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Textes traduits en français

Système de partis et structure sociale. Sur le problème de la démocratisation de la société allemande

M. Rainer Lepsius
Traduction de Jean-Christophe Angaut
Édition originale :
« Parteiensystem und Sozialstruktur : zum Problem der Demokratisierung der deutschen Gesellschaft », in : Berding, H. / Kocka, J. / Wehler, H.-U. (éd.) : Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft, t. 100. Repris dans Lepsius, M. R. : Demokratie in Deutschland, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, p. 25-50.

Entrées d’index

Note de la rédaction

Nous remercions Monsieur Oliver Lepsius pour l’aimable autorisation de publier une traduction française de ce texte.

Wir danken Herrn Oliver Lepsius für die freundliche Genehmigung, diesen Artikel in französischer Übersetzung zu publizieren.

Texte intégral

  • 1 Neumann (1965), p. 24.
  • 2 Parmi de nombreuses références : Parsons (1964) ; Dahrendorf (1961), (1965) ; Holborn (1952).

1La position particulière de l’Allemagne dans l’histoire de la démocratisation et de l’industrialisation a souvent été décrite. La spécificité de l’évolution de l’Allemagne semble consister en un retard inhabituellement long de la démocratisation sur l’industrialisation, en la « stabilisation d’un ordre social ancien en dépit d’un changement complet de la structure socio-économique1 ». En quelques décennies, l’Empire allemand s’était élevé au rang de première puissance industrielle continentale. Il demeurait pourtant caractérisé par des éléments d’un ordre social pré-industriel, dominé par une bureaucratie impériale issue de l’aristocratie prussienne, soutenu par une bourgeoisie féodalisée et pénétré par une morale sociale publique adossée à des modèles autoritaires et paternalistes2. Cet ordre social préindustriel est symbolisé par le droit de vote en trois classes en Prusse (avec tout de même 60 % de la population de l’empire), par une constitution impériale quasi parlementaire et la position autocratique de l’empereur, ainsi que par l’organisation paternaliste des entreprises, la politique bureaucratique de l’État-providence et le romantisme culturel d’une bourgeoisie dépolitisée. Si l’on admet que ces quelques maîtres-mots esquissent les contours de la situation, se pose la question de savoir comment on en est arrivé là. Pour tout phénomène d’un caractère complexe, il y a naturellement une multitude de raisons, et bien des choses demeurent en outre dépendantes de contingences historiques. Cependant, de tels phénomènes sont fondés sur les conditions structurelles de la société, sur des situations conflictuelles qui parfois se maintiennent sur de longues périodes et conservent un caractère constitutif pour l’ordre socio-politique d’une société.

  • 3 Marshall (1964), p. 76 sq.

2De tels conflits, qui marquent la structure socio-politique de la société, naissent souvent de la collision entre le processus de démocratisation et le processus d’industrialisation, qui progressent inégalement et par à-coups. Tandis que l’industrialisation – comprise au sens le plus large – dissout les relations de solidarité traditionnelles, libère la dynamique propre de certains segments sociaux et renforce les inégalités dans les conditions de vie de la population, la démocratisation de la société conduit à la refondation et à l’imposition institutionnelle des prétentions à l’égalité de tous les membres de la société. T. H. Marshall a mis en évidence ce lien entre différenciation sociale et inégalité matérielle d’une part, entre la prétention formelle à l’égalité fondée sur des chances réalisables de participation et le fait de participer à la communauté morale d’une société, d’autre part, en associant à cette analyse la thèse selon laquelle les conflits de classe s’accentuent toujours lorsque la prétention à la pleine citoyenneté (citizenship) n’est pas assez satisfaite pour que les droits égaux concédés légitiment pour leur part l’inégalité existante3.

  • a [« Droits statutaires » traduit l’allemand Standesrechte, le mot Stand renvoyant à la structurati (...)

3Ainsi se trouve déjà esquissé un premier cadre de référence, éminemment général, pour l’analyse des conflits sociaux immanents à la structure et pour l’analyse de leur influence sur l’ordre socio-politique des sociétés. Marshall lui-même affine ce cadre en distinguant trois aspects de la citizenship, de la pleine citoyenneté, ou, pour employer une expression englobante, trois aspects de la prétention à l’égalité : le juridique, le politique et le social. L’aspect juridique renvoie à l’octroi d’une juridiction identique pour tous les membres de la société. La dissolution des droitsa et des juridictions statutaires et la mise en place des droits fondamentaux individuels circonscrivent la situation ici concernée. Le but est de valider des normes matériellement égales et d’assurer, pour tous les citoyens, des chances formellement égales de pouvoir déclencher auprès des institutions qui les gèrent les moyens généralisés de sanction dont dispose la société. L’aspect politique de la prétention à l’égalité renvoie à la participation de plein droit à l’exercice et au contrôle de la domination politique, en particulier au droit de concourir à la légitimation de l’ordre dominant. Cette prétention se fonde sur la doctrine de la souveraineté du peuple, son institutionnalisation s’opère à travers le droit de vote, le pouvoir de législation illimité des corps représentatifs et la responsabilité du gouvernement devant le parlement. L’aspect social de la prétention à l’égalité renvoie enfin à la garantie d’un certain niveau de vie, même en cas de maladie et de vieillesse, au fait d’avoir part aux biens de la civilisation, de prendre part au produit social croissant, à des chances identiques de se former et de s’élever professionnellement, et autres choses semblables. Prenant pour point de départ l’évolution de l’Angleterre, Marshall associe une période distincte à la réalisation de chacune de ces trois prétentions à l’égalité : tandis qu’auraient été atteints pas à pas l’égalité juridique au XVIIIe siècle et les droits politiques égaux au XIXe siècle, ce serait la tâche du XXe siècle que de faire aboutir les prétentions sociales à l’égalité. En la matière, en Angleterre ainsi que sur le continent, les deuxième et troisième phases se recouperaient d’une manière plus ou moins importante, et cela aurait conduit à l’aggravation des conflits de classes dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

4Sur ce plan relativement abstrait, les différences entre chaque nation du point de vue du processus de démocratisation ne peuvent que difficilement être saisies. D’où la nécessité de différencier davantage le cadre de référence afin de saisir les particularités nationales. Deux stratégies peuvent être envisagées. La première possibilité consiste à rendre plus concrètes les catégories de Marshall, la seconde à introduire d’autres aspects de la prétention à l’égalité, qui n’ont peut-être pas été saisis dans le schéma de base de Marshall. Les deux stratégies ont en effet été essayées ; cependant, pour ce qui est de les concrétiser dans une histoire comparative, nous n’en sommes qu’au stade initial des analyses systématiques de ces relations structurelles.

  • 4 Voir Lipset (1964), p. 24 sq.

5S. M. Lipset estimait récemment qu’au cours de l’industrialisation, toutes les sociétés devaient surmonter quatre problèmes fondamentaux : 1. la configuration du rapport à l’ancienne strate dominante préindustrielle ; 2. la reformulation des fonctions de l’Église, puisque habituellement celle-ci serait étroitement liée, au niveau des personnes, à l’ancienne strate dominante et, surtout, aurait contribué à la légitimation de l’ancien système de domination et de la morale sociale correspondante ; 3. l’imposition des droits civiques universels, en particulier le suffrage universel et 4. l’intégration du monde ouvrier dans le nouvel ordre socio-politique4.

  • 5 Voir Kirchheimer (1965), p. 20 et Weiner / La Palombera (1966).

6Une autre tentative pour articuler les problèmes structurels de la société moderne est offerte par l’énumération de M. Weiner et J. La Palombara. Ils mentionnent les tâches fondamentales suivantes, dont l’accomplissement acquiert un caractère constitutif pour l’ordre politique : 1. création de l’unité nationale ; 2. établissement d’un ordre constitutionnel démocratique ; 3. intégration de l’ensemble de la population dans cet ordre et 4. satisfaction des prétentions des différents groupes de population à prendre part à tous les acquis de la civilisation5.

  • 6 Reinhard Bendix a signalé à ce propos que l’évolution de l’Angleterre représente aussi un cas parti (...)

7Or, si l’on compare ces trois catalogues de problèmes, quelques croisements, quelques concrétisations et quelques développements se dégagent par rapport au modèle de base de T. H. Marshall. L’égalité juridique, dont Marshall attribue l’imposition au XVIIIe siècle, n’est plus mentionnée dans les deux autres ébauches. En revanche, la prétention politique à l’égalité apparaît partout, mais elle fait l’objet d’une différenciation, dans la mesure où, outre la partie institutionnelle (en particulier le suffrage universel), on souligne également l’intégration de l’ensemble de la population dans cet ordre constitutionnel. Par là, au-delà de l’autorisation formelle d’une participation de toutes les parties de la population, l’accent est mis sur la problématique des chances matérielles de participation et sur la problématique de l’obtention d’un consensus substantiel sur l’ordre politique, ce qui est notamment d’une importance particulière pour le monde ouvrier, mais aussi pour toutes les minorités ethniques et religieuses. Dans ce contexte, Lipset évoque deux situations conflictuelles spécifiques qui résultent de l’affrontement avec les représentants de l’ancien ordre dominant et avec les Églises qui leur étaient liées. C’est justement dans son rapport aux Églises et aux élites traditionnelles que le processus de démocratisation se trouve confronté dans chaque nation à des situations stratégiques éminemment distinctes, qui le favorisent ou l’entravent, et ce d’une manière qui est largement indépendante du développement industriel. Depuis le début, par exemple, cette situation stratégique se présente pour l’Allemagne d’une manière tout autre que pour l’Angleterre ou l’Amérique. La prétention sociale à l’égalité est enfin reprise par Weiner et La Palombera, et entre aussi dans la catégorie lipsetienne d’intégration du monde ouvrier. Ainsi, il ne reste qu’un point, la construction de l’unité nationale mise en avant par Weiner et La Palombera, qui n’est pas d’emblée relié à l’approche initiale de Marshall. Dans le cas de la Grande-Bretagne, l’unité nationale était en effet déjà atteinte au XVIIe siècle6, même si de forts régionalismes se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui en Écosse et au Pays de Galles et même si l’intégration de l’Irlande a somme toute échoué. Marshall peut donc bien, pour quelque raison que ce soit, ne pas avoir mentionné le problème de l’unité nationale, on peut néanmoins l’insérer systématiquement dans son cadre de référence. Toute prétention à l’égalité doit bien se rapporter à un ordre théorique, à l’intérieur duquel elle doit valoir. Ce cadre est offert par l’idée de l’État national, qui entoure les êtres humains de propriétés valant comme « naturelles », desquelles on peut ensuite déduire aussi la prétention à une pleine participation de la population dans son ensemble à cette communauté. Dans cette mesure, Weiner et La Palombera complètent le modèle de base de Marshall, notamment pour les États dans lesquels, jusqu’au XVIIIe siècle, l’unité nationale n’était pas définie d’une manière univoque ni assurée institutionnellement.

  • 7 Des approches prometteuses dans cette direction ont récemment été initiées par Lipset et ses collab (...)

