Tant qu’on n’a pas touché le fond on peut encore descendre

« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.

Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » La Haine – 1995

Bien au-delà  des  trajectoires personnelles des protagonistes du gouvernement, François, Manuel et les autres, dont finalement on n’a que faire, il serait judicieux de se demander où ces impérities vont conduire le pays. C’est-à-dire nous, les nôtres, les autres. Et pas eux.

Capture d’écran 2014-09-11 à 21.34.49Il faut avant tout rappeler que  la situation bien que difficile au départ, c’est-à-dire en mai 2012, permettait quelques alternatives. Tout était réuni pour faire autre chose, autrement. Une majorité politique à tous les échelons institutionnels, un rejet massif de la droite et de son bilan, une crise financière qui avait mis au grand jour les folies de la cupidité, et donc un espoir d’autre chose qu’il convenait d’entretenir. Un minimum. Il n’avait jamais été demandé à  F. Hollande de faire une politique socialiste au sens premier du terme. On se rend bien compte qu’il faudra pour cela avoir atteint les profondeurs des abysses libérales pour pouvoir prétendre y songer. Que compte tenu de la débâcle financière de 2008 et de la léthargie de ces mêmes « socialistes » ce n’était donc pas attendu.

Ce qui était espéré donc, si ce n’est une politique socialiste, mais au moins une politique sociale. Elle n’a pas eu lieu, et n’aura sans doute jamais lieu. Ce constat dans d’entêtement d’une machine d’Etat qui ne sais plus faire de Politique, les techniciens comme J. P. Jouyet en sont les exemples marquants, mais ressasse des recettes politiciennes à base de déficit, dette, promesses impossibles à l’UE et flexibilisation du marché du travail. Un gouvernement Valls en bras de chemise pétri de bon sens similaire comme deux gouttes d’eau à celui d’un Raffarin ou d’un Villepin. Mais totalement inopérant au regard des défis dont il a à faire face.

On s’est passé le relais à chaque élection entre droite de droite et droite de gauche avec pour seule ambition de pérenniser cette stase systémique  droitière (et libérale). Une fois sous un faux nez, la fois suivante plus décontractée, pour ne pas dire décomplexée. Sans aucune distinction sur les questions économiques, et se retrouvant de plus en plus souvent sur la question sociétale*. C’est une descente inexorable au Tréfonds de la politique zéro. Et cela ne pourra (malheureusement) pas durer.

Malheureusement parce que la suite s’annonce bien pire. On pourra encore peut-être, et par miracle,  passer une échéance électorale à grand coup de culpabilisation de l’électorat de gauche (il vaut mieux qu’il soit de gauche pour cela) sur le danger frontiste, et les grands idéaux de la démocratie. Dans le meilleur des cas on repartira pour un tour, en jurant main sur le cœur que cette fois on a compris (comme en 2002). Et on connaît la suite.

Or en douze années, il se trouve que les mêmes politiques économiques sont pratiquées, une crise financière sans précédent en sus. Il se trouve aussi que le chef du gouvernement tonne depuis sa nomination que d’alternative il n’y aurait pas. Seuls les éditorialistes thatchériens comme A. Leparmentier le croient encore.

La gauche radicale (PCF, PdG) étant disqualifiée, il a mis le corps électoral face à un ultime dilemme. Continuer comme  cela ou se ruer vers la (seule) sortie. Et la gamelle frontiste.

Cette sortie folle est possible, probable. Et ils l’auront eux-même charpentée. On aura alors touché le fond.

*En septembre 2014, N. Sarkozy admettra que du mariage pour tous, il s’en fout.

Vogelsong – 11 septembre 2014 – Paris

Un tour amer

« François Hollande, en fait, on s’en fout, c’est uniquement pour punir l’autre et faire éclater l’UMP.  » Commentaire sur un site Frontiste

La foule s’est massée devant le nouveau château. Rue de Solférino. Des jeunes, des trentenaires plutôt homogènes dans le style, l’habitus. En face de l’écran géant disposé devant le siège du PS, on semble connaitre le dénouement. Que de surprises il n’y a pas. Les fuites issues twitter donnent des résultats cohérents. François Hollande devant Nicolas Sarkozy, et un total gauche enviable.

Le ciel est encore clair.

