Vous l’aurez compris, ce billet est une réponse à celui de Zarvodoz (que je linke un peu à contre cœur, mais il ne faudrait pas que l’on m’accuse d’emblée de briser une règle tacite dans le monde des blogueurs, et ce avant même que je n’aie pu entamer mon raisonnement).
Je vais tenter d’être gentille, polie et courtoise, là aussi ça évitera que l’on me qualifie d’extrémiste, disqualifiant au passage les points tout à fait objectifs que j’espère souligner.
Pour plus de clarté, je vais répondre paragraphe par paragraphe.
« Le féminisme, c’est un peu comme cette vieille maison de campagne dans laquelle on se retrouve par hasard un weekend : on sait que ça a un jour été beau et fonctionnel, mais ce jour est assez loin maintenant pour que la chose soit devenue infréquentable voire dangereuse, les murs s’effondrant aussi facilement qu’un argumentaire foireux. »
En fait ça commençait plutôt bien, on aurait pu penser qu’il allait s’agir d’une critique de certains aspects de certains courants du féminisme. Mais très vite arrivent les mots « infréquentable » et « dangereuse », censés qualifier « la chose ». On parlera donc DU féminisme, un magma unique et uniforme dans lequel peu de féministes, qui connaissent les différents courants qui animent ce mouvement, se reconnaitront. Qu’importe.
« L’égalité juridique (droit de vote, accession à la propriété…), si elle est aujourd’hui une réalité, a effectivement nécessité un énorme travail de la part de femmes et d’hommes, rassemblés sous le terme de féministes, que l’on ne peut aujourd’hui que saluer. »
Ah bon, ouf, on ne veut pas revenir sur le droit de vote, mieux, on salue les efforts des hommes et des femmes qui ont permis de rendre cela possible. Merci pour elles, merci pour eux.
« Mais, la lutte n’étant jamais terminée vu qu’il faut bien trouver une raison de continuer à exister, aujourd’hui nos féministes autoproclamées, indépendantes mais grassement subventionnées, ont de nouveaux combats à mener, car rien n’est plus urgent, à part peut-être défendre les valeurs de la gauche, que de lutter contre ce sexisme crasse, omniprésent, qui pourrit nos vies jusque dans les moindres recoins de vos draps ou de votre avis d’imposition. Si si. »
Ici le grand gloubiboulga idéologique commence. On ironise, avec le lien, sur les efforts de Najat Vallaud-Belkacem pour lutter contre le sexisme dès le plus jeune âge. On parle de « nos féministe autoproclamées, indépendantes mais grassement subventionnées ». De qui s’agit-il ? Est-ce une pique cachée à Caroline de Haas, présidente d’Osez le féminisme un temps passée au cabinet de la ministre susnommée ? D’autres personnes ou groupes ? On ne sait pas. On remet une couche d’ironie bon teint en évoquant le sexisme omniprésent comme une vue de l’esprit, et non pas l’objet de nombreuses études, qu’on se garde évidemment de citer.
Puisqu’on vous dit que c’est important le féminisme ! »
L’entreprise de décrédibilisation se poursuit avec l’insertion de ce tweet, pas question bien sûr de citer une revendication plus sérieuse que l’on aurait pu trouver avec le même hashtag. Celui-ci, par exemple.
« Au nom de ces luttes fondamentales, se sont récemment succédées en haut des barricades des associations au soucis médiatique surpassant largement celui du ridicule, dont « les Chiennes de garde » ou « Osez le féminisme » pour promouvoir l’usage du clitoris dans Paris ou bannir celui du titre Mademoiselle dans l’administration voire celui du 1 et du 2 dans les numéros de Sécurité sociale ces derniers imposant, « dès la naissance, une hiérarchie explicite ». Le tout largement épaulées par notre ministre des droits des femmes (ministère indispensable dans notre contexte économique) qui ne se retient jamais de dire ce qu’elle pense quitte à choquer l’intelligence la société patriarcale, à savoir « le sexisme, c’est pas beau ». Merci Najat, sans toi on laisserait encore les petites filles jouer avec des jouets qu’elles choisissent dans les crèches du 93, imaginez le drame. »
Ce paragraphe est particulièrement intéressant : on y cite pêle-mêle Les Chiennes de garde et Osez le féminisme, deux associations très souvent remises en question au sein même du mouvement féministe. Elles sont érigées en représentantes de l’ensemble des féministes, que ça leur plaise ou non. Bon. Par le même procédé, on met sur le même plan une campagne promouvant une sexualité positive et celle contre la case Mademoiselle sur les formulaires administratifs. Cette dernière est particulièrement intéressante parce qu’elle aura, plus que toute autre, cristallisé un anti féminisme proprement délirant. Car si les militantes estiment qu’elles n’ont pas à dire si elles appartiennent à leur père (Mademoiselle) ou à leur mari (Madame), les pourfendeurs de cette campagne n’ont pas vraiment d’argument, sinon celui de dire que ce combat est sinon ridicule du moins secondaire, sans importance. Mais alors, pourquoi tant de véhémence à son encontre ?
