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Jacques Delille

Pascal Duris, Hugues Marchal

Auteur : Jacques Delille (1738-1813)

Source : Les Trois Règnes de la nature, Paris, Nicolle, 1808, t. II, p. 68-70.

Texte (extrait)

Linné surtout, Linné dévoila ces mystères [des plantes],
Leurs haines, leurs amours, leurs divers caractères,
Leurs tubes infinis, leurs ressorts délicats.
Flore même en naissant le reçut dans ses bras ;
Flore sourit d’espoir à sa première aurore ;
Non point cette éternelle et ridicule Flore
Qui pour les vieux amours compose des bouquets,
Mais celle qui du monde enseigne les secrets.
Le Zéphire agitant ses ailes odorantes,
Porta vers son berceau les doux parfums des plantes ;
Déjà ses yeux fixaient leurs formes, leurs couleurs,
Et ses mains pour hochet demandèrent des fleurs.
Faible enfant1, on le vit dans le fond des campagnes,
Sur le flanc des rochers, au penchant des montagnes,
Braver la ronce aiguë et les cailloux tranchants,
Et rentrer tout chargé des dépouilles des champs.
Aussi quel lieu désert n’est plein de sa mémoire !
Il fit de chaque plante un monument de gloire ;
Et Linné sur la terre, et Newton dans les cieux,
D’une pareille audace étonnèrent les dieux.
Linné, réjouis-toi : le Nord vit ta naissance,
Mais ton plus beau trophée enorgueillit la France.
Elle ne choisit point, pour y placer tes traits,
Ou l’ombre d’un lycée, ou les murs d’un palais ;
Mais dans ce beau jardin2, dont l’enceinte féconde
Accorde une patrie à tous les plants du monde,
Où, joignant sa récolte à tes amples moissons,
Desfontaine embellit le trône des saisons ;
Où s’exilent pour nous de leurs terres natales
Des règnes différents les familles royales,
Le tigre, le lion, le cèdre aux longs rameaux,
Et l’énorme éléphant, et le roi des oiseaux ;
Où l’œil voit rassemblés le trépas et la vie,
La nature et les arts, l’instinct et le génie :
Tranquille, tu vivras au lieu même où Jussieu
Est présent par sa gloire, et vit dans son neveu.
Viens : dans cet Élysée, autrefois son domaine,
L’ombre du grand Buffon attend déjà la tienne ;
Et de tous les climats, de toutes les saisons,
Les fleurs briguent l’honneur de couronner vos fronts.

Commentaire

Jacques Delille est sans doute le plus célèbre et le plus habile des « poètes scientifiques » qui ont voulu chanter en vers les nouvelles connaissances, avec l’aval des principaux savants, puisque Les Trois Règnes de la nature ont d’emblée paru avec une annotation en prose par différents chercheurs d’envergure, en particulier Cuvier, qui signe les notes du sixième chant, consacré aux plantes (le lecteur pourra consulter ces notes, notamment un long parallèle entre Linné et Buffon, en se reportant à la source). La description des prédispositions extraordinaires du jeune Linné, ainsi que les mentions des dieux étonnés et de l’Élysée qui accueille le savant après sa mort, sont autant d’éléments typiques des vies de héros mythologiques, et témoignent d’un désir de faire du Suédois une figure de grand homme. Autre topos de l’éloge, le poète affirme l’inutilité de son propre texte, comme du buste qui honore le naturaliste au Jardin des plantes : toutes les espèces de plantes lui sont en effet déjà « un monument de gloire ».

 Lien vers la source

  1. La passion précoce de Linné pour les plantes est attestée par ses biographes (il cultivait notamment son propre jardinet dès 5 ans). []
  2. Il s’agit du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, aussi appelé Jardin des plantes. []

Anonyme

Pascal Duris, Hugues Marchal

Auteur : Anonyme

Source : L’Ami des champs, journal d’agriculture, de botanique, et Bulletin Littéraire du Département de la Gironde, 1827, t. 5, p. 322-323.

Extrait

HYMNE À LINNÉ (1827)

Peintre immortel de la nature,
À l’ombre de ces bois fleuris
Et sur les bords d’une onde pure,
Tu vois tes enfants réunis.

De l’Atlantique jusqu’au Gange1,
De l’Ourse aux africains déserts,
L’hymne d’amour et de louange
Pour toi retentit dans les airs.

Partout une heureuse harmonie
Répète tes doctes leçons :
En tous lieux ton puissant génie
Instruit encor tes nourrissons.

Avant toi, de sombres nuages
Sur nos yeux mettaient un bandeau :
Tu parus, et de tes ouvrages
Sortit un monde tout nouveau.

Sans règles fixes, la science
Confondait mille objets divers :
D’un coup d’œil ton génie immense
Ordonna ce vaste univers.

Ainsi les rayons de ta gloire
Remplissaient le monde savant ;
Quand, dans le temple de mémoire,
Ton rival (1) s’assit un instant.

Sur ses peintures magnifiques
Il attira bientôt les yeux ;
Dans ses périodes magiques
Brilla le langage des dieux.

Mais trop souvent l’erreur d’un songe
Remplaça la réalité,
Et l’on n’admira qu’un mensonge
Qu’on prenait pour la vérité.

Cependant tu suivais ta route :
Exempt de prestige et de fard,
Tu sus dissiper chaque doute,
Et devins sublime sans art.

Permets que nos mains te couronnent
De fleurs dont le secret t’est dû :
Ces guirlandes, nos mains les donnent
Aux talents joints à la vertu.

(1) Buffon est admirable comme écrivain. Comme naturaliste, il se livre trop à l’esprit d’hypothèse, qui n’est pas l’esprit d’observation, lequel néanmoins est le seul qui fasse avancer les sciences.

Commentaire

L’unique note infrapaginale réaffirme l’hostilité des néolinnéens à l’encontre de Buffon et de son œuvre.

  1. La Société linnéenne de Bordeaux a des sections un peu partout dans le monde. []