchistes des grandes villes et ceux et celles des plus petites demeure trop souvent une voie à sens unique : ils et elles viennent dans les grands centres urbains pour les salons du livre, les manifs, les librairies locales, les conférences, les rassemblements, etc. mais, en retour, ne reçoivent pratiquement jamais de visite, même lorsqu’ils organisent des événements. Ce constat doit changer et les relations doivent devenir réciproques.

Des groupes de la NEFAC du Québec et du centre de l’Atlantique ont déjà commencé à attaquer ce problème : ils essaient de visiter aussi souvent que possible les camarades plus éloignés et organisent des tournées qui s’arrêtent dans les petites villes. Ces groupes espèrent ainsi contribuer à des relations plus égalitaires.

La NEFAC suscite déjà quelques adhésions en dehors des plus gros centres urbains de notre région. Que ce soit à Québec (ben oui, c'est plutôt petit), Ottawa, Petersborough, York, Worshester ou, plus récemment, Saint-Georges et Sherbrooke, notre fédération commence à s'implanter en dehors des «grandes villes». Mais ces débuts demeurent chambranlants et quand nous n’arrivons pas à effectuer les suivis avec nos contacts et à réaliser des choses avec eux, les groupes tombent et les gens quittent sur la pointe des pieds (deux cas récents à Ottawa et Worshester). Il faudrait donc épauler plus concrètement les camarades. Malheureusement, en dehors des participations communes aux grandes mobilisations et des contributions à nos publications, une grande lacune de la NEFAC reste son incapacité à générer des campagnes d'agitation et d’autres projets communs.

L'expérience a montré que nos structures régionales, où les camarades sont capables de se rencontrer plus souvent et de bâtir ensemble des campagnes et des projets autour d’enjeux locaux, sont très utiles pour mettre de la vie dans l'organisation et faire grandir la confiance et la solidarité. Les camarades du Québec et du centre de l’Atlantique ont déjà des unions régionales se rencontrant régulièrement et nous espérons qu'à force d’avancer, nous arriverons à mettre sur pied des structures similaires en Ontario et en Nouvelle-Angleterre. Ce serait probablement l’idéal pour permettre aux gens en dehors de nos grandes villes de s'impliquer dans la NEFAC et le mouvement anarchiste.

Un bilan en date.
Révélation choc !
La NEFAC n’est qu'un réseau...

La NEFAC est ambiguë au niveau organisationnel. Au début, comme nous partions de rien et n’avions pas l’expérience de ce genre d’entreprise, nous avons eu tendance à avoir une approche plutôt mécanique de l’organisation. Notre compréhension de celle-ci était vraiment plus théorique que pratique comme le montre l’adoption d'une constitution modelée sur un document français conçu pour des centaines de membres plutôt que d'en produire une nous-mêmes.

Il reste que malgré nos prétentions plateformistes et notre belle constitution, nous sommes bien plus un réseau qu'une fédération ou une organisation comme pouvait l'être Love & Rage avec ses sections locales et tout le reste. Cela a pour avantage que nos groupes de bases (i.e. les collectifs) demeurent réellement autonomes et sont –ou en tout cas peuvent être– en contact constant avec tous les autres roupes, sans devoir passer par un filtre central. Là-dessus, la naissance de la NEFAC à l'ère d'Internet plutôt qu'à celle de la poste y est sans doute pour quelque chose. Mais reconnaissons du moins que nous avons réussi le tour de force de créer une organisation à la fois très décentralisée et très unitaire.

Toutefois, il y a vraiment des incongruités. Par exemple, nous avons été incapables de créer des structures centrales comportant des postes élus et contrôlées par l'ensemble des membres. Et comme il n'existe aucune structure de ce type, toutes les tâches, même les tâches politiques comme l'édition de nos publications, sont données en mandat à des groupes locaux autonomes. La plupart du temps, cette situation n’apporte pas de problèmes importants. Mais il y a tout de même deux types de complications : d'une part, il est à toute fin pratique impossible pour la fédération de déceler un problème avant qu'une crise n'éclate et, d'autre part, les gens qui ont des mandats ont tendance à percevoir les projets dont ils ont la charge comme leurs bébés alors que le reste de l'organisation se sent mis de côté (ce fut plus ou moins le cas pour tous nos projets de propagande : site web, Northeastern Anarchist, Ruptures, Barricada, Strike! et Cause Commune). L'un de nos prochains défis sera d'augmenter la transparence et la participation de touTEs, tout en conservant notre efficacité.