Plus tard. Derrière la vitre. Le ballet silencieux de journalistes, caciques du parti et militants donne le tournis. Une masse compacte gravite au centre de la cour de Solférino sous les écrans plasma. En quelques minutes l’ambiance vire. On s’interroge les yeux rivés sur les smartphones. Les visages se ferment. Le ciel s’assombrit.

Le Front National est à 20%. Un électeur sur cinq par ce jour de printemps, de prétendu changement a donné sa voix à l’extrême droite. Il suffit alors de tendre l’oreille pour saisir l’incrédulité de certains commentaires. Que ce soit la presse ou les militants, on est frappé, incrédule. Les iPhone des équipes de presses sont pourtant formels. La victorieuse du soir c’est Marine Le Pen. On essaie de faire comme si il n’en était rien. Le champion local, François Hollande est en tête finalement. On moque Jean-Luc Melenchon ramené à sa juste place, on loue le courage d’Eva Joly… Mais il reste un arrière-goût d’inachevé, d’amertume dans cette soirée à la promesse festive. Le ciel est noir.

On quitte le château. Avec en mémoire les propos rassurants d’un spécialiste du comptage électoral et du report de voix. L’issue du second round semble scellée. Sauf accident dit-on. Mais accident il y a eu. Au premier round de cette élection. Là maintenant aujourd’hui. Ressortent alors les explications habituelles, empreintes d’auto persuasion, sur le «malêtre», «la colère», voire «la tristesse» des 7 millions d’électeurs du FN. Que l’on a presque envie de cajoler. Que l’on traite en ignare aussi, incapables de discerner dans le discours la xénophobie. Pourtant si clair.

Le 21 avril 2002 n’est toujours pas compris. On continue de penser que le FN est un refuge pour âmes en peine. Un asile de citoyens frustrés, alors qu’il se constitue en 3e force politique du pays. Sur des thématiques structurées, identifiables : xénophobie, rejet, haine, peur.

Mais qu’importe N. Sarkozy est proche du départ. Et c’est tout ce qui compte…

Demain il fera jour.

Vogelsong – 23 avril 2012 00h15 – Paris

Les non-dits frontistes de C. Guéant

“Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas.” C. Guéant devant les étudiants de l’UNI à l’assemblée Nationale.

La force de C. Guéant dans sa sortie sur les civilisations réside dans ses non-dits. On pourrait penser comme le dit N. Chomsky que tout doit être dit, tout doit être débattu. La limite s’établissant sur l’appel à la violence. En ce sens d’ailleurs, l’approche suprémaciste du ministre de l’Intérieur de la France interpelle. Dans quelle mesure ne propage-t-il pas une violence larvée envers l’autre ? Mais quel autre ? Pas pointé directement, juste assez flou pour que par la force de l’évocation, l’électeur égaré s’y retrouve. C’est tout l’enjeu d’une campagne électorale dans un contexte largement focalisé sur des considérations cocardières, sécuritaires et xénophobes. Des considérations pesant près de 20% des voix.

On peut mesurer l’hégémonie idéologique des idées de la droite réactionnaire à la force de son métadiscours. C’est à dire à sa faculté de rester dans la limite (voire de la franchir en conscience et maîtrise) tout en figurant une imagerie largement répandue. D’évoquer la supériorité de certaines civilisations, en restant assez vague pour ne pas citer les inférieures. Se basant sur une évidence supposée et partagée par le pays.

C. Guéant n’a plus besoin d’annoncer clairement que le mahométan ou l’Africain est issu d’une civilisation inférieure. Il s’astreint juste à préciser, dans un contexte de nationalisme égocentrique teinté de débâcle économique que la sienne est dominante.

La force du non-dit, c’est aussi l’évocation des “socialistes”, dans son propos totalement électoraliste. La première partie de la phrase est cruciale : “contrairement aux socialistes” annonce-t-il. Dans un autre contexte, une France apaisée, sortie des affres de la xénophobie, il aurait dû s’y prendre plus longuement. Par exemple : “contrairement à François Hollande candidat du parti socialiste, dont les idées sont issues du relativisme de mai 68 qui bafouent les valeurs nationales et la civilisation judeo-chrétienne de couleur blanche, je pense que…”.

