26 novembre 2016

499ème semaine politique: le vrai/faux retour du clivage droite/gauche

 

 

 

Une fois n'est pas coutume,  la gauche moderne est dépassée par son modèle, la droite ancienne. Mais est-ce vraiment le retour du clivage droite/gauche ?



C'est la grande nouvelle de la semaine. L'évènement politique du moment. "Monsieur 2%" est soudainement devenu le nouveau champion des sondages. Le premier "collaborateur" a même dézingué son ancien monarque. Fillon, l'homme effacé, le souffre-douleur des exubérances Bling-bling de Sarkozy, se révèle soudainement, dans la dernière ligne droite d'une primaire effroyable, le leader Il Maximo de la droite pure et dure.

Fillon serait le sauveur de la droite. Le portrait si pur que l'on dresse du bonhomme fait sourire: il vient de se compromettre dans une émission de télé-confidence. Il s'est fait élire député de Saint-Germain-des-Prés à Paris, l'un des quartiers les plus bobos qui soit. Il endosse le bilan d'un quinquennat raté. Et il n'a jamais bossé dans le privé. 

Mais dimanche, le score du premier tour de cette première primaire si primaire de la droite et du centre est sans appel: Fillon à 44%, Juppé péniblement à 28%. Sarkozy à 20%. Et les quatre autres loin derrière avec des scores anecdotiques: Nathalie Kosciusko-Morizet (2,6%), Bruno Le Maire qui s'imaginait le nouveau Kennedy souverainiste de la droite à peine 2%; le catho traditionaliste Jean-Frédéric Poisson à 1%. Et enfin, la plus humiliante des défaites, Jean-François Copé hérite de 0,3%... Cette primaire, qui a mobilisé plus de 4 millions de personnes, largement plus que celle des socialistes en 2011 (2,7 millions), a livré des scores tranchés et sans appel.

Sarkozy, défait.
Dimanche, pour son second discours d'adieu en un quinquennat, Nicolas Sarkozy a l'air sonné. Il parle durant quatre minutes, souriant plus qu'à l'accoutumée. Carla est en larmes. Il rend les armes à Fillon. En pouvait-il être autrement ?  

Fillon partage avec Sarkozy le bilan d'un quinquennat irresponsable économiquement, désastreux socialement, honteux éthiquement.

Alain Juppé est lui aussi sonné. L'ancien favori des sondages n'a rien vu venir. Il y a deux ans déjà, nous pronostiquions sa défaite. Sa campagne "au centre", faussement au centre, est tombée dans un trou: ni assez à droite, ni assez à gauche. Son échec signifie plus qu'on n'en dit.

Fillon, donc, sort vainqueur, favori après les ralliements de Sarkozy, Le Maire, Poisson et même Copé. Il est même pronostiqué gagnant contre Le Pen, Hollande et tous les autres au second tour du Grand Scrutin de 2017.

Mais combien étaient-ils à avoir lu son programme ? 

Peu, trop peu. Votre serviteur y compris.

Prenons un sujet simple à comprendre, qui concerne le quotidien de nombreuses familles, le projet de François Fillon pour la Sécurité sociale. Ce système d'assurance maladie a déjà été frappé de déremboursements et de franchises médicales en quantité croissante depuis une belle décennie. Et les décisions des gouvernements Sarkozy/Fillon n'ont pas été corrigées par l'équipe Hollande/Valls, loin de là. Rappelons les principes: l'assurance maladie consiste à prélever des cotisations sur les revenus de chacun pour permettre le remboursement des soins du plus grand nombre. Le gros salaire contribue plus que le petit, sans rapport avec sa dépense réelle de santé. Forcément, ça agace les plus riches. Car le vrai débat est en fait de savoir qui paye, au moins autant que de s'interroger sur le coût de ce que l'on paye. Sur les ondes de BFM, Europe 1, France Inter et RTL, les éditorialistes économiques expliquent rapidement combien notre Sécu "coûte trop cher".

Trop cher pour quoi ? Trop cher pour qui ?

La proposition de François Fillon est simple, claire, et courageuse comme celles de toutes les vieilles droites du monde: antagoniser pauvres contre moins pauvres, ou l'inverse. C'est plus simple. C'est politiquement efficace, ça marche presque à tous les coups.

Fillon a donc cette proposition assez habile: supprimer l'essentiel des remboursements de la Sécu, sauf pour les plus pauvres, ces derniers bénéficiant d'un "bouclier social". Un bouclier social qui autorise Fillon à supprimer la totalité des remboursements de la Sécu hors affections graves. Les classes moyennes apprécieront. La droite aime bien cette métaphore du "bouclier". On se souvient du "bouclier fiscal" de Nicolas Sarkozy.

Fillon n'explique pas si les deux postes de dépenses de santé les plus lourds à supporter pour les familles, surtout nombreuses, à savoir les soins dentaires et les corrections visuelles, seront aussi exclues de l'assurance maladie universelle.

Lundi soir, Fillon est sur TF1, Juppé se réfugie sur France 2, dans un plateau de secours car des techniciens de la chaîne sont en grève. Le contraste des images est saisissant. On se demande comment Juppé peut réussir. Quand on demande à Fillon pourquoi son bilan partagé avec Sarkozy est économiquement si mauvais, il s'excuse derrière la Grande Crise de 2008. Osons la question: quelqu'un qui s'est révélé incapable de gérer un pays dans ces moments les plus difficiles mérite-t-il d'être candidat ? 