8Il me semble que ces différents éléments, à l’intérieur du cadre de référence que T. H. Marshall a esquissé, peuvent être davantage systématisés et rendus opérationnels par des analyses de détail de différents pays, de sorte qu’une grille de classification puisse se faire jour qui rendrait possibles des analyses historiques comparées du processus de démocratisation. Les travaux que cela exige n’en sont encore qu’à leur stade initial7, de sorte que nous devons nous contenter pour le moment d’un schéma relativement grossier et assurément incomplet. Quelques dimensions se dessinent toutefois. En font partie la définition de l’identité nationale et son institutionnalisation dans un État. En fait partie, comme une autre dimension, la définition de la prétention politique à l’égalité, du point de vue des institutions autant que de la légitimité attribuée à cette prétention par différentes parties de la population. La troisième dimension se focalise sur l’intégration dans cet ordre politique de la population, dans toutes les formes pré-politiques de son organisation, qu’elles soient professionnelles, régionales ou religieuses. Il resterait enfin l’ensemble complexe que constitue la prétention sociale à l’égalité, qui vise à ce que tous les segments la population obtiennent et soient assurés d’avoir part aux biens de civilisation de la société.

  • 8 Dans son livre Man, Time and Society (1963), W. E. Moore a étudié systématiquement l’importance du (...)
  • 9 Voir par exemple Conze (1954) et Abendroth (1957) ; ainsi que Schieder (1958).

9Une deuxième thèse est introduite dans le débat par Marshall. Ce dernier, ainsi que Lipset, Weiner et La Palombera estiment que, lorsque plusieurs discussions problématiques de ce type se superposent dans le temps, il en résulte toujours des conflits extraordinaires, des désordres politiques et de l’instabilité sociale. Même un système politique fonctionnant bien ne pourrait chaque fois venir à bout que de l’un de ces complexes problématiques, toute forme politique d’organisation étant présumée avoir une capacité de performance limitée. Le processus de démocratisation dans son ensemble ne pourrait être promu que sur un temps plus long, par différentes élites politiques et par des mécanismes politiques d’intégration à l’efficacité limitée. Cette introduction du facteur temporel comme une composante sociale autonome est sans aucun doute d’une importance considérable8 et implique une historicisation de la recherche sociologique, qui est aussi réclamée à maints égards pour d’autres raisons9.

  • 10 Kirchheimer (1965), p. 20.
  • 11 Lipset (1964b), p. 25, ainsi que Lipset (1960), p. 55. [Référence au texte de Werner Sombart, Warum (...)

10Quelque mécanique et construite qu’elle apparaisse, cette hypothèse est tout à fait plausible pour l’Amérique et l’Angleterre. En Angleterre, estime O. Kirchheimer, l’unité nationale est déjà atteinte au XVIe siècle, elle serait suivie aux XVIIe et XVIIIe siècles par la formation d’un ordre social et constitutionnel déjà suffisamment stable pour faire face aux prétentions politiques à l’égalité ; quant à l’industrialisation, elle aurait déjà tellement progressé au XIXe siècle que l’intégration du monde ouvrier et la satisfaction de ses prétentions sociales auraient pu être mises en œuvre sans grand ralentissement lorsque le mouvement socialiste aspirait à leur imposition. « L’Angleterre demeure le parfait exemple de la manière dont les problèmes du moment pouvaient être entièrement maîtrisés par le système gouvernemental et par le système de partis, parce qu’ils apparaissaient séparément et non d’une manière accumulée10 ». L’évolution de l’Angleterre se caractérise donc par la stabilité du système politique et le moindre degré de radicalisation sociale. D’une manière similaire, argumente Lipset, aux États-Unis, l’unité nationale et les droits politiques égaux auraient déjà été présents d’une manière incontestable avant le début de l’industrialisation, ce à quoi l’absence de classes dominantes établies, comme il en existait en Europe, aurait contribué d’une manière essentielle. L’augmentation du niveau de prospérité se serait ensuite opérée si vite, du fait de l’industrialisation rapide, que l’intégration sociale et la satisfaction des prétentions du monde ouvrier à la participation pouvaient elles aussi se dérouler avec succès, en l’absence de toute idée de prestige statutaire. Ces éléments répondent aussi à la question souvent posée, et formulée par Werner Sombart en 1906 : pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux États-Unis11 ? L’Angleterre et l’Amérique sont les deux cas modèles de développement de l’industrialisation et de la démocratisation, qui ne trouvent assurément aucun équivalent sur le continent.

  • 12 Kirchheimer (1965), p. 24.
  • b [La distinction entre Integrationspartei et Weltanschauungspartei est tirée par Otto Kirchheimer (...)

11La France et l’Allemagne sont les deux grands contre-exemples. En France, l’unité nationale est réalisée dès la fin du XVIe siècle, des institutions démocratiques sont peu à peu établies à partir de la révolution de 1789, l’industrialisation se met en place tôt et progresse lentement, pourtant la masse de la population n’est qu’incomplètement intégrée dans l’ordre socio-politique. Ce qui prédomine, c’est une grande instabilité politique et une radicalisation du mouvement ouvrier. En Allemagne, en revanche, l’unité nationale est obtenue tardivement, les institutions démocratiques ne sont formées que de manière inachevée. Avec l’industrialisation rapide, la population est incomplètement intégrée, et avec la stabilité politique qui règne jusqu’en 1918, le mouvement ouvrier connaît une grande radicalisation. La France et l’Allemagne se distinguent essentiellement au regard de chacune des dimensions : tandis qu’en France, la construction de la nation et l’égalité formelle des droits politiques existaient plus tôt qu’en Allemagne, aucune intégration de la population dans l’ordre socio-politique n’est atteinte dans les deux pays ; dans les deux pays, une radicalisation du mouvement ouvrier apparaît, mais la stabilité politique, au XIXe siècle, est en définitive bien moindre en France qu’en Allemagne. C’est pourquoi Kirchheimer met en doute la formule « un seul fardeau à la fois » quand il s’agit d’expliquer ces différences. Il met en doute la thèse selon laquelle on pourrait voir dans la réalisation tardive d’un système constitutionnel démocratique en Allemagne la cause principale de l’intégration incomplète du monde ouvrier, et il estime qu’il y a lieu de chercher dans la nature de leurs systèmes de partis respectifs la variable déterminant la capacité d’un système politique à intégrer l’ensemble de la population12. Et, de fait, on n’a cessé d’indiquer qu’il n’y aurait eu en Angleterre et en Amérique que peu de partis d’intégration, tandis qu’il y aurait eu en France et en Allemagne beaucoup de partis à fondement idéologique (Weltanschauungsparteien)b.

12Ce changement de perspective entraîne cependant un risque, celui d’isoler le système de partis de son contexte structurel, de voir dans le comportement des partis eux-mêmes la variable déterminante et de négliger d’autres facteurs de l’organisation politique. Or, ainsi, le cadre de référence structurel serait à nouveau délaissé et on en reviendrait à une historiographie des différents partis, qui a tôt fait de se réduire à des biographies des différents dirigeants de parti. Le système de partis, dans sa genèse et dans son maintien particuliers, est pourtant l’expression de certaines constellations sociales pré-politiques, tout résultat qu’il soit, par ailleurs, des systèmes électoraux et des ordres constitutionnels. Il est l’expression et le représentant de certaines orientations politiques fondamentales qui sont déterminées par le contexte social structurel et qui reflètent les conflits sociaux constitutifs à l’intérieur d’une société.

  • 13 Duverger (1959), p. 245. [Pour la version française, dont les termes sont ici repris, voir Duverger (...)
  • c [La traduction allemande du livre de Duverger rend par Gesinnungsgemeinschaften (littéralement : (...)

13C’est en ce sens que M. Duverger a tenté d’analyser le système de partis français à travers la constellation conflictuelle sur laquelle il s’appuie. Sa grille d’analyse des conflits de classes articule dès lors trois couples de principes ordonnateurs : clérical – laïc, parlementaire – antiparlementaire, dirigiste – libéral13. De cette manière, Duverger obtient pour le XXe siècle des « familles spirituelles » délimitées selon ces trois dimensionsc, qui se maintiennent sur de longues périodes et forment le modèle de base de l’organisation politique de la société française. Chacune de ces familles spirituelles est liée à des ordres sociaux pré-politiques, à des strates sociales et à des communautés religieuses, et développe une sous-culture socio-politique qui lui est propre. C’est précisément cette fragmentation qui reflète le manque d’intégration de la population dans l’ordre politique de la nation, le système de partis étant aussi bien la cause que la conséquence de ces conflits d’intégration. Si l’on considère les dimensions conflictuelles de Duverger à l’aune du cadre de référence de Marshall, c’est alors le clivage entre catholiques et laïcs et entre démocrates parlementaires et autoritaires antiparlementaires qui apparaît comme le modèle de base. Les deux situations conflictuelles remontent à la Révolution française. Elles se sont déjà fixées avant le début de l’industrialisation et n’étaient pas encore résolues lorsque la prétention sociale à l’égalité apparut. À travers cette prétention, dès lors, l’ordre politique fondamental se complexifie encore, du fait que les quatre familles spirituelles qui étaient nées des anciens conflits d’ordres se divisent encore une fois selon qu’elles soutiennent ou freinent la prétention sociale à l’égalité. Ainsi, les situations conflictuelles nées de la définition du contenu de la prétention politique à l’égalité se superposent à celles qui sont liées à l’imposition de la prétention sociale à l’égalité. Cette coïncidence de conflits hétérogènes conduit à la radicalisation des familles spirituelles correspondantes et à un système multipartite qui, en dépit de coalitions changeantes, ne peut échapper à l’immobilité de situations conflictuelles multidimensionnelles. En dépit d’une identité nationale incontestée et de droits formels à la participation, le système politique de la France resta caractérisé par l’instabilité et le manque d’intégration de l’ensemble de la population.

14Si l’on considère à présent le système de partis allemand depuis la fondation de l’Empire, ce qui frappe d’abord, c’est la remarquable stabilité et une évolution linéaire de 1871 à 1928. Cette stabilité sur une période de 60 ans est déjà en soi un fait intéressant, d’autant que, pendant ce temps, non seulement l’Empire allemand acquit une importance politique mondiale, l’industrialisation s’épanouit pleinement, la Première Guerre mondiale ébranla la conscience nationale allemande, mais en outre la forme de l’État, le droit de vote et la constitution – donc les facteurs qui affectent directement le système de partis – se transformèrent. La stabilité et l’évolution linéaire du système de partis allemand semblent avoir reposé sur des conditions sociales structurelles et des conceptions de l’ordre politique qui n’ont pas directement et fondamentalement changé, même sous l’effet de ces événements cruciaux. Pour expliquer ce fait, on peut présumer que le système de partis allemand était pour l’essentiel l’expression de conflits structurels qui existaient avant la fondation de l’Empire. Une fois que des familles spirituelles furent mobilisées politiquement, les partis sont restés focalisés sur elles et ont de ce fait ritualisé et pérennisé des conflits qui, à un niveau sous-culturel, ont recouvert et freiné le processus de démocratisation.

