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Dossier : Éducations autochtones contemporaines

Les familles, l’école et le quechua. Vers une nouvelle réception de l’éducation interculturelle bilingue dans les Andes péruviennes ?

Families, School and Quechua. Toward a New Reception of Intercultural Bilingual Education in the Peruvian Andes?
Raphaël Colliaux
p. 84-100

Résumés

Depuis une vingtaine d’années au Pérou, la réforme d’Education Interculturelle Bilingue (EIB) tente d’intégrer les langues natives dans les salles de classe, en plus de l’espagnol. Longtemps en effet, l’école a été instrumentalisée pour imposer l’espagnol comme langue dominante, et pour reproduire l’autorité des élites citadines et lettrées. À partir d’une recherche de terrain menée dans trois écoles bilingues (quechua et espagnol) du département de Cuzco (région andine), cette étude montre dans quelle mesure la réforme a influencé les attentes et les pratiques scolaires des familles. L’évolution des demandes et des pratiques scolaires des familles permet de mieux saisir la place que ces populations autochtones s’attribuent dans l’espace social et politique.

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Notes de l’auteur

Je remercie Amélie Aubert, Stéphanie Rousseau, Odile Tankéré ainsi que le comité de lecture des CRES pour leurs corrections et critiques.

Texte intégral

  • 2  Les autochtones représentaient 54,9 % de la population péruvienne en 1876 et 41,9 % en 1940 (Goote (...)

1Au long du XXe siècle au Pérou, les projets d’assimilation culturelle et économique des populations autochtones sont à l’origine de nombreuses politiques scolaires et linguistiques (Larson, 2008). Ce traitement de la “question indigène” opéré par les élites d’origine européenne est, parallèlement, le moment d’une mutation du racisme à l’égard de ces populations2. Désormais, l’« amélioration » des indigènes doit passer par leur progression spirituelle, d’ordre moral et culturel, et non plus par leur métissage biologique (De la Cadena, 2000). Ce déplacement discursif vers un racisme sans “race” a conféré à l’institution scolaire et aux pratiques d’hispanisation systématiques une fonction politique essentielle, qui a contribué à renouveler les rapports de domination entre les autochtones et les élites.

  • 3  Association interethnique de développement de la Selva péruvienne, AIDESEP. En 1985, l’AIDESEP cré (...)
  • 4  Un mouvement de reconnaissance de la “diversité culturelle” que l’on observe dans bon nombre de pa (...)

2Toutefois, dans le but d’améliorer leur statut social et politique, l’école assimilationniste est largement réinvestie par les communautés rurales (Oliart, 2011). Dans la première moitié du XXsiècle, les établissements scolaires se multiplient dans les Andes péruviennes. On passe de 5 000 écoles en 1940, à 20 000 en 1960, souvent construites à l’initiative des communautés elles-mêmes (Uccelli, 2007 : 41). Au cours des années 1970 et 1980 ensuite, différents mouvements autochtones œuvrent pour la redéfinition des pratiques scolaires nationales, en défendant notamment l’emploi des langues natives à l’école (López & Küper, 2000 : 24). On peut souligner le travail de l’AIDESEP3 en Amazonie, qui aura un impact sur les mouvements andins. Ces revendications trouveront un écho dans les années 1990, dans le cadre d’une politique globale sur la langue et la culture4.

3Les programmes scolaires sont alors réformés autour d’une éducation interculturelle bilingue (EIB) (Vigil, 2004 ; Trapnell, 2008). L’objectif pédagogique est d’initier l’enseignement de la lecture et de l’écriture dans la langue maternelle des enfants. L’espagnol est ensuite introduit dans la classe, mais de façon progressive et pour consolider des bases déjà acquises (Godenzzi, 1996 ; Zúñiga, 2000 ; Howard, 2007 ; Howard, 2008). Un des enjeux de l’EIB, au Pérou comme dans les autres pays qui mettent en place des mesures similaires, est de “réconcilier” les familles avec l’école (Salaün, 2012 : 194), ce qui revient à reconnaître que leurs rapports sont profondément problématiques. 

  • 5  María Elena García a écrit un livre (2005) sur ce thème précisément.
  • 6  Marie Salaün observe des réactions similaires dans les familles tahitiennes, au moment de l’introd (...)