Pour continuer de semer la confusion, l’auteure (je lui mets un e, j’imagine que ça va l’agacer, d’avance désolée, veuillez remiser vos ovaires) laisse entendre qu’à cause de Najat Vallaud-Belkacem, on empêche les petites filles de jouer avec les jouets qu’elles choisissent. Rappelons à toutes fins utiles que ce n’est évidemment pas le cas, l’idée étant plutôt d’encourager les enfants à choisir n’importe quel jouet, peu importe qu’on lui ait, auparavant, collé une étiquette genrée : une petite fille peut adorer les petites voitures ET les poupées, tout comme un petit garçon peut s’éclater avec une dînette ET des légos. Je reste aussi perplexe devant l’inutilité supposée du ministère des droits des femmes « dans notre contexte économique », est-ce à dire que la crise doit permettre aux inégalités de subsister voire de s’accroître dans ce domaine-là comme dans le domaine économique?
Pour ceux qui se demandent encore, les féministes ont pour but de mettre fin aux clichés sexistes. Comme ceux des femmes à poil dans les pubs. »
Encore une fois, le choix n’est pas anodin, puisqu’il s’agit d’une affiche des Femen, un groupe qui est très loin de faire l’unanimité chez les féministes. Elles revendiquent le fait de se réapproprier leur corps et d’utiliser la nudité pour interpeller, ce qui est donc l’opposé du cliché sexiste. En revanche, on aurait pu ici leur reprocher l’uniformité des corps (tous lisses, minces et blancs). Mais ce n’est pas ce que fait l’auteure.
« Mais au-delà du tragicomique de celles qui ont besoin d’une cause, n’importe laquelle, pour exister médiatiquement, on trouve le flot plus ou moins anonyme de ceux et celles qui ne perdent jamais une occasion de rappeler que les grands combats de notre époque sont indispensables et le féminisme une nécessité dans la mesure où « tu comprends, être une femme, c’est pas toujours facile, il y a les violences, le machisme, et tout plein de pressions de partout ». En effet, comme souvent dans la vie, rien n’est simple et c’est bien triste, mais ce n’est pas le recours à l’idéologie qui va améliorer les situations individuelles. »
Tout le début du paragraphe minimise les discriminations et violences sexistes (doit-on vraiment rappeler que l’on gagne en moyenne 20% de moins à poste équivalent, que les femmes sont plus touchées par le temps partiel imposé, qu’elles sont discriminées à l’embauche en raison d’une hypothétique future grossesse, que 150 000 femmes sont violées chaque année en France, qu’une femme meurt sous les coups de son mari ou conjoint tous les trois jours…). Et le paragraphe se termine sur un petit triomphe de phrase qui ne veut rien dire. Affirmer que l’idéologie ne règle rien, c’est supposer que l’idéologie existe en dehors de toute action, ce qui est évidemment faux et l’auteure le sait puisqu’elle s’évertue à déprécier les différentes actions menées par des féministes.
« Tout d’abord parce qu’en commençant par sous-entendre que tous ceux qui n’encouragent pas la propagation des concepts de genre en remplacement de ceux de sexe et l’assassinat de l’horriblement sexiste grammaire française, à coup de « -e- » plutôt que « (e) », comme dans « demeuré-e-s », sinon c’est machiste, sont d’immondes suppôts du patriarcat, on se retrouve une nouvelle fois en train de modeler le langage pour imposer une idéologie.