15Le tableau qui suit donne une vue d’ensemble de l’évolution du système de partis allemand à la lumière des résultats des élections au Reichstag de 1871 à 1928. Les différents partis y sont rassemblés dans les quatre grands regroupements qui représentent le modèle de base de l’organisation politique de la société allemande. S’ajoutent, réunies dans un groupe, toutes les tendances politiques plus restreintes qui, comme tendances « dissidentes », se situent dans une certaine mesure hors de ce système d’intégration socio-politique. Il est certain que les différenciations opérées à l’intérieur de ce modèle de base jouent un rôle essentiel lors de la décision politique concrète au parlement ; elles sont négligeables, néanmoins, pour les questions touchant à l’intégration politique des différents segments de population et à l’organisation socio-politique générale de la société allemande. La division du libéralisme entre libéraux de droite et libéraux de gauche n’affecte pas le fait que les deux orientations mobilisaient pour l’essentiel les mêmes segments de population, pour l’orientation politique desquels la désignation formelle du parti compte moins que les traditions régionales. En ce sens, on peut aussi, pour la fin qui est la nôtre, passer outre la division des conservateurs, et plus tard des socialistes, entre tendances radicales et tendances modérées.

Évolution du système de partis allemand de 1871 à 1928

Pourcentage des voix et nombre absolu de voix lors des élections au Reichstag en centaines de milliers (arrondis)

  • d [Deutsche Zentrumpartei, parti catholique ; N.d.T.]
  • e [La signification de ces sigles est la suivante. DNVP : Deutschnationale Volkspartei (Parti natio (...)

Année électorale /

Participation électorale en %

Conservateurs

% / valeur abs.

Libéraux

% / valeur abs.

Centred

% / valeur abs.

Socialistes

% / valeur abs.

Autres

% / valeur abs.

1871 / 51

23 / 9

40 / 15

19 / 7

3 / 1

15 / 6

1874 / 60

14 / 7

39 / 20

28 / 14

7 / 4

12 / 6

1877 / 60

18 / 10

38 / 20

25 / 13

9 / 5

10 / 5

1878 / 63

27/ 15

33 / 19

23 / 13

8 / 4

9 / 5

1881 / 56

24 / 12

37 / 19

23 / 12

6 / 3

9 / 5

1884 / 60

22 / 12

37 / 21

23 / 13

10 / 5

8 / 5

1887 / 77

25 / 19

36 / 27

20 / 15

10 / 8

9 / 6

1890 / 71

19 / 13

34 / 25

19 / 13

20 / 14

8 / 6

1893 / 72

19 / 15

27 / 20

19 / 15

23 / 18

12 / 9

1898 / 68

16 / 12

24 / 18

19 / 15

27 / 21

14 / 12

1903 / 76

14 / 13

23 / 22

20 / 19

32 / 30

12 / 11

1907 / 84

14 / 15

25 / 28

19 / 22

29 / 33

13 / 14

1912 / 85

12 / 15

26 / 31

16 / 20

35 / 43

11 / 13

DNVP

DVP & DDP

Centre et BVP

SPD et KPD

Autres dont NSDAPe

1919 / 83

10 / 31

23 / 70

20 / 60

45 / 139

2 / 5

1920 / 79

15 / 42

22 / 62

18 / 51

42 / 117

3 / 9

1924 / 77

20 / 57

15 / 43

17 / 49

33 / 97

14 / 42

1924 / 79

21 / 62

16 / 40

17 / 53

35 / 106

11 / 33

1928 / 76

14 / 44

14 / 42

15 / 47

40 / 124

17 / 51

16Dans le détail, ce qui se révèle, c’est une évolution extraordinairement continue du système de partis sous l’Empire, qui se poursuit même par-delà la guerre jusque sous la République de Weimar. Commençons par les conservateurs. Ils entrent dans l’Empire avec une base électorale solidement formée et régionalement concentrée, sans conquérir par la suite d’autres grands groupes d’électeurs. De 1871 à 1887, ils bénéficient proportionnellement d’un nombre de voix croissant, ce qui s’explique avant tout par une plus forte mobilisation politique de la population dans leur bassin traditionnel. Dans les provinces prussiennes de Prusse orientale, de Poméranie, du Brandebourg et de Saxe, au début de la période, la participation électorale se situe, avec 40 à 45 %, loin en-dessous de la moyenne de l’Empire, alors qu’à la fin de la période, avec 70 à 75 %, elle atteint exactement la moyenne de l’Empire. La croissance des conservateurs est alors terminée. Ils sont certes en mesure de retenir la partie de la population qui a été mobilisée, mais ils se replient sur des régions qui votent traditionnellement conservateur. Ils demeurent les représentants d’un milieu social protestant, agrarien, circonscrit régionalement et qui obéit traditionnellement à des modèles (Leitbilder) paternalistes. La coïncidence d’une certaine tradition politique régionale, d’une confession spécifique et de certaines conditions de vie socio-économiques donne à ce milieu une stabilité, qui n’est pas même immédiatement affectée par les grandes transformations politiques, bien que les ouvriers agricoles, la strate inférieure de ce milieu, soient progressivement arrachés par les sociaux-démocrates aux liens socioculturels et aux liens de sujétion qui les attachent à ce milieu. Sous la République de Weimar, les conservateurs (désormais sous la désignation de Parti national du peuple allemand) profitent d’une manière à peu près inchangée de leur acquis des dernières élections d’avant-guerre. Si, lors des élections de crise de l’année 1924, ils conquièrent nettement, à travers les voix protestataires, des groupes urbains de la population qui votaient jadis pour les libéraux, ils retombent en 1928 à leur score d’avant-guerre.

  • f [Allusion à la mise en place, dans l’empire allemand, à l’initiative du chancelier Otto von Bisma (...)
  • g [Allusion au Deutsche Reformpartei (Parti allemand de la réforme), fondé en 1893 et successeur de (...)

17Le cas des libéraux est un peu plus complexe, parce que le libéralisme allemand est représenté par des formations partisanes souvent changeantes. Pendant un temps, l’évolution des nationaux-libéraux et du Parti du progrès, avec tous les groupuscules qui s’en sont détachés, suit certes un cours opposé mais, sur l’ensemble de cette période, cette évolution est parallèle. Les fluctuations entre les deux partis apparaissent surtout après 1878, c’est-à-dire après le passage du libre-échange au tarif douanierf, qui conduit à un renforcement des libéraux de gauche au détriment des nationaux-libéraux, et lors des élections septennales de 1887, avec le retour de balancier vers les nationaux-libéraux. Même l’élection à l’assemblée nationale de 1919 ne modifie que pour une courte période le rapport interne entre les deux tendances, ce qui cependant peut être expliqué pour l’essentiel par une faiblesse organisationnelle momentanée du Parti populaire allemand, successeur des nationaux-libéraux. Si dès lors on fait abstraction de ces quelques recompositions internes, il en résulte, sur l’ensemble de la période, une évolution globalement linéaire du libéralisme allemand. Il entre en 1871 dans l’Empire avec environ 1,5 millions d’électeurs et atteint en 1887 son point culminant relatif avec 2,7 millions de voix, ce qui correspond à l’évolution proportionnelle du nombre croissant d’électeurs depuis 1871. Par la suite, il manque au libéralisme la force de recruter des électeurs proportionnellement à l’évolution de la population et de mobiliser de nouveaux groupes de population. Il reste lui aussi focalisé sur des groupes sociaux qui étaient déjà mobilisés politiquement avant la fondation de l’Empire. Le passage de l’Empire à la République de Weimar voit le libéralisme se maintenir à peu près au niveau atteint en 1912 pour ensuite chuter rapidement à partir de 1924. Le libéralisme a perdu sa force d’intégration politique et ouvert un espace politique dans lequel le national-socialisme put ensuite s’engouffrer. Il ne fut pas en mesure d’intégrer la bourgeoisie allemande dans la société industrielle, de sorte que des parts toujours plus grandes s’échappèrent vers des partis protestataires (Parti de la réformeg, antisémites, nationaux-socialistes) ou vers des partis reposant sur l’appartenance professionnelle (ligues paysannes, partis économiques), c’est-à-dire vers la protestation idéologique radicalisée ou le repli vers des intérêts particuliers séparés.

  • h [Conflit opposant l’État prussien puis le Reich allemand à l’Église catholique, notamment autour (...)

18La stabilité du Centre est bien connue. Il entre dans l’Empire avec une bonne organisation dans les régions catholiques et avec une participation électorale relativement élevée ; jusqu’en 1874 il croît rapidement sous la pression du Kulturkampfh, pour atteindre sa pleine puissance avec 1,4 millions de voix, puissance qu’il maintient jusqu’en 1887 à travers un recrutement proportionnel au nombre croissant d’électeurs. Par la suite, le Centre gagne certes encore en voix, néanmoins l’augmentation de ces dernières reste en retrait de l’évolution de la population. En d’autres termes, le Centre perd constamment en force de recrutement jusqu’à la fin de l’Empire. Le passage à la République de Weimar conduit à une augmentation disproportionnée des voix (en particulier du fait du droit de vote des femmes) ; pourtant, dès 1920, la tendance à un déclin lent et constant à l’œuvre sous l’Empire s’installe à nouveau. L’évolution se caractérise donc par un lent épuisement de la partie catholique de la population qui était mobilisée jusqu’en 1874. Les représentations socio-politiques de l’ordre que se fait le gros des électeurs du Centre semblent liées à des valeurs qui sont pour l’essentiel spécifiques à la confession, pré-politiques et pré-industrielles, puisqu’elles se maintiennent d’une manière absolument indifférente aux événements sociaux et politiques, ce qui du reste leur a également permis une si grande résistance vis-à-vis du national-socialisme.

  • i [En 1875, l’ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, soit Association générale des ouvriers al (...)
  • j [Le terme Sozialistengesetz désigne un ensemble de lois votées à partir de 1878 et interdisant to (...)

19Les socialistes se présentent comme le seul mouvement allant à contre-courant. Encore à peine organisé comme parti au début de l’Empire, les deux sectes sociale-libérale et démocrate radicale ne s’unissent qu’en 1875 dans le parti social-démocratei. Sous la pression de la loi sur les socialistesj, un vaste réseau d’organisations pré-partisanes se développe et, en quelques années, jusqu’en 1890, le parti est en mesure, avec 1,4 millions d’électeurs, d’attirer à lui un cinquième des électeurs. Jusqu’en 1912, l’ascension du parti se poursuit d’une manière ininterrompue, elle mobilise environ la moitié du monde ouvrier, certains groupes de travailleurs agricoles et d’artisans sur le déclin, et intègre ces groupes de population dans une sous-culture spécifique. Le passage à la République lui apporte encore une fois, en 1919, une croissance marquée ; dès 1920, cependant, le socialisme (KPD inclus) retombe à son score relatif de 1912, qu’il n’a pas non plus été en mesure de dépasser de façon significative en 1928 (pas plus du reste qu’au temps de la République fédérale). Dans son évolution en Allemagne, le socialisme est manifestement resté focalisé sur le milieu social qui a été organisé vers le tournant du siècle. Il est en mesure de continuer à recruter les parties de la population mobilisées jusqu’alors et aussi de les conserver, cependant il ne parvient pas à opérer un élargissement au-delà, si l’on fait abstraction de la situation particulière de l’année 1919. Certes, le socialisme développe la seule nouvelle « famille spirituelle » socio-politique à l’époque de l’Empire et en confrontation directe avec l’industrialisation, néanmoins c’est aussi sous l’Empire qu’il rencontre les limites de son recrutement. Il se divise au cours de la guerre – comme autrefois les libéraux – en une aile nationale-pragmatique et une aile démocratique radicale, sans que cela lui permette pour autant de dépasser le milieu social-démocrate initialement constitué.