4Si l’EIB est plébiscitée par les mouvements politiques autochtones, l’accueil des familles sera néanmoins plus réservé tout au long des années 19905. Pour l’expliquer, on a souvent invoqué le poids du racisme sur l’imaginaire familial, et le fait que la réussite scolaire soit étroitement associée à l’apprentissage de l’espagnol par les familles6 : « Pour progresser, disent-elles souvent, il faut étudier, aller à la ville, et oublier le quechua » (Ansión, 2008 : 68). Perspective qui anima en bonne partie l’engouement pour l’école hispanisante des années 1940 à 1970.

  • 7  Parmi les 108 270 élèves autochtones du département de Cuzco, 72 100 recevaient une éducation bili (...)
  • 8  Pour une comparaison internationale des impacts positifs de l’éducation interculturelle bilingue, (...)

5Une nouvelle décennie plus tard, il est nécessaire de re-questionner l’impact des projets interculturels bilingues sur les perspectives des familles. D’une part, les écoles EIB se sont considérablement implantées, au cours des années 2000. Après avoir longtemps été des exceptions dans le département de Cuzco, elles représentaient, en 2007, près de 40 % des établissements7 (Vásquez et al., 2009 : 112). D’autre part, des études quantitatives ont montré que l’enseignement bilingue a largement amélioré les résultats scolaires, et généré une plus grande participation des parents dans la scolarité de leurs enfants (Zavala, 2007)8.

6À partir d’une étude qualitative menée dans trois communautés quechuaphones concernées par la réforme EIB, nous nous intéresserons aux changements de perception des parents au sujet du bilinguisme à l’école. Les générations antérieures ont en effet grandi avec un modèle scolaire exclusivement centré sur l’espagnol, la langue du progrès social. Elles se montrent sceptiques, voire inquiètes, lors de l’apparition des premiers enseignements bilingues (García, 2005). Les interviews que nous présentons ici montrent une évolution : l’école bilingue est aujourd’hui plébiscitée et symbolise la mobilité sociale.

  • 9  Il faut noter que les entretiens ont été enregistrés en espagnol, qui n’est pas la langue maternel (...)

7Ces enquêtes ont été réalisées dans trois communautés du département de Cuzco. La communauté de Ttatañay (district de Pucuyra) est située dans la province d’Anta. Les communautés de Pallpa Pallpa (district de Quinota) et d’Uscamarca (district de Santo Tomás) se trouvent dans la province de Chumbivilcas, au sud-ouest du département. Une trentaine d’entretiens ont été réalisés en espagnol avec des parents dont les enfants sont scolarisés dans des écoles interculturelles bilingues. Huit témoignages sont utilisés ici ; ceux de trois mères et de cinq pères9.

8Suivant l’hypothèse de Zavala (2007) selon laquelle l’EIB transforme les perspectives des familles vis-à-vis de l’école, nous avons choisi de porter notre intérêt sur des personnes directement concernées par la réforme interculturelle bilingue. En comparant nos résultats avec des études plus anciennes qui interrogent des familles quechuaphones encore étrangères à l’éducation interculturelle, on mettra en lumière certaines évolutions dans les usages de l’école.

Faire entrer le quechua à l’école

9Dans cette première partie, nous reviendrons sur la question de la dévalorisation du quechua dans le champ social. Face à l’espagnol, cette langue représente un handicap social et identitaire important (la pauvreté, la ruralité et l’indigénéité). Néanmoins, on s’aperçoit que le quechua est désormais valorisé, car il participe à la pratique d’un bilinguisme que les parents associent fortement à la mobilité sociale.

Légitimer l’usage du quechua

  • 10  Un recensement de 2007 parle de 3 360 300 locuteurs quechua au Pérou. Dans le département de Cuzco (...)

10Pour illustrer la persistance de la discrimination envers les autochtones, on évoque souvent le rapport de la Commission de la Vérité et de la réconciliation, écrit au lendemain de la guerre civile (1980-2000). Le rapport explique que 75 % des victimes du conflit armé avaient pour langue maternelle le quechua, alors que les quechuaphones représentent moins d’un cinquième de la population péruvienne10 (CVR, 2004 : 22-23). À cette manifestation extrême du racisme, s’ajoute une forme de subordination symbolique qui fait que, comme le note le sociologue Juan Ansión, « le quechua, la langue originelle la plus diffusée, est à la fois reconnu symboliquement, et relégué aux espaces familiaux, car considéré comme peu digne de l’espace public, de l’école et de la culture » (2008 : 70).

