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Politique de la recherche

Appel. L’archéologie préventive doit être réformée !

p. 63-64

Texte intégral

1En 2003, dénaturant la loi de 2001 votée sous le gouvernement dirigé par Lionel Jospin, le parlement et le gouvernement français décidaient, contre l’avis de l’ensemble de la communauté scientifique (et notamment du Conseil national de la recherche archéologique), que l’archéologie préventive ne relevait plus essentiellement de la responsabilité de l’État mais devenait une affaire de « marché », dans le cadre d’une « concurrence libre et non faussée ». Si les diagnostics préalables continuaient de relever de services publics (Inrap et aussi services archéologiques de collectivités territoriales, dont le développement est très opportun) afin, de l’aveu même du ministre de la Culture, « d’en garantir l’objectivité », les fouilles proprement dites sont devenues le lieu d’une concurrence commerciale entre l’Inrap, les services de collectivité et des entreprises privées.

2Il est temps, près de dix ans plus tard, de dresser un bilan :

  • 1. La concurrence commerciale n’a pas été une demande des amé--nageurs économiques mais une décision politique émanant de la majorité parlementaire et du gouvernement de 2003, comme le reconnaissait à l’époque le ministre Jean-Jacques Aillagon – alors même que le dispositif de 2001 avait été validé par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Commission de Bruxelles.

  • 2. Dans le dispositif législatif actuel, c’est l’aménageur économique qui choisit, avec ou sans appel d’offre selon les cas, l’in-tervenant archéologique, choix pour lequel il n’a évidemment aucune compétence. Ce dispositif ne peut être pérennisé : l’État doit reprendre la maîtrise d’ouvrage.

  • 3. Si le principe d’une recherche privée n’est pas en soi critiquable dans des domaines où un contrôle de qualité est possible a posteriori, ce n’est évidemment pas le cas de la fouille archéologique qui ne peut être recommencée. Cette situation est aggravée par le manque cruel en moyens humains des services archéologiques régionaux du ministère de la Culture, qui doivent être renforcés.

  • 4. Les employés de ces entreprises privées ne sont pas personnellement en cause. Il s’agit pour la plupart d’archéologues qui n’ont pu trouver d’emploi dans des structures de recherche publiques. Mais ils sont prisonniers d’une logique commerciale qui n’a rien à voir avec celle de la recherche scientifique.

  • 5. Le mécanisme de la concurrence commerciale segmente de manière incohérente entre des intervenants disparates et successifs la chaîne de traitement de l’information archéologique et aboutit à ce que les responsables d’une fouille ne sont pas les meilleurs spécialistes disponibles, mais les employés de la structure « la moins chère », comme dans tous les pays qui s’y sont essayés.

  • 6. Le système de financement de l’Inrap, dix ans après sa création, n’est toujours pas stabilisé. En 2011 encore, la majorité parlementaire a refusé une proposition réaliste et argumentée de l’Inspection générale des finances, qui aurait permis de régler ce problème. Ce déficit persistant et voulu permet d’entretenir artificiellement l’idée que l’Inrap ne fonctionne pas bien.

  • 7. Ce déficit – permanent et entretenu – est, en outre, aggravé par l’absence sur ce dossier du ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pourtant cotutelle de l’Inrap avec celui de la Culture. Il doit donc reprendre la main.

  • 8. Malgré de nombreux résultats spectaculaires que l’on peut mettre au crédit de l’Inrap, la loi de 2003 empêche cet établissement public de remplir sa mission essentielle, prévue par la loi et justification de l’archéologie préventive : sauver le patrimoine de la nation en produisant de la connaissance scientifique pour la restituer auprès du public.

  • 9. La loi de 2003 n’est même pas appliquée dans son intégralité, faute de moyens mais aussi de volonté, alors qu’elle prévoit la remise à l’Inrap, à fins d’étude et de publication, de l’intégralité de la documentation recueillie par les fouilles des entreprises commerciales d’archéologie.

3En conséquence, nous demandons :

  • A) Que soit amendé fortement le principe du « marché » concurrentiel des fouilles préventives, créé artificiellement en 2003.

  • B) Que soit revalorisée la « redevance d’archéologie préventive » pour qu’elle atteigne le niveau préconisé par le rapport de l’Inspection générale des finances, afin de sortir définitivement de la crise de l’archéologie préventive, et donc des difficultés persistantes avec les aménageurs et les élus – redevance à compléter par une subvention du ministère chargé de la Recherche, qui doit s’emparer du dossier.

