La définition de l’identité par l’État, un moyen d’assimilation et de dissolution d’une minorité dans la masse : le cas de la Loi sur les Indiens de 1876 au Canada

Billet écrit par Marion Van Boeckel sur base d’un travail réalisé dans le cadre du cours de Master 2 d’Histoire des administrations donné à l’Université Libre de Bruxelles.

Dès les premiers instants de l’entreprise coloniale au Canada et aux États-Unis, la gestion des populations autochtones vivant sur les territoires nouvellement acquis et la définition de leur identité ont constitué un défi majeur pour les puissances colonisatrices. Au Canada, pendant des décennies, chacune des populations autochtones avait été soumise à des traités individuels et des législations locales différentes qui avaient montrés des résultats variés. En 1876, le gouvernement canadien décida d’imposer une loi forte et s’appliquant uniformément à chaque individu autochtone, sans d’ailleurs tenir compte de ce que les lois précédentes pouvaient avoir montré en terme d’expérience de cohabitation harmonieuse, ou pas. Les buts affirmés de la Loi sur les Indiens étaient de centraliser et rationnaliser le traitement des autochtones, de leur fournir un minimum d’aide sociale, mais surtout d’assimiler ces derniers au sein de la culture dominante européenne, entrainant injustices et discriminations à leur encontre. Via la loi et le pouvoir qu’elle attribuait aux agents du Département des Affaires indiennes, l’administration canadienne s’arrogeait un contrôle total sur les terres attribuées aux autochtones dans les réserves et sur leur fonctionnement politique. Elle supplantait au passage violemment les modes traditionnels de gouvernance et d’échanges en place parmi ces nations   depuis des siècles.

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Les déserteurs étrangers et la législation dans les Pays-Bas autrichiens au XVIIIe siècle

Billet écrit par Maud Robert sur base d’un travail réalisé dans le cadre du cours de Master 2 d’Histoire des administrations donné à l’Université Libre de Bruxelles.

Les Pays-Bas autrichiens représentent le fleuron des possessions des Habsbourg d’Autriche. Unifié mais pas unitaire, le pays et ses différentes principautés possèdent sous l’égide viennoise une certaine autonomie, devant certes se conformer à une multitude d’arrêts et d’ordonnances, mais possédant également leur propre appareil législatif ; à eux de faire appliquer les dites ordonnances sur leurs terres. Au XVIIIe siècle en Europe, les différentes autorités se rapprochent de plus en plus du concept d’État, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, avec les débuts d’une administration nationale forte. Ainsi pour créer et diffuser les ordonnances susdites, les Pays-Bas autrichiens pouvaient compter sur une administration efficace, placée à Bruxelles par Vienne et représentée grosso modo par les trois grands conseils collatéraux (Conseil Privé, Conseil d’État, Conseil des Finances), complétés bien entendu par d’autres instances. L’objectif de ce billet sera d’aborder la législation mise en place par les gouvernements (car nous évoquerons aussi nos voisins français) au XVIIIe siècle afin de lutter contre la désertion et le vagabondage.

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Approches institutionnelle et sociale de l’administration. Le cas de Saint-Trond au 12e siècle

Billet écrit par Marie Tielemans sur base d’un travail réalisé dans le cadre du cours de Master 2 d’Histoire des administrations donné à l’Université Libre de Bruxelles.

L’objectif de ce billet est de montrer qu’une administration urbaine au Moyen Âge peut faire l’objet d’une approche tant institutionnelle que sociale, et que ces deux approches sont complémentaires. Pour ce faire, intéressons-nous au cas de Saint-Trond, ville dont le seigneur est l’abbé du monastère du même nom, et aux charges de villicus, d’écoutête et d’échevin. Nous nous concentrons sur le 12e siècle, période qui apparait être charnière dans l’évolution de ces charges

Petite précision contextuelle

La ville de Saint-Trond relève de deux autorités seigneuriales : celle de l’abbé de Saint-Trond d’une part et celle de l’évêque de Metz – puis de l’évêque de Liège – d’autre part.  Cette dualité est la conséquence des modalités de fondation de l’abbaye au milieu du 7e siècle, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici. Comme nous le verrons, les fonctions de villicus, d’écoutêtes et d’échevins relèvent de l’autorité seigneuriale : ceux qui sont nommés à ces postes le sont par les seigneurs. Ainsi, à Saint-Trond, il y a deux villici et deux écoutêtes, l’un nommé par l’abbé, l’autre par l’évêque messin ou liégeois. Il en est de même pour les collèges scabinaux, également au nombre de deux. Afin de mener une étude précise, les sources au sujet des agents relevant du pouvoir épiscopal étant pour le moins silencieuses, nous nous concentrerons uniquement sur ceux désignés par l’abbé de Saint-Trond.