11Pourtant, à l’encontre des nombreux textes qui expliquent un rejet du quechua corrélatif à sa faible valeur sociale, tous nos informateurs démontrent un attachement significatif pour leur langue maternelle. Un père d’élève de 40 ans, de la communauté de Ttatañay (province d’Anta), s’indigne par exemple du sentiment d’infériorité que certains peuvent ressentir lorsqu’ils parlent quechua : « Nos mères ont toujours parlé quechua, alors comment peux-tu avoir honte ? » explique-t-il.

12Il ajoute : « Je suis né ainsi et ma mère aussi ». Le fait d’être né « ainsi », c’est-à-dire avec le quechua, justifie l’emploi continu de cette langue. Il devient alors normal de la parler, et même, il faut la parler. On note l’importance accordée à la transmission filiale de la langue, point récurrent dans l’ensemble des témoignages. Une mère d’élève de 35 ans, de la province de Chumbivilcas, justifie par exemple l’usage du quechua à l’école parce que « déjà du temps des Incas, nous parlions quechua, alors, nous continuons à le parler ».

13En soulignant une continuité historique avec les générations passées, les interviewés légitiment la langue, renforcent le sentiment d’appartenance collectif à une civilisation prestigieuse et maintiennent une cohérence interne au groupe. L’anthropologue Ramón Pajuelo a d’ailleurs souligné que l’appropriation des référents historiques autochtones, en particuliers ceux de l’histoire précoloniale, est aujourd’hui l’un des éléments centraux pour la formation des mouvements politiques indigènes dans les Andes (2007).

Appartenance de classe et école bilingue

14Un autre élément essentiel pour légitimer l’usage de la langue native est le bilinguisme, qui consiste à employer alternativement l’espagnol et le quechua selon les besoins de l’échange et des contextes sociaux traversés. Un bilinguisme qui prend parfois la forme d’une injonction dans la bouche des parents d’élèves : « c’est essentiel de parler quechua et espagnol », ou encore « tu dois parler les deux ! ». C’est dans ces conditions que le quechua devient aussi nécessaire et légitime que l’espagnol. Le bilinguisme est autant l’outil que le symbole d’un usage normalisé du quechua.

15Plus encore, les entretiens montrent que l’école est associée à une forte attente de mobilité sociale du fait même de son bilinguisme. Dans les discours recueillis, il n’y a pas d’antinomies dans le fait de parler le quechua, d’être un « fils de pauvre », et d’évoluer dans différentes trajectoires socioprofessionnelles. Le père d’élève Ttatañay cité plus haut soutient par exemple qu’il est « normal » qu’un diplômé (un « professionnel ») parle quechua, parce que les « fils de pauvres » vont aussi à l’école, et que par conséquent eux aussi peuvent devenir des « professionnels ». Parler les deux langues permet de franchir les frontières symboliques et matérielles entre les groupes, d’échapper aux alternatives excluantes.

16Ainsi, un autre père de Ttatañay (province d’Anta), âgé de 38 ans, nous affirme qu’un professionnel est parfois plus armé s’il maîtrise le quechua. Car lorsqu’il s’agit de quelqu’un « comme son fils » précise-t-il (c’est-à-dire un « fils de pauvre »), il retournera « à la campagne, et alors, s’il ne comprend pas le quechua, ce n’est pas bien ». Plus encore, le professionnel quechuaphone a un certain avantage sur les autres parce qu’il est bilingue. Ainsi, « il vaut » nous dit-on. Ce qui est considéré comme “valable”, c’est précisément la capacité à communiquer dans différents environnements sociaux.

  • 11  « Dans les communautés andines […], dans lesquelles le mythe de l’éducation naît et s’étend avec f (...)

17On peut considérer que les pratiques d’enseignement bilingue dans les zones rurales ont peu à peu renouvelé la confiance que les parents entretenaient vis-à-vis de l’institution scolaire, en particulier comme outil de mobilité sociale. Au début des années 2000, Patricia Ames décrivait une certaine lassitude de la part des familles face à l’école, parce que celle-ci était avant tout vectrice d’exclusion des populations rurales et de leurs pratiques culturelles. On observait alors, dans les zones rurales, un rejet de l’école corrélatif à l’échec de la promesse de “progrès” (Ames, 2002)11.