Dans la France de 2012 (post 2002), il n’a plus besoin de s’encombrer de coquetteries racialo- culturelles du discours. Puisque la contextualisation a précédemment été mise en musique par les P. Bruckner (“Les sanglots de l’homme blanc”), les péroraisons islamophobes de l’éditorialiste du Figaro I. Rioufol, ou la relative acceptation dans le monde journalistico médiatique que le FN pose les bonnes questions. De plus, le propos s’est tenu face aux étudiants de l’UNI, syndicat créé en réaction aux événements de mai 68. La force du symbole.

C. Guéant ne convoque donc pas C. Lévi-Strauss dans la logique de débat ouvert que prône par exemple N. Chomsky. Les débordements xénophobes de la droite de gouvernement n’ont aucune vocation érudite. De poser un regard curieux sur les civilisations, débat des plus intéressants. Puisque personne n’a réellement lu l’anthropologue. Les paresseux de la médiasphère ne pouvant citer que des bribes de phrases pour tirer la vérité à soi. Une vérité qui s’étiolera avec un autre bout de citation jetée comme ça à l’encan.

Non, tout ce buzz s’inscrit dans une stratégie de communication bien orchestrée, puisque distillée sur Twitter par les sympathisants de l’UMP. Ne laissant que l’alternative “aux mondialistes bienpensants” : ignorer des propos aux relents racialistes, c’est à dire tacitement laisser passer. La question lancinante sera alors : laisser passer jusqu’à quand ? Ou bien de s’en saisir, et confirmer l’existence d’une gauche morale ignare et boboïsante dans un contexte réel totalement propice aux idées de C. Guéant.

Dans tous les cas, l’antiracisme, l’universalisme, la critique du conservatisme réactionnaire sonnent comme une dégénérescence.

Vogelsong – 5 février 2012 – Paris

Caricatures xénophobes du FN de Villeurbanne, rien de neuf finalement

« Le nazisme fut une abomination. Il m’arrive de regretter de ne pas être née à cette période, pour avoir pu le combattre. » M. Le Pen le 1 février 2012 (Quatre jours après être allée valser avec les cadres du FPO)

Dans l’émission Des clics et des claques d’Europe 1, G. Birenbaum épingle S. Poncet pour ses dessins publiés sur son blog. Le caractère raciste, haineux de chacun de ceux-ci est indubitable. D’ailleurs, le trait enfantin et naïf ne fait que rajouter au malaise. Néanmoins, le candidat FN de Villeurbanne ne fait que reprendre dans chacun de ses dessins des thématiques largement répandues dans les médias et partis politiques. Et ce, depuis des décennies, d’ailleurs souvent traitées avec beaucoup plus de sérieux.

Damien Roudeau - Les yeux dans le monde

Le FN utilise aujourd’hui le terme « priorité nationale » pour faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Un glissement sémantique plus ou moins heureux de « préférence nationale ». Le dessinateur frontiste de Villeurbanne caricaturant un jeune noir dans un dessin intitulé « Intouchables ? » en référence au film avec O. Sy, lui fait dire « Prioritaires dans le logement, l’emploi, mes prestations sociales. C’est vrai qu’en France nous sommes intouchables… ».

Le 14 janvier 2012, B. Barèges, membre de l’UMP déclare « Ce que je dis simplement, c’est qu’entre ceux qui veulent ouvrir toutes grandes les portes – par souci doctrinaire et surtout électoraliste – et ceux qui veulent toutes les fermer – par repli un peu xénophobe – nous sommes au milieu, c’est-à-dire en traitant le mieux possible les besoins de la France dans un contexte économique très grave où le chômage augmente et où il nous faut, c’est vrai quand-même, accueillir la préférence nationale ». Elle reviendra, contrite, sur ces derniers mots quelques jours plus tard.

P. Buisson, éminence élyséenne, s’aventura sur le même sentier dans un article de Paris Match. Qui fut par la suite modifié. Il dit : « [je] plaide pour une grande loi de réhabilitation du travail ; elle lutterait contre l’assistanat en réservant par exemple le RSA et le RMI aux Français qui ont un travail. » A la suite de ce couac, M. P. Daubresse, le centriste de service au sein de l’UMP, viendra à la rescousse du président de la République : « J’ai discuté longuement avec le président de la République et il n’a jamais été question de la préférence nationale, ni de près, ni de loin. »

