Être historien(ne) à l’ère de l’infotainment

Hello les ami.e.s ! Vous croyiez que nous étions morts ?! Désolé de vous décevoir.

On ne va pas vous faire l’affront de vous sortir un une phrase bateau du genre « ParenThèses a mis ses activités entre parenthèses » ; vous êtes trop bons pour ça. Bon, on vient de le faire, mais ce n’est pas grave. On était juste super busy (à prononcer soupère bizzzzi), en mode Anna-Wintour-pendant-une-Fashion-week, avec colloques et aussi un peu la thèse et puis la thèse et encore la thèse. Heureusement, les étudiants étaient là pour assurer l’intérim sur le blog ! But donut worry for us, on a encore faim de nouveaux billets ! (Vous voyez, on fait même des jeux de mots en english maintenant).

Brrrrrref.

Pour ce billet de rentrée, on voulait une thématique qui claque et bien dans l’actualité. On n’a finalement rien trouvé de mieux que de vous faire part des réflexions que nous avons eu l’occasion de proposer au cours de la journée d’étude organisée le 7 octobre dernier par le Réseau des médiévistes belges de langue française et Ménestrel dont la thématique était  « Le Moyen Âge dans les (nouveaux) médias : quelle place pour les médiévistes ? ». Tu la sens venir, la référence à Assassin’s Creed ou aux vulgarisateurs du Youtube game ?! Bon, comme l’un de nous deux a eu la mauvaise idée de ne pas devenir médiéviste mais plutôt moderniste (c’est triste, hein ?), on ne se limitera pas ici qu’à la question du rôle des spécialistes de la période médiévale. Idem, il ne s’agira pas de parler uniquement des historiens : historiens de l’art, archéologues, linguistes et autres littéraires travaillant sur le passé ont également un rôle à jouer.

On me voit, on ne me voit plus…

Si Cartapus, dans le film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, peut s’introduire à peu près partout et découvrir les bottes secrètes des nos ancêtres les Gaulois, il faut reconnaître que les historien.ne.s ont du mal à être présent.e.s dans les médias. La remarque vaut certes pour les historien.ne.s mais, plus largement, c’est toute la communauté des chercheurs qui est concernée. Il est de bon ton de pointer les années 1980 comme une période transitoire entre une époque où certains chercheurs de renom intervenaient à la télévision ou à la radio et une nouvelle où ceux-ci ont commencé à se faire plus discrets.

Pivot de la discussion : "Tu viendrais pas taper la discute dans Apostrophes?" (Crédits : Wikimédia Commons)
Pivot de la discussion : « Tu viendrais pas taper la discute dans Apostrophes? » (Crédits : Wikimédia Commons)

La starification de certains grands vulgarisateurs (certains très bons, d’autres… voilà quoi…) et l’apparition récente de cet animal médiatique étrange qu’est le « chroniqueur » télé ou radio ont encore renforcé le phénomène. On n’imagine plus aujourd’hui un débat comme celui entre Fernand Braudel et Pierre Bourdieu en 1979 sur le plateau de l’émission Apostrophes. En 1996, le recueil d’interviews de Bourdieu Sur la télévision mettait d’ailleurs en évidence que le dispositif journalistique n’était pas un espace qui pouvait convenir aux chercheurs. Le philosophe Jacques Bouveresse l’a encore rappelé en 2008 dans une longue interview où il aborde la question des rapports entre intellectuels et média. Citant l’Autrichien Karl Kraus dont il a étudié les écrits, Bouveresse rappelle que notre époque n’aime rien tant que le fait accompli et en l’occurrence le fait accompli de la célébrité… Selon Bouveresse, celles et ceux, parmi les intellectuels et les chercheurs, qui optent pour le soutien des médias plutôt que celui du monde académique doivent inévitablement en payer le prix. La célébrité et la reconnaissance médiatique obligent d’être prêt à transiger avec la rigueur de l’analyse, de travailler dans l’urgence et de proposer des commentaires dignes d’une discussion de comptoir. En gros, on est en plein dans les travers de l’infotainment où la diffusion des résultats de recherche n’est pas la motivation principale pour une chaîne de télé. Il faut que ce soit divertissant, amusant, si possible qu’il y ait un clash entre invités tout en évitant le bad buzz.