  • k [Référence au Deutsch-Hannoversche Partei, Parti allemand hanovrien, ainsi désigné d’après le nom (...)
  • l [Le Christlich-soziale Partei, fondé en 1878, était un parti chrétien conservateur et antisémite  (...)

20Cette vue d’ensemble sur l’évolution des partis en Allemagne inclut enfin les tendances politiques qu’on ne peut ranger parmi les grands partis. Si l’on réunit tous les autres partis dans le groupe des « dissidents » de notre modèle de base, nous avons au début de l’Empire un groupe comprenant environ 600 000 électeurs « protestataires ». Ils consistent, pour 80 % d’entre eux, en minorités ethniques, tandis que le reste est pour l’essentiel à mettre au crédit des Welfsk. Les minorités ethniques politiquement organisées, Polonais, Danois, Alsaciens-Lorrains, demeurent relativement stables pendant l’époque de l’Empire, et c’est seulement chez les Alsaciens-Lorrains que s’amorce un reflux notable à partir de 1890. Les Welfs conservent eux aussi leur électorat mobilisé avant le début de l’Empire. Si l’on ne tient pas compte de ces groupes « ethniques », ce qui ressort, c’est que des parties croissantes de la bourgeoisie se tournent progressivement vers des orientations partisanes idéologiques et reposant sur l’appartenance professionnelle : naissent alors le Parti allemand de la réforme, le Parti populaire antisémite, le Parti chrétien-sociall, les différentes ligues paysannes, etc. Certes, ils ne constituent vers la fin de l’Empire que près de la moitié des « dissidents », mais ils témoignent de la genèse de petits groupes marginaux, en particulier paysans et petits-bourgeois, qui ne sont plus compris dans le modèle de base de l’organisation socio-politique du peuple allemand. Après le traité de Versailles, les minorités ethniques disparaissent, de sorte que le score des petits partis plonge d’abord considérablement. Mais, dès 1920, les « dissidents », désormais homogènes ethniquement, atteignent à nouveau leur niveau proportionnel d’avant-guerre, progressent ensuite d’une manière fulgurante, reprennent les électeurs du libéralisme en cours de dissolution et atteignent en 1928 un point culminant unique dans l’histoire du système de partis allemand, avec 14 % des voix. Si l’on compte jusque vers 1928 les nationaux-socialistes – dont les précurseurs figurent parmi les partis protestataires à l’idéologie radicale – au nombre de ce groupe, il en résulte au total une désintégration d’environ 20 % de la population par rapport au système de partis traditionnel. C’est ici que se reflète l’auto-dissolution du système de partis allemand dès avant la crise économique, et dès avant le succès massif des nationaux-socialistes qui s’ensuit.

21La crise des années 1929-1933 conduit ensuite à la liquidation violente d’un système de partis relativement stable depuis soixante ans. Cet effondrement trouve son point de départ dans la désintégration de l’organisation politique du milieu bourgeois protestant, qui se préparait depuis les années quatre-vingt-dix et progresse rapidement après la perte de la guerre. Même la relative stabilité et la remarquable force de résistance vis-à-vis des nationaux-socialistes dont firent preuve le Centre et les socialistes, cependant, ne sauraient dissimuler le fait que ces deux tendances partisanes stagnaient. Le Centre faisait déjà face, depuis les années quatre-vingts, à un processus constant de lent épuisement interne, et les socialistes ne parvinrent pas à percer hors de leur souche électorale traditionnelle, même après la guerre. Les conservateurs, enfin, s’étaient recroquevillés sur un petit noyau dur spirituel. Le système de partis allemand apparaît comme paralysé, focalisé sur des situations conflictuelles qui existaient au moment de sa genèse, qui avaient perdu en importance dès les années quatre-vingt-dix et qui étaient devenues complètement obsolètes après la guerre.

  • m [Aujourd’hui Poznań, en Pologne ; N.d.T.]
  • n [Entre 1871 et 1918, l’Alsace-Lorraine, contrairement aux autres régions de l’Empire allemand, n’ (...)

22Conservateurs, libéraux et Centre s’appuient sur des groupes électoraux qui étaient déjà socialement structurés et politiquement mobilisés avant la fondation de l’Empire. Ils demeurent liés à des traditions régionales et à des prétentions à l’autonomie et ne conduisent à aucune intégration politique de la population dans le nouveau cadre de référence de l’Empire allemand. Ils le font d’autant moins qu’ils dépendent, pour la mobilisation des électeurs, de formations sociales locales et régionales complexes, qui ne sont qu’indirectement liées aux partis. Longtemps avant la formation d’organisations partisanes fermement constituées, les électeurs étaient recrutés pour des partis déterminés par des comités électoraux locaux ad hoc, par des notables, par les Églises et par une multitude d’associations pré-politiques. Ainsi, dès 1887 – avant même la grande percée des socialistes –, avec une participation électorale de 77 %, la mobilisation complète du peuple allemand était atteinte en pratique, et il faut encore souligner que, dès le début des années soixante-dix, des participations électorales de plus de 70 % sont déjà atteintes dans différents États fédérés et provinces prussiennes. À ces régions dotées d’une activité politique située largement au-dessus de la moyenne dans les années soixante-dix appartiennent d’une manière caractéristique, outre les Länder méridionaux de Bade, Bavière et Hesse, les provinces prussiennes incluant des minorités ethniques et religieuses fermées, comme la province du Rhin, les provinces de Posenm et de Prusse occidentale, ainsi que, pour terminer, le Land impérial d’Alsace-Lorrainen. Les socialistes, qui ne se développent que plus tard, absorbent les parties de la population qui ne sont plus intégrées dans un système de partis fondé pour l’essentiel à l’ère pré-industrielle, se trouvent entourés d’une barrière morale symboliquement dramatisée et s’installent dans cette enclave. La stabilité du système de partis allemand semble reposer sur ses liens immédiats avec des milieux sociaux respectifs relativement fermés. Les partis étaient les comités d’action politique de ces milieux dotés d’une morale sociale et structurés intérieurement d’une manière éminemment complexe, ils visaient leur propre conservation et restaient aussi enferrés, en matière d’activité politique, dans la complexité des intérêts de leur milieu. C’est ce qu’ils restèrent, même encore lorsque leur milieu se délita discrètement, comme chez les libéraux, lorsqu’il se contracta en permanence, comme pour le Centre, ou lorsqu’il stagna, comme chez les socialistes. Le système de partis s’effondra lorsque, avec les progrès de l’industrialisation et la croissance de la mobilité et de la différenciation sociale, ces milieux entrèrent lentement en déshérence.

  • 14 Amery (1963).
  • 15 Cette formulation fait suite à une idée de W. B. Simon, qu’il a développée dans son article « Polit (...)

23Il faut encore définir plus précisément, à partir de quelques remarques, le concept de milieu qui est ici constamment utilisé. Carl Amery14 a récemment repris ce concept pour analyser le catholicisme allemand et a formulé de manière très convaincante la thèse selon laquelle le catholicisme aurait, dès avant Hitler, capitulé devant son propre milieu petit-bourgeois. Ce qui intéresse Amery, ce sont les développements religieux et ecclésiastiques. Il estime que l’Église en est venue à dépendre toujours plus fortement des associations et des organisations de fidèles, lesquelles auraient, pour l’essentiel, porté l’empreinte d’intérêts petits-bourgeois. L’Église aurait ainsi abandonné sa liberté de mouvement et perdu la force de lutter pour des valeurs relevant de la morale sociale qui dépassaient l’horizon de son milieu petit-bourgeois restreint. Même si, chez Amery, le concept de milieu demeure confusément pris dans une multitude de significations quelque peu bigarrée, il me semble être fécond. D’abord, pour cette raison qu’il entretient un rapport complexe avec une unité qui relève de la morale sociale, unité qui surmonte par principe une certaine étroitesse de l’analyse en termes de théorie des classes. Mais c’est justement cela qui est nécessaire pour l’analyse de l’intégration et de l’organisation politiques de la société allemande, lesquelles, d’une manière caractéristique, ne s’opéraient pas seulement suivant des intérêts de classes, mais étaient aussi déterminées par une configuration complexe de facteurs religieux, régionaux, sociaux et économiques. Aucun des grands regroupements partisans n’était, au sens strict, homogène en termes de classe : le Centre l’était le moins, mais les libéraux ne l’étaient pas non plus, de même que la coalition conservatrice entre les grands propriétaires terriens, les paysans et les bureaucrates ne peut être décrite comme constituant une strate homogène. Restent donc uniquement les socialistes, qui présentent une certaine homogénéité de classe, mais qui d’un autre côté ne purent intégrer qu’à peine la majorité des membres de cette classe. Le concept de « milieu social-moral » présente, vis-à-vis du concept de classe, l’avantage d’offrir un cadre de référence explicitement élargi. Je l’utilise ici pour désigner des unités sociales qui sont formées par une coïncidence de plusieurs dimensions structurelles, comme la religion, la tradition régionale, la situation économique, l’orientation culturelle, la composition de groupes intermédiaires en strates spécifiques. Le milieu est une formation socioculturelle qui est caractérisée par une répartition spécifique de ces dimensions sur une partie déterminée de la population15.

  • 16 Voir notamment à ce propos Rendtorff (1964), p. 235 sq.

24Le danger, dans la relation étroite des partis à un milieu social correspondant, est que le système de partis serve davantage au maintien de l’autonomie du milieu qu’à son intégration dans l’ensemble de la société. Ce danger est d’autant plus grand si le milieu est relativement homogène, ou bien s’il s’homogénéise au cours d’un processus de contraction par le rejet de groupes situés à ses marges, ou bien enfin s’il est dominé, dans ses formations intermédiaires, par une strate dirigeante homogène. Suivant un processus circulaire, la direction politique voit alors son domaine d’action se resserrer sur les intérêts des représentants dominants du milieu, ce qui contribue en même temps à une nouvelle mise à l’écart des parties de la population qui ne sont pas articulées par ceux-ci, mais par là-même à un nouveau resserrement du domaine d’action qui lui est propre. Le résultat est un isolement croissant du parti et du milieu, jusqu’à ce qu’il ne demeure à la fin que de petites familles spirituelles, qui sombrent dans une insignifiance complète. Si des processus de cette espèce s’accumulent, de plus grandes parts de la population se détachent politiquement, même s’il se peut qu’elles suivent encore pendant un temps l’ancienne tradition électorale. Amery a tenté de montrer ce fait à propos de la paralysie de l’Église catholique, mais ce danger de resserrement de la prédication morale de l’Église, par sa projection sur la composition – souvent atypique pour l’ensemble de la société – des membres de la paroisse, est connu tout aussi bien dans les Églises protestantes16. Naturellement, ce processus peut s’emparer de la même manière de partis politiques.

  • 17 Voir à ce propos Buchheim (1963), ainsi que Nipperdey (1961b).