18Le développement de l’EIB a toutefois atténué ces divisions profondes entre les attentes des familles et les réponses proposées par l’école. Les chiffres de la fréquentation de l’école en milieu rural, longtemps marquée par les cas de désertion scolaire, montrent une évolution conséquente : en 1998, seul 41,9 % des 11-16 ans fréquentaient l’école primaire. En 2007, le taux de fréquentation de cette tranche d’âge passe à 63,5 %, toujours en zone rurale (Ministerio de Educación del Perú, 2008). Si des variables comme l’amélioration de l’offre scolaire ou le niveau de vie des ménages peuvent expliquer une telle progression des taux de scolarisation, le développement des écoles bilingues a progressivement modifié la demande scolaire des familles. Henaff, Martin & Lange (2009 : 190) ont bien montré que l’adhésion des parents à « l’idéologie de la scolarisation », en l’occurrence l’éducation interculturelle bilingue, dans le cas qui nous intéresse ici, est un facteur non-économique qui, dans les pays du Sud, joue considérablement sur les stratégies scolaires des familles, notamment sur la décision de la mise à l’école.

La posture d’interface sociale

19Chez les parents, le désir de maîtriser plusieurs langues, afin d’encourager l’échange et la mobilité sociale, est probablement plus important que le fait de posséder une quelconque langue en soi. En effet, les parents d’élèves privilégient davantage cette attitude d’ouverture – permettre une communication fluide et la capacité de mobilisation de différents réseaux sociaux – qu’un contenu sociolinguistique fixe. Les sphères sociales qui légitiment chacune de ces langues sont ainsi repositionnées. Le bilinguisme est un espace où les rapports de pouvoirs symboliques entre les langues peuvent être rejoués, et l’hégémonie de l’espagnol, en particulier, revisitée.

20L’espagnol reste toutefois la langue de domination sociale et économique. Une mère d’élève (33 ans) d’Uscamarca, dans la province de Chumbivilcas, explique : « Ce serait mal de ne pas parler espagnol ! Comment pourrais-je m’exprimer ? ». Sans l’espagnol, le quechuaphone a un sérieux handicap dans la société péruvienne. Sans la force du bilinguisme, les enfants n’arriveront pas à « s’actualiser » explique-t-elle. Ainsi, si le fait de parler le quechua n’est pas socialement contestable, on reste honteux de ne pas maîtriser l’espagnol et d’être incapable d’échanger en dehors de l’espace rural. La possibilité du dialogue, perçu comme le premier outil de mobilité sociale, fonde les perspectives scolaires des parents.

21Concomitamment, l’oubli de la langue maternelle est tout aussi problématique, parce que cela rompt les attaches avec sa communauté : « Lorsque l’on n’a que l’espagnol, cela peut nous nuire aussi, il n’y a personne avec qui échanger ». Ou encore : « Tu es lésé, ici, si tu ne parles pas quechua ». L’impossibilité de communiquer dans la langue de la communauté écarte l’individu de celle-ci, et n’est pas viable pour les parents. On verra plus bas l’importance de conserver des liens avec la communauté, notamment lorsqu’il s’agit des migrations des jeunes vers les villes.

L’école bilingue, construire une autre modernité

22Nous allons voir que l’éducation interculturelle bilingue est directement liée à la possibilité de la mobilité sociale, laquelle repose sur le développement de la communication et des possibilités d’interface sociale. L’EIB participe donc pleinement à un projet de reconnaissance sociale et politique des populations autochtones. À ce titre, l’enseignement bilingue est associé à une nouvelle forme de “modernité” aux yeux des parents d’élèves.

Une modernité bilingue

23Une mère d’élève (35 ans) de l’école d’Uscamarca explique que si, autrefois, on n’enseignait qu’en espagnol, l’école s’est « modernisée » maintenant que le quechua y a été associé. Dans le même sens, un père de Ttatañay (32 ans, province d’Anta) avance que « ça se modernise » parce qu’au collège, on enseigne « le quechua et l’espagnol », et parce qu’« à Cuzco aussi, certains parlent quechua ». Si le quechua est ici associé à la notion de modernité, c’est grâce à son rapprochement avec l’espagnol. Pour ces familles, la question de la “modernisation” du système scolaire repose donc avant tout sur le bilinguisme à l’école.

  • 12  L’école assurerait, pour les populations andines, le passage du « monde de la nuit » (le quechua e (...)

24L’évolution est nette au regard de l’idée de progrès associée à l’enseignement massif de l’espagnol, qui dominait les premières politiques scolaires au Pérou. Dans les années 1980, Rodrigo Montoya présentait le « mythe contemporain de l’école » comme l’outil d’une « libération de l’oppression ». Cette libération passait par l’alphabétisation en espagnol, et forçait à un rejet du quechua et de la culture andine12 (Montoya, 1980). Une fois ce mythe épuisé, un nouvel agencement symbolique propose une modernité dans laquelle le quechua serait légitimement intégré, en l’occurrence dans cet ensemble non-exclusif qu’est le bilinguisme.