Karl Kraus (Crédits : Wikimédia Commons)
Karl Kraus qui nous fait la pub Wonderbra avant l’heure : « Regardez-moi dans les yeux! » (Crédits : Wikimédia Commons)

Jacques Bouveresse aime également citer Robert Musil lorsque celui-ci disait que « Ce qui est douloureux dans le cas du journalisme est le contraste entre ce qu’il est et ce qu’il pourrait être »1. Eh bien, on peut à peu près tenir le même constat pour l’histoire dans les médias. Si on se limite à la seule présence sur les chaînes télévisuelles, les thématiques historiques sont captées par certains acteurs tels que Stéphane Bern ou Lorànt Deutsch. On ne reviendra pas en détail sur ce dernier (voir ce qu’on en disait déjà ici), mais il faut rappeler qu’il s’agit d’un individu prompt à disqualifier les critiques sous prétexte que les ‘historiens’ qui l’attaquent n’ont pas terminé leur thèse. D’aucuns n’ont d’ailleurs pas hésité à dénoncer l’organisation d’une rencontre avec Deutsch et des élèves de secondaires. Dans la mesure où il incarne auprès du grand public l’histoire telle « qu’on l’aime », on ne doit pas s’étonner qu’il soit invité sur les plateaux télés ou sollicités par des instances davantage politiques. Ceci illustre un certain rapport avec le passé, que ce soit avec le moyen âge ou une autre période. On reste dans le domaine de l’encyclopédisme, de l’approche livresque attachée aux détails et à l’anecdote… avec, au final, une vision assez pelliculaire de ce qu’est l’histoire.

Face à ces mastodontes de l’infotainment, le chercheur se retrouve avec le cul entre deux chaises… Balloté entre sa volonté d’offrir les informations les plus exactes possibles (donc parfois également les plus érudites) et celle de s’adresser à une plus large audience, il pèche souvent par son manque de formation : parler devant un micro et une caméra, ça ne s’improvise pas. Or le chercheur n’est guère formé à cet exercice. Il parait donc souvent hésitant, bafouillant, et finalement assez peu fiable en comparaison des cadors de l’image habitués à afficher leur confiance en eux. À ceci s’ajoutent d’autres données que le chercheur ne maîtrise pas, à commencer par l’agenda médiatique et les impératifs auxquels sont soumis les journalistes. Pour ne citer que le cas que nous connaissons le mieux, celui de la Belgique, l’historienne Chantal Kesteloot a dégagé quatre grands thèmes attirant presque systématiquement les médias belges : les grandes synthèses sur l’histoire du pays, les enjeux communautaires et linguistiques, l’histoire coloniale et les deux guerres mondiales du 20e siècle2. Ces thèmes ont parfois eux-mêmes leur propre actualité, leurs controverses et leurs rebondissements, auxquels le chercheur peut être amené à s’inscrire en faux. Or les médias, en dehors du domaine politique, ne sont pas toujours friands des débats contradictoires. Sur ce face-à-face entre le chercheur et le dispositif médiatique, nous renvoyons, pour plus de détails, à deux billets parus sur Devenir historien-ne intitulés « Y aller ou pas ? Retours sur une expérience télévisuelle 1 & 2 » (ici et ).

All in the game, yo : Histotainment dans les « médias de loisir »

Assez parlé de la télé et de la radio. Parmi les médias contemporains, il y a également ceux que l’on peut qualifier « de loisirs », à commencer par les films, les séries télévisées ou les jeux vidéos. Il s’agit de médias qui nécessitent de grosses infrastructures et donc une équipe importante. Dans cette masse de techniciens, acteurs, réalisateurs, scripts et autres scénaristes, le chercheur ne peut être, au mieux, qu’une part infime de la chaîne de réalisation, et il est donc très loin d’avoir le dernier mot. Dans son Dictionnaire amoureux du cinéma, Jean Tulard raconte ainsi cette anecdote de son expérience comme « conseiller historique » sur un film réalisé à l’occasion du bicentenaire de la révolution française : constatant qu’il était prévu de tourner une scène du procès de Louis XVI dans laquelle les révolutionnaires devaient prononcer leur sentence de condamnation à mort en présence du roi, Tulard fit remarquer que les choses ne s’étaient pas passées ainsi dans la réalité. Le réalisateur rétorqua à l’historien qu’il intervenait trop tard, que tous les éclairages avaient été réglés pour la scène et qu’une modification nécessiterait trois jours de tournage supplémentaires, ce dont il ne pouvait être question (Voir Jean Tulard, Dictionnaire amoureux du cinéma, Paris, Plon, 2009).