Pourtant un président de la République, qui, lorsqu’il ne l’était pas, pouvait déclarer en 1998 (cité par Le Monde le 16 juin 1998) « cela me choque d’autant moins que l’on discute tranquillement de la préférence nationale, qu’elle existe dans la fonction publique », « Les mots de préférence nationale n’ont aucune raison d’être présentés comme des tabous » (Europe 1, le 21 juin 1998). Tabous qu’il s’efforcera de briser près de 10 ans plus tard en créant un ministère de l’identité nationale…

Par ailleurs, il suffit de se pencher sur les péroraisons d’I. Rioufol, VRP multicartes du Figaro, pour voir affleurer la même inclinaison à stigmatiser, les mahométans, les étrangers, l’autre, avec des concepts aussi plaisants et chargés que « immigration de peuplements ». D’ailleurs I. Rioufol, le 21 septembre 2011, dans un article démarrant ainsi « Chut ! Pour la gauche, les problèmes posés par l’immigration de masse restent un non sujet », ne tarira pas de dithyrambes sur l’ouvrage de son confrère H. Algalarrondo, intitulé « la gauche et la préférence immigrée »…

La stigmatisation des Roms est devenue un grand classique hexagonal. Si S. Poncet fait preuve d’un goût discutable pour sa caricature du Roumain déguisé en Père-Noël chapardeur, il n’a finalement rien à envier aux discours beaucoup moins caricaturaux (au moins dans l’objectif) de certains dignitaires de la République. Comment ne pas se souvenir du discours de Grenoble dans lequel le président de la République affirme « les) problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms ». Suivi d’actes, B. Hortefeux, démantèlera dans la foulée 128 camps et renvoya 1.000 Roms en Roumanie.

En septembre 2011, avec le courage qu’on lui connaît, C. Guéant, ministre de l’Intérieur, s’en prendra directement et nommément à « la délinquance roumaine », affirmant que « 10% des personnes passant devant les tribunaux étaient de nationalité roumaine, dont la moitié mineure ».

Sur Europe 1, L. Aliot ne se départira pas d’une certaine maîtrise face aux dessins que G. Birenbaum (visiblement excédé) lui montre. Il sait, au fond, que la situation est médiatiquement gérable. Il prendra d’ailleurs immédiatement ses distances avec le contenu, promettant que des sanctions seraient prises. Sauf qu’il sait, au fond, qu’un recul d’un demi-pas sur ce coup, n’empêche pas ses idées de faire leur chemin. Et qu’à bien y réfléchir, cogner sur un récalcitrant mauvais scribouillard peut même avoir quelques vertus dédiabolisantes…

Vogelsong – 1 février 2012 – Paris

De la difficulté d’interviewer l’extrême droite

“Ils subissent (les maires) une rétorsion. Est-ce que c’est démocratique ?” M. Le Pen le 25 janvier 2011 sur France Inter

Transformer le rendez-vous le plus écouté des matinales d’information radiophoniques en ring de boxe, c’est le pari de M. Le Pen. Un pari tenu dans les studios de France Inter, le 25 janvier 2012. La question n’est pas de faire la leçon aux journalistes (aguerris) qui se sont fait rouler par la vieille technique frontiste, la posture du martyr médiatique. Cet échange révèle tout d’abord que rien n’a réellement changé dans la stratégie du Front National avec les médias, même si on joue des deux côtés la dédiabolisation. Et ensuite qu’il s’avère périlleux de tenir le crachoir à une formation qui utilise la “démocratie”, et l’un de ses piliers, la presse, pour coloniser le débat de valeurs antidémocratiques, tel le rejet, la xénophobie voire le racisme d’État. Les journalistes souvent paresseux se font prendre presque à chaque fois, dans le paradoxe inextricable du Front National. Parti très “représentatif”, qui tout en ayant pignon sur rue, une vaste surface puisque “bankable ” médiatiquement, n’en reste pas moins une usine à haine difficilement contrôlable dans le format des émissions proposées.

Comment extirper en vingt-six minutes le sens de ce que M. Le Pen veut vraiment dire ? Comment figurer réellement ce qui se niche sous les vocables “préférence nationale” ou “retraite à la carte” ? Il faudrait probablement une dizaine d’heures pour faire le tour du premier sujet et presque autant pour arriver au bout du second. Or, ce matin du 25 janvier 2012, pour évoquer les concepts du Front national, parti d’extrême droite rassemblant dit-on un votant sur cinq, nous aurons une petite trentaine de minutes. Derrière une simple question de temps se cache toute la difficulté de l’éclairage politique dans la “démocratie”.

