Projet OLEASTRO. Rapport intermédiaire 2015-2016

Stéphane Mauné (CNRS / UMR 5140, ASM, Montpellier), Oriane Bourgeon (UMR 5140, ASM, Montpellier) et Enrique García Vargas (Universidad de Sevilla)

Avec la collaboration de Quentin Desbonnets (Université de Montpellier 3) et Iván González Tobar (Universidad de Córdoba)


Les recherches menées dans la vallée du Genil depuis 2013, dans le cadre du programme PAEBR (2013-2015) du LabEx Archimede-ANR-11-LABX-0032-01 se sont poursuivies durant le dernier semestre 2015. Rappelons que ce programme, qui incluait la fouille d’un atelier témoin, celui de Las Delicias à Ecija, et une thèse (O. Bourgeon) consacrée aux ateliers d’amphores à huile Dr. 20 et Dr. 23 de la vallée du Genil, s’est achevé en décembre 2015. Lui succède désormais le programme OLEASTRO (2016-2019) qui concerne la vallée du Guadalquivir et les conventus d’Hispalis et de Cordoba. Ce bilan dresse donc un état des lieux qui inclut la dernière campagne de fouille menée sur l’atelier de Las Delicias et les résultats des prospections réalisées en mars et février 2016 dans la zone Palma del Rio/Lora del Rio.

Ces deux programmes bénéficient de trois contrats doctoraux de trois ans attribués à O. Bourgeon, Q. Desbonnets (cotutelle Montpellier/Séville) et C. Dubler (cotutelle Montpellier-Barcelone).

Les financements sont apportés par le LabEx Archimede, l’UMR 5140 « ASM » du CNRS, l’université Paul Valéry Montpellier 3, la Universidad de Sevilla, le service patrimonial et archéologique de la ville d’Ecija et la Casa de Velázquez.

Une table ronde internationale qui s’est tenue à Madrid, les 29 et 30 octobre 2015, à l’initiative du LabEx Archimede et de la Casa de Velázquez est venu clôturer ce premier programme de 3 ans. Elle a permis de dresser un bilan détaillé des résultats et de les comparer avec des travaux réalisés en Espagne et en Croatie sur les mêmes problématiques concernant l’économie de l’huile dans l’Antiquité. L’intérêt heuristique de ces échanges a trouvé une heureuse prolongation dans la bourse de courte durée accordée par l’École française de Rome à O. Bourgeon (juillet 2016), destinée à lui permettre de se rendre à Aquilée et en Istrie pour poursuivre les discussions, en particulier méthodologiques, avec l’équipe de C. Rousse et de M.-B. Carre (UMR 7299, CCJ, Aix-en-Provence).

Les objectifs de ces programmes sont d’étudier et d’analyser la dynamique économique des ateliers d’amphores à huile Dr. 20 antiques de cette partie du bassin du Guadalquivir. La centaine d’ateliers inventoriée — ce chiffre est un minimum — constitue à l’échelle de l’Empire romain, la plus grande concentration d’officines de potiers connue et son intérêt vient aussi de la pratique locale, très développée, du timbrage. Ce dernier aspect est essentiel mais ne constitue pas, loin s’en faut, le seul intérêt de ces recherches. En effet, outre l’objectif de mieux appréhender l’organisation des ateliers, leur chronologie précise et leur insertion dans l’occupation du sol, le but est aussi de développer une analyse sur la question du combustible utilisé par les fours (Universidad de Jaén) et de préciser quelles étaient les variétés culturales d’oliviers présentes (UMR 5554, CNRS, ISEM, Montpellier). Enfin, et cet aspect concerne plus particulièrement le programme OLEASTRO, l’ambition est aussi d’innover en travaillant sur la possibilité d’obtenir, dès la phase de prospection magnétique des fours, des datations archéomagnétiques qui habituellement nécessitent des prélèvements et un traitement en laboratoire (UMR 7266, LIENSs, La Rochelle et UMR 5060 IRAMAT, Rennes). L’enjeu scientifique est important, cela permettrait d’obtenir des images superposées d’ateliers livrant la topographie évolutive des infrastructures de production sur plusieurs siècles.