25Le lien entre milieu social et parti est particulièrement net dans le cas du Centre, qui dans les faits n’était que le comité politique du mouvement populaire catholique se déployant depuis les années cinquante, mouvement qui était fondé sur une multitude d’associations locales ecclésiastiques, de charité, de convivialité, souvent placées sous la direction du clergé. La Révolution française, la sécularisation des autorités territoriales ecclésiastiques, la perte des privilèges statutaires du clergé et enfin la dissolution des États pontificaux qui représentait pour l’indépendance du pape bouleversèrent la position du clergé catholique et la compréhension qu’il avait de lui-même. Ils firent reposer leur espoir sur la mobilisation des croyants, qui promettait de protéger l’Église après la perte de ses privilèges officiels. Ainsi commença en 1848 une mobilisation de la population catholique, qui trouva ensuite une synthèse et une large organisation de masse semi-politique dans le « Comité central des catholiques allemands » (1868), l’« Association des catholiques allemands » (1872) et enfin l’« Association populaire pour l’Allemagne catholique » (1890). En l’espace d’une génération, se développa de cette manière un milieu social catholique éminemment fermé, structuré régionalement et hiérarchiquement construit, avec des sections professionnelles, milieu qui, dans des régions catholiques homogènes, s’est avéré absolument intransigeant. Ainsi, en politique, sa morale sociale était focalisée d’une manière caractéristique sur le maintien de l’autonomie interne, elle était sur la défensive vis-à-vis de l’extérieur et entraîna un isolement durable de la partie catholique du peuple, à l’écart de l’ensemble plus englobant de la société et de ses tendances sociales, culturelles et politiques17.

  • 18 Schauff (1928), p. 74.
  • 19 Selon des indications du prince Aloys de Löwenstein, cité par Morsey (1960), p. 347.
  • 20 Voir à ce propos Schauff (1928).

26La partie catholique du peuple entre dans l’Empire pleinement mobilisée et organisée, tenue à une morale sociale essentiellement pré-industrielle et pré-démocratique et intégrée dans une sous-culture dans laquelle les questions économiques et politiques possédaient une moindre dignité. J. Schauff a calculé que, dans les années soixante-dix, le Centre comprend environ 80 % des catholiques ayant le droit de vote, que sa force d’intégration diminue à partir de 1887, qu’elle se trouve autour des années quatre-vingt-dix vers 70 % et qu’elle est tombée à moins de 60 % en 1912. Sous la République de Weimar, en incluant les femmes qui ont désormais le droit de vote, 55 % des catholiques votent pour le parti du Centre, et toujours 50 % si l’on ne considère que les hommes18, mais ils ne sont plus que 45 % environ à le faire en 193319. Cet effondrement du Centre s’opère dans deux directions. En premier lieu, l’importance du vote pour le Centre est liée à la foi confessionnelle. Avec le déclin de la spiritualité, un nombre croissant de catholiques se détachent de la sous-culture catholique. Ce processus d’affaiblissement lent et continu de ce milieu catholique qui était politiquement mobilisé jusqu’en 1874 n’est pas directement influencé par des événements sociaux ou politiques. Il semble être causé beaucoup plus fortement par le déclin de l’emprise de la morale sociale catholique, de sorte que l’on peut sans doute voir un facteur essentiel dans la différenciation progressive des processus de socialisation qui affecte sur le long terme la partie catholique de la population. La lutte constante pour un enseignement confessionnel a sûrement contribué au maintien d’un milieu social catholique fermé, mais précisément, l’intégralité des processus de socialisation qu’un être humain traverse dans une société industrielle mobile et différenciée ne se résume pas à la scolarité publique. Mais en second lieu, sur la durée, le Centre n’est pas en mesure de combler la différenciation des intérêts de classes née avec l’industrialisation, de sorte que les ouvriers passent surtout au socialisme, et à l’époque de Weimar, selon une proportion plus élevée que la moyenne, aux communistes, tandis que les paysans migrent vers les ligues paysannes20.

27Ainsi, à partir de la fin du Kulturkampf, le Centre perd du terrain, et pourtant les années du Kulturkampf ont suffi à radicaliser politiquement une sous-culture catholique préformée et à l’isoler ainsi hors de la communauté politique pour un demi-siècle. Les préjugés et les incompréhensions de l’Allemagne protestante ont largement contribué à ce phénomène. Deux des sentiments anti-catholiques les plus essentiels chez les protestants se consolident en outre justement à cette époque : l’un concerne, avec la déclaration d’infaillibilité (1870), l’ultramontanisme et le manque de fiabilité nationale qui en découle, l’autre, avec le dogme marial (1854), l’irrationalité et le caractère rétrograde. Ces deux exemples devraient suffire à faire comprendre la frontière morale émotionnellement exagérée entre protestants et catholiques, frontière qui séparait deux milieux socioculturels structurés de manière pré-politique, l’un se trouvant dans une situation de minorité qui n’était pas seulement quantitative.

  • 21 Voir à ce propos la présentation très convaincante du déclin du Centre par Morsey (1960).

28Dans ce contexte, on ne doit pas surestimer la politique pragmatique des dirigeants du Centre, tournée vers la démocratisation. Le Centre n’était pas un parti d’adhérents, c’était le comité politique des organisations de l’Allemagne catholique. Ces organisations et le clergé ont lié la direction du parti aux électeurs. Cette légitimation indirecte de la politique du Centre a rendu possible, pour ses dirigeants, une liberté tactique plus grande que pour des partis qui doivent être directement responsables devant leurs électeurs. Pour autant, ce ne sont pas les dirigeants du Centre et leur politique qui ont mobilisé et intégré ses électeurs, mais l’Église et les organisations du milieu. Sans elles, le Centre n’est pas fonctionnel. Logiquement, en 1933, privé du soutien du clergé, il s’effondre brusquement dans un opportunisme désorienté : le milieu avait explosé et ses organisations ecclésiastiques, professionnelles et politiques commencèrent à se disperser21.

29Si le Centre est le comité politique du milieu social catholique, il est aussi, à l’inverse, l’un de ses supports les plus essentiels. Il défend son autonomie interne et freine l’intégration politique de la population catholique par une médiation compliquée entre l’identification nationale et la loyauté envers le milieu. Les intérêts diffus d’un milieu composé de strates hétérogènes contraignent le Centre à sa politique de compensation qui, dans la lutte pour l’imposition des prétentions politiques ou sociales à l’égalité, resta sans effet.

30L’Allemagne protestante se scinde suivant la dichotomie traditionnelle des conservateurs et des libéraux, où en règle générale les villes, sous la direction de notables bourgeois, votent libéral et la campagne, sous la direction de propriétaires terriens souvent nobles, vote conservateur. Ce modèle simple se complexifie du fait de la scission des conservateurs comme des libéraux face à la politique bismarckienne d’unification, face à la controverse entre libre échange et tarif douanier, mais aussi et surtout suivant des traditions régionales. Ce sont justement ces dernières qui devinrent plus déterminantes pour la mobilisation durable des électeurs que les luttes d’orientation à l’intérieur des deux groupes, car ce n’est qu’après 1880 que des familles spirituelles à l’origine fortement personnalisées se transformèrent en tendances partisanes et que les groupes parlementaires commencent à se constituer aussi en partis organisés localement.

  • 22 Voir à ce sujet et pour ce qui suit Nipperdey (1961b), ainsi que Nipperdey (1961a).

31Chez les libéraux, on en arrive à la formation de centres de gravité régionaux pour les nationaux-libéraux et le Parti du progrès, sans pour autant qu’il faille évoquer de ce fait une loyauté programmatique spécifique à l’une ou l’autre doctrine politique. Dans les deux partis libéraux, la distance entre le groupe parlementaire au Reichstag et la tradition électorale locale ne fut guère surmontée, de sorte que la tactique parlementaire n’a en aucun cas besoin de se répercuter directement sur les attitudes des électeurs. Th. Nipperdey, qui a enquêté en particulier sur l’organisation interne des partis libéraux avant la Première Guerre mondiale, montre d’une manière très parlante à quel point les comités électoraux locaux avaient des liens lâches les uns avec les autres, à quel point leurs activités étaient discontinues et à quel point les députés, dans le groupe parlementaire, pouvaient agir d’une manière relativement déconnectée des intérêts locaux22. Si les actions parlementaires étaient pilotées par des clubs informels de dirigeants, l’association électorale locale vivait sur le prestige des notables qui la constituaient. Sur la base de cette organisation partisane peu structurée, on pouvait en arriver d’une part à des affrontements constants au sein du groupe parlementaire et à des éclatements de groupes, et d’autre part à un « maintien des convictions » au niveau local qui n’en était pas directement affecté, et qui pour sa part permit au libéralisme allemand de conserver, malgré ses clivages, un réservoir électoral constant. Des attitudes politiques traditionalistes, dans lesquelles engagement démocratique et aspiration à l’unité nationale étaient liés depuis 1848 avec une composition différente selon les régions, étaient à cet égard plus déterminantes que les différends entre les dirigeants respectifs des groupes parlementaires.

  • o [Les syndicats Hirsch et Duncker (Hirsch-Dunckersche Gewerkschaften) sont des organisations ouvri (...)

32Ce n’est qu’après 1890, alors que le libéralisme se trouvait déjà sur le déclin, que se forma chez les nationaux-libéraux une organisation partisane centrale, qui pour l’essentiel put conserver des groupes de population déjà mobilisés, mais ne put attirer de nouveaux électeurs. Le libéralisme s’appuyait sur le prestige local d’une strate pré-industrielle de notables, généralement des juges, des fonctionnaires communaux, des professeurs, des avocats et des rédacteurs de journaux, auxquels s’ajoutaient chez les libéraux de droite quelques propriétaires fonciers et entrepreneurs et chez les libéraux de gauche, en revanche, quelques artisans et professeurs. À mesure que ces hiérarchies de prestige locales quasi-statutaires s’effondrèrent, le libéralisme, en tant que famille spirituelle protestante et bourgeoise, perdit lui aussi en force de recrutement. Les tentatives des libéraux de gauche de recruter également des ouvriers au travers d’associations d’éducation populaire et des syndicats Hirsch et Dunkero étaient condamnées à l’échec, parce que le monde des ouvriers qualifiés se dérobait à des manifestations de bienfaisance paternalistes qui ne pouvaient masquer la discrimination socioculturelle dont il faisait l’objet de la part de la bourgeoisie.

  • p [Les Gutsbezirke étaient une institution prussienne héritée de l’époque féodale et désignaient de (...)

33Dans l’est de la Prusse, les conservateurs s’appuyaient sur l’ordre social seigneurial, la position patriarcale du seigneur, assurée économiquement, politiquement, religieusement et socialement, déterminant l’orientation politique du domaine seigneurialp. Un ordre social fermé, fondamentalement pré-politique, a garanti les voix des conservateurs. À l’ouest en revanche, le conservatisme, d’une manière similaire au libéralisme, se fondait sur de larges familles spirituelles, rassemblées depuis 1861 dans l’Association populaire prussienne. La crise agraire des années quatre-vingt-dix fit naître, avec la Ligue des agriculteurs (1893), un mouvement paysan de masse qui, sous la direction des propriétaires terriens, était lié politiquement au parti conservateur. Ainsi, les conservateurs parvinrent à une nouvelle consolidation de leur base sociale, des dépendances quasi-féodales étant remplacées par des intérêts économiques, sans préserver toutefois un milieu socio-politique unitaire. Certes, cela ne se manifesta que sous la République de Weimar, lorsque les électeurs paysans passèrent brusquement des conservateurs au NSDAP, tandis que le noyau dur de ses partisans prusso-conservateurs gardait sa confiance dans le Parti national du peuple allemand. Dans un premier temps, cependant, la vie aristocratique, la défense des anciens droits statutaires et la loyauté monarchique s’allièrent avec les prétentions paysannes à l’autonomie et le ressentiment contre l’industrialisation. Sur cette base, les conservateurs purent se maintenir au-delà du tournant du siècle, même si leur score relatif baissait constamment. En même temps, il est vrai que la part de la population agraire était la proie d’un puissant processus de contraction.