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L’administration dans tous ses États II, le retour de la vengeance

L’actualité tragique de cette année 2015-2016 aura permis une nouvelle fois de démontrer qu’en période dite de « crise », la gestion de la situation par les pouvoirs publics amène à une forme d’évaluation de l’efficacité de ces derniers. La « bonne gouvernance » est ainsi le mètre-étalon de la légitimité des dirigeants : l’État a-t-il « bien géré » la crise ? Les hommes politiques ont-ils pris les « bonnes mesures » ? En parallèle de l’actualité des attentats, celles de la crise des migrants et surtout de la réforme du travail (la loi El Khomri ou son pendant belge, la loi Peeters) ont, en France comme en Belgique, amené à une certaine remise en cause (l’euphémisme est doux) de nos dirigeants.

Pour l’historien du droit et des institutions, ce kaléidoscope d’événements a ceci d’intéressant qu’il démontre à quel point, au-delà de la flamboyance des déclarations, l’État repose avant tout sur un ensemble d’institutions et que, entendant agir sur le monde, il agit d’abord sur les structures de ses institutions. Ainsi, par exemple, toute politique sécuritaire repose d’abord sur une certaine réorganisation des pouvoirs, certaines institutions se voyant dotées de nouvelles capacités, de nouveaux droits, de nouvelles compétences. L’État, c’est un peu Tibo InShape : quand il veut casser la gueule à quelqu’un, il commence par faire de la musclu dans son coin.

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Pour en finir avec la bureaucratie ?

[Veuillez lire attentivement ce formulaire de lecture de l’ouvrage de David Graeber intitulé Bureaucratie et publié en 2015 (titre original The utopia of the rules). Ce formulaire ne peut être jeté sur la voie publique. Un duplicata peut être envoyé par courrier postal sur simple demande (formulaire ad hoc à compléter). DRM et APC seront facturés en cas d’envoi par courrier électronique]

Attention, spoiler alert pour ce billet !

True Detective season 3 : The Shadow Bureaucracy
True Detective (season 3 ?): The Shadow Bureaucracy

[Veuillez prendre connaissance des prémices de ce formulaire]
« De nos jours, on ne parle plus guère de la bureaucratie ». Tcheu, tcheu, tcheu mon bon môsieur. NON ! Nous, on va en parler. Et pas qu’un peu. D’ailleurs, on doit cette phrase à David Graeber. Parler de la bureaucratie, ce serait donc has been, dépassé ? Circulez, il n’y a(urait) (plus) rien à (re)dire. Eh bien, non affirme Graeber. Il y a encore des choses à clamer. Assez en tout cas que pour publier un livre de 260 pages reprenant plusieurs essays sur la question ainsi qu’en bonus une réflexion sur The Dark Night Rises, le dernier Batman de Christopher Nolan, et les problèmes du pouvoir constituant qui émergent à partir film (Vous savez bien, la révolution de Bane, la condamnation des élites, le combat final devant la bourse de Wall Street, etc.) [PS : pour info, Graeber a trouvé le film atrocement mauvais et je suis plutôt d’accord]. Continuer la lecture de Pour en finir avec la bureaucratie ?

Retour d’expérience : organiser un colloque #EasyPeasy

Aaaah, l’été 2016 s’annonçait tranquille, calme et distrayant puisqu’isolé dans une cellule (i.e mon bureau) afin d’y rédiger l’oeuvre de ma vie une thèse en mode express. Toutefois, après l’année académique qui venait de s’écouler, j’ai songé à un petit billet du style « retour d’expérience » à propos de l’organisation de colloques. Soyons honnêtes. Ce n’est pas évident de savoir a priori ce qu’il faut faire ou ne pas faire quand on se lance dans la préparation d’un événement scientifique.