25De la sorte, les familles attribuent une fonction “moderne” à ce qui renvoyait auparavant à un “archaïsme”, le quechua, afin de construire l’espace commun. On est ici très proche de l’« affirmation publique du stigmate » qu’évoque Bourdieu (1980) à propos des révolutions « symboliques », lesquelles procèdent à un renversement des principes d’évaluation du monde social. Notons néanmoins que le renversement de l’hégémonie de l’espagnol, en particulier dans le champ scolaire, ne s’est pas opéré par la négation ou le rejet de cette langue, mais par sa mise en équivalence avec le quechua.

26On peut se demander dans quelle mesure cette vision d’une modernité multilingue et multiculturelle s’origine dans les discours de certaines institutions internationales (Unesco notamment) qui, depuis longtemps, popularisent les thèmes de la « promotion des peuples » et de la « diversité culturelle » (Lewandowski, 2012 : 94). Relayées localement par les ONG, ces thématiques étaient propices à être reprises par les populations autochtones sensibles à ces questions.

L’occasion d’une rupture générationnelle

  • 13  Le quechua renvoie si fortement à l’idée de “précarité” qu’il a parfois été utilisé comme un indic (...)

27Les parents d’élèves, qui déplorent souvent leur « isolement », soulignent, comme on l’a vu, la nécessité presque vitale de la communication. Ils insistent alors sur les efforts d’apprentissage qu’il faut faire en ce sens, pour rompre les mécanismes sociaux qui les réduisent à la figure du “pauvre” dans la société péruvienne13.

28C’est ce à quoi renvoie le souhait que les enfants « s’améliorent », désir qui ne doit pas être compris comme un rejet des origines socioculturelles, mais comme l’affirmation d’un certain dynamisme. S’améliorer, soi et les siens, c’est récuser toute réduction à l’immobilisme. Et cette dynamique consiste à ouvrir le dialogue en apprenant d’autres langues. Ceux qui ne parlent pas espagnol, c’est-à-dire les « anciens », eux, « resteront en bas ». Les nouvelles générations l’ont appris « pour s’améliorer, pour progresser » explique une mère de l’école d’Uscamarca (province de Chumbivilcas).

29Dans cette perspective, les parents cités ici, qui ont tous entre 30 et 40 ans, évoquent une rupture avec les générations précédentes. Il y a rupture non pas au niveau d’un contenu, mais plutôt d’une attitude : celle d’une solidarité ou d’un soutien mutuel au sein de la nouvelle génération fondé sur une nouvelle conception de la mobilité sociale. C’est sur ce point qu’est marquée la distance entre les plus jeunes et les plus âgés. La sociologie des générations a d’ailleurs bien montré qu’un « ensemble générationnel » se constitue en « génération effective » en s’opposant à la génération précédente. Un des enjeux de cette opposition est notamment de proposer une nouvelle approche des biens sociaux et culturels hérités (Mannheim, 2011).

L’école comme projet familial collectif

  • 14  Notons qu’au sein de la population autochtone de langue quechua, seul 11 % des mères et 20 % des p (...)
  • 15  à partir des années 1990, divers travaux de sociologie de la famille montrent qu’il existe une « l (...)

30Ainsi, on note dans les interviews un renforcement des liens de solidarité avec les plus jeunes. Ce faisant, les éléments anciens sont moteurs du processus de renversement symbolique. Le soutien entre parents et enfants n’est pas présenté comme unidirectionnel (des parents vers les enfants), car on retrouve aussi l’idée qu’en encourageant l’éducation de leurs enfants, les parents poursuivent leur propre éducation14. La scolarisation devient alors un projet familial dont chacun peut bénéficier15.

31En ce sens, on a souvent insisté, dans la littérature, sur le conflit irréductible entre les impératifs scolaires et les activités quotidiennes des familles dans les communautés andines. Soulignant par exemple que la scolarisation prive les parents de l’aide de leurs enfants pour les travaux domestiques, Rojas & Portugal écrivent que « les activités dans le foyer et dans l’espace éducatif de l’école ne cessent d’être en conflit tout au long de la trajectoire de vie de l’enfance rurale » (2010 : 148). Un conflit d’autant plus fort que, dans un contexte de grande pauvreté, l’aide des enfants aux activités productives est essentielle (Cavagnoud, 2010 ; Uccelli, 2007).

32On peut néanmoins arguer que les savoirs scolaires constituent une aide essentielle pour les parents, et que la décision de la scolarisation se fait parfois au regard de ce critère. Ainsi, le soutien des enfants scolarisés permet de réduire un sentiment de vulnérabilité souvent lié à une mauvaise maîtrise du calcul, de l’écrit et de la langue administrative (l’espagnol). Elle procure des compétences nécessaires pour le commerce des produits agricoles. Le passage par l’école d’un des membres de la famille permet un usage collectif des savoirs acquis. C’est ce qu’exprime un père d’élève de Ttatañay (province d’Anta), qui est âgé de 38 ans : « Maintenant, mon fils, comme il est au collège, il me soutient sur des choses que je ne sais pas : mathématique, langues,… ».

33En outre, notons que les choix de vie des enfants (poursuite des études, migrations, maintien des relations familiales, etc.) sont d’une importance capitale pour les familles. Malgré un sentiment général de fragilité, lié à une insécurité matérielle, les parents expriment leur conviction que les plus jeunes sauront s’autodéterminer. « Il n’y a pas à les obliger » nous dit un autre père (36 ans) de Ttatañay (province d’Anta), c’est aux enfants de définir ce qu’ils sont et ce qu’ils seront. Par conséquent, l’enjeu est de pouvoir nommer à la fois ce que l’on est, et d’évoluer dans des environnements sociolinguistiques différents. Il s’agit de rejeter l’ordre social binaire introduit par des rapports sociaux asymétriques en accédant aux langues et aux mondes que l’on n’est pas en droit de posséder : l’espagnol et d’autres langues dominantes, tout spécialement l’anglais.

Professionnalisation et migrations

  • 16  Au Pérou, le terme d’indio (Indien) est utilisé depuis l’époque coloniale pour qualifier négativem (...)

34Une autre attente importante que les parents entretiennent vis-à-vis de la scolarisation est que leurs enfants deviennent des « professionnels ». Le « professionnel », c’est celui ou celle qui, grâce à un diplôme sanctionné par l’institution scolaire, accède à un métier rémunéré, qui est associé à la pratique de la lecture et de l’écriture, et qui s’exerce de préférence dans un environnement citadin qui n’a rien à voir avec le campo (la campagne). C’est en somme tout ce qui est refusé à l’indio16 : le pauvre, l’illettré et l’isolé.

35Espérer que l’école offre à son enfant une carrière de « professionnel », c’est une façon de se sortir d’une situation socialement et économiquement précaire. C’est tenter de migrer vers les “lieux” de la société où la distribution des avantages économiques et sociaux disponibles est plus favorable. Ce mouvement est bien réel, et il implique le départ des enfants vers les villes ou à l’étranger. Ce que confie un père (40 ans) de Pallpa Pallpa (province de Chumbivilcas) : « Je veux que ma fille voyage à Cuzco ou dans un autre pays. Où serait le futur dans la communauté ? ». 

36Comme l’ont montré Ruiz Bravo (2004) puis Rojas et Portugal (2010), l’idée de “progrès”, dans les Andes rurales, est étroitement liée à celle de migration des enfants. On ajoutera que, dans le cas des communautés étudiées, cela implique ensuite un retour dans la communauté, afin de faire bénéficier le plus grand nombre des avantages de la scolarisation.

  • 17  Les auteurs ajoutent : « le concept d’ascension sociale lié au sortir de la pauvreté se trouve dir (...)

37Il est important, en effet, de souligner que ces départs auxquels il est fait régulièrement allusion ne signifient pas un abandon de l’environnement communal. L’essentiel, c’est de rompre le cloisonnement symbolique et matériel qui astreint à la communauté, et qui fait qu’en ville, on n’a pas sa place, et que donc, on n’est pas chez soi. Comme le notent Rojas & Portugal, les migrations correspondent à un idéal familial : « on espère que, grâce à la migration d’au moins un de ses membres, toute la famille progresse » (2010 : 145)17. C’est pourquoi désirer un voyage, c’est d’abord un désir de faire voyager en dehors des territoires qui sont d’ordinaire refusés. Dès lors, le « professionnel », cette catégorie qui porte les espoirs d’une amélioration, est plus le symbole d’un dynamisme que d’un abandon de la communauté. Tout comme le bilinguisme est moins un rejet de l’espagnol qu’une promotion du quechua

Conclusion

38Dans un texte récent, l’anthropologue Bret Gustafson (2014) a insisté sur le fait que l’éducation interculturelle est née dans l’espace ouvert par le libéralisme économique en Amérique Latine. À titre d’exemple, citons la Banque mondiale, qui a beaucoup financé l’enseignement bilingue dans les pays du Sud afin de développer le « capital humain » des populations autochtones (Lewandowski, 2007 ; 2012).