Se profile aussi une autre problématique. Selon quelques commentateurs, blogueurs et spécialistes (de gauche), le seul moyen de sortir du piège de l’extrême droite consiste à abandonner la « diabolisation ». Cette mise au ban organisée par les bobos bienpensants, insensibles à la souffrance du “populo”, premier réceptacle aux idées du FN. Ce qui pourrait se décrypter autrement : les classes moyennes et populaires blanches ont un problème avec l’immigration africaine, il faut faire quelque chose. Ou bien (plus raide), ils sont un peu xénophobes, on les canalise comment ? Les non-dits sont cruels en “démocratie”, et ce type d’accommodation de langage ne circule qu’en circuit fermé et privé.

D’ailleurs concernant la dédiabolisation, sur ces mêmes antennes de service public, le 19 janvier 2012,  W. de Saint-Just, conseiller en communication pour M. Le Pen, confiait que le principal objectif du Front National était, selon ses propres termes, “la dédiabolisation”. On s’étonnera, peut-être (ou pas), de cette convergence entre débatteurs, experts, journalistes  (certaines fois de gauche) et membres influents du parti d’extrême droite. On soutiendra bien évidemment qu’il ne s’agit pas de la même “dédiabolisation”… A moins d’une confluence, si ce n’est idéologique, d’intérêts…

L’esclandre du 25 janvier 2012 sur France Inter a une saveur particulière, puisqu’on peut déceler à chaque instant de l’interview la façon dont M. Le Pen monte doucement dans les tours pour atteindre, à la toute fin, le climax de sa (fausse) colère. Un story-telling bien mené, d’abord sur sa difficulté à obtenir les signatures nécessaires à sa candidature à la présidentielle. Une brimade supplémentaire de l’“établissement”. D’ailleurs elle gratifiera une question de T. Legrand sur sa légitimité, puisqu’elle peine à trouver ses parrainages, d’un cinglant “c’est n’importe quoi ce que vous dites”. “Je suis une femme libre” pérorera-t-elle quelques instants plus tard, un ton au-dessus. C’est B. Guetta qui essuiera la plus douceâtre des vacheries suite à une remarque sur le soutien du FN au régime de B. El-Assad, “Mais où avez-vous lu ça ? Dans un Carambar ?”. S’ensuivra un feu d’artifice d’invectives (et une menace de diffamation) après l’évocation de F. Chatillon pro-Syrien (proche du FN) par P. Cohen. “Et votre boulangère qu’est-ce qu’elle pense de la Syrie ?” lancera-t-elle, l’ire à son comble, aux journalistes après la fin de l’émission, considérant peut-être que l’ambiance n’était pas encore assez plombée. Tout ceci formidablement interprété, la morgue tout en maitrise.

Ce qui aura échappé aux journalistes dans la tourmente, c’est que M. Le Pen reprend quasiment mot à mot les arguments d’A. Soral sur la Syrie, en particulier concernant le “double jeu du Qatar”. Un auteur, ex-membre du FN, qu’elle potasse et écoute assidument… Si l’on en croit les ouvrages qu’elle exhibe sur son bureau.

M. Le Pen réussit l’invraisemblable. Squatter le système médiatique, rouler les journalistes, et continuer de faire comme si elle figurait hors du champ. Une virginité sans cesse renouvelée par le paradoxe des mass media, à la fois pilier du modèle de  “démocratie libérale” servant la soupe à une formation qui ne la respecte pas, et en même temps si friand de cette nouvelle égérie électorale. Car le FN et M. Le Pen font comme si, brimés par l’industrie de l’information, ils étaient parvenus à rassembler potentiellement 20 % des électeurs par le seul effet du bouche à oreille et d’une campagne alternative hors des grandes chaines. Par un mouvement spontané d’adhésion aux thèses nationales et xénophobes. De la belle mythologie.

Quant aux intervieweurs ils sont à la fois complices et victimes : valser avec les démons comporte quelques menus désagréments…

Vogelsong – 25 janvier 2012 – Paris

Libération se lâche sur Guéant, une bonne idée ?