Au-delà des impératifs techniques, un autre problème est évidemment celui de la tension entre divertissement et pédagogie, qui est tout le problème au cœur de cet Histotainment. Faut-il respecter scrupuleusement l’histoire au risque de desservir la dramaturgie ? Dans les jeux vidéos de la série Assassin’s Creed, plongeant le joueur dans la lutte millénaire (et totalement fictive, of course) entre l’organisation des Assassins et celle des Templiers, l’histoire n’est finalement qu’un décor. Le rôle du chercheur est ici limité à celui de conseiller technique sur les décors, le matériel, les tenues des personnages. Mais ce qui compte véritablement dans cette série de jeux, c’est ce conflit entre deux organisations secrètes prenant place dans l’ombre de l’histoire qui, elle, permet toutes les inventions. On se souvient évidemment de la célèbre phrase de Dumas : ‘Il est possible de violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants’ (#rapeculture, bonjour).

Paradoxalement, c’est parfois même au cœur de cet Histotainment que peut jaillir, pour le spectateur, une information historique intéressante. Par exemple, la série télé Kaamelott, narrant de façon comique les tribulations souvent pathétiques d’un roi Arthur accompagné de son équipe de bras cassés de la table ronde, n’a jamais eu la prétention de faire dans l’historiquement exact (tu m’étonnes). Ceci n’empêche pas que deux épisodes entiers de la série (et parmi les plus drôles en plus !) soient consacrés à la théorie musicale médiévale ! Un sujet très pointu, donc, qui n’aurait guère intéressé une large audience s’il avait été présenté sous d’autres formats.

Au temps du Père Blaize La boîte à musique de Jean-François Zygel ça aurait été grave une émission de punks !

Mais en contrepoint des médias traditionnels (télévision et radio, films ou fictions télévisuelles, jeux vidéos), l’émergence d’Internet comme nouveau média de masse à la fin des années 1990 a de plus en plus largement favorisé de nouvelles formes de divertissement et de diffusion de la connaissance. Bon, on ne reviendra pas ici sur le cas des Digital Humanities, dont on a déjà longuement discuté sur le blog. On s’intéressera plutôt aux initiatives personnelles rendues possibles par les réseaux sociaux et les plateformes de vidéos en ligne telles Youtube.

A Generation Gap : réseaux sociaux et initiatives personnelles

Rossellini se consolant avec son chat après qu'ingrid Bergman lui ait dit qu'Hitchcock avait plus de sex appeal que lui (Crédits : Wikimédia Commons)
Rossellini briefant son chat avant de tourner une scène importante (Crédits : Wikimédia Commons)

Lors d’un récent colloque, on a entendu un conférencier demander « Qui a vu ce film de Rossellini ? ». Une seule personne a levé la main. Et le conférencier de continuer : « Je vois que les nouvelles générations ne connaissent pas l’histoire du cinéma » #mercipourcemoment. On serait bien tenté de faire pareil une prochaine fois avec une autre question : « Qui dans la salle a un compte Twitter ? ». A coup sûr ou presque – il y a toujours des exceptions – on pourra répondre  « Nous voyons que l’ancienne génération ne connaît pas bien les moyens de communication actuels » #PowPowPow. Certain.e.s diront sans doute qu’on force le trait, qu’on est méchant, boooh ! pas bien !!! Mais c’est évident !! Peut-être. Mais osons quand même le dire : celles et ceux qui occupent les postes d’académiques, les sièges dans des commissions de nomination, etc., ne sont pas toujours les plus au courant de ces moyens de communication entrés dans les mœurs des jeunes générations. Précisons toutefois le propos. On parle ici d’une situation très franco-centrée où le monde académique paraît encore avoir une large réticence à s’afficher sur les réseaux sociaux3. Regardez du côté du monde académique anglo-saxon et vous constaterez que la situation est totalement différente. Prenons un exemple récent. L’article « I’m a serious academic, not a professional Instagrammer » publié sur le site du Guardian en août dernier a fait grand bruit dans le monde académique anglais.

Ego-portraits au fil du temps... (Crédits : Wikimédia Commons)
Ego-portraits au fil du temps… (Crédits : Wikimédia Commons)

Un jeune doctorant y affirme qu’il ne comprend pas l’enthousiasme de certains de ses collègues pour les live tweet. Il conclue son propos en affirmant que les résultats qu’il obtient en labo doivent parler pour lui/eux et qu’il n’a pas à parader sur les réseaux sociaux… Le hashtag #seriousacademic a ensuite été repris par nombre d’universitaires anglais pour moquer les propos tenus dans cette tribune du Guardian.