  • C) Que le maître d’ouvrage, mais aussi le propriétaire des ves--tiges archéologiques enfouis, soit, comme dans beaucoup de pays, l’État, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens.

  • D) Que soit renforcée et harmonisée la coopération scientifique entre l’ensemble des institutions publiques de recherche archéologique, universités, Cnrs, Inrap, services régionaux du ministère de la Culture, services archéologiques de collectivités territoriales, dans le cadre par exemple d’un plan pluriannuel de développement.

4Premiers signataires (par ordre alphabétique) :

5Sophie Archambault de Beaune (professeur à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, ancienne directrice scientifique adjointe au Cnrs), Alain Beeching (professeur à l'Université de Lyon II), Patrice Brun (professeur à l’Université Paris 1), Joëlle Burnouf (professeur à l’Université Paris 1, ancienne conservatrice régionale de l’archéologie), Anick Coudart (directrice de recherche au Cnrs, ancienne directrice de la revue Les Nouvelles de l’archéologie), Jean-Paul Demoule (professeur à l’Université Paris 1, membre de l’Institut universitaire de France, ancien président de l’Inrap), Roland Étienne (professeur émérite à l’Université Paris 1, ancien directeur de l’École française d’Athènes), François Favory (professeur à l’Université de Franche-Comté, ancien directeur scientifique adjoint au Cnrs), Jean-Luc Fiches (directeur de recherche au Cnrs, ancien sous-directeur du Centre de recherches archéologiques de Valbonne), Stephan Fichtl (professeur à l’Université de Tours), Philippe Fluzin (directeur du laboratoire Métallurgies et Cultures, Université technologique de Belfort-Montbéliard), Henri-Paul Francfort (directeur de recherche au Cnrs, président du Comité de l’archéologie du Cnrs), Gérard Fussman (professeur honoraire au Collège de France), Pierre Garmy (ancien conservateur régional de l’archéologie, ancien directeur de l’Umr 5140), Christian Goudineau (professeur honoraire au Collège de France, ancien vice-président du Conseil national de la recherche archéologique), Michel Gras (ancien directeur de l’École française de Rome, ancien vice-président du Conseil national de la recherche archéologique), Jean Guilaine (professeur honoraire au Collège de France), Xavier Gutherz (professeur à l’Université de Montpellier, ancien conservateur régional de l’archéologie), Jacques Jaubert (professeur à l’Université Bordeaux 1, directeur de l’Umr Pacea, président de la Société préhistorique française), Olivier Lemercier (maître de conférence à l’Université de Bourgogne), Patrick Le Roux (professeur émérite à l’Université Paris 13), Gregor Marchand (sous-directeur de l’Umr CReAAH, Rennes), Pierre Moret (directeur de recherche au Cnrs, Toulouse, ancien directeur de la Casa de Velasquez), Laurent Olivier (conservateur au Musée d’archéologie nationale), Jacques Pellegrin (directeur de recherche au Cnrs, directeur de l’Umr 7055, Nanterre), Catherine Perlès (professeur émérite à l’Université Paris Ouest, ancienne directrice de laboratoire), Nicole Pigeot (professeur à l’Université Paris 1), Patrick Pion (maître de conférence à l’Université Paris Ouest), Michel Reddé (directeur d’études à l’École pratique des hautes études, ancien vice-président du Conseil national de la recherche archéologique, ancien directeur des sciences humaines et sociales au ministère de la Recherche), Pierre Rouillard (directeur de recherche au Cnrs, directeur de la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie, Nanterre), Valentine Roux (directrice de recherche au Cnrs, ancienne directrice de laboratoire), Maurice Sartre (professeur honoraire à l’Université de Tours et à l’Institut universitaire de France, premier président du Conseil scientifique des rendez-vous de l’histoire de Blois), Gilles Sauron (professeur à l’Université Paris-Sorbonne), Alain Schnapp (professeur à l’Université Paris 1, ancien directeur de l’Institut national d’histoire de l’art), Laurence Tranoy (maître de conférence à l’Université de La Rochelle), Boris Valentin (maître de conférence à l’Université Paris 1), Jean-Denis Vigne (directeur de recherche au Cnrs, directeur de l'Umr 7209, Museum national d'histoire naturelle).

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Pour citer cet article

Référence papier

« Appel. L’archéologie préventive doit être réformée ! », Les nouvelles de l'archéologie, 128 | 2012, 63-64.

Référence électronique

« Appel. L’archéologie préventive doit être réformée ! », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 128 | 2012, mis en ligne le 16 août 2012, consulté le 02 janvier 2015. URL : http://nda.revues.org/1690

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