  • q [Le DFP (Deutsche Freisinnige Partei) fut fondé en 1884. Il était le résultat d’une fusion entre (...)

34Les conservateurs pouvaient ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, s’appuyer sur une organisation paysanne de masse, tandis que les libéraux demeuraient tributaires de familles spirituelles relativement non-structurées ; pourtant, les deux courants partageaient une orientation fondamentale préindustrielle vers des valeurs quasi statutaires. La transformation, souvent soulignée, des partis en partis « économiques » sous l’Empire ne doit pas être surestimée s’agissant de l’orientation des électeurs libéraux. Certes, les groupements d’intérêts de l’industrie lourde se servaient davantage des nationaux-libéraux et ceux de l’industrie légère et du commerce davantage du Parti du progrès ou du Parti de la libertéq ; pourtant, la question de savoir jusqu’à quel point les comportements parlementaires respectifs des partis déterminaient l’orientation fondamentale de la masse des électeurs demeure ouverte. Ils s’enracinaient dans des familles spirituelles décroissantes, auxquelles même le soutien financier de l’industrie et du commerce ne pouvait apporter de nouveaux groupes d’électeurs. Chez les libéraux, le déclin des professions indépendantes, tout comme le déclin des paysans chez les conservateurs, conduit à une constante diminution du milieu statutairement organisé des bourgeois citadins et du milieu rural et paysan.

  • r [Les provinces du Hanovre et du Schleswig-Holstein furent rattachées à la Prusse respectivement e (...)

35Le modèle politique de base, le clivage entre conservateurs et libéraux, fut considérablement remis en cause dans certaines régions, par l’organisation de la quasi totalité des catholiques dans le Centre. Dans les contrées à majorité catholique, il n’y a pratiquement aucun conservateur, de sorte qu’ici, la ligne de partage régionale se déplaçait de la question constitutionnelle vers une base confessionnelle, et que le Centre et les nationaux-libéraux s’opposaient en un sens tout autre que, par exemple, les conservateurs et les progressistes dans les vieilles régions prussiennes. En outre, dans les nouvelles provinces prussiennesr, on trouve des oppositions frontales entre groupes pro et anti-prussiens, la prétention à l’autonomie étant associée tantôt à un parti protestataire particulier, comme celui des Welfs en Hanovre, tantôt au Parti du progrès, comme dans le Schleswig-Holstein. Il en résulte une extraordinaire régionalisation des partis, qui concerne aussi le Centre, lequel, dans la situation de majorité qui était la sienne en Bavière, était bien plus conservateur que dans la situation de minorité qu’il connaissait en Prusse. Dès sa première phase, le système de partis allemand s’est détourné de la problématique de la démocratisation, il n’est plus caractérisé d’abord par le conflit entre des « démocrates » progressistes et des « autocrates » traditionnels, mais façonné par des situations confessionnelles et régionales particulières.

36Aux élections au Reichstag de 1887, 77 % des électeurs avaient participé. Parmi eux, 80 % étaient intégrés dans les trois groupes spirituels constitués par les conservateurs, les libéraux et le Centre, 10 % votaient pour des partis protestataires ethniques ou régionaux et 10 % se revendiquaient, même sous le régime discriminant de la loi sur les socialistes, du mouvement ouvrier. Avant même qu’on fût parvenu à une organisation effective des partis en un système parlementaire de gouvernement et à l’édification de grandes organisations politico-économiques, un modèle politique de base s’était fixé qui, pour l’essentiel, était structuré par des formations sociales locales et représentait des familles spirituelles qui étaient déjà formées avant la fondation de l’Empire. L’essor du mouvement ouvrier sous sa double forme organisationnelle, le parti social-démocrate et les syndicats, s’accomplit dans une certaine mesure à l’extérieur de ce système. Ni les 4,2 millions d’électeurs, ni les 35 % des voix que le SPD remporte jusqu’en 1912 n’y changent quoi que ce soit ; le mouvement ouvrier contribue bien plutôt au durcissement de l’ancien système de partis. Tous les anciens partis, le Centre, les conservateurs et les libéraux, se sentent menacés par lui. Cette fermeture au mouvement ouvrier et par là aux conditions structurelles de la société industrielle renforce, à l’intérieur des anciens partis, l’attachement à des valeurs préindustrielles. Ce n’est pas seulement le fait, maintes fois cité, que les sociaux-démocrates aient été exclus des fonctions officielles, plus encore, c’est une frontière morale qui sépare les familles spirituelles bourgeoises et confessionnelles et le mouvement ouvrier qui entraîne l’isolement de celui-ci hors du système.

  • 23 La loi sur les socialistes de 1878-1890, le projet de loi sur le renversement des institutions de 1 (...)

37Cet isolement du mouvement ouvrier s’opère simultanément sur deux plans : politique, en ce que sa loyauté nationale est contestée, et social, en ce qu’il demeure cantonné à un milieu social spécifique. Le parallèle avec le Centre est évident : dans les deux cas, à la loyauté nationale contestée correspond une situation de minorité socioculturelle des parties de la population qui sont organisées par ces partis. Les suspicions pesant sur l’ultramontanisme et sur l’internationalisme sont l’expression symbolique de la même réserve quant à l’égalité nationale. Elles amènent le Centre comme les sociaux-démocrates à des démonstrations de solidarité nationale toujours renouvelées, qui ne sont aucunement nécessaires puisque l’identification formelle avec la nation allemande ne fait aucun doute chez les parties de la population qui sont représentées par eux. Il n’y a absolument aucune alternative à la nationalité allemande comme cadre de référence de la prétention à l’égalité. Pourtant, ces démonstrations de loyauté nationale formelle contraignent à affaiblir la force d’imposition des prétentions matérielles à l’égalité à l’intérieur de ce cadre égalitaire formel. La menace constante d’une dénégation de la loyauté nationale23 mène nécessairement à une intensification de la situation de minorité et au développement des formules interprétatives correspondant à cette discrimination. Le Centre, s’appuyant sur une situation de minorité confessionnelle, capte cette interprétation de valeurs religieuses et active les aspects spécifiquement catholiques de sa prétention à l’égalité citoyenne. La social-démocratie, qui s’appuie sur une situation de minorité socio-économique, active des valeurs spécifiquement économiques et sociales et recourt à la formule interprétative marxiste. Les deux courants radicalisent la teneur matérielle de leur prétention à l’égalité, ce qui rend naturellement la reconnaissance de cette dernière plus difficile. Assurément, ce processus circulaire de stimulation se déroule d’une manière moins dramatique chez les catholiques qu’au sein du mouvement ouvrier, pourtant il est fondamentalement de la même espèce. Par conséquent, le Kulturkampf et la loi sur les socialistes ont eu les mêmes effets pour la formation de milieux sociaux politiquement actifs, ont conduit à la formation tout aussi différenciée d’un réseau organisationnel pré-politique et entraîné une ritualisation de symboles de loyauté sous-culturels. Ce qui était pour le Centre « cohésion », était « solidarité » pour le mouvement ouvrier, à savoir une maxime d’action moralement exagérée s’appliquant à toutes les décisions politiques. À partir de là se développe un fétichisme de l’organisation qui n’a abandonné aucun des deux partis jusqu’à leur disparition en 1933.

  • 24 Matthias (1957), p. 196.

38La formation du milieu socioculturel des ouvriers fut l’événement social central des années soixante et soixante-dix. De la rencontre, sous la pression d’un changement social profond, entre des modes de vie agraires et artisanaux, naît une sous-culture qui doit développer en même temps des formules permettant d’interpréter une situation de vie défavorisée et des prétentions à une émancipation politico-culturelle. À partir de cette sous-culture marquée par des traits pré-socialistes, se forme le mouvement ouvrier politique, dans lequel on estime que 50 % du monde ouvrier est intégré. Ce milieu parvient en fin de compte à proposer une vision du monde, en ce que, à partir du ressentiment contre la société chrétienne et bourgeoise et des éléments évolutionnistes de l’esprit du temps, se développe hors de l’Église une morale qui a elle aussi ses sectes éthiques rigoristes. Pour autant que ce milieu est pré-structuré, la social-démocratie se présente comme son groupement d’action politique. Elle doit à ce milieu son essor rapide de 1890 à 1912, milieu qu’elle n’est pas cependant non plus en mesure de dépasser. Ni les frontières religieuses avec le milieu social catholique, ni les frontières ethniques avec les ouvriers polonais, ni non plus les frontières statutaires avec les employés bourgeois n’ont été surmontées. L’attachement au milieu, à la sous-culture socialiste, et la réduction de l’activité politique au maintien de cette sous-culture offraient « une multitude de substituts politiques de libération, de sorte que c’est curieusement le méritoire travail culturel du parti qui favorisa son repli et son isolement funestes24 ».

  • 25 Voir en particulier Matthias (1957).

39Vis-à-vis de la structuration pré-politique diffuse du milieu, les disputes intellectuelles entre les dirigeants du parti demeurent relativement dénuées de signification. Même la féroce polémique autour du révisionnisme dans la social-démocratie porte moins sur l’orientation politique fondamentale de l’électorat que sur la définition intellectuelle de sa situation. Le kautskysme radical permit aux groupes dirigeants intermédiaires de la sous-culture d’établir une orientation stabilisatrice25. Pour un parti d’adhérents fermement organisé, avec de nombreux corps de délégués et d’élus, voilà qui était largement plus nécessaire que pour les libéraux et le Centre. Au SPD, toute disparité entre l’orientation sous-culturelle des électeurs et l’activité parlementaire pragmatique des dirigeants du parti devait trouver une transmission idéologique à l’intérieur du parti, transmission qui fut précisément fournie par la théorie ambivalente de l’évolution et de la révolution de Kautsky. Dans le Centre, cette transmission s’opérait à travers les organismes catholiques ecclésiastiques, qui faisaient tampon entre la tactique du parti et la sous-culture, de sorte que, dans ce cas, la formation doctrinale dispensée à l’intérieur du parti était relativement faible. Chez les libéraux, qui présentaient comparativement une organisation partisane relâchée, la disparité entre conviction et pratique politique conduisit constamment à des luttes de fractions et à des éclatements du parti, la réputation personnelle des dirigeants respectifs et des notables locaux assurant, par-delà ces conflits intellectuels, la stabilité du milieu protestant bourgeois. La tension fondamentale entre le milieu social et son comité politique, entre des convictions diffuses et la pratique politique peut être surmontée de différentes manières, à chaque forme d’organisation demeurant associés aussi des modèles interprétatifs culturels spécifiques. Ce qui est décisif pour la capacité d’action politique de la direction parlementaire du parti, c’est le degré de souplesse de ces mécanismes de médiation. Pour les sociaux-démocrates, celui-ci était relativement faible, puisque les organisations du milieu étaient directement liées au parti. L’autonomisation des syndicats après 1890 permit certes, par le biais d’un partage des normes, une marge de manœuvre plus importante, de telle sorte que le mouvement ouvrier pouvait simultanément mettre en œuvre une politique sociale révisionniste avec les syndicats et une politique constitutionnelle radicale avec le parti. Pourtant cela ne donna lieu à nouveau qu’à de pénibles et bloquants processus de médiation entre les deux organisations construites hiérarchiquement, à des controverses dogmatiques qui paralysèrent les groupes dirigeants des deux côtés.

