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(fr) France, Alternative Libertaire AL - international, Colombie: une analyse libertaire sur le cessez-le-feu avec les FARC (en, it, pt)
Date
Thu, 13 Oct 2016 15:11:10 +0300
Jeudi 23 juin 2016 a sans aucun doute marqué une date historique en Colombie. Ce jour là,
dans le cadre des dialogues de paix et de la table de négociations de La Havane, le
gouvernement national de Juan Manuel Santos et l'insurrection des Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple (FARC-EP) ont convenu d'un cessez-le-feu
bilatéral et définitif. ---- Pour beaucoup de Colombiennes et de Colombiens, c'est un
désir ardent devenu réalité. Sans cesser de partager l'enthousiasme populaire, nous notons
que ceci n'est pas encore la fin de la guerre et qu'il reste un long chemin à faire pour
obtenir des changements sociaux et de réels bénéfices pour les travailleurs et les
travailleuses, les secteurs sociaux et les peuples.
Nous, le Grupo Libertario Vía Libre, nous reconnaissons l'importance historique de ces
accords pour le pays puisqu'il est évident qu'une grande partie de la population ne
souhaitait plus vivre une guerre si dégradante et cruelle comme la notre et c'est donc une
bonne raison de faire la fête pour nombre de personnes et de communautés. En ce sens, il
faut reconnaître de nombreux éléments positifs dans ces accords, comme le fait que la
force insurrectionnelle la plus ancienne et durable d'Amérique latine abandonne la voie
armée sans se rendre pour autant et termine au moyen d'un pacte le violent affrontement
entre ce groupe et l'État, ce qui se traduit par une avancée pour diverses organisations
politiques populaires qui cherchent à ce que les luttes sociales soient plus écoutées au
sein des sphères du gouvernement. Cependant, il subsiste de nombreux défis et il faut
continuer de développer des luttes et des revendications.
Ces accords, qui formalisent une trêve de fait avec divers soubresauts entre les acteurs
armés depuis 2013, marquent un saut qualitatif sur le chemin de la sortie de la lutte
armée. Néanmoins nous considérons qu'il y a encore beaucoup à faire, puisqu'il n'y a pas
eu de négociations avec d'autres groupes insurgés, petits mais d'importance réelle, comme
l'Armée de libération nationale ou l'Armée populaire de libération, qui ont pris les armes
comme les FARC-EP depuis un demi-siècle, avec lesquels le gouvernement n'a pas montré une
grande volonté de dialogue. D'autant plus que la fin du conflit armé ne marque pas celle
du conflit social qui l'a généré, marqué par les inégalités sociales extrêmes, en
particulier à la campagne, l'usurpation des terres par la bourgeoisie rurale et les
propriétaires terriens et les politiques terroristes de l'État pour réprimer le mouvement
social.
Nous notons que cette année a été marquée par plusieurs vagues de conflits sociaux qui ont
convergé en journées de protestation comme le 24 janvier, la grève nationale du 17 mars,
la troisième grande grève agraire nationale, luttes qui à leur tour ont renforcé l'idée
d'organiser un puissant blocage civique national qui a fait reculer les politiques
anti-populaires du gouvernement. Ainsi, divers secteurs du mouvement paysan, indigène et
noir, avec conjointement des ouvrières et des ouvriers, des professeures, des étudiants et
des travailleuses et des travailleurs informels, ont manifesté un puissant rejet des
politiques néo-libérales du second gouvernement de Juan Manuel Santos, qui accroissent la
précarité et les inégalités sociales.
Dans le même temps, la majorité des secteurs engagés ont insisté sur la nécessité
d'appuyer le processus de dialogue entre le gouvernement et l'insurrection, cherchant la
mise en place d'une paix accompagnée de justice sociale et ont vu dans la signature des
accords un moyen pour que les voix des travailleurs et des peuples historiquement exclus
soient écoutées. De même, elles ont soutenu la transformation des FARC-EP en parti
politique avec des garanties de sécurité et de participation dans les règles de la
démocratie actuelle. Bien que cela puisse générer la possibilité de garantir les droits de
l'opposition politique dans un pays avec un système institutionnel aussi fermé, une réelle
ouverture démocratique reste encore à voir.
Nous soulignons que ni les classes dominantes ni leur appareil étatique n'ont pas tout à
perdre dans cette conjoncture, étant donné que ce qui est signé sur papier n'est pas une
garantie réelle pour l'accomplissement des accords conclus. Il suffit de se rappeler de la
violation systématique par ce même gouvernement des accords signés suite au Blocage
National Agraire d'aout et septembre 2013, qui ont conduit les mouvements paysans, noirs
et indigènes à organiser le Sommet National Agraire, menant de nouveau, avec succès, un
intense mouvement social, durant lequel les villageois indigènes Willington Quibarecama,
Gersain Cerón et Marco Aurelio Díaz ont été assassinés par la répression d'État.