« …l’histoire retiendra que Claude Guéant fut d’abord un mauvais ministre de l’intérieur » N. Demorand dans Libération le 29 novembre 2011

Curieux cliché de C. Guéant en contre plongé, regard glacé, mâchoire serrée. On l’imagine fixer cette Une de Libération du 29 novembre de cette façon. Un prédateur jaugeant une proie. En titrant “la voix de Le Pen”, le quotidien de “gauche” semble céder à une certaine facilité. Un tropisme sociétal, une bienpensance mondialiste bercée d’angélisme quant à la question migratoire et sécuritaire. Oser le parallèle entre un ministre de la République et le parti d’extrême droite pose une question d’objectif. On sort là du domaine de l’information factuelle pour entrer par une image et une seule phrase dans l’analyse politique. Problème, le traitement du FN oscille entre stigmatisation et subversion, et dans chacun des cas, la partie est perdue.

J. P. Chevènement (classique exemple) trouve la comparaison “injuste” et “excessive”. On peut comprendre sa position, comme souverainiste aux accents nationalistes, ce type de comparaison/stigmatisation pourrait, au détour d’un discours, l’éclabousser. Il participe là, au brouillage de la frontière entre ce qui relève de l’ignominie et de ce qui permet de nourrir le débat. Et mieux, de trouver des solutions.

Les hommes politiques n’ont pas choisi entre prendre à bras le corps les questions économiques et sociales ou se tourner vers des expédients électoraux. On préfère conserver l’opacité sur le discours xénophobe. Bien aidé en cela par un contexte culturel favorable. C’est là où Libération touche juste. En publiant en Une, cet immense tag hurlant “FUCK !”, il sort du marasme et de la stérilité dans lequel le débat a été plongé. Il excite, et c’est étrange de le dire, la réflexion de ceux qui le lisent. Il prend position loin des nuances habituelles sur une question lancinante qui empoisonne depuis 30 ans le débat public.

Il remet surtout les sujets dans le bon ordre. Sortir des bricolages électoraux secondaires, pour entrer vivement dans la politique. Loin du fumet pestilentiel dominant.

La pensée dominante, suprémaciste s’incarne bien dans celle de C. Guéant, E. Levy, ou A. Finkielkraut (chacun dans son registre) qui, sans le dire ouvertement (quoi que), labourent le sillon de la xénophobie. Dans une attitude qui selon leurs auteurs relève de la subversion. Une subversion qui tient au fait que selon une mythologie largement diffusée, il serait interdit d’aborder ces sujets (bien qu’on ne fasse que ça). Qu’une police de la pensée, dont Libération serait le héraut, mettrait sous l’éteignoir ceux qui ont une liberté de parole.

D’ailleurs même si Libération touche juste, il permet aussi d’étayer la thèse de la bienpensance angélique. Il s’est créé un contexte hexagonal tel que tout conspire à la fin des fins à ramener au débat migratoire et (sa thématique devenu connexe) sécuritaire.

On n’y échappera pas.

Vogelsong – 30 novembre 2011 – Paris

Les impasses de la promesse frontiste

(geste à Malakine)

“De tous les partis en déroute sur l’horizon éteint de la politique et des affaires, il ne reste qu’une seule faction active, celle du pouvoir” – R. Vaneigem in “Adresse au vivants”

Il faut fureter sur les blogs pour trouver l’affirmation la plus tranchante de la médiasphère. Si le blogueur X. Malakine a rejoint les confins de la droite nationale, les franges les plus distantes de ce que l’on dépeint de là-bas comme l’alternative au système, il n’en reste pas moins que sur le fond, concernant l’éventualité du FN au second tour des présidentielles il formule : “Ceux qui se déclarent aujourd’hui en faveur de Marine Le Pen, c’est en toute connaissance de cause parce qu’ils souhaitent qu’elle soit au second tour pour y défendre des solutions alternatives, parce qu’ils adhèrent à son projet de retour à la nation et à la souveraineté…”. De ce côté-ci, c’est à dire de la tiédeur politique, qui pense bien dans les clous, ce retour à la nation et à la souveraineté renvoie à une euphémisation bien particulière de ce qui traverse aujourd’hui le pays.