Mais à l’idée de faire un billet « retour d’expérience » s’y est jointe une autre, celle de ne pas rédiger un texte suivi mais de proposer des GIF. C’est l’été quoi, faut bien un peu se reposer aussi…  Voici donc un retour d’expérience autour de l’organisation d’un colloque et du vécu que cela implique en quelques petites madeleines… enfin des GIF. Et comme le GIF est à la mode, autant en profiter. Continuer la lecture de Retour d’expérience : organiser un colloque #EasyPeasy

Les revues de jeunes chercheurs à l’heure du Publish or Perish

Deuxième billet du diptyque proposant une réflexion sur les contextes de production des publications scientifiques en SHS. Si vous avez manqué le premier (sur les blogs), filez donc le lire de ce pas, malandrins !

La notion de peer review est très ancienne. On la fait remonter au haut Moyen-Âge, même si l’on ne trouve pas de preuve formelle de son existence avant le XIVème siècle. Avant l’avènement des Capétiens, le roi était élu parmi les pairs de France, il devenait à ce titre primus inter pares, c’est à dire le premier d’entre les égaux. Le roi et ses pairs avaient coutume de s’épauler les uns les autres en soumettant les grands pans de leur politique respective à une critique mutuelle. La réunification du royaume de France par les successeurs d’Hugues Capet a rapidement fait tomber cette notion en désuétude, même s’ils ont continué à se prodiguer aide et conseil jusqu’aux débuts de l’absolutisme. L’expression peer review est elle-même apparue en 1325, lorsque Philippe Le Bel convoqua son gendre Edouard II, roi d’Angleterre et duc de Normandie (et donc, à ce titre, paire de Couilly) pour lui dire tout le mal qu’il pensait de lui. En sortant de cette entrevue, Edouard II aurait dit à son favori Hugues le Despenser dans un anglais en formation encore mâtiné de français: Oh my gode (le roi affectionnait particulièrement la quenouille), c’est la pire review qu’on m’ait jamais faite !

Comment la peer review a changé ma manière de travailler (et donné le poil plus brillant).

Pour se faire une idée des petites absurdités du monde de la recherche, il me semble exister trois sites incontournables des internets mondiaux. Le premier, PhD Comics, met en scène les heurs et malheurs d’une série de personnages (doctorants et postdocs) au travers de strips hilarants.

Source : http://bit.ly/1Kk8jkQ
Source : http://phdcomics.com/comics/archive.php?comicid=1835.

Le second, Ciel mon doctorat, est une anthologie de GIF (images animées de quelques secondes) illustrant des phrases proposées par les internautes telles que « Quand ma soeur m’a dit qu’elle aussi, elle voulait faire une thèse », « Quand j’arrive un peu à l’arrache à l’AG du centre de recherche », ou encore « Quand je suis reviewer sur le papier de quelqu’un que je déteste ». Hé bien parlons-en, justement, des reviewers, car il fait l’objet du dernier site, nettement moins connu que ses prédécesseurs mais qui contient pourtant de véritables perles : Shit My Reviewers Say. Celui-ci compile des extraits des pires évaluations reçues par des auteurs ayant soumis leur article à une revue scientifique ; des phrases pas piquées des hannetons comme « This left me somewhere between scratching my head and pulling my hair out », « The writing and data presentation are so bad that I had to leave work and go home early and then spend time to wonder what life is about » ou, mon petit préféré : « I think this article is carefully argued, but at no moment is it stated that Heidegger was a Nazi ».

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In Blogs We Trust !