  • 26 Pour tout cela, voir en particulier Roth (1963) ; Nipperdey (1961b) ; Lademacher (1959) ; Morgan (1 (...)
  • s [Après la prise du pouvoir par les nazis, ce qui était jusqu’alors la commémoration par le monde (...)

40Ce processus de focalisation du mouvement ouvrier sur une sous-culture a conduit à ce que, en dépit de l’essor phénoménal des membres et des électeurs du parti, le système de partis de l’Empire n’a pas été bouleversé. Aux milieux socioculturels déjà politiquement organisés s’ajouta le milieu socialiste des ouvriers et des artisans. Son isolement dans le Parti social-démocrate immunisa largement le reste du système de partis contre les effets de l’industrialisation. Il conduisit, selon la formule de G. Roth, à une « intégration négative » de la classe ouvrière, c’est-à-dire qu’il structura le monde ouvrier en lui-même sans pourtant l’intégrer dans l’ensemble de la société. Le parti, les syndicats, les associations de d’éducation populaire, de solidarité, de sport, de sociabilité, intégrèrent le « prolétariat » dans une sous-culture qui rendait possible une interprétation de la situation collective26. Cette focalisation sur le milieu et son organisation paralyse le parti, de sorte qu’après la guerre, ses ailes radicales et activistes se détachent et s’autonomisent en un parti spécifique, ce qui toutefois ne fait qu’accroître encore l’immobilisme de la direction sociale-démocrate. Sous la République de Weimar, elle ne réussit pas non plus à transformer l’intégration négative du monde ouvrier dans une sous-culture en une intégration positive au sein de la société nationale. C’est sur cette tâche qu’échoue le parti, et c’est sur elle que se brise aussi finalement la cohésion du milieu. Le 1er mai 1933, les symboles sont inversés d’une manière dramatique : la manifestation d’une sous-culture devient la journée du travail nationals, et quelques heures plus tard, avec l’occupation de la maison des syndicats par les nationaux-socialistes, le puissant mouvement ouvrier allemand tombe en ruine. Alors que le parti et les syndicats tentaient encore de préserver leur milieu propre, il avait déjà depuis longtemps commencé à se disperser.

  • 27 Pour la circonscription électorale de Heidelberg, B. Vogel et P. Haungs (1965) ont rassemblé des ma (...)

41Le système de partis allemand s’avère étroitement lié à des milieux socioculturels. Les partis naissent de ces unités pré-structurées et demeurent arrimés à elles. Certes, sous l’influence de l’industrialisation, ces formations se transforment, mais les partis demeurent liés à leur milieu d’origine, qui est constitutif pour eux, ils perpétuent les anciennes valeurs sociales et morales et empêchent par là la diffusion de nouvelles normes, adaptées à la société industrielle moderne. Ces sous-cultures sont en elles-mêmes des unités tout à fait complexes, dans lesquelles se superposent différents conflits, culturels autant qu’économiques et politiques27.

42Le milieu social catholique est constitué en une unité socio-politique par le conflit entre l’Église et l’État, et il s’oriente vers la préservation de son autonome interne. Cela conduit à l’isolement hors de l’ensemble de la société et à l’élévation au rang de dogme d’une morale interne dont les valeurs sociales et morales remontent à une époque où aucune menace extérieure ne donnait encore lieu à un renfermement confessionnel. L’hétérogénéité interne du milieu, suivant les intérêts spécifiques à ses différentes strates, empêche l’expression et le règlement ouverts de ces conflits sociaux entre les strates. Le tout s’entoure d’un mur confessionnel et moral visant à le protéger des protestants et des dissidents et lutte passionnément pour un monopole autonome de la socialisation, à travers lequel la cohésion morale et sociale peut être transmise de génération en génération. D’une manière caractéristique, la polémique sur l’école et la question des mariages mixtes prennent une place centrale et témoignent dans le même temps du blocage sur des situations conflictuelles qui n’ont à voir ni avec la problématique de la démocratisation, ni avec celle de l’industrialisation.

43Le milieu conservateur est constitué par le conflit entre la strate dominante féodale fonctionnarisée sous l’absolutisme et la bourgeoisie ascendante, une situation absolument classique. Pourtant, ici, le conflit se trouve compliqué par le fait que les mêmes personnes sont à la fois serviteurs de l’État et seigneurs et, à travers la constitution agraire prussienne, il acquiert à l’est une dimension régionale et économique spécifique. Le constitutionnalisme de façade de la Prusse, et avec lui la prédominance de la noblesse dans l’administration et dans l’armée, socialise aussi les cercles bourgeois gouvernementaux au sein d’un système de valeurs féodales, ce pour quoi la bourgeoisie qui dépend du service de l’État développe, dans les corporations étudiantes, les organes de socialisation correspondants. Les deux expressions du milieu conservateur, avec sa variante féodale et agraire et sa variante bourgeoise et gouvernementale, sont liées entre elles par le protestantisme. En raison d’une identification statutaire évidente avec l’État monarchique, non seulement la prétention à l’égalité politique de la bourgeoisie commerçante est combattue, mais toute légitimité lui est aussi déniée. Une frontière morale constituée de valeurs statutaires et de préjugés confessionnels fait écran entre cette sous-culture et la petite-bourgeoisie protestante, aussi bien que contre l’Allemagne catholique. Le milieu conservateur conteste avec succès la loyauté nationale aux milieux catholique et socialiste, mais aussi au milieu bourgeois. La définition, encore obscure en termes de contenu, de l’identité nationale empêche en particulier les libéraux de faire clairement front dans le conflit sur la démocratisation des institutions politiques. La prétention à l’égalité politique se trouve inhibée dans son expression par la menace d’une dénégation de la loyauté nationale.

44Cette inhibition est caractéristique du milieu bourgeois protestant, d’autant plus qu’il doit lutter, d’une manière très différente selon les régions, contre le Centre ou le conservatisme prussien. La relative homogénéité socio-économique, à travers laquelle il pouvait devenir politiquement actif en 1848, se délite. Il se sent bientôt menacé dans son existence par l’industrialisation croissante. Du fait du processus d’assimilation aux milieux conservateur et socialiste, le milieu social bourgeois se réduit à la classe moyenne avec une morale sociale spécifiquement petite-bourgeoise. Les visées originellement démocratiques sont ritualisées et érigées en dogmes sous des moutures intellectuelles toujours nouvelles. La conscience qu’il a de soi s’oriente vers une prise de distance sociale et culturelle par rapport au mouvement ouvrier et vers un sens hypertrophié de la conservation de l’État. Ces deux orientations affaiblissent l’élan vers la démocratisation.

45Un quatrième grand milieu social se forme enfin, dans lequel sont intégrées socialement les parties de la population qui ont été éliminées des autres milieux au cours de l’industrialisation progressante. Ce milieu socialiste est le seul à être débarrassé des conflits autour de la fondation de l’Empire et des loyautés régionales ; il est en soi relativement homogène. Ainsi, le mouvement ouvrier devient aussi le plus puissant défenseur des prétentions politiques à l’égalité. Pourtant, la discrimination sociale et morale qui l’entoure et la menace constante que lui soit déniée la légitimité nationale isole l’élan vers la démocratisation dont il est porteur. Réduite à des intérêts spécifiques de classe, la social-démocratie s’empêtre dans une vaste lutte pour l’égalité politique et l’égalité sociale, sans qu’aucun accord ne parvienne à déterminer la priorité de l’une ou de l’autre. Elle n’est pas en mesure d’initier une large réorganisation des forces politiques en vue d’une imposition de l’égalité politique et d’une poursuite du développement des institutions démocratiques. La dynamique que l’industrialisation aurait pu apporter dans le processus de démocratisation est amortie par la mise à l’écart et l’isolement volontaire du SPD dans une sous-culture.

46Retournons au schéma que nous avons présenté pour commencer. En Allemagne se superposent sans aucun doute, dans des proportions particulières, les problèmes de l’édification de la nation, de l’imposition des institutions démocratiques, de l’intégration de la population dans une société moderne et de la réalisation des prétentions sociales à l’égalité. La force du système politique semble se borner à l’édification de la nation, aucun des autres problèmes n’est résolu avec succès par la suite. Est-ce dû à l’incapacité du système politique, à la corruption de la bourgeoisie, à l’accumulation insurmontable des tâches ? Ici, je voudrais seulement indiquer un aspect qui me semble caractéristique de la situation allemande. À travers la formation de quatre milieux sociaux politiquement prédominants, qui se distinguent d’une manière tranchée par des frontières morales symboliquement dramatisées et en fonction desquels s’organise le système politique, les objets respectifs des conflits se trouvent transformés de manière très complexe au niveau sous-culturel. Ils ne se dégagent pas de leurs multiples imbrications dans la structure sociale et, par conséquent, ne s’expriment pas non plus dans des oppositions politiques claires. Mais des conflits qui ne trouvent aucune expression claire ont aussi du mal à être réglés. En outre, le système de partis allemand manifeste un caractère asymétrique singulier, qui provoque des oppositions toujours changeantes entre les regroupements de partis. De la même façon, des conflits dans lesquels il n’y a aucune contrepartie clairement définie ne parviennent pas à être réglés. L’« intégration négative » des catholiques et des ouvriers affaiblit le libéralisme démocratique et conduit à une situation stratégique dans laquelle, finalement, tous les conflits sont gelés au nom d’une identification nationale indéterminée dans son contenu.

  • 28 Voir à ce sujet les recherches de Th. Schieder sur la journée de Sedan et les monuments nationaux d (...)

47La lutte pour la démocratisation devient une dispute rhétorique, dans laquelle il n’est plus guère question d’une démocratisation de l’ensemble de la société. Les situations conflictuelles complexes qui existent entre les différents milieux empêchent que soit clairement isolé le conflit portant sur l’égalité des droits politiques, qui se trouve toujours à nouveau mêlé avec d’autres valeurs et déformé par elles. On en arrive ainsi à une stabilisation générale du système politique, sans que la démocratisation fasse d’autres progrès. La fondation de l’Empire avait posé le cadre formel pour la mise en œuvre de l’égalité des droits politiques, et l’identification de la population avec cette unité nationale s’était effectivement opérée. Cependant, l’intégration des différents milieux sociaux dans cet État ne fut pas atteinte, puisqu’aucun consensus matériel sur les principes de configuration de l’ordre intérieur n’était lié à la fondation de l’Empire. C’est aussi pourquoi l’orientation politique de la population allemande oscillait soudainement entre une loyauté au milieu sous-culturel régional et un chauvinisme national qui compensait le manque de consensus sur l’ordre matériel de l’Empire. C’est aussi pourquoi les symboles de l’Empire sont vides en termes de politique intérieure : aucun programme ne se rattache aux couleurs nationales, le jour de la fête nationale se rapporte à la bataille de Sedan28. Ainsi, il est presque logique, en fin de compte, qu’avant son effondrement, la partie du système de partis allemand qui était dotée d’une orientation démocratique ait fait de Hindenburg son représentant : le symbole d’une identification nationale sans volonté de configuration démocratique.