Nous notons aussi que, bien qu'on nous ait vendu l'idée d'un nouveau pays sous la bannière
de la paix, le gouvernement doit encore manifester par des faits concrets sa volonté de
démilitariser la société, une volonté qui n'est pas forcément évidente au vu de la
criminalisation des luttes des classes et secteurs opprimés, ou le maintien en prison de
prisonniers politiques comme l'intellectuel Miguel Ángel Beltrán. De la même manière, une
des choses qui remet le plus en doute la volonté de paix du gouvernement est la validation
d'un nouveau Code de la Police qui renforce la répression et attente à l'exercice de
plusieurs libertés de la population civile.
Il nous faut aussi dénoncer le rôle dangereux que joue l'extrême-droite uribiste (l'ancien
président) dans ce nouveau paysage politique à travers sa campagne pour le «Non» en cas de
référendum sur la ratification d'un processus de paix avec pour but de faire échouer ce
processus de paix qu'elle a tant combattu. De l'autre coté, la campagne pour le «Oui» est
menée principalement par l'Unité Nationale (santiniste, le parti du président actuel), et,
dans une moindre mesure, par la majorité des forces de gauche.
Tout cela souligne une tendance à la polarisation autour des accords signés à La Havane,
qui aurait comme principaux camps deux variantes, la droite néo-libérale de Santos et la
droite autoritaire d'Uribe, ce dernier étant présenté par les médias comme la principale
force d'opposition politique au gouvernement, médias qui jusqu'à récemment, soutenaient la
guerre contre-insurrectionelle. Le rôle de la gauche et des mouvements populaires dans cet
éventuel referendum, reste limité bien qu'actif, montre que le peuple a peu d'incidence
dans ce panorama politique.
Il ne faut pas non plus oublier l'augmentation récente des activités des paramilitaires,
qui ont assassiné ces derniers mois différents leaders populaire, particulièrement les
paysans. Les mal-nommées «Bandes criminelles» (BACRIM), qui ne sont autre que la nouvelle
forme des paramilitaires, exercent une domination quotidienne sur beaucoup de territoires,
alliées aux militaires, notables politiques et entrepreneurs, comme on l'a vu avec la
récente grève armée décrétée par ces forces dans la région d'Urabá, et qui dans le même
temps poursuivent, menacent et assassinent les membres de la gauche sociale et politique.
Le para-militarisme, appuyé par la stratégie de résistance civile menée par les uribistes,
représente une grande menace dans ce nouveau scénario, puisqu'il y a toujours un risque de
génocides politiques, comme ont pu en souffrir la génération de luttes sociales des années
80 organisées par les activistes de l'Union patriotique, de la Lutte, du Front populaire
ou encore les mouvements sociaux syndicaux, paysans, et indigènes.
Enfin, nous considérons que, bien que la fin de la lutte armée d'un groupe de guérilla de
la taille des FARC-EP soit quelque chose d'important nous de devons pas oublier que nous
faisons toujours face à un État contre-insurrectionnel qui exerce une violence symbolique
et matérielle contre les classes et les secteurs subalternes pour maintenir un ordre
social basé sur l'exploitation, les inégalités et l'exclusion des travailleurs, des
secteurs sociaux et des peuples. Qu'il ne soit pas oublié qu'il existe encore un appareil
répressif qui s'emploie a réprimer instantanément toute protestation de celles et ceux
d'en bas que ceux d'en haut considèrent comme illégitime. Qu'il ne soit pas oublié que,
bien que la fin de la guérilla ouvre une nouvelle étape de la lutte des classes dans ce
pays, l'ordre capitaliste, étatiste et patriarcal au niveau mondial est violent de façon
inhérente, comme le sera le processus révolutionnaire qui l'abattra.
En tant qu'organisation anarchiste nous appelons à redoubler l'élan d'organisation, de
mobilisation et de luttes multi-sectorielles de base, comme nous le faisons sur de
multiples plans, entre autres dans les luttes étudiantes, dans l'éducation, les
territoires, sur les questions de genre et dans la communication, entre autres. Comme nous
l'avons déjà affirmé, il reste beaucoup à faire. Dans ce contexte de pacification
partielle entre deux parties il faut parier sur la construction d'une véritable paix pour
les travailleuses, les travailleurs et les peuples, formée à partir de l'initiative locale
et communautaire, depuis là où les inégalités et l'exclusion sont le pain quotidien. Nous
devons continuer à porter l'élan socialiste libertaire vers la construction de
l'autonomie, de l'autogestion et du pouvoir populaire sur tous les territoires où nous
travaillons.
Il ne suffit pas que ceux d'en haut ouvrent la possibilité de participer à la démocratie
bourgeoise, car celle-ci est extrêmement limitée, qu'elle est fonctionnelle à sa
domination et que ce n'est pas en elle que se concrétiseront des possibilités de
changement radical des rapports de domination et d'oppression. Dans le contexte actuel,
nous réaffirmons que la construction d'un autre monde est possible, par l'élimination du
capitalisme et de l'État, qui sont les responsables de la principale guerre livrée contre
le peuple: celle de la faim, de l'exploitation et de la dépossession des biens communs.
Ce fut sans aucun doute un jour historique, mais il y a encore beaucoup à faire pour qu'à
travers la force organisée et mobilisée de notre peuple nous puissions construire une vie
plus juste et plus libre.
Grupo Libertario Via Libre, 24 juin 2016, Bogota
http://www.alternativelibertaire.org/?Colombie-analyse-rouge-et-noire-a
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