Tant qu’on n’a pas touché le fond on peut encore descendre

« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.

Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » La Haine – 1995

Bien au-delà  des  trajectoires personnelles des protagonistes du gouvernement, François, Manuel et les autres, dont finalement on n’a que faire, il serait judicieux de se demander où ces impérities vont conduire le pays. C’est-à-dire nous, les nôtres, les autres. Et pas eux.

Capture d’écran 2014-09-11 à 21.34.49Il faut avant tout rappeler que  la situation bien que difficile au départ, c’est-à-dire en mai 2012, permettait quelques alternatives. Tout était réuni pour faire autre chose, autrement. Une majorité politique à tous les échelons institutionnels, un rejet massif de la droite et de son bilan, une crise financière qui avait mis au grand jour les folies de la cupidité, et donc un espoir d’autre chose qu’il convenait d’entretenir. Un minimum. Il n’avait jamais été demandé à  F. Hollande de faire une politique socialiste au sens premier du terme. On se rend bien compte qu’il faudra pour cela avoir atteint les profondeurs des abysses libérales pour pouvoir prétendre y songer. Que compte tenu de la débâcle financière de 2008 et de la léthargie de ces mêmes « socialistes » ce n’était donc pas attendu.

Ce qui était espéré donc, si ce n’est une politique socialiste, mais au moins une politique sociale. Elle n’a pas eu lieu, et n’aura sans doute jamais lieu. Ce constat dans d’entêtement d’une machine d’Etat qui ne sais plus faire de Politique, les techniciens comme J. P. Jouyet en sont les exemples marquants, mais ressasse des recettes politiciennes à base de déficit, dette, promesses impossibles à l’UE et flexibilisation du marché du travail. Un gouvernement Valls en bras de chemise pétri de bon sens similaire comme deux gouttes d’eau à celui d’un Raffarin ou d’un Villepin. Mais totalement inopérant au regard des défis dont il a à faire face.

On s’est passé le relais à chaque élection entre droite de droite et droite de gauche avec pour seule ambition de pérenniser cette stase systémique  droitière (et libérale). Une fois sous un faux nez, la fois suivante plus décontractée, pour ne pas dire décomplexée. Sans aucune distinction sur les questions économiques, et se retrouvant de plus en plus souvent sur la question sociétale*. C’est une descente inexorable au Tréfonds de la politique zéro. Et cela ne pourra (malheureusement) pas durer.

Malheureusement parce que la suite s’annonce bien pire. On pourra encore peut-être, et par miracle,  passer une échéance électorale à grand coup de culpabilisation de l’électorat de gauche (il vaut mieux qu’il soit de gauche pour cela) sur le danger frontiste, et les grands idéaux de la démocratie. Dans le meilleur des cas on repartira pour un tour, en jurant main sur le cœur que cette fois on a compris (comme en 2002). Et on connaît la suite.

Or en douze années, il se trouve que les mêmes politiques économiques sont pratiquées, une crise financière sans précédent en sus. Il se trouve aussi que le chef du gouvernement tonne depuis sa nomination que d’alternative il n’y aurait pas. Seuls les éditorialistes thatchériens comme A. Leparmentier le croient encore.

La gauche radicale (PCF, PdG) étant disqualifiée, il a mis le corps électoral face à un ultime dilemme. Continuer comme  cela ou se ruer vers la (seule) sortie. Et la gamelle frontiste.

Cette sortie folle est possible, probable. Et ils l’auront eux-même charpentée. On aura alors touché le fond.

*En septembre 2014, N. Sarkozy admettra que du mariage pour tous, il s’en fout.