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Notes

1 Neumann (1965), p. 24.

2 Parmi de nombreuses références : Parsons (1964) ; Dahrendorf (1961), (1965) ; Holborn (1952).

3 Marshall (1964), p. 76 sq.

a [« Droits statutaires » traduit l’allemand Standesrechte, le mot Stand renvoyant à la structuration par ordres ou par états de la société. N.d.T.]

4 Voir Lipset (1964), p. 24 sq.

5 Voir Kirchheimer (1965), p. 20 et Weiner / La Palombera (1966).

6 Reinhard Bendix a signalé à ce propos que l’évolution de l’Angleterre représente aussi un cas particulier, dans la mesure où la Grande-Bretagne, à l’époque de l’industrialisation et de l’intégration du monde ouvrier, était une puissance mondiale incontestée, de sorte que les conflits sociaux internes ne se prolongeaient pas en conflits nationaux et internationaux. Cela a sans doute été de la plus grande importance pour la stabilité et la flexibilité de l’ordre social et politique en transformation de l’Angleterre. Voir Bendix (1961), p. 110, 114. Au contraire, en Allemagne, les conflits sociaux ont souvent été immédiatement liés à des conflits nationaux. Voir Lepsius (1993).

7 Des approches prometteuses dans cette direction ont récemment été initiées par Lipset et ses collaborateurs, Stein Rokkan et d’autres Scandinaves ; voir à ce propos les différentes contributions dans le volume collectif édité par Allardt et Littunen. Il convient en outre de citer notamment : Lipset (1962), (1963), (1964a) ; Bendix (1960a), (1960b), (1961), (1964) ; Eisenstadt (1963), (1964a), (1964b) (1965) ; Rokkan (1965). Ce dernier article touche immédiatement à la problématique traitée dans le présent travail, cependant il ne pouvait plus être prise en compte parce que je n’en ai pris connaissance qu’après l’achèvement du manuscrit.

8 Dans son livre Man, Time and Society (1963), W. E. Moore a étudié systématiquement l’importance du temps comme dimension autonome d’une analyse sociologique.

9 Voir par exemple Conze (1954) et Abendroth (1957) ; ainsi que Schieder (1958).

10 Kirchheimer (1965), p. 20.

11 Lipset (1964b), p. 25, ainsi que Lipset (1960), p. 55. [Référence au texte de Werner Sombart, Warum gibt es in den Vereinigten Staaten keinen Sozialismus?, Tübingen, 1906 ; N.d.T.]

12 Kirchheimer (1965), p. 24.

b [La distinction entre Integrationspartei et Weltanschauungspartei est tirée par Otto Kirchheimer des travaux de S. Neumann, notamment Modern Political Parties. Approaches to Comparative Politics, University of Chicago Press, 1956 ; N.d.T.]

13 Duverger (1959), p. 245. [Pour la version française, dont les termes sont ici repris, voir Duverger (1951), p. 262 ; N.d.T.]

c [La traduction allemande du livre de Duverger rend par Gesinnungsgemeinschaften (littéralement : « communautés de conviction ») plusieurs expressions distinctes : « associations intellectuelles » (p. 176), comme ici « familles spirituelles » (p. 262) ou « familles d’esprits » (p. 415) ; N.d.T.]

d [Deutsche Zentrumpartei, parti catholique ; N.d.T.]

e [La signification de ces sigles est la suivante. DNVP : Deutschnationale Volkspartei (Parti national du peuple allemand). DVP : Demokratische Volkspartei (Parti populaire démocratique). DDP : Deutsche Demokratische Partei (Parti démocratique allemand). BVP : Bayerische Volkspartei (Parti populaire bavarois). SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands (Parti social-démocrate d’Allemagne). KPD : Kommunistische Partei Deutschlands (Parti communiste d’Allemagne). NSDAP : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (Parti ouvrier allemand national-socialiste) ; N.d.T.]

f [Allusion à la mise en place, dans l’empire allemand, à l’initiative du chancelier Otto von Bismarck, de tarifs douaniers élevés sur les céréales, le bois, l’acier et le bétail, afin de stimuler la production nationale dans ces secteurs. La loi fut adoptée avec le soutien des conservateurs et du Centre, et marqua la fin de l’alliance du chancelier avec le parti national-libéral, qui fut affaibli et conduit à la scission ; N.d.T.]

g [Allusion au Deutsche Reformpartei (Parti allemand de la réforme), fondé en 1893 et successeur de l’Antisemitische Volkspartei (Parti populaire antisémite), lui-même créé en 1890 ; N.d.T.]

h [Conflit opposant l’État prussien puis le Reich allemand à l’Église catholique, notamment autour de la question du mariage civil ; N.d.T.]

i [En 1875, l’ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, soit Association générale des ouvriers allemands, créée en 1863 par Ferdinand Lassalle, auquel succède Johann Baptist Schweitzer après la mort de ce dernier) et le SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, soit Parti ouvrier social-démocrate, créé en 1869 par August Bebel et Wilhelm Liebknecht, lui-même ancien de l’ADAV) fusionnent lors du congrès de Gotha pour fonder le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, soit Parti ouvrier socialiste d’Allemagne), qui deviendra en 1890 le SPD ; N.d.T.]

j [Le terme Sozialistengesetz désigne un ensemble de lois votées à partir de 1878 et interdisant toutes les organisations socialistes, ainsi que leur participation en tant que telles aux élections. Elles furent abrogées en 1890 ; N.d.T.]

k [Référence au Deutsch-Hannoversche Partei, Parti allemand hanovrien, ainsi désigné d’après le nom de l’ancienne famille régnante dans le royaume de Hanovre. Ce parti conservateur et fédéraliste, créé en 1869, s’opposait à l’annexion du Hanovre par la Prusse ; N.d.T.]

l [Le Christlich-soziale Partei, fondé en 1878, était un parti chrétien conservateur et antisémite ; N.d.T.]

m [Aujourd’hui Poznań, en Pologne ; N.d.T.]

n [Entre 1871 et 1918, l’Alsace-Lorraine, contrairement aux autres régions de l’Empire allemand, n’était ni un État fédéré (Bundesstaat), ni une province, mais avait le statut de Reichland, administré directement par le gouvernement impérial ; N.d.T.]

14 Amery (1963).

15 Cette formulation fait suite à une idée de W. B. Simon, qu’il a développée dans son article « Politische Ethik und politische Struktur » (Simon [1959]), p. 445 : « Nous considérons, à titre de caractère significatif de la structure politique, le “degré de coïncidence” des adhérents des partis politiques avec des catégories sociales fondamentales telles que classe, religion, race et langue maternelle. Le “degré de coïncidence” indique dans quelle mesure le corps d’adhérents des partis politiques recoupe les groupes d’intérêt économiques et culturels ou les traverse. »

16 Voir notamment à ce propos Rendtorff (1964), p. 235 sq.

17 Voir à ce propos Buchheim (1963), ainsi que Nipperdey (1961b).

18 Schauff (1928), p. 74.

19 Selon des indications du prince Aloys de Löwenstein, cité par Morsey (1960), p. 347.

20 Voir à ce propos Schauff (1928).

21 Voir à ce propos la présentation très convaincante du déclin du Centre par Morsey (1960).

22 Voir à ce sujet et pour ce qui suit Nipperdey (1961b), ainsi que Nipperdey (1961a).

o [Les syndicats Hirsch et Duncker (Hirsch-Dunckersche Gewerkschaften) sont des organisations ouvrières d’orientation libérale concurrentes des syndicats libres (sociaux-démocrates) et chrétiens, et nommées d’après les noms de leurs fondateurs, Max Hirsch (1832-1905) et Franz Duncker (1822-1888) ; N.d.T.]

p [Les Gutsbezirke étaient une institution prussienne héritée de l’époque féodale et désignaient des unités administratives locales qui se trouvaient entièrement à l’intérieur d’un domaine privé, de sorte que le propriétaire du domaine en était de fait le gouverneur. Il en restait encore 12 000 à la fin des années 1920 lorsqu’ils furent dissous ; N.d.T.]

q [Le DFP (Deutsche Freisinnige Partei) fut fondé en 1884. Il était le résultat d’une fusion entre l’Union libérale (Liberale Vereinigung) et le Parti du progrès, mais les deux organisations se séparèrent à nouveau en 1893 ; N.d.T.]

r [Les provinces du Hanovre et du Schleswig-Holstein furent rattachées à la Prusse respectivement en 1866 et 1867, suite à la victoire militaire de cette dernière sur l’Autriche ; N.d.T.]

23 La loi sur les socialistes de 1878-1890, le projet de loi sur le renversement des institutions de 1894-1895 et le projet de loi sur la réclusion de 1898-1899 marquent seulement une tendance générale qui est reconnaissable jusque dans le présent.

24 Matthias (1957), p. 196.

25 Voir en particulier Matthias (1957).

26 Pour tout cela, voir en particulier Roth (1963) ; Nipperdey (1961b) ; Lademacher (1959) ; Morgan (1965) ; Wehler (1962) ; Ritter (1963) ; Miller (1964) ; Schorske (1955) ; Varain (1956) ; Hunt (1964) ; Matthias (1957), (1960).

s [Après la prise du pouvoir par les nazis, ce qui était jusqu’alors la commémoration par le monde ouvrier de la répression sanglante des manifestations du 1er mai 1886 à Chicago, devint, à l’initiative de J. Goebbels, la journée du travail national. Les célébrations du 1er mai 1933 furent suivies, le lendemain, de l’occupation de tous les locaux des « syndicats libres » (socialistes).]

27 Pour la circonscription électorale de Heidelberg, B. Vogel et P. Haungs (1965) ont rassemblé des matériaux révélateurs à propos de la fixation historique du comportement électoral. Voir aussi à ce propos Molt (1963).

28 Voir à ce sujet les recherches de Th. Schieder sur la journée de Sedan et les monuments nationaux dans Schieder (1961).

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Pour citer cet article

Référence papier

« Parteiensystem und Sozialstruktur : zum Problem der Demokratisierung der deutschen Gesellschaft », in : Berding, H. / Kocka, J. / Wehler, H.-U. (éd.) : Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft, t. 100. Repris dans Lepsius, M. R. : Demokratie in Deutschland, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, p. 25-50.

Référence électronique

M. Rainer Lepsius, « Système de partis et structure sociale. Sur le problème de la démocratisation de la société allemande », Trivium [En ligne], 23 | 2016, mis en ligne le 06 octobre 2016, consulté le 15 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/trivium/5364 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trivium.5364

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Auteur

M. Rainer Lepsius

M. Rainer Lepsius (1928-2014), sociologue allemand, a grandement influencé le développement de la sociologie allemande d’après-guerre. Pour plus d’informations, voir la notice suivante.

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