Bouchardon, dessinateur de médailles

Au cœur de la très belle exposition constituée par le musée du Louvre sur ce glorieux sculpteur du règne de Louis XV que fut Edme Bouchardon (1698-1762), une sous-section est dédiée à l’investissement de l’artiste dans la fourniture de modèles de médailles et de jetons.

 

Bouchardon, plus connu comme sculpteur et dessinateur…

Charles-Nicolas Cochin écrivit de lui qu’il fut « le plus grand sculpteur et le meilleur dessinateur de son siècle ». Formé auprès de son père, architecte et sculpteur, qui l’engagea comme collaborateur sur ses chantiers de Haute-Marne, il gagna Paris en 1722 pour entrer dans l’atelier de Guillaume Ier Coustou. Il se présenta immédiatement au Grand Prix de Rome qu’il remporta en août 1722 et partit dans la « cité éternelle » dès juillet 1723. Son goût pour la statuaire antique le conduisit à copier en marbre le Faune Barberini et il passa une dizaine d’année à étudier les modèles par le dessin. Ses talents de portraitistes furent rapidement connus et suscitèrent plusieurs commandes comme les bustes du baron Philipp von Stosch (1727) ou du pape Clément XII (1731). Rappelé en 1732 par le directeur des bâtiments du Roi qui ne voyait pas d’un très bon œil que le talent de Bouchardon alimentât les collections de la société romaine, il fut admis à l’académie de Saint-Luc à son retour à Paris et reçut un atelier et un logement dans la cour carrée du Louvre. Investit sur les chantiers de Saint-Sulpice (1734-1738), du bassin de Neptune à Versailles en concevant la figure en plomb de Protée (1739), il est passé à la postérité pour avoir été l’ingénieux concepteur de la fontaine de Grenelle à Paris (1739-1745) ou pour avoir ponctué l’ancienne place Louis XV par une gigantesque statue équestre (1752-1763). Parmi toutes ces commandes statuaires, il ne cessa jamais son activité de dessinateur et, outre la suite des Cris de Paris gravée par Étienne Fessard, sa collaboration à de nombreux frontispices et vignettes d’ouvrages, il donna également des modèles pour la production numismatique.

… que donneur de modèles numismatiques

Cette facette d’un Bouchardon dessinateur de projets pour la médaille et le jeton a longuement été tue. Rien moins que le comte de Caylus, son premier biographe, omit de le spécifier, engageant l’historiographie à redécouvrir ce talent à la fin du XIXe siècle avec l’analyse de plusieurs fonds de dessins conservés par le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale[1] et par le musée monétaire[2].

Pourtant la date de la nomination de Bouchardon à la fonction de dessinateur de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres le 13 janvier 1737 est connue. Bouchardon succéda à Chaufournier par l’entremise du comte de Maurepas, secrétaire d’État à la Maison du Roi et à ce titre membre honoraire de l’Académie. Il conserva cette charge jusqu’à sa démission en 1762, quelque mois avant sa mort. Cette institution avait pour responsabilité la composition de l’histoire métallique royale en fournissant les descriptions iconographiques et en rédigeant notamment les inscriptions latines des médailles et les légendes françaises des jetons.

Bouchardon s’investit dans ce nouveau rôle en faisant preuve d’une grande inventivité afin de renouveler les motifs trop longtemps contraints par les conventions en vigueur dans la médaille. Les commissaires de l’exposition appuient d’ailleurs sur ce fait. Par le biais du modèle numismatique, Bouchardon aborda des sujets non traités dans le domaine de la sculpture comme le paysage. Un exemple symptomatique est présenté dans l’exposition avec le projet de jeton pour la Chambre aux Deniers, 1754[3]. La nature évoquée y est « riche et paisible » et c’est un commentaire du Mercure de France qui en donne la meilleure description : « Un Soleil qui darde ses rayons sur des montagnes riches d’arbres au sommet, et qui à leurs pieds découvrent des mines. ». Cette pleine introduction du paysage dans l’espace médaillistique est une surprise pour les historiens de la médaille dix-neuviémiste qui ont trop tendance à croire, après que la tradition a disparu sous le premier Empire, que l’initiative vient d’Antoine Bovy. Et bien non ! Elle le fut bien avant et de manière bien plus satisfaisante par la liberté avec laquelle Bouchardon traite les irrégularités des facettes rocheuses.