Parce qu’oublier la crispation sur les boucs-émissaires, quels qu’ils soient, pour prendre en considération des questions largement évacuées du débat, comme l’euro, ou la régulation forte de l’économie (protectionnisme), c’est entrer dans un tunnel sans issue. S’imaginer que le minois d’une blonde relookée, fille de son père, suffit à effacer l’histoire, le passé, et la continuité d’un projet politique qui va puiser sa force au tréfonds du cloaque xénophobe. C’est s’occuper beaucoup de forme et très peu de fond. Parce que l’on aura beau se défendre en psalmodiant la nouvelle xénophilie de la Marine, il n’en demeure pas moins que de toutes ses fibres le parti, les idées, la symbolique, l’inertie et sa dynamique renvoie le Front National à ce qu’il est au-delà de son nouveau vernis de marketing politique, c’est-à-dire un parti post fascisant, avec tout ce que cela comporte (même des intellectuels brillants…). Parce que c’est faire comme si l’intelligence plastique de son nouveau leader était une promesse de changement certain, de volontarisme Sarkozyste factuel. Une projection fantasmatique dans le changement, authentique, pur, pour la grandeur de la France, la félicité des français. Une sorte de bain de jouvence national aussi illusoire qu’ingénu.

Avant de sortir de l’Euro, encore faut-il avoir le débat sur la sortie de l’Euro. Ce que ni l’UMP, ni le PS, ni même le FN ne semblent s’accorder à mettre en œuvre. C’est tout l’un ou tout l’autre, dans un bel effet miroir. Si les uns sidèrent par leurs conservatismes, les autres atterrent, soit par un dirigisme insensé, soit par une légèreté inconsidérée. Car c’est jouer avec des décisions importantes, sur un ressenti populaire à propos de la monnaie européenne, coupable de gonfler les prix à la caisse. Une stimulation émotionnelle destinée à la captation d’un assentiment dont les conséquences considérables ne sont pas totalement mises en exergues. Car sortir de l’euro c’est possible, mais il faut en expliquer à tous clairement les incidences. C’est en ce sens que le ralliement à l’étendard frontiste nouveau profil relève d’une certaine candeur.

Car s’il est un vote d’adhésion, ce vote garde sa particularité primaire. Les agréments sociétaux ne servant qu’à facilité la digestion médiatique du reste. C’est-à-dire la focale identitaire, nationaliste et sécuritaire, dans ses accents les plus réactionnaires dans la France du racisme bienveillant. Il suffit d’écouter, de lire les interviews des responsables du FN, pour découvrir que tout, in fine, converge vers la question migratoire. Cet aimant politique qui fit grandement le succès de N. Sarkozy.

C’est aussi se défausser d’une partie importante du paysage politico-médiatique. Jouer la carte antisystème Front National contre la bien pensance boboïsante et irresponsable en 2011, c’est avoir un certain culot. C’est surtout être totalement hermétique au vacarme médiatique ambiant. Si l’élection de 2002 s’est jouée (aussi et surtout) sur des incidents ponctuels télévisuels (l’agression d’Orléans), celle de 2012 s’engage dans un tout autre état d’esprit. Une ambiance totalement acquise aux thématiques du Front National, dans une inversion édifiante des priorités informationnelles, où le sécuritaire et le migratoire occupent, bien plus massivement qu’auparavant, l’espace. S’attribuer la posture subversive, du Cassandre, face aux périls migratoires dans les traces d’I. Rioufol, R. Ménard ou E. Zemmour, alors qu’ils ne s’évertuent qu’ à accentuer l’écho majeur de ce qui se dit banalement dans l’infosphère, consiste à prendre une attitude grossièrement politicienne. Tout en geignant “on n’est pas fasciste”…

Le cadre national pourrait être une solution de résignation face aux problèmes économiques. C’est à dire un moindre mal. En ce sens, le service minimum pour des politiques de redistributions à caractère social. À condition d’y instaurer une fiscalité juste, faisant peser l’effort au moins dans ce cadre sur les plus pansus. Mais se référer à la nation comme finalité totale, exclusive, glorifiée à la façon d’un P.- M. Couteaux pour mettre en place une politique de souveraineté et de préférence nationale consiste à s’inventer un univers parallèle fait de petits blancs s’égayant dans un environnement de petits blancs. Avec toutes les pesanteurs historiques que cela comporte. La subversion, certaines fois, consiste en un ralliement à la raison quand tout pousse à la haine et à la folie. Une raison, pas celle du consensus mou. Mais du débat, se débarrassant des oripeaux de la politique du bouc-émissaire ethnique ou religieux, pour aborder les questions sociales, essentielles.

Vogelsong – 1 mai 2011 – Paris