On se place donc ici dans une perspective de recherche sur l’économie rurale — avec un recours très développé à la pluridisciplinarité — qui succède aux recherches de M. Ponsich, dont les résultats ont été publiés dans quatre volumes édités par la Casa de Velázquez entre 1974 et 1991. Il s’agit notamment de rééquilibrer les connaissances en faveur des ateliers car si les données sur le commerce et la diffusion de ces amphores sont abondantes, depuis les travaux de H. Dressel à Rome dans le dernier tiers du XIXe s., il n’en va pas de même de celles relatives à leur production. La partie de la vallée du Genil qui se trouve entre Ecija/Astigi et la confluence de cette rivière avec le Guadalquivir a été choisie comme zone test et une officine, celle de Las Delicias, comme atelier témoin. En parallèle, des mémoires de Master d’archéologie de l’université de Montpellier ont permis d’élargir les recherches à la zone de Cordoue/Séville et de s’interroger également sur les circuits de commercialisation de l’huile dans les Gaules et les Germanies. La synergie de ces travaux est importante et repose sur la mise en place d’une méthodologie commune. Ils ont permis la mise en place du programme OLEASTRO qui fédère un nombre important de chercheurs et d’institutions espagnoles et françaises.

Une trentaine d’ateliers de Dr. 20 parmi lesquels 17 ont aussi produit des Dr. 23

L’achèvement des campagnes de prospections systématiques sur les ateliers situés entre Écija et Palma del Río a permis de réaliser le catalogue des 29 ateliers dûment attestés et d’établir pour chacun d’eux la liste précise des timbres sur amphores Dr. 20. La méthodologie utilisée est celle qui a été mise en œuvre dans les années 1990 en Languedoc-Roussillon lors des grands travaux d’inventaires archéologiques initiés et soutenus par le ministère de la Culture. Chaque site potentiel d’atelier de Dr. 20 de la vallée du Genil a été visité ainsi qu’un nombre important d’établissements et de villae. Les éléments discriminants permettant d’identifier un site de production d’amphores à huile ont été définis : présence de fragments de four, de surcuits d’amphores, abondance de restes de Dr. 20 et surtout de bassines utilisées exclusivement pour leur tournage et leur cuisson. L’association de ces critères a permis d’identifier au total 29 ateliers parmi lesquels 9 sont inédits. Les prospections ont aussi livré des informations sur la taille des ateliers, leur organisation (zones de fours, de dépotoirs, bâtiments) et surtout sur leur chronologie. Le ramassage systématique des bords de Dr. 20 a en effet permis de compléter les données chronologiques apportées par les timbres qui dans bien des cas, s’avèrent incomplètes. Ont également été pris en compte les mobiliers exogènes, en particulier les céramiques d’importations dont les datations sont finalement cohérentes avec celles des bords et des timbres.

Beaucoup d’ateliers apparaissent sous le règne de Claude et l’époque flavienne correspond à une accélération de ce phénomène. La plus grande surprise est cependant venue de l’existence d’une production de Dr. 23 — amphore produite entre le dernier quart du IIIe s. et le milieu du Ve s. — sur 17 ateliers (fig. 1) alors qu’auparavant celle-ci n’était avérée que sur un faible nombre de sites, entre 4 et 8 selon les auteurs. Les conséquences pour la connaissance de l’histoire économique de la vallée du Genil sont évidemment importantes et invitent à mieux évaluer la place de l’oléiculture pendant le Bas-Empire dans cette partie de la province. Finalement, et l’on rejoint là les conclusions de P. Le Roux, la documentation matérielle s’oppose, à tout le moins dans cette zone, à l’idée de transformations radicales et invite même à reconsidérer le tableau du déclin inéluctable de la Bétique au Bas-Empire et dans l’Antiquité tardive.

Fig. 1. — Localisation sur le fond cadastral, des ateliers du secteur de Malpica dans la vallée du Genil (doc. O. Bourgeon, LabEx-Archimede)

Fig. 1. — Localisation sur le fond cadastral, des ateliers du secteur de Malpica dans la vallée du Genil (doc. O. Bourgeon, LabEx-Archimede)

L’huilerie de Las Delicias

D’oléiculture justement, il en a été question dans l’atelier de Las Delicias puisque l’huilerie découverte en 2013 a bénéficié d’une fouille approfondie qui s’est achevée en mai 2015 (fig. 2). Rappelons que celle-ci a été construite après l’année 214 apr. J.-C. et se trouve à une vingtaine de mètres au sud de la zone des fours. Deux états principaux ont été mis en évidence avant son abandon qui semble intervenir à la fin du IIIe s. ou bien au début du IVe s.

L’huilerie comporte une salle des machines (ESP102) d’une surface utile de 54 m² (5,40 x 10 m) où se trouvaient au moins deux pressoirs. La pièce voisine 109 d’une surface utile de 40 m² (4 x 10 m) abritait les structures liées au traitement de l’huile.