Plus engagé dans la conception de jetons servant aux différents corps constitués, puisque la chronologie de Bouchardon mentionne que de 1739 à 1758 il confectionna ceux de l’année en court[4], il nous apparaît que les jetons des bâtiments du Roi demeurent les plus ingénieux. Bouchardon a su y introduire le charme de l’enfant, une voie à laquelle l’étude numismatibouchardon-jeton-batimens-du-roy-1742que ne s’est pas encore assez intéressée pour comprendre le renouvellement iconographique que subit la médaille française du XVIIIe siècle. En témoigne, le génie porteur d’un fil à plomb qui est employé au droit du jeton légendé Idem Semper Honos, conçu en 1743, tandis qu’un groupe de petits facétieux s’attèlent à creuser les rudentures d’une colonne puis à tenter de la redresser, dans le jeton de l’an 1742.

Il est à noter que la signature de Bouchardon n’apparait jamais dans le champ de la médaille. Pourtant l’« invenit » ou le « delineavit » accompagnant son nom aurait pu l’être à côté du « fecit » des graveurs. Ce constat démontre que la division du travail dans le processus créatif de la médaille demeurait la norme à cette époque. Il témoigne également que le rôle de Bouchardon se cantonnait à la proposition de dessins qui ne furent pas tous pérennisés dans le bronze par ses contemporains graveurs. Ils sont nombreux à avoir travaillé à partir de ses modèles : Jean Leblanc, François Marteau, les frères Roettiers et peut-être le plus connu d’entre eux, Jean Duvivier.

La relation des deux artistes se cristallise autour d’un épisode que les numismates tiennent pour important dans l’écriture de l’histoire de leur art, tandis qu’il apparaît bien négligeable dans celle de la sculpture : la brouille nait du portrait de Louis XV. À ce titre, l’exposition présente un profil royal dessiné par Bouchardon à la sanguine puis fondu en bronze dans un médaillon commandé, en plus de celui du Dauphin, par le comte de Maurepas pour son château de Pontchartrain. Pour son établissement, le roi accorda, en décembre 1738, plusieurs séances de pose à Bouchardon qui lui permirent de capter les traits du souverain avec beaucoup de naturel. Ce portrait devait servir à établir un nouveau profil pour le droit des médailles et des jetons que composaient, de concert, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Bouchardon et Jean Duvivier, ce dernier transposant les compositions dans l’acier des coins. Or, depuis 1735 et la commande d’un profil dit « à la mèche » pour servir d’effigie aux monnaies françaises, le détenteur du privilège de graver en médailles le portrait du monarque était ce même Duvivier. La coopération artistique entre les deux artistes trouva là son point de rupture sans que l’on sache bien si la querelle résultait uniquement de cette soudaine revendication du graveur à conserver son avantage ou des reproches adressés par le dessinateur devant la retouche de chacun des modèles qu’il fournissait. Malheureusement dans l’exposition, ce portrait, tout comme la notice du catalogue, se trouvent dans la section précédant celle dédiée à la médaille. Qui plus est, les commissaires n’ont pas pensé qu’il aurait été intéressant de mettre en parallèle les deux profils royaux.

 

Une section que le public apprécie. Les amateurs de médailles resteront sur leur faim.

Précisément, cette section de l’exposition du Louvre présente huit dessins : six sont des projets de médailles ou jetons ; un, celui du Paysan semant, vu de dos, un dessin directement en rapport avec le projet de jeton pour les Parties Casuelles, 1757 ; enfin, une esquisse est placée en pendant de sa composition aboutie.

La muséographie sobre et la couleur lie de vin est très appréciable pour faire chanter les sanguines. Il est assez admirable de voir la cohérence et la qualité de ces œuvres que l’œil de l’historien de la médaille n’a pas coutume d’observer. Leur dimension, d’une vingtaine de centimètres de diamètre, est cinq fois plus grande que la composition finale prenant dans l’espace de la médaille. C’est tout un monde de détails que l’on se plait à observer et qui, bien malheureusement, disparaissent du champ métallique. Car, tout en tentant de suivre scrupuleusement la pensée du Bouchardon, le graveur la traita selon les possibilités de son art dans la médaille du Départ pour la campagne de Flandres et se vit ainsi contraint à diminuer le nombre d’étoiles figurant dans le drapeau que tient le soldat gaulois et à rigidifier les plis des drapés qui habillent les figures.

Seuls deux jetons sont exposés en parallèle des dessins, ce qui est peu. On aurait aimé en voir davantage, d’autant qu’il nous est apparu que la petitesse de ces objets appelle la curiosité du public. Il est en quelque sorte ludique de venir coller son nez sur la vitre pour les observer, et les parents peuvent devant eux retrouver leur rôle de pédagogue puisqu’ils n’auront d’autre choix que de porter leurs enfants à hauteur du jeton ; le dispositif étant trop haut pour les petites têtes blondes !