39Déplorant l’abandon du projet politique de la réforme – questionner l’origine des inégalités sociales et du racisme – au profit d’une approche économiciste, certains secteurs de la gauche péruvienne ont de fait accusé l’EIB de n’être qu’un cheval de Troie du multiculturalisme néolibéral (Chiroque & Rodriguez, 2008).

40Dans ce texte, toutefois, on a vu que les pratiques et discours des parents d’élèves autochtones ne se limitent pas aux perspectives technicistes des bailleurs de fonds internationaux. L’intégration du quechua à l’école est perçue comme une condition de la mobilité sociale dans un monde profondément compartimenté. Ce lien à la langue vernaculaire, précisément, a évolué avec le développement de l’EIB.

41Dans un premier temps, l’enseignement bilingue semblait trahir, aux yeux des quechuaphones, l’idéal d’émancipation que représentait l’école hispanisante. L’EIB niait l’idée d’un progrès vis-à-vis du mode de vie rural, comme le promettait le mythe contemporain de l’éducation. En proposant des alternatives moins dualistes, l’éducation interculturelle a modifié les stratégies des familles, notamment grâce à la pratique du bilinguisme, que les parents d’élèves se sont largement réappropriés et ont conceptualisé à leur manière.

42On ne pouvait s’attendre à une telle politisation de la question éducative qu’à partir d’une redéfinition de la notion de multiculturalisme et de ses usages. Face à des techniciens du néolibéralisme qui tentent « d’ethniciser et de “culturiser” l’ensemble des problèmes auxquels se trouvent confrontées les populations indiennes des zones rurales » (Bolados García & Boccara, 2014 : 79), ces mêmes populations concurrencent les approches officielles de l’interculturalité en esquissant leur propre modèle de « citoyenneté multiculturelle » (Baronnet, 2013a). La réforme aura donc eu des effets “politiques” au cours des années, contribuant à modifier l’appréhension du monde social, et en particulier le rapport à la langue et à la culture vernaculaire.

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Bibliographie

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Notes

2  Les autochtones représentaient 54,9 % de la population péruvienne en 1876 et 41,9 % en 1940 (Gootenberg, 1995 : 38).

3  Association interethnique de développement de la Selva péruvienne, AIDESEP. En 1985, l’AIDESEP crée le projet FORMABIAP, qui forme des professeurs autochtones à un enseignement interculturel bilingue. La formation, qui dure six années, propose une alternance entre un semestre de scolarisation au sein d’un Institut supérieur pédagogique, puis deux semestres au sein de l’école de sa communauté d’origine. FORMABIAP est soutenu par de nombreuses institutions internationales : entre autres IWGIA, GTZ et OXFAM.

4  Un mouvement de reconnaissance de la “diversité culturelle” que l’on observe dans bon nombre de pays limitrophes (Bolivie, Equateur, Chili). Certains assimilent ce tournant multiculturel à un retour de la démocratie sur le continent (López & Küper, 2000). D’autres y voient plutôt un avatar du néolibéralisme, lequel instrumentalise le thème de la reconnaissance de la diversité culturelle dans un cadre économique libéral (Hale, 2002).

5  María Elena García a écrit un livre (2005) sur ce thème précisément.

6  Marie Salaün observe des réactions similaires dans les familles tahitiennes, au moment de l’introduction du tahitien à l’école (2012 : 182). Idem au Burkina-Faso, où la réforme éducative menée par Thomas Sankara bloque lorsqu’il s’agit d’utiliser les langues locales pour l’enseignement, au détriment du français (André, 2007 : 10). Plus proche enfin, au Mexique, l’enseignement des langues mayas ou du nahuatl est peu valorisé parmi les familles autochtones qui en sont locutrices (Baronnet, 2013b : 185).

7  Parmi les 108 270 élèves autochtones du département de Cuzco, 72 100 recevaient une éducation bilingue (Vásquez et al., 2009 : 110).

8  Pour une comparaison internationale des impacts positifs de l’éducation interculturelle bilingue, voir López & Küper, 2000.