Vogelsong – 11 septembre 2014 – Paris

Hollandisme révolutionnaire, E. Todd persiste et signe

« (Journaliste du New York Times) Il y a beaucoup de points communs entre les positions de Hollande et Sarkozy sur bon nombre de réformes ? S’agit-il de choisir un caractère ? – (François Hollande) Oui il y a deux façons de faire : Brutalement ou harmonieusement.  » Propos recueillis par L. Binet dans son livre « Rien ne se passe comme prévu »

Alors déçu ? C’est la question brulant les lèvres que l’on veut poser à E. Todd. Lui qui à bout de sarkozysme avait déclaré sa flamme au « hollandisme révolutionnaire ». Peut-être l’oxymore politique majeur de ces dernières années. Les deux mots mis bout à bout sonnent étrangement, et ce surdoué de la locution s’en est forcément servi pour que cela fasse écho. Que cela reste dans les mémoires. Au risque même d’y perdre sa crédibilité. Celui de l’oracle. Car on ne le loupera pas quand F. Hollande se sera minéralisé, delorisé, giscardisé…

Jusqu’au-boutisme

Christopher Dombres

E. Todd campe sur ses prophéties, une sorte de jusqu’au-boutisme qui fait écho à l’attitude politique du parti socialiste. Le mitterrandisme à l’envers, entendre un début de quinquennat au centre droit (ou gauche) pour le finir en gauche assumée sonne surtout comme un aveuglement. Opérer un virage social en 2014 revient à s’automutiler deux années supplémentaires. En somme, il s’agit de supposer que les Français seront tellement laminés qu’ils accepteront, demanderont même, une réelle politique sociale. Enfin.

Cela revient à énoncer en creux que la situation n’est pas assez catastrophique pour prendre des mesures fortes de régulation et de protection. A continuer dans le momentum des élections à faire à ce qui échoue depuis une trentaine d’années. C’est-à-dire une politique mi-figue mi-raisin, fortement aiguillée par des considérations de groupes spécifiques. Souvent minoritaires mais influents, et très éloignés des préoccupations de ceux qui sont dans le laminoir.

Science-fiction

C’est beaucoup miser sur la culture égalitariste de la France que de penser qu’au bout du bout, F. Hollande et les siens prendront à bras le corps la politique et transformeront trente années de soumission à l’Europe technocratique, la mondialisation et les marchés, pour se dresser, revêches, et remettre les choses dans le bon ordre pour les intérêts des Français. Ceux qui les ont élus.

C’est faire un pari très osé sur le code génétique de la classe politique française. De ce cercle de la raison névrosé, stratifié, bégayant les mêmes mantras depuis le milieu des années 80. Qu’est-ce qui différencie F. Hollande de ses ainés, à part peut-être le crédit supplémentaire que lui porte E. Todd ? On regarde le passé, on peut envisager le futur. Avec une faible incertitude. Qui peut penser que M. Sapin martèlera en 2014 l’impératif vital de nationaliser certaines entreprises ? Ou que dans le même temps J. Cahuzac mettra en place un impôt confiscatoire pour ceux qui font bombance depuis des décennies ? Ceux, pour reprendre les mots d’E. Todd , qui ont « tondu la société ». Ou plus cocasse, que M. Valls tiendra haut et fort un argumentaire sur la nécessité vitale pour l’économie française de sortir du carcan de l’euro. F. Hollande intervertira-t-il le majordome libéral J. H. Lorenzi pour un hétérodoxe comme F. Lordon dans la liste de ses conseillers ?

Le scénario classique

À la fin du laminage, à la suite de l’impact total et complet des dévastations sociales induites par le système économique, ce n’est que très rarement de redressement social dont il est question. N. Klein dans l’ouvrage La stratégie du choc a bien décrit comment après un traumatisme, le corps social était apte à des bouleversements négatifs qu’il n’aurait pas acceptés dans son état initial. Dans cette optique, il est plus à redouter un accaparement supplémentaire de l’oligarchie, qu’un endiguement ou un refoulement de celle-ci hypothétiquement impulsé par le parti socialiste français. Il est frappant de voir comment évolue la situation dans la crise, devenue un système politique plus qu’un état transitoire, équarrissage après équarrissage. Avec l’approbation cynique de ceux qu’E. Todd voit en futurs révolutionnaires.

Mais plus grave, remettre à plus tard le soulagement des peuples implique de prêter le flanc aux menaces brunes déjà bien enkystées en Europe. Attendre deux années supplémentaires que la peste s’étende.

Le gambit Hollande, cette conjecture révolutionnaire s’avère tout de même très osée.