Cette semaine, on entame une série de deux billets proposant une réflexion sur les contextes de productions des publications scientifiques en SHS. Ces réflexions ne tombent pas du ciel mais s’expliquent par une série d’événements, débats, etc. ayant surgi ces dernières semaines…

« Dans le carnet de recherche, il y a une forme de liberté que nous n’avons pas dans les livres et dans les articles qui contribuent à l’avancement de la carrière universitaire » – Marin Dacos

Je m’étais promis de ne plus publier de billets qui n’étaient pas liés de près ou de loin à mon sujet de thèse pour la simple raison qu’étant occupé à la rédiger, je ne voulais pas voir mon esprit vagabonder au-delà de la période 1580-1610. J’avais prévu un billet aux petits oignons – bonne orthographe? – sur l’application de la législation au 16e siècle, le tout agrémenté d’illustrations tirées d’House of Cards. Bon. On repassera. Quoique. Frank Underwood peut être utile en toute circonstance… Certains événements et nouvelles récents m’ont presque logiquement conduit à réfléchir sur cette pratique enclenchée avec Quentin depuis un peu moins de deux années : le blogging scientifique. Nous avons toujours essayé de penser ParenThèses comme un moyen d’exprimer nos réflexions relatives à nos sujets de recherche et nos intérêts communs ou personnels. Comme le rappelait encore récemment Caroline Muller, via un blog « la communauté historienne, mais aussi un public bien plus large, peut ainsi suivre le développement de recherches de longue haleine et intégrer les questions posées à leurs propres travaux ». S’il est évident que le blogging scientifique est à la mode – Hypothèses a franchi le cap des 1500 carnets inscrit au catalogue Open Edition -, ce n’est pas pour autant qu’il faut multiplier les plaidoiries pro domo et aveugles à son sujet. Continuer la lecture de In Blogs We Trust !

Face à la peur : guide de survie en territoire zombie

Depuis maintenant plusieurs semaines, la société belge est traversée par une série de tensions et de débats suite aux tragiques évènements du 22 mars 2016. À l’angoisse de possibles nouveaux attentats s’ajoutent des critiques à l’égard du gouvernement et des institutions belges quant à leur façon de gérer cette crise ; tandis qu’une commission d’enquête parlementaire a été mise en place, politiques, journalistes et experts n’ont eu de cesse de revenir à ces deux questions : comment mieux réagir en temps de crise, et surtout peut-on à l’avenir prévenir plus efficacement les attaques terroristes ?

Un sondage du journal Le Soir daté du 31 mars 2016 estimait de façon assez paradoxale que 73% des Belges pensent que « le renforcement des mesures sécuritaires n’empêchera certainement pas de nouveaux attentats », mais 79% croient également qu’« il faut vraiment un pouvoir fort pour mettre de l’ordre dans tout ça ». Je ne reviendrai pas ici sur la prudence qu’il faut avoir vis-à-vis des sondages, et plus encore sur l’inanité avec laquelle semblent avoir été formulées les questions (qu’est-ce qu’un « État fort » en Belgique ? Un pouvoir autoritaire ? Un État fédéral avec davantage de compétences que les régions ? Et puis que désigne le « tout ça » ?), pour simplement retenir que la question des politiques sécuritaires et du pouvoir de l’État est aujourd’hui centrale en Belgique.

Source : Le Soir, 31 mars 2016.
Source : Le Soir, 31 mars 2016. Ou comment poser des questions ambiguës.

Dans ce contexte, le chercheur en sciences sociales peut être à même d’apporter une série d’éclairages et de réflexions susceptibles d’éclairer les débats. Dans ce billet, mon intention est de faire la synthèse et le commentaire du contenu d’un petit livre paru récemment, intitulé L’exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, qui retranscrit un débat s’étant déroulé entre l’historien Patrick Boucheron et le politologue Corey Robin, avec une introduction du politiste Renaud Payre1.

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  1. Patrick Boucheron, Corey Robin et Renaud Payre, L’exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2015. Je signale au passage que j’ai également co-signé un compte-rendu du livre sur la revue Lectures avec mon comparse Lionel Francou. []

(S’) écrire en temps de guerre (Europe, 15e-17e s.) – Retour de workshop

Plus d’un mois sans billet sur ParenThèses, mais que se passe-t-il nous direz-vous ?! Vous avez bien raison, mais c’est qu’on était un peu occupé (on l’est toujours et on le sera encore pour un temps…). Pas de billet perso cette semaine, mais bien le compte-rendu d’un workshop qu’on a accueilli, à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, dans le cadre d’un projet où nous sommes tous les deux actifs…