9  Il faut noter que les entretiens ont été enregistrés en espagnol, qui n’est pas la langue maternelle des interviewés. Les contraintes linguistiques et techniques (utilisation d’un matériel enregistreur et d’une grille d’entretien) du dispositif d’enquête ont pu forcer les interviewés à adopter une attitude de “bonne volonté” culturelle et scolaire à notre égard. Nous nous sommes efforcés de limiter cet effet de déformation en revenant à plusieurs reprises sur les propos tenus par nos interlocuteurs, afin d’en vérifier la véracité et la solidité. En outre, nous avons cherché à confirmer ces informations par nos observations de terrain, en accompagnant notamment les parents d’élève dans les écoles (à l’occasion des tâches d’entretiens, des réunions avec les professeurs, etc.). L’enquête de terrain a ainsi permis de mettre en parallèle les pratiques et les discours.

10  Un recensement de 2007 parle de 3 360 300 locuteurs quechua au Pérou. Dans le département de Cuzco, où nous avons enquêté, les quechuaphones représentent 52 % de la population (INEI, 2008).

11  « Dans les communautés andines […], dans lesquelles le mythe de l’éducation naît et s’étend avec force, on observe des signes de déception et de questionnement face à l’échec de ses promesses : les envies de progrès et de bien-être matériel sont loin de s’accomplir face à une situation de pauvreté et d’extrême pauvreté persistante, du chômage et la qualité déficiente de l’éducation offerte » (Ames, 2002 : 52).

12  L’école assurerait, pour les populations andines, le passage du « monde de la nuit » (le quechua et la culture andine) au « monde du jour » (l’alphabétisation et la maîtrise de l’espagnol) (Montoya, 1980).

13  Le quechua renvoie si fortement à l’idée de “précarité” qu’il a parfois été utilisé comme un indice de pauvreté. C’est par exemple le cas dans l’étude de Javier Herrera (2002).

14  Notons qu’au sein de la population autochtone de langue quechua, seul 11 % des mères et 20 % des pères de famille ont achevé l’école primaire (Vásquez et al., 2009 : 94).

15  à partir des années 1990, divers travaux de sociologie de la famille montrent qu’il existe une « large conscience populaire de l’utilité de l’école », et que celle-ci peut générer « une mobilisation forte de ressources faibles » au sein des familles pauvres (Terrail, 1997 : 73). On s’aperçoit alors que les trajectoires scolaires des familles ne dépendent pas uniquement de l’appartenance de classe. Voir par exemple Lewandowski pour les familles pauvres du Burkina Faso (2007), ou Cavagnoud pour les adolescents travailleurs de Lima (2011).

16  Au Pérou, le terme d’indio (Indien) est utilisé depuis l’époque coloniale pour qualifier négativement les populations autochtones. Aujourd’hui encore, il est employé comme une insulte. À partir de la réforme agraire de 1969, on remplace le terme par celui de paysans, qui se veut moins péjoratif. Les politiques multiculturelle des années 1990 et 2000 valorisent ensuite le qualificatif d’indigène, qui commence à s’imposer dans le vocabulaire commun (Robin, 2004).

17  Les auteurs ajoutent : « le concept d’ascension sociale lié au sortir de la pauvreté se trouve directement associé à la pratique migratoire, en vue d’accéder à une meilleure éducation » (Rojas & Portugal, 2010 : 144). La situation que nous présentons ici n’est toutefois pas la même, puisque les parents envisagent la migration une fois la scolarité achevée, et non pas préalablement, dans le but de mieux former leurs enfants. Ici encore, le fait que l’éducation soit bilingue, ce qui n’est pas le cas des écoles étudiées par Rojas et Portugal, peut expliquer un rapport différent des parents à l’institution scolaire locale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Raphaël Colliaux, « Les familles, l’école et le quechua. Vers une nouvelle réception de l’éducation interculturelle bilingue dans les Andes péruviennes ? », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 15 | 2016, 84-100.

Référence électronique

Raphaël Colliaux, « Les familles, l’école et le quechua. Vers une nouvelle réception de l’éducation interculturelle bilingue dans les Andes péruviennes ? », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs [En ligne], 15 | 2016, mis en ligne le 10 mai 2016, consulté le 13 novembre 2016. URL : http://cres.revues.org/2891

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Auteur

Raphaël Colliaux

Doctorant en sociologie à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et doctorant/boursier à l'Institut Français d’Études Andines (IFEA, Lima)

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