Twitter est par essence un réseau horizontal invitant à l’interaction entre membres du réseau. Il est alors possible de l’envisager comme un lieu-surprise de pédagogie, voire d’interpellation du monde politique. La présence sur Twitter peut évidemment se doubler d’un site internet ou d’un blog. Citons pour mémoire l’importance que revêt le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) dont plusieurs membres ont publié des ouvrages consacrés à l’enseignement de l’histoire, aux enjeux politiques de l’histoire coloniale ainsi qu’à la façon dont Nicolas Sarkozy, alors président, écrit l’histoire.

Restons avec ce dernier exemple pour souligner l’importance de la plateforme Youtube qui reste – malheureusement dirions-nous – sous-exploitée par le monde académique. On voit déjà les réponses arriver : « Il faut disposer de connaissances techniques pour réaliser une vidéo ! », « J’ai pas le temps de rédiger un article de blog que d’aucuns considèreront comme un brouillon, alors une vidéo… ». Mais certains ont néanmoins compris les potentielles retombées de ce médium pour la diffusion des connaissances ou pour combattre les propos parfois idiots professés à la radio ou à la télévision par des personnages de haut rang. Prenons l’exemple d’Histony. Cette chaîne est alimentée par un jeune doctorant en histoire contemporaine (histoire internationale et de l’Atlantique) – très engagé politiquement de surcroît4 – qui se propose d’aborder des sujets brûlants comme la situation de l’université française ou les propos de Nicolas Sarkozy par rapport aux Gaulois. Pour cette vidéo concernant l’ancien président, Histony s’est appuyé sur le livre publié par le CVHU… La boucle est bouclée. Histony dispose également d’un blog où l’on peut retrouver les billets liés aux vidéos mises en ligne sur sa chaîne. Dans un autre style, on se doit de citer la chaîne Nota Bene où l’on y parle d’histoire à destination du grand public. Ici on n’a pas affaire à un chercheur qui s’est mis en tête d’avoir plus de boulot en rentrant à la maison. Le propos est abordable pour tout le monde, la présentation est léchée et plusieurs vidéos sont réalisées à la suite de questions envoyées par des internautes. Là où cela devient intéressant, c’est quand on réalise que Nota Bene compte 400 000 abonnés depuis ce mois d’octobre. Aucun.e historien.ne issu.e du monde académique ne peut envisager de toucher autant de personnes en une seule fois. Le créateur de la chaîne a d’ailleurs organisé en 2016, pour la seconde fois, un week-end dédié au moyen âge dans la forteresse de Montbazon. Résultat : plus de 2200 personnes au rendez-vous dans une localité qui compte 4000 habitants !

On se doit également de mentionner Manon Bril (doctorante en hitoire travaillant sur la perception de la déesse Athéna en France au 19e siècle) et sa chaîne  « C’est une autre histoire ». Le site Mademoizelle la présente même comme  « la fusion entre Natoo et Stéphane Bern ». Bon. Awkward. Passons là-dessus. Manon Bril aborde principalement les histoires que racontent des œuvres d’art au travers de la série de vidéos  « Tu vois le tableau ». De cette expérience sont nées plusieurs collaborations. L’une avec le magazine scientifique Mondes Sociaux – présent également sous forme de blog sur Hypothèsesof course !!! – au travers des vidéos « Avides de recherches » présentant le contenu d’un article/livre récemment publié par un.e chercheur/-euse. L’autre collaboration est celle effectuée avec le Musée d’Art et d’Histoire de Genève (MAH) qui a ainsi pu voir certaines de ses pièces mises en avant dans deux vidéos (ici et ). Preuve s’il en est que faire des vidéos ça permet de valoriser du contenu scientifique et le patrimoine !

Parmi les vidéastes parlant d’histoire en choisissant un format assez original, on pourra citer « On va faire cours » (où un prof de fac censé donner son cours sur l’histoire des tissus teints en Normandie finit toujours par plutôt parler des clichés de l’histoire au cinéma), ou encore Confessions d’histoire (soit quand les personnages historiques passent sans langue de bois dans un confessionnal digne d’une téléréalité).