Il faut aussi reconnaître que la NEFAC va bien seulement lorsque les membres –et les collectifs– vont bien. Périodiquement, nous éprouvons des problèmes de responsabilité collective à tous les niveaux. Comme nous n’avons personne en charge de coordonner l'ensemble de la fédération, il est difficile de voir au bon déroulement des mandats (même si ce point s’améliore). S’ajoute à cela une allergie collective aux questions d'argent. Évidemment, nous avons une trésorerie et nous sommes touTEs senséEs payer des cotisations (un tabou qui a été surmonté) mais le bon fonctionnement de l'organisation, pour cet aspect comme pour beaucoup d’autres, dépend de la bonne volonté et de l'auto-discipline de tout le monde. Si la bonne volonté est presque toujours au rendez-vous, l'auto-discipline manque parfois à l'appel... Nous ne sommes pas les seuls à éprouver ce genre de problème mais, à la
longue, ça peut devenir ridicule.

Encore une fois, l'existence même de la NEFAC est un acquis organisationnel. Le mode réseau, même s'il détonne avec ce que peut sous-entendre notre discours, n'est pas nécessairement négatif. En tout cas, force est de constater que ça marche. Avec le temps, nous avons fait évoluer nos pratiques et développé nos outils organisationnels. De toute façon, la NEFAC étant une association volontaire, son fonctionnement dépend avant tout du simple engagement de ses membres. Mais il y tout de même quelques petits trucs que nous pourrions corriger.

L’un d’eux est d’abord une question d'attitude. Souvent, les gens parlent beaucoup (ou plutôt «tchattent») et adoptent un discours assez dur mais, concrètement, font peu de choses au quotidien. Ainsi, le travail se réalise dans l’urgence, par «à coup», à l'image de la culture activiste. Il serait profitable d'instaurer une routine organisationnelle permettant d'intégrer nos tâches politiques à notre quotidien. Entendons par là de systématiser certaines de ces tâches comme la collecte des cotisations, le paiement des revues et journaux, la distribution de nos publications, l'organisation de réunions et d'événements, l'animation d'un réseau de sympathisantEs, les prises de contact avec d’autres groupes, etc. Bref, si on arrivait à se prendre un peu plus au sérieux, ça ne ferait pas de tort...

Par ailleurs, au niveau de l'unité théorique et tactique, disons d’abord que les acquis sont nombreux. L'existence de la NEFAC et la vision de l'organisation révolutionnaire qu’elle véhicule en font partie. Notre orientation stratégique sur trois fronts de lutte aussi. Et lorsque nous aurons finalement adopté notre position politique sur le travail, une étape supplémentaire aura été franchie dans ce sens.

Néanmoins, il faut noter qu’une ambiguïté reste à clarifier : est-ce que les interventions sur les différents fronts de lutte doivent passer par la création de nouvelles organisations de masse radicales qui contamineraient «de l'extérieur» les mouvements sociaux ou bien par l'implication directe au sein d’organisations de masse déjà existantes dans le but de les radicaliser ? Jusqu’ici nos expériences ne permettent pas de conclure sur cette question, ni même d’affirmer qu'une stratégie exclut l'autre. Mais il faut reconnaître qu'il y a une ambiguïté.

Ceci dit, pour conclure, soulignons que nous n'avons pas peur de l’ambiguïté. Nous sommes des anarchistes et non des marxistes-léninistes; nous n'avons pas de dirigeants, pas de modèles théoriques établis et pas de «ligne juste» vers lesquels nous tourner. De plus, notre organisation est une organisation humaine : chemin faisant, nous apprenons. Plusieurs avancent actuellement sur le même chemin que nous et les questions avec lesquelles nous nous débattons sont les mêmes qui se posent à des anarchistes de partout dans le monde. Qu'il se nomme espefista ou plateformiste, notre courant prend corps un peu partout. La NEFAC n'a pas toutes les réponses, pas plus qu'elle ne dispose de la stratégie parfaite. Mais nous demeurons toujours en développement et en apprentissage.