L'équipe Juppé rappelle assez vite les ambiguïtés de Fillon sur l'IVG. Inscrire une campagne de droite sur des sujets sociétaux, il faut oser. Juppé tente de prendre Fillon par le centre quand son rival a déjà fait la preuve de son succès au coeur de la droite rance. Quelle curieuse stratégie... Jeudi, 215 parlementaires de droite signent une tribune contre Juppé et ses attaques. C'est le retour de la droite la plus bête du monde. 

Jeudi soir, dernier débat de cette primaire primaire. Juppé est à l'attaque. On comprend assez vite que les différences entre Fillon le réac et Juppé le faux rad-soc sont finalement si modestes. Si l'on était discourtois, on pourrait dire que ce ne serait que la taille du suppositoire libéral qui diffère.

Pourtant, même la centriste Corinne Lepage s'est fendu d'un billet pour relever trois différences évidentes entre les deux candidats, "trois raisons pour lesquelles Fillon serait un danger pour la France.": haineux contre l'écologie ("François Fillon partage une forme de haine de la droite dure sur tout ce qui touche à l'écologie, de près ou de loin") offensif contre les droits des femmes, et anti-européen. Lepage oublie la Sécu, l'un des rares fondements redistributifs de la société française depuis la Libération.

La Nouvelle Pensée Unique
Ce pays "étatisé" qu'est la France, dont la Sécu serait inefficace et couteuse, est toujours classé dans les premiers places mondiales en termes d'espérance de vie (20ème sur 224, loin devant la moyenne européenne). Devant les États-Unis (42ème); devant aussi le Royaume-Uni, (33ème), cet autre modèle des furibards libéraux; devant les Pays-Bas (25ème). Même la riche et si performante Allemagne se rétracte à la 35ème place dans ce classement tenu à jour la CIA.

Jeudi, Juppé attaque donc Fillon sur ses projets de destruction de la Sécu.

Enfin !

LCI en rajoute sur la "potion amère de François Fillon". N'en rajoutez pas ! L'ancien "collaborateur" de Nicolas Sarkozy a beau jeu de dénoncer le "système politico-médiatique". Les médias en France, c'est bien connu, sont aux mains de dangereux milliardaires gauchistes. La ministre de la Santé chiffre rapidement à 3200 euros par famille le surcout des propositions du candidat Fillon. Lequel se fend d'un communiqué en réponse. Il veut, explique-t-il, "clarifier la part prise en charge par la Sécurité sociale et par les mutuelles : cela passe par un panier des soins « solidaire » dont sont exclus les soins de confort et la « bobologie »." La "bobologie" ? L'image est astucieuse. La bobologie désigne le soin des bobos sans gravité, mais est tout autant un clin d’œil politique contre les "bobos" bourgeois/bohêmes que la droite tente d'instituer comme ennemi politique. Dans les faits, Fillon ne dément pas ses premières propositions: il entend bien demander aux Français de s'adresser à l'assurance privée pour le remboursement de leurs soins, sauf pour deux cas: les affections graves et de longue durée, et les ménages les plus pauvres.

Les familles apprécieront.

La lutte finale
Vendredi, Fillon tient meeting Porte de Versailles, à Paris. Comme Sarkozy en 2012 dans les derniers jours d'une campagne déjà odieuse. Fillon refait le show. Il y a moins de drapeaux. Bygmalion ne surfacture plus l'UMP pour assurer le spectacle. Fillon dérape, ou plutôt il caresse dans le sens de tous les poils la vieille droite. Il appelle à défendre la famille. Est-elle menacée ? Frigide Barjot, l'une des égéries décalées et subventionnées des manifestations anti-mariage gay applaudit. Elle reste jusqu'au bout, elle quitte la salle avec les derniers. Fillon a des soutiens extrêmes qu'il n'assume pas. "Caricature!" s'exclame-t-il quand on pointe le doigt sur son programme caricatural.

Fillon ne rappelle plus ses propos d'août dernier sur la "colonisation heureuse", qualifiée de "partage culturel". Mais il a cette formule, toute aussi glaçante: "Le patriotisme est la seule façon de transcender nos origines, nos races et nos religions."

Fillon pense donc qu'il y a des races.

La primaire de droite a eu un mérite. Elle a clarifié ce qu'était la droite aujourd'hui. Elle a rappelé ausso ce que devait être le débat politique. Le retour politique de cette droite rude, rance et clivante signe aussi l'échec du social-libéralisme centriste qu'un large axe Hollande/Valls/Macron/Bayrou/Juppé a tenté d'imposer au pays. La différence entre la gauche et la droite ne saurait se résoudre entre débattre du nombre de dimanche que l'on ouvre aux commerces, ni de savoir si le SMIC doit être augmenté de quelques centimes; ni à agiter l'épouvantail frontiste; ni à discutailler sur la "juste" proportion d'exonérations de cotisations sociales; ni surtout à s'enfermer dans des débats identitaires.

La primaire de la droite réactive le débat droite/gauche, mais elle laisse à penser à certains que la droite est soudainement devenue que filloniste.

Une victoire de Fillon demain devrait affaiblir Le Pen pour 2017.

Une victoire de Juppé devrait enterrer Hollande, Valls et Macron pour 2017.

A vous de choisir.


Ami gauchiste, abstiens-toi. 

Ami sarkozyste, adieu.