Vogelsong – 17 octobre 2012 – Paris

F. Hollande, ou l’impérieuse obligation de décevoir

« Si je suis battu, les Français vont tellement galérer qu’ils reviendront me chercher et m’éliront par plébiscite » N. Sarkozy dans Paris-Match du 17 mai 2012

Le parti socialiste vainqueur de l’élection présidentielle de 2012 part avec l’immense avantage de n’inspirer aucun espoir. Personne n’attend plus rien de cette gauche. En effet, sorti d’un noyau dur de courtisans, tourneurs de vestes et militants fraichement mobilisés pour mettre en fuite le sarkozysme, aucun quidam ne croit sincèrement que la gauche, cette gauche, puisse faire quoi que ce soit pour changer fondamentalement quoi que ce soit. C’est en ce sens que F. Hollande et son gouvernement peuvent trouver leur chance.

Christopher DombresNon pas qu’il faille jouer les pisse-vinaigre après l’avènement d’un type “normal” (et plutôt digne) comme le nouveau président. Qui représentera honnêtement le pays, loin des caricatures spasmodiques de son prédécesseur. Non pas qu’il faille bouder son plaisir à entendre M. Valls souffler au visage de C. Guéant, qu’il en est fini de la méphitique politique de stigmatisation et de la course effrénée au chiffre d’expulsions.

Mais alternance ne veut pas dire changement, même si les slogans publicitaires que nécessite une campagne le laissent entendre. Certes “le changement, c’est maintenant”. Et il a eu lieu. Mais après ? Est-ce que cette nouvelle gauche dont la matrice issue du milieu des années 80 va abandonner son tropisme gestionnaire ? Proprette, cette intendance de la démocratie dans l’échange standard et cordial des pouvoirs. Telle que la souhaitent les droites. La commémoration du 8 mai et les passations au sein des ministères (à quelques exceptions) montrent que cette continuité “gestionnaire” est bien la marque de fabrique de cette République.

S. Legrand déclarait sur le plateau de F. Taddeï que F. Hollande représentait la sociale démocratie amputée de son volet social. En d’autres termes qu’il incarnait une certaine idée du centrisme dans son acceptation de l’ordre des choses. Mais aussi et surtout dans sa volonté d’éviter les ruptures, les changements radicaux. Le type même de pouvoir de gauche annonçant, fataliste, au quidam qui n’y croit plus que “l’État ne peut pas tout”…

S. Legrand se trompe peut-être et rien n’est certain.

F. Hollande annonce une réforme fiscale, une politique offensive en faveur des jeunes et la primauté de l’éducation. Des réformes égalitaires d’apparence marquées à gauche. Quelle en sera la portée ? Permettront-elles au péquin qui ne voit dans le PS qu’une machine à élire des notables et mimer la diversité d’entrevoir un espoir de progrès pour lui et les siens ? Permettront-elles au terme du quinquennat d’envisager un autre mandat, pour poursuivre ? Et d’éviter le cauchemar identitaire annoncé. Avec Le FN ou un ersatz UMP.

F. Hollande est dans l’obligation impérative de décevoir la gauche radicale qui l’enterre déjà par sa mollesse. Mais il devra aussi décevoir les faiseurs d’opinion, commentateurs multicartes, A. Duhamel, F. O. Giesbert (expert en retournements) et autres arapèdes soudées aux ors de la République, qui se gobergent de passations et d’alternances réglées comme du papier à musique. Pour que l’histoire se perpétue à son rythme, chacun à sa belle place. Et que surtout rien ne change (pensent-ils).

Mais surtout.

F. Hollande est dans l’obligation de décevoir. De décevoir ceux qui guettent patiemment que leur tour vienne : darwinistes sociaux, cupides et opportunistes de tout poil, spéculateurs, qui font du chaos et des divisions un fonds de commerce fructueux. Ainsi que les homophobes, xénophobes réactionnaires, racistes qui fourmillent sur les promesses rancies d’une gauche timorée. Tous ceux-là attendent, espèrent que les choses se passent comme prévu.

F. Hollande est dans l’impérieuse obligation de les décevoir.

Vogelsong – 19 mai 2012 – Paris

Le changement ? Pas pour demain.