Fig. 2. — Vue générale de l’huilerie du IIIe s. de Las Delicias à Ecija (cl. S. Mauné, LabEx-Archimede)

Fig. 2. — Vue générale de l’huilerie du IIIe s. de Las Delicias à Ecija (cl. S. Mauné, LabEx-Archimede)

Le pressoir 1, d’un type inédit pour l’Antiquité, se trouve dans la moitié sud de la pièce 102. Perpendiculaire au mur MR1005, il peut être restitué grâce à la présence des deux négatifs de forme rectangulaire de ses montants (arbores/virgines). À l’opposé des montants, dans l’axe où se trouvait l’arbre (praelum/viga) du pressoir, d’une longueur de 4,5 m, a été mise au jour la base du bloc de fixation cylindrique de la vis permettant d’actionner le pressoir. La maie, incluse dans le sol en opus spicatum, n’est pas conservée mais sa position peut être déduite de celle du départ de la canalisation qui évacuait l’huile et l’eau issues du pressurage des scourtins (fiscinae/cofines) en direction de bassins jumelés. Pendant l’état 1, le pressoir fonctionne avec ces bassins jumelés, d’une contenance unitaire de 880 litres. L’excellent état de conservation de la première cuve a permis de comprendre comment se faisait la séparation de l’huile et des margines. Deux orifices situés à la même altitude et des traces d’arrachement d’un tuyau en plomb sont les seuls témoins d’un ingénieux système de séparation par siphon. L’huile moins dense que l’eau et qui occupait la partie supérieure de la cuve sur 30 % de sa hauteur, était dirigée vers le second bassin par un tuyau en plomb en légère pente. Les margines, ou eaux de végétation, se trouvant sous le niveau d’huile, étaient évacuées vers l’extérieur par un tuyau en plomb vertical, dont l’une des extrémités se trouvait au fond du bassin.

Dans le prolongement des deux cuves jumelles, a été fouillé un bassin rectangulaire parfaitement conservé de 2,25 x 1,40 m sur une profondeur de 1,30 m soit une contenance de 4095 litres. Une canalisation partant du point de contact des pièces 102 et 109 et se trouvant sur la face supérieure du mur sud du bassin 1530 permettait de l’alimenter depuis la salle des pressoirs Il appartient à l’huilerie mais était séparé de la pièce des cuves et des dolia par un mur en élévation et appartient donc à un espace ou à une pièce qui se trouvait plus à l’ouest, en direction du Genil.

Le pressoir 2 est installé selon le même axe de symétrie que le pressoir 1. L’huile et les margines étaient séparées par un système de dolia alignés, placés en enfilade le long du mur de séparation, faisant office de cuve de décantation. L’un des dolia présente des aménagements particuliers et inédits qui constituent un système de vase communiquant par siphon. Il est muni d’un tuyau en céramique latéral externe vertical présentant une prise base vers l’intérieur du dolium et une évacuation haute vers l’extérieur. Face à ce dispositif, un bec verseur était également ménagé dans le bord. Comme dans les bassins voisins utilisant le même procédé, huile et margines étaient séparées très facilement. Le quatrième dolium, placé à l’extrémité nord, pourrait avoir été utilisé pour le stockage temporaire de l’huile ou encore pour séparer une dernière fois, à la main, l’huile des margines restantes, comme le suggère la découverte d’une probable feuille en céramique.

Au centre de l’huilerie sont apparues des structures qui évoquent la présence d’un troisième pressoir dont la typologie et le fonctionnement restent à préciser.

Dans un second état de fonctionnement de l’huilerie, le système de décantation des bassins jumelés du pressoir 1 est remplacé par trois dolia (fig. 3). Le bassin de réception est comblé par un remblai et le bassin voisin qui lui était accolé est totalement détruit. Le changement de dispositif de réception et de décantation est peut-être lié à une réduction des capacités de production, puisque le dolium de réception 1532 présente une capacité de 150 litres, nettement inférieure aux 880 litres de la cuve de réception initiale. Si la typologie de ces nouveaux conteneurs diffère de celle des dolia du premier état, le système des vases communiquant par siphon reste utilisé, même s’il semble avoir été amélioré.