Le vendredi 22 avril a donc eu lieu un workshop organisé dans le cadre du projet « (S’) écrire en temps de guerre (Europe, 15e-17e s.) » rassemblant plusieurs partenaires académiques (UCL, ULB, KULeuven et USL-B). Ce projet entend aborder le rapport au « fait militaire » – entendu dans un sens large – à travers l’étude de documents naviguant entre l’écriture de soi et l’écriture de l’histoire. En effet, la période envisagée (15e-17e s.) autorise l’historien à s’interroger sur la guerre comme élément du quotidien, comme réalité à laquelle l’individu – peu importe sa position au niveau social – est confronté. Les anciens Pays-Bas burgondo-habsbourgeois sont, par exemple, un laboratoire fertile compte tenu des nombreux conflits qui s’y sont déroulés, des migrations que ceux-ci ont engendrées, des séparations qu’ils ont provoquées. Loin de se limiter à un spectre local, la guerre et le rapport que l’Homme entretient avec elle, doivent aussi pour l’époque retenue s’envisager dans une optique transnationale. Continuer la lecture de (S’) écrire en temps de guerre (Europe, 15e-17e s.) – Retour de workshop

Le Conseil d’Etat et la vacance du pouvoir dans les Pays-Bas espagnols (1595)

Le décès d’un souverain ou de son représentant dans un territoire dépendant de la Couronne pose de nombreux problèmes pratiques auxquels il convient d’apporter immédiatement des solutions. Le cas que je vais traiter dans ce billet entend apporter un éclairage à ce genre de situation délicate pour toute monarchie. Afin de rester fidèle à la même crèmerie, j’aborderais les Pays-Bas espagnols à la fin du 16e siècle. On ne change pas une équipe qui gagne…

Tout d’abord, quelques remarques préliminaires au cas où vous ne seriez pas (encore) familiarisés avec Philippe II d’Espagne (1527-1598), ses représentants dans les Pays-Bas espagnols – ces territoires que l’on avait coutume d’appeler les 17 Provinces depuis Charles Quint, mais qui ne furent 17 que très brièvement… – et les multiples péripéties de la fin du 16e siècle, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales. Continuer la lecture de Le Conseil d’Etat et la vacance du pouvoir dans les Pays-Bas espagnols (1595)

La grâce au cœur des conflits de normativités

Mata, que el rey perdona.

Tue, que le roi pardonne.

Proverbe castillan cité par Rudy Chaullet, Crimes, rixes et bruits d’épées. Homicides pardonnés en Castille au Siècle d’or, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008, p. 34.

Ce billet est la suite d’un texte précédent dans lequel je présentais sur ce carnet les grandes lignes de l’évolution historique du droit de pardonner au Moyen Âge, thématique fort joyeuse que j’étudie dans le cadre de ma thèse de doctorat.

L’affaire a été largement médiatisée. Le 31 janvier 2016, François Hollande accordait la grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage, condamnée en appel le 3 décembre 2015 à dix ans de prison pour avoir tué son mari de trois coups de fusil dans le dos. Sauf que depuis des années, la victime frappait sa femme et abusait d’elle, raison pour laquelle la décision de la justice a fait l’objet de très vives critiques. Le 29 janvier dernier, le président de la République recevait les filles et les avocates de Jacqueline Sauvage pour entendre leur demande de grâce. Quelques jours plus tard, il accordait la grâce à la condamnée, lui permettant d’échapper à sa peine.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer dans mon mon billet précédent sur le sujet, le mécanisme par lequel le chef de l’État peut accorder une remise de peine (voire un pardon complet) à un justiciable ne date pas d’hier. À la fin du Moyen Âge, les souverains français, anglais ou castillans accordaient des « lettres de rémission » ou des « lettres de pardon » à la suite d’une supplique introduite par l’infracteur auprès de leur conseil royal. Certains princes particulièrement puissants, tel le duc de Bourgogne, faisaient de même dans leurs principautés. La lettre permettait au bénéficiaire d’ainsi échapper à la justice (contrairement à aujourd’hui, une grâce pouvait être accordée antérieurement à une condamnation, voire même en l’absence de poursuites judiciaires). Les raisons qui justifiaient qu’un monarque médiéval accorde sa grâce étaient multiples : démonstration de pouvoir, arrangement politique, mais aussi volonté de faire du pardon royal/princier un « correctif » de la justice.

