Les premières Colonnes en 1936

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80ème anniversaire de la Révolution espagnole

Extrait de Catalogne 1936-1937 : L’armement du peuple Que sont la C.N.T. et la F.A.I? / A. & D. Prudhommeaux (Spartacus, mars 1937)

En fait, l’organisation milicienne suivait son propre destin. Les initiatives partaient de la base, et le Comité de liaison servait surtout à donner une forme légale aux mesures de force et aux réquisitions rendues nécessaires par l’état de guerre civile.

Voici la composition initiale des milices antifascistes de Catalogne : C.N.T.-F.A.I., 13.000 hommes ; U.G.T., 2.000 ; P.O.U.M., 3.000 ; Police et Généralité, 2.000.

Comme on le voit, les organisations ouvrières, qui recrutaient, contrôlaient, armaient et finançaient leur propre force armée, représentaient l’écrasante majorité.

La F.A.I. fut la première à réquisitionner l’ensemble des moyens de transport, dont l’usage fut réservé aux syndicats, aux comités de quartier et aux organisations miliciennes ; de fil en aiguille, les questions de logement, de circulation, d’approvisionnement, de contrôle public, au fur et à mesure qu’elles se trouvèrent posées par la situation révolutionnaire, furent réglées par le Comité des Milices, les Comités locaux et par les organismes spécialisés dont l’autorité émanaient de la force armée populaire.

Tout partait de la milice pour y aboutir. Et les anarchistes étaient à la fois l’élite et la masse de cette milice.

C’est de la F.A.I. que partit l’initiative d’une marche en armes vers Saragosse. Les organisateurs de cette première colonne furent Buenaventura Durruti, représentant la C.N.T., avec Perez i Farras comme adjoint et technicien militaire. Elle prit contact avec les fascistes de Guadalaraja le 22 juillet, c’est-à-dire le lendemain même du jour où Companys prononçait par décret la « création. » des milices. Le 23 juillet, la C.N.T. proclame la reprise du travail dans toute la Catalogne. De nouvelles colonnes de miliciens rejoignent Durruti. Après un dur combat, Guadalajara tombe aux mains des forces populaires.

Le 25, les villes d’Albacète et de Gaspé (Aragon) sont prises d’assaut. A Caspé, on ne retrouve plus que misère et ruine. Plus de 150 antifascistes ont été fusillés. Les factieux protègent leur retraite en plaçant entre eux et les miliciens un cordon de femmes et d’enfants liés les uns aux autres. A 1 arriéré, de nombreux magasins et entreprises restent fermes par suite du lock-out patronal ou du départ des propriétaires. La C.N.T. donne vingt-quatre heures aux entrepreneurs pour rouvrir, faute de quoi, le personnel salarié prendra l’entreprise en charge.

Cet ultimatum fut le signal de plusieurs tentatives pour éliminer la milice et rétablir la police et l’armée dans leurs droits et prérogatives.

e gouvernement de Madrid prétendit imposer à l’ensemble du pays une sorte d’amalgame politico-militaire dans lequel les miliciens auraient formés des bataillons volontaires, dans le cadre des régiments réguliers restés fidèles à la légalité. On promettait aux miliciens militarisés une solde, un bel uniforme et un tour de faveur pour entrer dans les Gardes d’Assaut ou les autres corps de police permanente. Personne ne se laissa tenter.

Ces combinaisons devaient revenir comme un leit-motiv dans la politique gouvernementale, bourgeoise et stalinienne, à chaque tournant de la guerre civile. Il s’agissait d’abord d’envoyer au front tous les gêneurs et de rétablir la « normalité » à l’arrière. Puis, on imposerait aux combattants du front, par une propagande habilement dosée, l’acceptation de la discipline et de la hiérarchie militaire.

Pour exercer ce chantage moral, tous les moyens étaient bons : ainsi les insinuations socialistes suivant lesquelles les milices anarchistes se livraient au pillage au lieu de combattre, affirmation reprise dans le Popu par Herrmann et rabâchée dans l’Humanité.

A en croire les communistes, eux seuls étaient au travail et au front en Espagne, dirigeant tout, gagnant les batailles et réprimant les désordres. Quant aux anarchistes, voici ce que le chef communiste Juan Hernandez disait d’eux au cours d’un interview à la presse :

« Les anarchistes préfèrent l’arrière à la ligne de feu. Il ne faut pas y attacher d’importance. Leurs intentions ne sont pas très claires, mais le peuple espagnol et tous les organismes officiels se dresseront contre eux. »

Ce qui amenait les observateurs impartiaux à rectifier (sans grand succès d’ailleurs, la renommée des communistes comme « meneurs de révolution » étant intangible dans tous les pays — sauf en Espagne).

Dans Intervention, J. Daniel Martinet écrit :

« …quel étonnement pour celui qui revient de là-bas et qui voit les journaux du Front Populaire français présentant le P.S.U.C. (adhérant à la III° Internationale) comme le Parti dirigeant de la Révolution !
« Il suffit d’avoir passé une journée à Barcelone, pour constater le rôle dirigeant incontestable de la FAI et de la CNT anarcho-syndicalistes.
« Je me demande où un rédacteur du Popu, comme J. M. Hermann, va chercher ses renseignements. L’esprit de parti lui fait perdre tout sens critique lorsqu’il considère la C.N.T. comme le syndicat du « lumpen-prolétariat » — alors que j’ai pu constater à maintes reprises quel ordre et quelle discipline la FAI et la CNT font régner dans
toute la Catalogne. »

De son côté, l’Information publie de son envoyé spécial :

« Il ne faut pas perdre de vue que ces deux organisations montrent un tact gouvernemental (sic) inespéré et que leurs dirigeants se rendent parfaitement compte de la responsabilité civique qui leur incombe Au front de combat comme en ville, la C.N.T. et la FAI veillent a tout, et le public barcelonais se rend déjà compte quelles ne sen tirent pas mal.
«Contrairement à ce qui a été dit dans certains journaux français d’extrême-gauche, les éléments de la C.N.T.et de la FAI sont non seulement les plus nombreux au front d’Aragon, mais ils sont places quasi exclusivement à l’avant-garde et ont l’initiative des attaques. Parfaitement informé à ce sujet, je puis en donner l’assurance la plus complète.
« Je tiens aussi à signaler que ces cléments ont deja protesté en diverses occasions au sujet des prétendues victoires attribuées à des socialistes ou communistes. Et des rectifications ont été publiées dans ce sens. »

Nous croyons inutile d’insister. Le front d’Aragon, gardé par les anarchistes, n’a jamais subi de reculs. Les méthodes de lutte de la colonne Durrutti et des autres colonnes C.N.T.-F.A.I. se trouvent par là garanties quant à leur efficacité pratique. Et cela d’autant plus que le plateau aragonais ne présente aucun des avantages naturels qui ont pu faciliter sur d’autres fronts l’action des détachements irréguliers (forêts, montagnes, terrains rocailleux et semés d’accidents, maquis, fortifications naturelles, etc…). Certes, de lourdes erreurs ont pu être commises, mais elles ne font que confirmer la valeur générale de l’expérience : la moitié de l’Aragon a été reconquis face à l’armée fasciste et par des méthodes « non-militaires ».


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