Une idéologie qui tolère qu’en matière économique, les mêmes qui s’insurgent des écarts salariaux entre hommes et femmes sont les premiers à applaudir une réforme des allocations familiales qui n’aura que pour conséquence de ramener les femmes à la maison contre leur volonté. Mais sauver la face en maquillant les chiffres du chômage est semble-t-il un combat en soi. »
Non, ceux qui « n’encouragent pas la propagation des concepts de genre » ne sont pas « d’immondes suppôts du patiarcat », en revanche 99% d’entre eux n’ont jamais ouvert un livre, que dis-je, pas même un article scientifique sur le sujet, et pourtant il n’en manque pas. D’autre part subsiste ici cet éternel malentendu : on ne parle pas du patriarcat en termes de coupables individuels, qui seraient pointés du doigt parce qu’ils ne sont pas d’accord. Le patriarcat est un SYSTÈME, dans lequel nous vivons tous et toutes, on y participe toutes et tous, très largement inconsciemment. Les féministes que je connais n’ont pas de délire paranoïaque ou de haine des hommes, elles réalisent d’abord qu’elles aussi ont des réflexes ou expressions qui participent de ce système. Et tentent de travailler dessus. Sur la fin du paragraphe il est question donc de critiquer la suppression des allocations pour les familles ayant un revenu supérieur à 4000 euros, je ne vais pas m’y aventurer car il y a débat en effet (et que la mesure n’est pas passée pour le moment). Mais sont-ce les mêmes qui dénoncent les écarts de salaires et soutiennent cette mesure. Ah ? Mais qui ? Les féministes ? Les socialistes (contre lesquels l’auteure semble avoir quelques griefs) ? Une fois de plus, on ne sait pas. Tant pis pour la clarté, tant pis pour la logique, YOLO.
« Et interdisons leur de porter nos valises aussi, ça leur fera les pieds à ces salauds de rétrogrades ! »
No comment (qui a interdit ça ? ou même suggéré de l’interdire ? personne, bon, c’est pas grave on le dit quand même ça leur fera les pieds à ces salopes de féministes)
« Agiter le patriarcat et les stéréotypes comme un vieil épouvantail dégarni n’est pas plus convaincant en matière de sécurité : les violences dont sont victimes les femmes, avant d’être un problème de sexisme, sont un problème de politique pénale. Elles ne cesseront pas en propageant le dogme féministe ou en forçant la petite dernière à jouer avec une perceuse plutôt qu’une dinette, parce que ce n’est pas en assénant à longueur d’endoctrinement que tous les individus sont identiques et égaux que les violences cessent dans une société. C’est en faisant respecter les lois dont nous disposons déjà mais que nos magistrats semblent avoir oubliées.
Parce que s’il est possible de convaincre tout le monde que toutes les éventuelles différences entre hommes et femmes ne sont jamais que des constructions sociales historiquement reproduites, une personne violente ne s’en prendra pas moins au premier qui lui tombe sous la main, de préférence plus faible que lui, femme, enfant, ou juste individu isolé. Ce qui par contre peut avoir son effet, c’est la peur de la sanction, celle qui nécessite un système judiciaire efficace protégeant la société de ses éléments dangereux au lieu de leur chercher des excuses. »
Là où Victor Hugo (ce gauchiste notoire et féministe enragé) appelait à ouvrir des écoles pour fermer des prisons, l’auteure fait l’exercice inverse, et laisse à penser, contre toute logique empirique, que l’éducation serait finalement sans importance, ce qu’il faut, c’est sévir ! On voit aussi revenir l’argument fallacieux sur les enfants et les jouets (comme plus haut) et l’arrivée d’un champ lexical bien sympathique, puisque la lutte pour l’égalité est désormais un « endoctrinement ». Elle en profite pour adresser un tacle aux magistrats –on commence à sentir une tendance politique se dégager, là, non ? Ah tiens, et sur la fin du paragraphe elle évoque « un système judiciaire efficace protégeant la société de ses éléments dangereux au lieu de leur chercher des excuses ». Là je m’interroge : vit-on dans le même pays ? Celui qui n’a pas tant changé depuis l’époque ou Foucault écrivait son « surveiller et punir », celui où les prisons sont surpeuplées et des dizaines de détenus se suicident chaque année, celui où la réinsertion est inexistante, où les condamnations de la cour européenne des droits de l’homme pour traitements inhumains sur des prisonniers continuent de tomber chaque année ? Il semble que non. Passons sur le fait que les femmes sont décrites comme « faibles » et le caractère sexiste de certaines violences, pourtant prouvé, est carrément nié.
