Du réseau au récit… Une analyse diachronique des rues de Beauvais (Picardie)

Ces dernières années, le nombre d’outils permettant d’analyser des réseaux spatiaux au moyen de SIG a augmenté. Ceci a notamment engendré la multiplication de travaux ayant pour objet l’analyse des réseaux de rues, et leur comparaison tant spatiale que temporelle. En général, les comparaisons temporelles visent soit à mettre en lien usage du sol et configuration du réseau (Psarra, Kickert, et Pluviano 2013; Vaughan, Dhanani, et Griffiths 2013), soit à mettre en lien ces configurations avec des phénomènes connus tels la densification (Barthelemy et al. 2013), l’étalement urbain (Gudmundsson et Mohajeri 2013), ou encore la croissance et le renforcement de structures préexistantes (Strano et al. 2012).

Le travail présenté ici s’inscrit dans cette lignée, puisqu’il vise à mettre en lien la configuration du réseau de rues (sa forme) avec l’ensemble des processus de formation/ transformation d’une ville. Pour ce faire, la forme du réseau est étudiée, puis comparée de manière diachronique sur le temps long. On recherche ensuite des changements dans ces formes, changements qui sont enfin mis en relation avec des facteurs explicatifs, soit en introduisant les processus urbains en cours, soit en faisant appel au contexte (socio-économique, politique, …) du moment.

Cette méthodologie a été appliquée à la ville de Beauvais (en Picardie), sur trois dates : 1849, 1888 et 1960. Ici, un indicateur assez simple a été choisi : la largeur des rues. Une fois cette variable calculée pour les trois dates, nous avons établi des classes de largeur, puis cumulé les longueurs des rues comprises dans chaque classe de largeur. La distribution (longueur ; largeur) obtenue a ensuite été comparée à une loi de puissance inverse (cf. graphiques), qui correspond à un modèle très hiérarchisé, avec un très grand nombre de ruelles étroites, un nombre moyen de rue moyennement larges, et un très petit nombre de rues larges. L’objectif ici était d’obtenir pour chaque date un indicateur d’écart à cette loi, ce qui permettait de comparer plus facilement les trois distributions, et d’observer des changements.

Histogramme représentant, pour chaque catégorie de largeur, le linéaire des rues de 1849 (en bleu) et la distribution suggérée par une loi de puissance inverse (en rouge) Indicateur d’écart : 0,22. (Hachi, 2014).

Histogramme représentant, pour chaque catégorie de largeur, le linéaire des rues de 1849 (en bleu) et la distribution suggérée par une loi de puissance inverse (en rouge) Indicateur d’écart : 0,22. (Hachi, 2014).

Plan de la ville de Beauvais en 1871

Les résultats ont permis de révéler la proximité entre la distribution de 1849 et la loi de puissance inverse (graphique ci-dessus), chose qui indique que les largeurs de rues étaient très hiérarchisées durant cette période, avec un très grand nombre de rues étroites (de 1 à 7 m) et peu de rues larges.

capture-decran-2016-11-29-a-23-07-10histogramme_1888

Histogramme représentant, pour chaque catégorie de largeur, le linéaire des rues de 1960 (en bleu) et la distribution suggérée par une loi de puissance inverse (en rouge) Indicateur d’écart : 9,69. (Hachi, 2014).

Histogramme représentant, pour chaque catégorie de largeur, le linéaire des rues de 1960 (en bleu) et la distribution suggérée par une loi de puissance inverse (en rouge) Indicateur d’écart : 9,69. (Hachi, 2014).

Photographie de Beauvais après la reconstruction (alain.tairnaite.free.fr)

Photographie de Beauvais vers 1960 (alain.tairnaite.free.fr)

En 1888, la distribution s’éloigne d’une loi de puissance inverse, mais l’indicateur d’écart reste faible. En 1960, la distribution s’éloigne encore plus de la loi de puissance, ce qui confirme l’émergence d’un nouveau modèle. Cette comparaison semble révéler deux types de changements, un premier relativement faible entre 1849 et 1888, puis un changement plus important en 1960.

Beauvais, vue aérienne prise par M. Lecointre, M. Serre pilote

Beauvais, vue aérienne prise par M. Lecointre, M. Serre pilote, 1948.

Le contexte historique de Beauvais fournit des hypothèses d’explication à ces phénomènes. La tardive industrialisation de la ville à la fin du XIXe siècle n’a engendré que de faibles changements dans son tissu urbain, resté très marqué par son centre médiéval. Mais en 1945, ce dernier est presque entièrement détruit lors d’un incendie, et la reconstruction opérée jusqu’en 1960 est alors l’occasion de « moderniser » le tissu, et d’élargir les rues pour permettre le passage des automobiles.

Cet exemple illustre l’apport que peut constituer l’étude des caractéristiques spatiales des réseaux de rues dans l’identification de différents types de changements, plus ou moins impactants, qui affectent les tissus urbains. Une étude plus complète, sur un temps plus long et avec divers indicateurs (topologiques en particulier) devrait nous permettre de révéler des régularités dans la manière dont interagissent ces réseaux spatiaux avec les processus de formation/ transformation de la ville.

 

Références :

  • Barthelemy, Marc, Patricia Bordin, Henri Berestycki, et Maurizio Gribaudi. 2013. « Self-organization versus top-down planning in the evolution of a city ». Scientific reports http://www.nature.com/srep/2013/130708/srep02153/full/srep02153.html?WT.ec_id=SREP-639-20130801.
  • Gudmundsson, Agust, et Nahid Mohajeri. 2013. « Entropy and order in urban street networks ». Scientific Reports 3 (novembre). doi:10.1038/srep03324.
  • Psarra, Sophia, Conrad Kickert, et Amanda Pluviano. 2013. « Paradigm lost: Industrial and post-industrial Detroit–An analysis of the street network and its social and economic dimensions from 1796 to the present ». Urban Design International 18 (4): 257–281.
  • Strano, Emanuele, Vincenzo Nicosia, Vito Latora, Sergio Porta, et Marc Barthélemy. 2012. « Elementary processes governing the evolution of road networks ». Scientific Reports 2 (mars). doi:10.1038/srep00296.
  • Vaughan, L. S., Ashley Dhanani, et Sam Griffiths. 2013. « Beyond the suburban high street cliché-A study of adaptation to change in London’s street network: 1880-2013 ». Journal of Space Syntax 4 (2): 221–241.

 

 


Ryma Hachi

Ryma Hachi est doctorante à l’UMR Géographie-cités depuis Octobre 2014, sous la direction de Lena Sanders. Architecte et historienne de formation, sa thèse porte sur l’apport de l’analyse morphologique diachronique en histoire urbaine. Elle vise plus particulièrement à révéler, grâce à des outils tels que la théorie des graphes, les processus de formation et de transformation des formes urbaines.

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A propos Ryma Hachi

Ryma Hachi est doctorante à l’UMR Géographie-cités depuis Octobre 2014, sous la direction de Lena Sanders. Architecte et historienne de formation, sa thèse porte sur l’apport de l’analyse morphologique diachronique en histoire urbaine. Elle vise plus particulièrement à révéler, grâce à des outils tels que la théorie des graphes, les processus de formation et de transformation des formes urbaines.

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