« Oui. On est bordéliques, bigarrés, gueulards, métèques, païens, fornicards, fêtards, célestes, comédiens, on vous emmerde ! #laGauche » @ZaraA sur Twitter

Il ne s’est rien passé. Ou si peu. Au lendemain de la victoire du progrès, c’est comme cela que l’on aime se qualifier à gauche, les inepties du débat public reprennent leur inexorable route vers l’impasse.

Pour exemple, le débat du 7 mai, au lendemain d’une alternance, portant sur la méticuleuse comptabilité du nombre de drapeaux tricolores lors du rassemblement festif de la bastille. Aux dires de certains, cette irruption incontrôlée s’apparente à une débauche trop bigarrée pour être sérieuse. Bien optimiste celui qui peut imaginer qu’après la séquence identitaire de ces cinq dernières années, et son acmé des trois dernières semaines les choses puissent en être autrement.

Au contraire. Comme une pression supplémentaire, au lieu d’une bouffée d’oxygène, ce qui reste du débat identitaire se retrouve exacerbé au sein même de la victoire. De la victoire d’un bord qui quoi que l’on en pense garde encore même maigrement cette parcelle d’universalisme qui fait que certaines valeurs « françaises »émergent encore du brouet nationaliste déversé ces derniers temps.

C’est loin des sourires et des clameurs, des boubous et des yallah que la France identitaire s’est conformée au comptage des fanions hostiles. Plus que les odeurs de graisses, des gaz d’échappement, et de l’alcool, c’est par la médiation des animateurs-journalistes en plasma que la France identitaire et patriote s’est fait une idée précise de son pays. Le pays réel dit-on. Assis sur un canapé en sky brun.

Le 6 mai beaucoup n’ont pas voté à gauche. Mais pour la mémoire de la gauche. De ses valeurs passées. Dont il ne reste plus qu’une faible rémanence. Un dernier carré de valeurs qui n’est pas encore passé au rinçage nationaliste. Dorénavant on trouvera toujours un type sérieux avec pignon sur rue pour compter minutieusement, les noirs, les blancs, les filles saoules au sein des foules débauchées. Et de ce magma bariolé, on discernera comme la preuve d’une hostilité les couleurs des drapeaux de cette armée ennemie qui occupe, dit-on désormais, la terre de France.

Vogelsong – 7 mai 2012 – Paris

Campagne Zéro

« C’est notre meilleur allié contre Hollande. Il faut qu’il grappille le maximum de points. S’il monte encore, on lui fera une statue » Un ministre du gouvernement à propos de J. L. Melenchon (Le Parisien)

La campagne présidentielle 2012 s’annonce comme un bide politique. Politique au sens du débat d’idées, de la confrontation, de l’esquisse de solutions. Dans un monde qui n’en a surement jamais autant eu besoin. Crise économique, défaillance systémique, dévastation sociale, perte de perspectives (mais aussi retour aux nationalismes réactionnaires) sont la toile de fond du rendez-vous politique de 2012. En écho, tout ce qui est proposé se cantonne à des débats sporadiques. Relevant souvent de l’anathème politique comme la polémique sur la viande halal, la tragicomédie des propos de C. Guéant sur les civilisations ou les péripéties de N. Morano. De plus, et faute de mieux, la vacuité s’impose comme étalon, l’observation scientifique des courbes d’opinions s’impose comme un thème principal.

On peut y trouver motif de curiosité faute de réjouissance. Une campagne inintéressante peut finalement avoir de l’intérêt pour ce qu’elle ne fait pas, ne dit pas, s’oblige à taire. Elle parle tout aussi bien de son époque qu’une campagne où tout serait sur la table. Pour changer le monde. Or ici, là, et aujourd’hui, on le sait, on le dit, rien ne changera.

Et chacun en a conscience.