Moralité, n’éduquons pas les enfants à se respecter et se considérer en tant qu’égaux, attendons qu’ils se cognent dessus et jetons-les en prison. Cool.
« En matière privée, ces féministes qui se prévalent depuis cinquante ans de la volonté de faire de la sexualité un simple outil de plaisir immédiat et sans conséquences sont les mêmes aujourd’hui qui légitiment leur mouvement en dénonçant la sexualisation du corps féminin.
Aujourd’hui on ne réclame plus de moyens de contraception, on réclame agressivement l’avortement de confort, tous les mois si nécessaire, parce qu’on le veut, parce qu’on y a droit. Parce que quand on est féministe, on ignore l’autre, l’homme, le fœtus ou la société qui n’a que le droit de financer, celui qui aurait le malheur de contrarier cette toute puissante volonté ou de poser la moindre entrave. Car quand on est féministe, on aime répéter que notre corps nous appartient mais oublier qu’on reste malgré tout largement dépendant de son fonctionnement, si antilibertaire soit-il. »
Vous reprendrez bien un peu de gloubiboulga ? Ici l’auteure commence par mélanger sexualité et sexualisation, continue, cite « ces féministes » puis « sont les mêmes » sans citation, sans nom, etc, bon, à ce stade on s’est habitué-e.
Et alors là, le clou du spectacle Messieurs Dames, l’auteure reprend l’expression du charmant Louis Aliot, gendre du borgne le plus célèbre de France et époux de sa Marine d’héritière, « l’avortement de confort » et de préciser « tous les mois si nécessaire ». On nage en plein délire, et à plusieurs points de vue. D’abord, personne n’a jamais à ma connaissance, réclamé un avortement par mois. Ensuite j’ai envie de dire… Et quand bien même ? Il faudrait alors inciter la femme à se tourner vers un moyen de contraception, certes, mais la liberté à disposer de son corps ne saurait être quantifiée. Visiblement ça défrise l’auteure mais oui, c’est un droit, durement acquis après des années, des décennies à laisser les « faiseuses d’anges » se débrouiller avec les moyens du bord, quitte à ce que la femme y laisse sa peau. Ces temps-là sont révolus, et c’est tant mieux. La dernière phrase ne veut rien dire (ou alors « tu fais la maline avec tes IVG mais tu riras moins quand tu auras la diarrhée ? » je ne sais pas, je m’interroge)
« Non, je n’ai pas besoin que des personnes en mal de cause consensuelle, aux visées ouvertement politiques, s’érigent en mon nom pour dicter ce qui est bien, ce dont j’ai besoin ou ce que la société me doit, sous prétexte que nous avons le même sexe.
Je ne veux pas d’un mouvement qui cherche à extorquer des privilèges en culpabilisant ou en agressant tous ceux qui se trouvent sur son chemin, à créer une nouvelle fracture entre les composantes sociales, à trouver n’importe quel prétexte grappiller un peu d’attention médiatique et tenter de justifier son existence.
Je n’ai pas besoin du féminisme. »
C’est vrai que c’est consensuel le féminisme, dis donc, c’est tellement consensuel qu’il ne se passe pas une semaine, pas un jour même pour que l’on vienne expliquer que les féministes veulent castrer les hommes, sont folles, hystériques, agressives, ridicules (et qu’elles mangent des enfants avec leur Ricoré le matin).
« Un mouvement qui cherche à extorquer des privilèges » cette locution donne finalement une idée du cœur du problème : l’auteure n’a pas compris. Pas compris qu’il ne s’agit pas de troquer une domination contre une autre, que la plupart des mouvements féministes ne réclament ni piédestal ni privilèges, tout juste l’égalité. Pas plus. Pas moins.
Je terminerai en disant : le féminisme n’a pas besoin de toi. Et malgré toi, tes vitupérations, tes agacements, il continuera à se battre pour que tu sois un jour autant payée qu’un homme, pour que ta fille (si tu en as une) soit encouragée à devenir physicienne si ça la botte, pour que ta sœur (si tu en as une), ait accès à ce poste dont elle rêve, même enceinte de 3 mois.
De rien.