Personne ne sait exactement comment une minorité politique peut devenir une force radicalisante dans les luttes ouvrières et populaires tout en développant la démocratie et la redevabilité; comment atteindre des victoires à court terme sans perdre de vue un cadre révolutionnaire; comment construire des organisations et des mouvements réellement internationaux et multilingues; comment élaborer des stratégies pour favoriser l’émergence d’une culture de résistance et d’un pouvoir populaire, etc. Personne ne sait tout ça mais tout le monde a son idée… Qui veut partager son bout ?

Nicolas Phébus
Collectif anarchiste La Nuit

(Publié pour la première fois dans le numéro 5 de Ruptures, mai 2005)

Autour de l’idée de contre-pouvoir

Le concept de « contre-pouvoir » a une place prépondérante dans la stratégie révolutionnaire anarchiste. En effet, cette notion permet d’envisager à la fois le développement d’une force capable de remettre en cause l’hégémonie bourgeoise et le passage à une société fondée sur des principes libertaires. Mais paradoxalement, le terme lui-même est peu employé et mal défini dans la littérature anarchiste francophone. Pourtant, une réflexion sur les contre-pouvoir est loin d’être inutile, ne serait-ce que pour préciser davantage les contours des mouvements de résistance que nous cherchons à développer.

Première considération :
l’épineuse question du pouvoir

Pas besoin d’avoir un doctorat en poche pour se rendre compte que le pouvoir est distribué de façon inégale dans notre société. Nous vivons dans un monde hiérarchisé, où les divisions de classe s’ajoutent à celles de sexe, de couleur, de langue, de religion, etc. Cette hiérarchisation permet à certains groupes d’exercer un pouvoir sur d’autres en toute légalité. La domination transcende les différentes facettes de la vie. On la retrouve aussi bien au niveau politique, économique, social ou culturel. C’est pourquoi on peut comparer le phénomène de la domination à un système d’oppressions multiples permettant la reproduction du capitalisme et, par extension, du pouvoir de la bourgeoisie.

La domination a des répercussions non négligeables sur celles et ceux qui la subissent, et pour cause : elle arrive justement à se maintenir en forgeant l’hégémonie idéologique de certaines valeurs au sein de notre société. Ces valeurs permettent justement de légitimer l’exercice inégal du pouvoir en fonction des hiérarchies préalablement établies. Prenons par exemple le préjugé tenace voulant que nous ayons besoin de dirigeants pour maintenir un semblant d’ordre et d’efficacité dans toute forme d’organisation sociale. Il n’y a aucun fondement naturel à cet état de fait, mais l’aboutissement de la domination exercée depuis des siècles par les classes dominantes qui se sont succédées au pouvoir. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce phénomène, y compris chez celles et ceux qui prennent la décision de combattre l’injustice d’une façon ou d’une autre. Bien des mouvements qui prétendent vouloir changer le cours normal des choses reproduisent les relations de pouvoir qui servent de fondement à la domination bourgeoise. Que leurs visées soient plus ou moins radicales ne change rien à la façon dont ils conçoivent la question du pouvoir.

Bien que générales, ces quelques remarques nous permettent tout de même de mieux comprendre l’une des principales lignes de démarcation entre les courants communistes libertaires et autoritaires : la question de la « prise du pouvoir ». Il suffit de jeter un coup d’oeil du côté des diverses organisations qui se réclament encore du léninisme pour se rendre compte que leur vision de la révolution ressemble encore à un vulgaire coup d’État. Pire encore, de nombreuses organisations s’en tiennent à présenter une stratégie électoraliste visant à prendre les rênes de l’État en gagnant des élections organisées par les institutions bourgeoises. Dans les deux cas, l’idée-maîtresse reste la même : le pouvoir peut être arraché des mains de la bourgeoisie «par en haut», c’est à dire en prenant le pouvoir politique. Les anarchistes (et les autres courants socialistes anti-autoritaires) pensent au contraire qu’une révolution « politique » permettra effectivement de changer la tête de l’État, mais elle n’abolira pas les relations de pouvoir inégalitaires qui transcendent la société, précisément parce que les moyens employés pour y parvenir sont à l’image des formes prises par la domination. Or, l’objectif révolutionnaire que les libertaires se donnent, c’est précisément l’abolition de ces rapports, sans temps d’arrêt. C’est ce qu’il faut comprendre lorsque les anarchistes insistent pour parler de révolution « sociale » : au lieu d’une révolution strictement « politique ». Nous souhaitons participer à la transformation de la société par «en bas», aux côtés des oppriméEs et des exploitéEs.