On se plait à se lamenter du caractère ennuyeux. De cette tournure violente, réactionnaire qu’ont pris les débats de cette présidentielle. Editorialistes en tête, qui vocifèrent sur le manque de souffle de la brochette de nominés en lice pour le poste suprême. Toute la subtilité de la situation tient à ce que chaque proposition soit frappée du sceau de l’impossibilité. Une impossibilité systémique car comme il est rabâché, la puissance publique ne dispose plus des moyens de financer son action. C’est ce que répète sur toutes les longueurs J. M. Aphatie, pour ne citer que lui. Qui dans le même temps, se fend d’éditos longs comme un bras pour pointer les contradictions du discours politique de tel ou tel. Si la campagne est d’une rare pauvreté, c’est parce qu’elle s’est minéralisée dans le concept du zéro budget.

Un zéro budget dont les politiques de tous bords respectent scrupuleusement le précepte. Il n’est pas un discours de F. Hollande, candidat de la gauche, où il ne martèle après chaque proposition, aussi infime soit-elle, qu’il faudra faire des efforts budgétaires. Entendre que les admonestations de J. M. Aphatie et ses clones ont bien été intégrées.

Et si F. Lenglet étrenne son statut de star médiatique, idole journalistique du moment, c’est bien parce qu’il se fond parfaitement dans le moule du zéro budget. Il incarne totalement la rigueur éditocratique dans la version scientifique du débat politique. Graphiques et crobars à l’appui.

Alors on feint de s’étonner du caractère lapidaire et violent des débats publics. On regarde un peu consterné la prévalence du gestionnaire sur le politique. On s’enquiert de la désaffection du citoyen à la chose publique. Alors que dans le même temps tout est mis en œuvre pour évaluer au centime près chaque sous-proposition de chaque programme. Sachant qu’au bout du bout, rien ne sera possible. Et pas grand-chose ne sera fait.

La campagne 2012, outre ses polémiques verbales idiotes, s’avère d’une rare stérilité. Elle est peut-être la photographie d’une époque, où le renoncement est devenu la valeur collective ?

Vogelsong – 15 mars 2012 – Paris

Fétichisme programmatique : ceux qui promettent et ceux qui écoutent

“Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une dette.” Confucius

Ne lisez pas les programmes ça ne sert à rien. Bon sens ou hérésie démocratique ? Comment zapper la profession de foi du candidat qui engage sa personne sur la réalisation de projet durant sa mandature. Le programme est dit-on la pierre angulaire de l’élection. Le sésame qui ouvre la voie de la respectabilité, mais surtout de la crédibilité entre ce qui est faisable, ce qui est souhaitable et ce qui est possible. Mais il peut aussi être perçu comme un grand exercice d’amnésie collective, et la quintessence du gadget marketing en politique.

Le programme politique s’apparente plus à un budget d’expansion de Start-up qu’à une feuille de route de gouvernement. En ce sens, il permet à plus ou moins long terme de dire que l’on n’a pas tenu ses promesses. Et la vie politique française dans ce domaine ne manque pas d’exemples marquants. En 1981, F. Mitterrand a mis un peu plus de deux ans pour faire demi-tour, pour annoncer que finalement ce n’était plus possible. Et que le programme de gauche, de changement ainsi voté ne pourrait être totalement poursuivi. Il reste du mitterrandisme aujourd’hui quelques mesures que l’on garde précieusement faute d’avoir changé le monde. Pour N. Sarkozy c’est plus flou. On pourrait dire que le reniement de ses engagements se situe entre 3h et 1 mois. On se souviendra de sa tirade place de la Concorde, la voix vibrante « Je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas ». Avec le recul, on confine au pathétique.

Chacun à son prétexte. En 1983-84, la gauche sous la pression budgétaire et européenne n’a pas voulu (pu) sauter du train continental. On déploiera nombre d’artifices médiatiques, dont le fameux exercice télévisuel pédagogique « Vive la crise », pour masser les consciences et faire passer l’amertume. Pour la période Sarkozyste, on a eu la crise. Réceptacle de toutes les difficultés, ce grand alibi de sortie de feuille de route.