Ainsi, la présentation ne donne qu’une « idée » du rôle de Bouchardon dans la fourniture de modèles de médailles. Évidemment, vis-à-vis de la richesse productive de l’artiste et du nombre déjà conséquent d’œuvres que dévoilent cette exposition, il aurait été difficile pour le grand public de développer cette partie. Seuls les amateurs éclairés, les numismates et les spécialistes éprouvent quelques déceptions à ne pas y voir creuser la question de la véritable interaction de Bouchardon avec les graveurs en médailles de son époque.

 

Quelques palliatifs à la frustration numismatique

Le très beau catalogue qui s’entend détailler chaque œuvre présentée dans l’exposition par de riches notices et ouvrir la réflexion par quatre essais, est la première ressource vers laquelle se tourner pour tranquilliser ses interrogations.

Il faut surtout lire l’article d’Édouard Kopp (pp. 174-184) où les relations de Bouchardon avec l’Académie des Belles-Lettres y sont développées. Le processus créatif y est également détaillé : chacun des dessins devant être approuvés par le secrétaire perpétuel puis transmis au directeur de la Monnaie. Néanmoins, on en achève la lecture en se disant que le « Bouchardon, dessinateur de médailles », mériterait une étude approfondie. Jamais la question de savoir s’il a réussi à faire pénétrer dans la médaille les « sévérités de l’antique » et les « grâces du naturel », selon les termes de Michel-François Dandré-Bardon, n’est posée. De plus, Édouard Kopp clôt sa réflexion, page 177, sur une réflexion majeure pour l’histoire de l’art de la médaille : « En concevant et en dessinant les médailles et les jetons clairement comme des bas-reliefs et non comme des tableaux, [Bouchardon] transforma la fonction de dessinateur, qui serait désormais accordée à des sculpteurs ». On attend donc avec impatience sa prochaine parution, prévue pour 2017, qui s’intitule The Learned Draftman : Edme Bouchardon.

Enfin, pour abreuver la curiosité, on renvoie au catalogue des dessins de la production médaillistique et jetonnière du règne de Louis XV, mis en ligne par le musée de la Monnaie de Paris[5]. Et comme la majorité de ces sanguines sont d’après Bouchardon, on conseille la (re)lecture de l’article de Fernand Mazerolle car son l’analyse fait encore à ce jour autorité.

 

Bouchardon (1698-1762). Une idée du beau.

Paris, Musée du Louvre, du 14 septembre au 5 décembre 2016.

Commissaires : Guilhem Scherf, Juliette Trey, Anne-Lise Desmas, Édouard Kopp.

Catalogue d’exposition : Collectif, Edme Bouchardon (1698 – 1762). Une idée du beau, Paris : musée du Louvre éditions / Somogy, 2016, 448 p., 49 €. ISBN : 9782757210697.

 

[1] H. Bouchot, « Bouchardon dessinateur en médailles », L’Art, n° 32, 1883, pp. 214-217. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1055776n/f266.item)

[2] Fernand Mazerolle, Les dessins de médailles et de jetons attribués au sculpteur Edme Bouchardon, Paris : Typographie de E. Plon, Nourrit et Cie, 1898. (http://www.archivesmonetaires.org/bibliotheque/bouchardon.pdf)

[3] Sanguine sur papier vergé, Musée d’art et d’histoire de Chaumont, inv. 2004.2.6. Dessin mis en relation avec un exemplaire de jeton, frappé en argent, Musée d’art et d’histoire de Chaumont, inv. 96.2.78.

[4] pp. 410 à 419 du catalogue d’exposition.

[5] http://www.archivesmonetaires.org/bouchardon/bouchardon.htm

Pour citer ce billet : Katia Schaal, "Bouchardon, dessinateur de médailles", publié dans le carnet de recherche Au revers de la médaille, le 28/10/2016, https://medaille.hypotheses.org/89.

1 réflexion sur « Bouchardon, dessinateur de médailles »

  1. Équipe hypotheses.org

    Chère carnetière, cher carnetier,
    Nous avons particulièrement apprécié votre billet. Pour que la communauté puisse plus aisément le découvrir, nous avons décidé de le mettre en Une d’Hypothèses.
    Bien cordialement,
    L’équipe d’Hypotheses.org

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