En quelques mots, comment peut-on résumer la conception libertaire du pouvoir? Essentiellement, on y retrouve les concepts d’égalité, de liberté et de solidarité qui sont chers aux anarchistes. Le pouvoir, tel que l’entendent les anarchistes, doit être exercé le plus directement possible, de la façon la plus libre et démocratique qui soit. Pour y arriver, diverses modalités ont été développées, comme par exemple la participation de toutes les personnes concernées par un problème donné à la prise de décision et la mise en oeuvre de solutions, le refus de déléguer sans mandats clairs, l’importance accordée à la révocabilité de tous les déléguéEs, etc. Mais au delà des questions politiques, les anarchistes estiment qu’il faut également considérer la démocratisation du pouvoir au niveau culturel et économique, notamment par la transmission et le partage des savoir-faire et la socialisation des moyens de production et d’échange. En d’autres termes, le pouvoir compris dans un sens libertaire ne s’exerce plus « malgré nous » ou « sur nous », mais devient la capacité collective de parvenir à une société plus libre, plus égale et plus juste.

Deuxième considération :
une alternative à la prise du pouvoir

Une révolution libertaire ne sera pas l’oeuvre d’un parti ou d’une organisation, mais bien celle de notre classe. Les changements nécessaires pour arriver à ce résultat ne pourront commencer après la révolution, comme le pensent les socialistes autoritaires. Ils doivent débuter dès maintenant en « développant des formes de lutte ne se condamnant pas à produire des modèles de société éliminant la dynamique libertaire ». L’émancipation est un processus qui doit s’alimenter à même nos pratiques quotidiennes, ici et maintenant. C’est parce qu’ils sont en mesure de développer une puissance de classe capable de changer la société de bas en haut que les contre-pouvoirs occupent une place centrale dans la stratégie révolutionnaire anarchiste. Pour les anarchistes, il ne s’agit pas tant de «prendre le pouvoir» que de l’exercer, collectivement, en tant que classe. La question de la stratégie révolutionnaire pose énormément de questions, à commencer par celle-ci: à défaut de vouloir prendre le pouvoir, comment envisager de faire la révolution?

Notre alternative à la «prise du pouvoir» consiste à multiplier les contre-pouvoirs sociaux et politiques. Des embryons de contre-pouvoirs existent déjà à l’heure actuelle, ce sont les mouvements sociaux: syndicats, groupes populaires, groupes de femmes, associations étudiantes, groupes écologistes, etc. Même si elles sont trop souvent dépourvues de toute perspectives subversives, ces organisations exercent déjà un rôle de contre-poids social. On le voit bien depuis deux ans: qui fait l’analyse des politiques libérales? Qui s’oppose concrètement aux mesures gouvernementales? Qui a fait reculer le gouvernement dans plusieurs dossiers «chauds»? Ce sont les mouvements sociaux. Les partis politiques, même «l’opposition officielle», ont eu un rôle tout à fait mineur dans ces revirements.

