1L’archéologie suisse est surtout connue en France par certaines opérations de recherches préventives engagées sur les rives des lacs, des travaux de très grande envergure ayant bénéficié du financement extraordinaire, garanti depuis le début des années 1960, par la Confédération pour l’exploration des sites menacés par la construction des autoroutes fédérales.
2Or, le livre d’Alain Gallay nous invite à la découverte d’un autre pan, non moins intéressant, de l’archéologie helvétique : un ambitieux programme de recherches sur la Préhistoire dans les Alpes, conduit en grande partie par l’auteur, ses collègues et ses (anciens) étudiants de l’Université de Genève, dans le canton du Valais, au cours des dernières décennies. Cet ouvrage de synthèse couronne toute une série de manifestations organisées en 2011 pour commémorer le 50e anniversaire de la découverte du site emblématique du Petit-Chasseur, à Sion : une exposition au Musée d’histoire du Valais, des journées d’expérimentation, une école doctorale et un colloque international, ainsi qu’un programme éditorial qui aura permis la publication de plusieurs monographies de sites néolithiques valaisans attendues depuis longtemps (cf. bibliographie ci-dessous).
3Agréable à lire, richement (et très élégamment) illustré, cet ouvrage dépasse très largement l’examen critique de la périodisation chronoculturelle des bouleversements de la nécropole du Petit-Chasseur, entre Néolithique final, Campaniforme et Bronze ancien. Alain Gallay propose en effet tout d’abord un historique de l’archéologie valaisanne sur la longue durée (dès le xve siècle), mettant en évidence le caractère novateur des premières recherches systématiques sur les habitats de plaine, conduites dès les années 1940 dans la haute vallée du Rhône. Il s’attache ensuite à la découverte des fameuses stèles anthropomorphes et à l’exploration de la nécropole du Petit-Chasseur, et montre comment ces travaux ont ouvert la perspective des chercheurs sur les approches paléo-environnementales et sur la modélisation de l’espace économique. L’ouvrage offre enfin un panorama synthétique des recherches conduites au cours du dernier quart de siècle sur les rythmes et les modalités de l’occupation humaine du Valais, du Paléolithique à la fin de l’âge du Fer, entre la plaine, la moyenne et la haute montagne. Cette synthèse est complétée par des encadrés signés, pour la plupart, par d’anciens élèves d’Alain Gallay, qui présentent des études récentes ou en cours et qui illustrent le dynamisme actuel de l’archéologie valaisanne.
4Par-delà son intérêt évident, pour les néolithiciens et les spécialistes du Campaniforme, du phénomène mégalithique ou de l’archéologie funéraire, cet ouvrage nous paraît devoir retenir l’attention de chaque archéologue en raison de la richesse des perspectives défendues par Alain Gallay, qui exploite le Petit-Chasseur comme cas d’étude pour un examen rétrospectif de la recherche préhistorique de ce dernier demi-siècle. Cet examen frappe par l’extraordinaire réflexivité et la franchise remarquable (la candeur, serait-on presque tenté d’ajouter) de son auteur.
5Celui-ci nous invite en effet à un parcours extrêmement éclairant à travers l’histoire récente de la recherche, dont la richesse et l’originalité se mesurent à l’exemple du traitement réservé à « Babar », l’aspirateur industriel introduit par Olivier-Jean Bocksberger, de manière pionnière, sur les fouilles du Petit-Chasseur en 1962, et auquel Alain Gallay reconnaît un impact heuristique majeur. En somme, cet ouvrage illustre en quelque sorte « l’archéologie en action », mettant en situation l’émergence de nouvelles techniques d’investigation, de traitement et d’analyse, la réflexion méthodologique et l’innovation théorique, à travers le témoignage d’un préhistorien réputé pour ses travaux sur la modélisation anthropologique et son engagement dans la formalisation des concepts archéologiques.
6Évoquant le rôle des courants théoriques dans le développement du programme, Alain Gallay traite, de manière originale, de l’impact de certaines influences intellectuelles et scientifiques. Et, chose rare – exceptionnelle peut-être dans notre discipline –, il aborde aussi les échecs heuristiques, en analysant les motifs des fausses pistes suivies parfois par les chercheurs.
7Cette leçon de modestie constitue en définitive un splendide hommage au métier d’archéologue. Car, si Alain Gallay illustre l’apport fructueux des interactions entre fouille et théorie, son ouvrage rappelle que ce sont néanmoins les vestiges, tels qu’ils se sont conservés depuis leur enfouissement, qui auront toujours le dernier mot, démontrant ainsi la nécessité d’adapter sans cesse les concepts, les techniques et les outils méthodologiques aux exigences du terrain.