À côté de ces exemples francophones, qui plus est limités au domaine de l’histoire (de l’art), il y a une multitude d’autres chaînes scientifiques au sens large qui méritent notre attention. En effet, elles obligent à s’interroger – en tant que chercheurs universitaires habitués aux canaux de communication classiques – sur la manière dont on peut diffuser les résultats d’une recherche. Crash Course  ou SciShow sont des exemples éloquents5. La chaîne Nerdwriter1 propose, quant à elle, des vidéos sur le cinéma, les SHS ou les sciences physiques. La vidéo analysant la façon dont Donald Trump répond aux questions qu’on lui pose est redoutable d’efficacité. Étonnement on ne compte aucun vidéaste belge – sauf erreur de notre part – qui proposerait un contenu identique aux chaînes mentionnées ci-dessus. Et Dieu sait pourtant que les chercheurs/-euses belges ont des choses à raconter, tant à propos de leurs recherches qu’au sujet de la situation de la recherche scientifique en Belgique. Lancer sa propre chaîne Youtube (ou même un simple blog) relève encore trop d’une initiative personnelle qui effraie sans doute nombre de chercheurs. Tant qu’on ne verra pas la plus-value que peuvent apporter ces moyens de communication pour la recherche scientifique, le monde académique perdra toujours plus ses liens avec le grand public au profit d’intellectuels/animateurs tout-terrain, prêts à occuper l’espace médiatique de leur panache et à distiller leur pensée prêt-à-porter.

The war on bullshit

Le passé, et particulièrement le moyen âge et le début des temps modernes n’ont pas toujours bonne presse dans les médias. Rares sont les films à les représenter positivement (cf. ici  et ici). La période médiévale est, dans l’imaginaire collectif et le langage courant, perçu comme l’antipode de la modernité, de la rationalité et du progrès (cf. cette saloperie de phrase qui est ‘On n’est plus au moyen âge’). Une image encore trop souvent mobilisée et qu’il convient évidemment de déconstruire (comme semble vouloir le faire la récente exposition ‘Quoi de neuf au Moyen Âge ?’).

Les cas de récupération de l’histoire par les hommes et les femmes politiques sont innombrables par les temps qui courent. On convoque l’histoire pour dire qu’il faut aller de l’avant, que ceux qui restent braqués sur le passé sont condamnés à rater le train du futur. Le fameux « sens de l’histoire » doit être suivi. Combien de fois n’a-t-il pas été mobilisé par les politiques pour dénoncer l’archaïsme des collègues du parti adverse ? L’exemple tiré du livre de campagne de Nicolas Sarkozy est à cet égard une réelle pépite. Ce genre de cas est parfois épinglé par la presse (pour autant que le livre ait bel et bien été lu par un journaliste) ou moqué sur le Net (cf. tweet de Gauthier Vaillant repris ci-dessus). La présence des chercheurs sur les réseaux sociaux tels que Twitter permet alors non seulement de diffuser ce type d’information et de soulever le problème, mais elle autorise aussi une réaction rapide et directe sans devoir passer par l’intermédiaire de la presse.

En clair, une question subsiste et elle est fondamentale. En tout cas pour nous. Les historien.nes ainsi que tous les autres chercheurs en SHS sont-ils/elles prêt.e.s à s’insurger dès que des propos complètement ahuris seront prononcés ou écrits par les quelconques champions de prophéties auto-réalisatrices ? Doit-on réellement passer son temps pendant un colloque à se demander si Mathilde Larrère a bien fait de répondre à Mr. Manuel Valls après ses propos sur Marianne et le burkini ? On peut ne pas être entièrement d’accord sur la forme (fallait-il tweeter « crétin » ? vaste question…), mais cela n’empêche pas d’apprécier la pertinence du propos dans sa déconstruction de la parole politique erronée. La présence des chercheurs/-euses sur les réseaux sociaux ne devrait pas se limiter à relayer les annonces de colloques, CFP et autres nouvelles publications.

À bien y réfléchir, l’un des meilleurs défenseurs de cette approche n’est peut-être pas quelqu’un du sérail académique, mais un comédien. Il s’agit de Jon Stewart. Le credo de l’ex-animateur star du Daily Show sur Comedy Central – animé aujourd’hui par Trevor Noah – se résume à l’obligation de mener une guerre constante contre la connerie (the war on bullshit)6

La connerie se détecte rapidement et la combattre peut d’ailleurs être un bon passe-temps pour celui/celle qui souhaite la dénoncer. La meilleure défense contre la connerie, selon Jon Stewart, reste la vigilance. Celle-ci nous invite à dénoncer toutes les fois où l’histoire est utilisée pour défendre une idéologie ou pour atteindre des objectifs politiques qui seraient incompatibles avec les fondements d’un État de droit démocratique. Jon Stewart le dit lui-même : If you smell something, say something. Il serait peut-être souhaitable que, dans le monde académique, cette recommandation soit davantage suivie car à quoi bon accumuler toutes ces connaissances, ces colloques, ces articles, ces livres, etc., si c’est pour finalement rester dans son coin et se plaindre, entre nous, que le dernier livre de Deutsch est un best-seller malgré tout le bullshit qu’il contient ?

Nicolas Simon (@nsmodernhist) et Quentin Verreycken (@QVerreycken)

Pour citer ce billet : Simon Verreycken, "Être historien(ne) à l’ère de l’infotainment", in ParenThèses, publié le 24/10/2016, URL: https://parenthese.hypotheses.org/1484 (consulté le 28/03/2017).

Crédits image « à la une » : Tertia Van Rensburg

  1. On conseillera la lecture de Musil Robert, De la bêtise, traduit de l’allemand par Matthieu Dumont et Arthur Lochmann, Paris, Editions Allia, 2015. Voir p. 17 : « (…) s’il peut être bête de se targuer de son intelligence, il n’est pas toujours judicieux de se faire une réputation d’imbécile. De cela, on ne peut rien généralisé ; ou plutôt, l’unique généralisation qui serait ici permise devrait consister à dire que le plus avisé dans ce monde est celui qui sait se faire aussi discret que possible ». []
  2. Kesteloot Ch., Médias. Du bon usage de l’historien…, dans Les Cahiers de la Fonderie, n°51, 2014, p. 19. []
  3. Pour rappel, on en parlait déjà dans un billet précédent sur le blogging scientifique en citant cette situation ‘cocasse’ d’un académique nous rétorquant qu’il n’avait pas le temps de lire les billets de blog car ils s’apparentent à des brouillons… et des brouillons, ça ne se lit pas. []
  4. Il est proche du vidéaste DanyCaligula, d’Usul et fait partie, à l’instar de ces deux autres vidéastes, du collectif “On vaut mieux que ça”. []
  5. Ces deux chaînes ont été créées par Hank et John Green, vidéastes et blogueurs acharnés, qui ont leur propre chaîne Youtube, Vlogbroters (plus de 2 000 000 millions d’abonnés sur cette seule chaîne). La chaîne SciShow compte 3 800 000 abonnés et Crash Course en a 4 900 000. []
  6. Voir notamment son intervention au Late Show de Stephen Colbert concernant la gymnastique intellectuelle de Sean Hannity, présentateur vedette de Fox News, dans son soutien envers Donald Trump. []

8 réflexions au sujet de « Être historien(ne) à l’ère de l’infotainment »

  1. Merci pour cet article très sympa.
    J’en profite pour formuler quelques questions qui me sont venues pendant la lecture :
    1° L’histoire, comme toutes sciences, demandent du temps. Par contre, est-ce que l’infotainment demande autant de temps ?
    2° P. Nora (dans son fameux article événement monstre) parlait que les événements étaient passés de l’histoire et l’intellectuel à l’immédiateté et l’émotion ; où se situe l’infotainment dans ce continuum (caricatural certes) ?
    3° Plus important encore (à mon sens), l’Histoire, comme toutes sciences, a ses précautions, ses codes, ses interdits, ses nécessités, etc. ; que sacrifie l’historien quand il fait de l’infotainment ? Et que gagne t-il à mette de côté sa manière de faire historienne ?

  2. Bonjour,

    En tant qu’historien (et moderniste de surcroit), je me faisais un plaisir de lire votre article ; en tant que rédacteur en chef adjoint de Mondes Sociaux, ce plaisir est double 😉

    Une précision : bien que Mondes Sociaux soit au format blog, il est avant tout un magazine scientifique. Pourriez-vous le préciser dans votre article svp ?

    Une question à propos de notre travail avec Manon Bril : à l’instar de son confrère au-dessus, pouvez-vous mentionner son statut de doctorante ?

    Enfin, une information : je suis l’un des 2 coordinateurs du projet Euchronie, projet visant à étudier les productions de contenus sur le passé autopubliées en ligne. Ça se passe ici et ça devrait entrer en résonance avec votre billet : euchronie.hypotheses.org

    Encore merci pour cette lecture stimulante,

    Bien à vous,

    Sébastien Poublanc

    1. Bonjour,

      Tout d’abord merci pour votre commentaire et vos remerciements. Cela fait toujours plaisir à lire.

      Pas de souci à préciser les deux éléments que vous soulevez. Ce sera fait sans faute.

      Concernant Euchronie, Quentin et moi-même avions pris connaissance du projet au moment de son lancement. On restera attentif au projet !

      Bien à vous,

      Nicolas Simon

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