Mais surtout, l’objet programme n’est qu’un élément parmi les autres du dispositif de marketing politique. Au même titre que le Haka PS, les lunettes rouges, mais surtout les couleurs de cravate et les slogans qui font mouche. D’ailleurs, le passé montre que les candidats furent plus élus sur un gimmick que sur une réelle vision politique. Et seuls les experts par exemple ont vu dans N. Sarkozy un tournant libéral en 2007. Pour le citoyen, il s’agissait surtout de « gagner plus ».

Enfin, le programme est un artifice piégeux et globalisant. Pour en revenir à N. Sarkozy de 2007, c’est tout ou rien. En d’autres termes, il faut à la fois croire au paiement des heures supplémentaires et accepter dans le même lot la stigmatisation des étrangers. Or, sur une proposition (le gagner plus), on ramasse le tout (la totalité du programme)…

Une enquête électorale publiée dans Libération et citée par P. Quinio en février 2007 montrait que 11 % des personnes interrogées ne se prononcent pas. Et sur les 89 % qui citent le nom d’un candidat de leur choix, 56 % pensent qu’ils peuvent changer d’avis. Les Français manifestement ne lisent pas les programmes. Soit ils ont compris l’entourloupe, soit ils n’en ont pas le temps.

Bien sûr en 2012, il en sera tout autrement.

Vogelsong – 28 janvier 2011 – Paris

Le Bourget et après ?

« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » F. Hollande

La magie socialiste quand elle opère…

Le parti des bisbilles, des rancœurs tenaces et des petites mesquineries. La formation de gauche respire sobrement après les tourments successifs de 2002 et 2007. Fini la candidate mal aimée, malmenée, hors du cadre, dont le militant, une fois l’exposé crispant terminé, s’escrimait à trouver des choses positives ou des améliorations sur le fond ou la forme. Fini aussi la surprise de la déferlante frontiste, dont on sait cette fois qu’elle point, là toute proche. Le parti socialiste parait avoir trouvé un candidat qui lui ressemble, et le rassemble. Un candidat sans fausse note, qui ne vend pas du rêve contrairement à ce qui se dit communément après la prestation du Bourget.

Cela veut-il dire que F. Hollande va gagner ? Ce n’est pas certain. Ce qui l’est plus c’est qu’il risque de ne pas perdre. Car gagner, impliquerait l’annexion majoritaire du champ politique par les idéaux de gauche : Mise en question des rapports de domination, changement de braquet sur les finalités de l’activité économique, et une remise en perspective des carcans de la mondialisation.

Or F. Hollande a esquissé quelques pistes lors de son discours du 22 janvier 2012, ouvrant la voie d’un progressisme gestionnaire avec quelques propositions parfaitement audible par la gauche radicale. Une stratégie politique excellemment amenée, jetant une tête pont entre les deux rives. Car il y aura un après. Ce moment d’amnésie post-partum électoral, où il faudra rapiécer les petits morceaux de gauches.

Grâce à des arguments économiques et sécuritaires bien agencés. Sortant du carcan droitier de la compétitivité et de la maréchaussée contre les Français. En évoquant, « l’ennemi sans visage » de la finance, il entre dans le lexique quelque peu hasardeux des franges alternatives. Il s’offre un moment radical. Quoique pas tout à fait assumé, car si on veut bien se donner la peine de scruter, la finance possède des noms et des visages. À moins qu’il n’évoque les robots nanométriques que l’on essaie de rassurer avec les plans d’austérité successifs.

Plus fort encore, consiste en son appel à la république pour rattraper les délinquants de tous ordres. Une menace à peine voilée à celui dont il ne prononcera pas le nom, son adversaire de droite aujourd’hui Président. Mais au-delà, il cesse de jouer la force de l’État contre ses citoyens. La police contre les jeunes. Et sa tirade « Aux délinquants financiers, aux fraudeurs, aux petits caïds, le prochain président vous prévient : la République vous rattrapera. » pourrait bien entrer dans l’histoire.

Dans le story-telling grand format de l’élection de 2012, F. Hollande a sans conteste trouvé les mots et la posture. Qui lui permettront peut-être de tenir jusqu’au 6 mai 2012. Ensuite pour toutes les composantes de la gauche, se profilera un retour plus ou moins rapide au réel. Comme d’habitude.

Vogelsong – 24 janvier 2012 – Paris