Fig. 3. — Vue générale des dolia de traitement de l’huile du deuxième état de l’huilerie de Las Delicias (cl. S. Mauné, LabEx-Archimede)

Fig. 3. — Vue générale des dolia de traitement de l’huile du deuxième état de l’huilerie de Las Delicias (cl. S. Mauné, LabEx-Archimede)

La campagne de fouille 2015 a également permis d’ouvrir, dans le secteur des dépotoirs qui se situe au nord de la zone des fours, une longue tranchée d’évaluation où a été mise au jour une accumulation d’au moins 2 m de remblais des Ier et IIe s. (fig. 4). La découverte la plus intéressante consiste en la mise au jour d’un grand dépotoir d’amphores défectueuses daté du milieu du IIe s. Un peu plus de 300 amphores Dr. 20E ont été comptabilisées. Les timbres sur Dr. 20 sont très abondants avec 191 exemplaires. Les timbres les plus abondants sont FELIC avec 65 ex., PROTAE avec 41 ex., ITALICI avec 39 ex. puis viennent ensuite 10 ex. du timbre GELAD dont on savait depuis 2014 qu’il était bien à rattacher à Las Delicias. Deux timbres sont parfaitement inédits : le premier, trouvé à 13 ex., ERMOGE ; le second, avec 7 ex., TITY[R] ou TITY[E], la dernière lettre étant cependant effacée et peu lisible ; 16, enfin, sont illisibles.

Fig. 4. — Vue générale de la tranchée 12 et du dépotoir d’amphores du milieu du IIe s. (cl. S. Mauné-LabEx, Archimede)

Fig. 4. — Vue générale de la tranchée 12 et du dépotoir d’amphores du milieu du IIe s. (cl. S. Mauné-LabEx, Archimede)

Les prospections dans la vallée du Guadalquivir

La première mission de prospections et de recherches centrée sur la problématique des ateliers d’amphores à huile antiques situés dans la zone de Peñaflor/Lora del Rio, dans la vallée du Guadalquivir (fig. 5), a débuté le 15 février et s’est achevée à la mi-mars. Elle était dirigée par Q. Desbonnets avec la collaboration de I. Gonzalez Tobar, C. Dubler, O. Tiago, J. Latournerie, V. Lauras et A. Artuso.

Fig. 5. — Vue aérienne de la vallée du Guadalquivir entre Peñaflor et Lora del Rio avec au premier plan, devant le cortijo, l’atelier de La Ramblilla (cl. V. Lauras, LabEx Archimede)

Fig. 5. — Vue aérienne de la vallée du Guadalquivir entre Peñaflor et Lora del Rio avec au premier plan, devant le cortijo, l’atelier de La Ramblilla (cl. V. Lauras, LabEx Archimede)

On se trouve ici dans la partie inférieure de la vallée, entre Séville et Cordoue, dans un secteur où une vingtaine d’ateliers a été signalée par G. Bonsor en 1931 et par M. Ponsich, dans les années 1980. Les ateliers occupent les berges du fleuve et se situent principalement sur la rive gauche. Ils sont installés au milieu d’un réseau très dense de villae ; sur la rive opposée se trouve une série d’agglomérations, devenues municipes à l’époque flavienne et dont la richesse vient des ressources agricoles locales (huile, vin et céréales) mais aussi des mines exploitées dans la Sierra Morena, toute proche. Cette zone constitue le cœur de la Turdétanie, décrite par Strabon à l’époque d’Auguste.

Les prospections ont permis de caractériser une vingtaine de sites de production, parmi lesquels se détachent plus particulièrement 4 ateliers, et de recueillir 264 timbres dont plusieurs inédits.

À la périphérie immédiate de l’agglomération antique de Celti, sur la berge du Guadalquivir, des vestiges inédits de construction appartenant à l’atelier d’El Cortijillo, mis au jour par les eaux du fleuve en crue, ont été relevés. Les murs en élévation sont constitués de panses d’amphores liées à la terre, provenant des rejets des ateliers d’amphores. Sur l’atelier d’El Tesoro, le matériel découvert confirme la présence d’un atelier, associé à une villa, et a révélé l’existence d’une huilerie grâce à la découverte, sur une surface de 40 m2, d’une concentration de briquettes d’opus spicatum. Seulement deux timbres sur Dr. 20 étaient connus et la prospection a permis d’en ajouter 8 nouveaux. À Huertas del Rio, dans un verger d’orangers, ont été collectées de très grandes quantités de mobiliers d’atelier mais c’est surtout la découverte d’un four presque intact de 3,50 m de diamètre, visible dans la berge du Guadalquivir, qui est à signaler. Un atelier totalement inédit a par ailleurs été identifié au lieu-dit « La Rambla » et a livré des témoins caractéristiques (surcuits, éléments de fours, bassines pour la production des amphores, etc.) et surtout 8 timbres sur amphores à huile Dr. 20. Dans le même secteur, l’atelier d’« Acebuchal » a livré une quinzaine de timbres alors que jusqu’à présent, seuls trois exemplaires avaient été ramassés ici. L’intérêt de ce site est par ailleurs d’être associé à une riche villa appartenant vraisemblablement aux propriétaires successifs de l’atelier dont l’identité sera peut-être révélée par la lecture des timbres.


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *