Le Recueil de pièces sur le théâtre. 1600-1840. Collection Destailleur (Réserve TB-1(+)-Ft 5). Le déclencheur au Catalogue de dessins relatifs à l’histoire du théâtre

Le Recueil de pièces sur le théâtre. 1600-1840. Collection Destailleur (Réserve TB-1 + Ft 5) contient 78 dessins1 sur les 283 issus de la vente de la collection de Hippolyte Destailleur, et acquis par la BnF en décembre 1889. Les 283 sont répartis entre ce recueil et deux autres volumes également conservés à la Réserve du département des Estampes (Réserve TB-1+ (1) et (2)). Le Réserve TB-1 + est un grand in-folio sur reliure mobile. En dépit de l’unité thématique du recueil, le théâtre, les pièces qui s’y trouvent sont hétéroclites : dessins et gravures, esquisses à la sanguine et projets détaillés et délicats réalisés à la plume et rehaussés d’aquarelle, ou encore plans de décors et vue d’intérieurs de salles de théâtre et portraits de comédiens ou de personnages de la Commedia dell’Arte s’y côtoient.

Les dessins et estampes sont classés par ordre chronologique, sans distinction de sujet ou de technique. Des estampes d’après Jacques Callot réalisées à l’eau-forte représentant Cap-Zerbino et Scapino, personnages de la Comédie Italienne, ouvrent le défilé, que les portraits de comédiens de la Comédie française réalisés par Alexandre Lacauchie et Eustache Lorsay clôturent. Entre les deux, trois siècles d’histoire de la « théâtralité » sont condensés et cristallisés dans ces images.

Entre art du portrait et portrait d’un art et de son évolution au fil des siècles, certaines pièces, par leur facture ou leur statut de « témoignage  » parfois idéalisé d’événements précis, offrent une entrée au sein d’un spectacle : celui de la vie théâtrale voire de la théâtralité d’une époque dans son rapport aux arts du spectacle.

En premier lieu, les spectacles du XVIIe siècle nous sont parvenus par les traces imprimées que sont leurs livrets. Promouvant les fastes de la vie de cour, ils sont incontournables pour évoquer les grandes heures de l’opéra baroque. Ce recueil contient 8 copies ou dessins préparatoires à des frontispices de livrets originaux pour divers opéras ou tragédies, réalisés par (ou d’après) Jean Berain.

Frontispice de livret : Le trébouchement de Phaëton, d'après Jacques Lepautre ou Jean Berain, 1683, Dessin à la plume et lavis à l'encre de Chine ; 64,3 x 46,5 cm (f.)
Frontispice de livret : Le trébouchement de Phaëton, d’après Jacques Lepautre ou Jean Berain, 1683, Dessin à la plume et lavis à l’encre de Chine ; 64,3 x 46,5 cm (f.)

Réalisées à la plume et lavis à l’encre de Chine, ces grandes feuilles d’environ 56 x 47 cm en moyenne sont un exemple des mécanismes de diffusion ou de réalisation des livrets et des spectacles à cette époque. Dépassant de beaucoup la taille des livrets imprimés, ces dessins présentent un cartouche vide qui contiendra (ou contenait) le titre et le nom de l’auteur de l’œuvre en question. Ouvrant le livret qui servait à immortaliser la représentation, ces images qui reprenaient généralement une scène marquante de l‘œuvre dont elles illustraient le livret offraient alors à la fois les prémices et une entrée dans ce règne de l’illusion qu’est l’univers théâtral. Pour nous qui les regardons de si loin, elles constituent des traces de ces univers éphémères et révolus dont la facture augmente l’attrait.

Cette même magnificence émane également de deux dessins de décor pour un opéra datant du XVIIIe siècle, attribué à Charles de Wailly et Louis Félix de La Rue.

Charles de Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d'Armide à l'acte V d' "Armide" par Lully et Quinault, 1760, Dessin à la plume et à l'encre de Chine et lavis bistre ; 53,7 x 67,5 cm (f.)
Charles de Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d’Armide à l’acte V d’ « Armide » par Lully et Quinault, 1760, Dessin à la plume et à l’encre de Chine et lavis bistre ; 53,7 x 67,5 cm (f.)

Réalisés à la plume à l’encre de Chine et au lavis bistre, ils figurent un projet de décor pour le palais enchanté de la magicienne Armide à l’acte V d’Armide (1686), tragédie lyrique en musique par Jean-Baptiste Lully sur un livret de Quinault. Probablement pensé pour une représentation de l’opéra datée de 1760, ce décor bénéficie de l’éclat mordoré du lavis bistre qui installe immédiatement une atmosphère de « enchantée », que redouble le foisonnement de détails ornant l’architecture feinte de colonnes torsadées très courantes dans les décors de spectacle de ce siècle.

Charles de Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d'Armide à l'acte V de l'opéra "Armide" par Lully et Quinault, 1760 ou 1779, Dessin à la plume et à l'encre de Chine et lavis bistre ; 35 x 49,7 cm (f.)
Charles de Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d’Armide à l’acte V de l’opéra « Armide » par Lully et Quinault, 1760 ou 1779, Dessin à la plume et à l’encre de Chine et lavis bistre ; 35 x 49,7 cm (f.)

La richesse du décor et la profusion ornementale merveilleusement rendues par l’association de la technique de la plume et du lavis et sur lesquelles la perspective focalise le regard font de ces deux feuilles des petits chef-d’œuvre de dessin au service de l’art de l’opéra.

Aucun spectacle ne pouvant exister sans un lieu où se déployer et des personnes pour le regarder ou l’incarner, le Recueil de pièces sur le théâtre inclus également certains plans ou vues de salle avec ses spectateurs. Tel est le cas de 4 dessins attribués à Nicolas Marie Potain, architecte français qui fut le proche collaborateur d’Ange-Jacques Gabriel au service des Bâtiments du roi.

PROJET DE SALLE DE SPECTACLE POUR FONTAINEBLEAU : COUPE SUR LA LONGUEUR DE LA SALLE ET DU THEÂTRE : A Fontainebleau, ce 16 mars 1778 / M. Potain, 1778, Dessin à la plume et à l'encre de Chine et à l'aquarelle ; 38,4 x 59,4 cm (f.) et COUPE SUR LA LARGEUR DE L'AVANT-SCENE : A Fontainebleau, ce 16 mars 1778 / M. Potain, 1778, Dessin à la plume et à l'encre de Chine et à l'aquarelle ; 36,3 x 58,9 cm (f.)
PROJET DE SALLE DE SPECTACLE POUR FONTAINEBLEAU : COUPE SUR LA LONGUEUR DE LA SALLE ET DU THEÂTRE : A Fontainebleau, ce 16 mars 1778 / M. Potain, 1778, Dessin à la plume et à l’encre de Chine et à l’aquarelle ; 38,4 x 59,4 cm (f.)
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COUPE SUR LA LARGEUR DE L’AVANT-SCENE : A Fontainebleau, ce 16 mars 1778 / M. Potain, 1778, Dessin à la plume et à l’encre de Chine et à l’aquarelle ; 36,3 x 58,9 cm (f.)

Présentant deux coupes en largeur, une coupe en longueur et une élévation, il s’agit d’un projet pour une salle de spectacle à Fontainebleau. Le respect des techniques et conventions du dessin d’architecture s’associe à une délicatesse du trait et des teintes ce qui confère à cet ensemble un intérêt certain pour l’histoire des lieux de spectacle.

À l’opposé, les vues de théâtre se présentent comme un observatoire de la vie sociale au théâtre concernant les normes comportementales.

Intérieur d'une salle de spectacle du XVIIIe siècle lors de l'entracte, de Bully (?), XVIIIe siècle, Dessin à la plume et à l'aquarelle ; 60,6 x 80,3 cm (f.)
Intérieur d’une salle de spectacle du XVIIIe siècle lors de l’entracte, de Bully (?), XVIIIe siècle, Dessin à la plume et à l’aquarelle ; 60,6 x 80,3 cm (f.)

Entre scènes de genre idéalisées et témoignages d’habitudes de la sociabilité, ces images sont, pour l’œil curieux du regardeur actuel, autant de fenêtres ouvertes sur un art de vivre en société révolu voire oublié. La mise en couleurs et l’attention portée aux détails parfois cocasses ravivent d’un semblant d’immédiateté ces condensés de petites saynètes qui auraient pu rester sans vie sans le talent des artistes qui les ont immortalisées. Enfin, si certaines retournent vers le voyeur son propre regard pour mettre en abime sa position de spectateur, sous couvert de relater des faits historiques et d’actualité, d’autres permettent d’apprécier la place dans la vie quotidienne et le statut du théâtre en tant qu’édifice. Ainsi parcourir les ruines du théâtre de Lisbonne miné par un séisme constitue presque un pèlerinage dans le sanctuaire voué au culte de la Culture.

Jacques-Philippe Le Bas, "Casa da opera" / "Sale de l'Opera" : Avec Privilege du Roy / Jac. Ph. Le Bas sculpt. 1757, Vue de la Casa da opéra après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, 1758, Gravure à l'eau-forte (?) ; 32,8 x 40,2 cm (f.)
Jacques-Philippe Le Bas, « Casa da opera » / « Sale de l’Opera » : Avec Privilege du Roy / Jac. Ph. Le Bas sculpt. 1757, Vue de la Casa da opéra après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, 1758, Gravure à l’eau-forte (?) ; 32,8 x 40,2 cm (f.)

Finalement, ce sont tous ces acteurs, professionnels ou métaphoriques, qui sont la sève de l’Histoire du Théâtre. Le Recueil de pièces sur le théâtre renferme également la trace de ceux qui amènent ces univers à la vie. Outre les spectateurs qui animent certaines scènes, les vedettes de ce jeu d’images sont bien les comédiens et acteurs parfois oubliés mais dont la renommée transparait à travers ces dessins et estampes. Les estampes d’acteurs dans leur rôle le plus marquant sont paradigmatiques de cet engouement pour la mise en scène de soi et la reconnaissance progressive du statut de comédien entre les XVIIIe et XIXe siècles. Généralement tirées d’un tableau préexistant auquel est ajouté un poème élogieux, elles diffusent une image autant qu’un prestige rattachés à la profession. Ainsi de l’estampe représentant mademoiselle Duclos (Marie-Anne Châteauneuf, dite) jouant le rôle d’Ariane dans la pièce éponyme de Thomas Corneille. Cette pose théâtrale contraste avec les petits portraits délicats de comédiens du XIXe siècle par Alexandre Lacauchie et Eustache Lorsay.

portrait de Madame Duclos dans le rôle d'Ariane et huitain : Qui mieux que toy, Duclos actrice inimitable / De ton art connoist les beautés, N. de Larguillière pinx. / L. Desplaces Sculp. , 1714, Gravure à l'eau-forte (?) ; 60,4 x 44,7 cm (f.)
Portrait de Madame Duclos dans le rôle d’Ariane et huitain : Qui mieux que toy, Duclos actrice inimitable / De ton art connoist les beautés, N. de Larguillière pinx. / L. Desplaces Sculp. , 1714, Gravure à l’eau-forte (?) ; 60,4 x 44,7 cm (f.)
Portrait de l'actrice française Françoise-Joséphine Anselme Baptiste dite Madame Desmousseaux, A. Lacauchie, 1841, Dessin à la mine de plomb ; 24,3 x 16 cm (f.)
Portrait de l’actrice française Françoise-Joséphine Anselme Baptiste dite Madame Desmousseaux, A. Lacauchie, 1841, Dessin à la mine de plomb ; 24,3 x 16 cm (f.)

 

Pourtant, tous ces portraits conclusifs ont un point et une mission communs qui constitue bien l’unité thématique de ce recueil : faire l’éloge et la gloire du théâtre et de ses comédiens pour faire passer leur nom à la postérité en les inscrivant au firmament des étoiles … Henri Bouchot l’avait bien compris.

  1. Numéros Bouchot 354-370, 375-383, 413-427, 434-447, 450-451 []

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