Au lieu de miser sur la construction d’une organisation politique qui pourra «représenter» les mouvements sociaux dans la sphère politique, nous favorisons plutôt la transformation des dits mouvements en contre-pouvoirs. Nous ne voyons pas pourquoi les mouvements sociaux auraient besoin de créer des partis pour «faire de la politique» puisqu’ils en font déjà. Il s’agit plutôt de construire des mouvements si forts qu’ils pourront imposer leurs revendications et contrer tout recul voulu par l’élite. Mais la combativité seule ne suffit pas : les contre-pouvoirs doivent aussi être en mesure de se poser en alternative crédible, capable de prendre le relais en cas de crise majeure et d’exercer directement le pouvoir. Voilà l’essentiel de notre stratégie révolutionnaire: construire des mouvements sociaux capables de mener la lutte de classe et, ultimement, d’abolir directement la société bourgeoise.

Une transformation libertaire de la société implique l’instauration de l’autogestion généralisée et de la démocratie directe à tous les niveaux. Or, l’autogestion ne peut pas se décréter d’en haut, par un parti. La destruction de l’économie marchande et son remplacement par une économie communiste n’est envisageable que si les gens sont déjà organisés sur les lieux de travail, s’ils ont déjà commencé à «construire la société de demain dans celle d’aujourd’hui» via leurs organisations de masse. La même chose vaut pour la destruction du pouvoir techno-bureaucratique (qui décide d’en haut l’aménagement du territoire et du développement économique dans les quartiers, les villes et les campagnes) et son remplacement par la démocratie directe. En fait, cela vaut pour toutes les sphères de la vie en société. Un parti s’organise toujours sur une base idéologique, un phénomène qui carbure à l’exclusion, ce qui le disqualifie d’emblée pour la coordination de la vie sociale à laquelle tous et toutes doivent pouvoir participer, d’où l’importance de la construction de contre-pouvoirs inclusifs dont le seul critère d’adhésion soit l’appartenance sociale.

Indépendamment de la transformation révolutionnaire de la société, nous sommes également convaincuEs que la stratégie des contre-pouvoirs est la plus efficace pour mener la lutte de classe. Le pouvoir de l’élite repose sur le capital et tout ce que le capital permet d’acheter. Nous sommes perdantEs d’avance si nous nous opposons à l’élite sur le terrain de la politique officielle où le capital est essentiel. Notre propre pouvoir repose plutôt sur la force du nombre et sur le fait que nous avons le pouvoir de bouleverser considérablement la société en cessant simplement de «jouer le jeu». Notre pouvoir réel est dans les mouvements sociaux et leur potentiel de bouleversement. Mettre du temps et de l’énergie dans la construction d’un parti agissant en dehors de ces mouvements est une perte de temps. Mieux vaux l’utiliser dans la radicalisation et le renforcement de notre source de pouvoir.

Pour un front social des luttes de classe

Le saut qualitatif entre les mouvements sociaux d’aujourd’hui, avec tous leurs défauts, et les contre-pouvoirs que nous envisageons peut apparaître énorme. Et il l’est! Plus souvent qu’autrement, les mouvements contemporains sont non seulement timides et réformistes, mais ils sont de surcroît corporatistes, ce qui mine sévèrement la solidarité. L’expérience de la lutte elle-même (avec un peu d’agitation, quand même!) peut venir à bout des réflexes de timidité et de réformisme mais pour ce qui est du corporatisme, seule la rencontre d’autres acteurs en lutte, l’expérience de la solidarité, peut l’entamer. Aujourd’hui, la solidarité qui se vit entre les mouvements passe par en haut, par les bureaucraties des mouvements et ne se traduit que très rarement par une rencontre effective entre les gens en lutte, à la base. Or, c’est précisément ce type de rapport qu’il nous faut multiplier pour casser le corporatisme et favoriser le sentiment de mouvement d’ensemble, en d’autres mots la conscience de classe

De sa plus simple expression dans les comités de mobilisation plus ou moins autonomes à la base des organisations de masses (dans les groupes populaires, les syndicats, les associations étudiantes, etc.) à des expériences plus complexes comme les centres communautaires syndicaux, les comités de mobilisation régionaux ou les coalitions à la base, diverses pratiques émergentes en Amérique du nord favorisent le développement d’une nouvelle solidarité. Il s’agit d’encourager l’autonomie des mouvements, la participation directe des gens et les rencontres entre les luttes.

Marc-Aurel et Michel Nestor

(Publié pour la première fois dans le numéro 5 de Ruptures, mai 2005)