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Droit au but : Frederik Dhondt

Cela faisait un peu plus d’un an que nous n’avions plus proposer d’interview de chercheurs/chercheuses en histoire du droit et des institutions sur le carnet… Mais attendez un peu de voir avec quoi, ou plutôt avec qui on vous revient ! 

© Maite Morren
© Maite Morren

Nous vous invitons à entrer, cette fois-ci, dans le monde de la diplomatie et du droit international du 18e siècle grâce à Frederik Dhondt. Frederik est l’auteur de deux ouvrages publiés chez Brill et dans la collection de l’association Standen & Landen – Anciens Pays et Assemblées d’Etats. Excusez du peu… Chercheur à la pensée virevoltante – on sait de quoi on parle puisqu’on a eu l’occasion de l’observer in vivo si on peut dire – et qui témoigne d’une maîtrise, l’interview prouvera que Frederik effectue également une réflexion approfondie à propos du métier d’historien du droit, de l’interdisciplinarité (quand on est également juriste, ça aide évidemment) ou du doctorat. Si on voulait recourir à une métaphore sportive on pourrait dire que Frederik a l’air d’avoir un troisième poumon tant il paraît actif. Publications, participations à des colloques, implications dans des associations et centres de recherche, engagement politique, présence dans les médias sociaux : tout y passe. Pour autant, Frederik reste conscient qu’il faut pouvoir « déconnecter » de temps en temps, au risque sinon de ne pouvoir soutenir le rythme. 

On se réjouit de pouvoir compter Frederik parmi les chercheurs interviewés sur ParenThèses. On espère ne pas être les seuls… Continuer la lecture de Droit au but : Frederik Dhondt

Démocratie, élections, tirage au sort : le trio impossible ?

Ce n’est pas parce qu’on étudie les 15e, 16e ou 17e siècles qu’on ne peut pas, de temps en temps, aller lire des choses sur des périodes a priori aux antipodes les unes des autres : l’antiquité et le temps présent. Le chercheur est aussi un être humain ancré dans son époque et, à ce titre, est traversé par les tourments et les potentielles joies que celle-ci aura à lui offrir…

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© Stefan Vanfleteren

En octobre 2015, l’Université Saint-Louis – Bruxelles avait décidé d’octroyer le titre de docteur honoris causa à David Van Reybrouck en raison de son implication pour repenser la démocratie au 21e siècle. Ce sera mon point de départ en mode « le glamour académique c’est tendance ». Avant tout connu du grand public pour son essai Congo. Une histoire (prix Médicis de l’essai 2012), David Van Reybrouck est également à la base d’une réflexion sur la démocratie contemporaine et l’initiateur du G1000. Avec cette initiative, Van Reybrouck souhaitait ré-enchanter la politique belge en donnant la parole à des citoyens lambda et non des hommes politiques professionnels. En 2013, il a couché sur le papier son constat et ses idées pour remédier au problème de la démocratie du 21e siècle. Le résultat en fut l’ouvrage au titre volontairement provocateur Contre les élections. L’auteur y dresse un portrait au vitriol de la démocratie élective représentative ! Son livre est rythmé par quatre temps : les symptômes, les diagnostics, la pathogenèse et les remèdes. Continuer la lecture de Démocratie, élections, tirage au sort : le trio impossible ?

Kit de survie du cinéphile 2.0, volume II

Il y a un peu plus d’un an, paraissait sur ParenThèses le kit de survie du cinéphile 2.0. L’objectif en était de présenter quelques noms de vidéastes (essentiellement sur Youtube) qui proposaient des créations à la fois drôles et didactiques sur le cinéma : critiques de films, chroniques thématiques, rétrospectives sur une œuvre, etc. Sauf qu’un an, dans le petit monde des Internets, ça équivaut à un demi-siècle. En si peu de temps, de nouveaux créateurs peuvent émerger, d’autres disparaître, certains renaître de leurs cendres… L’occasion est donc venue de proposer un second volume au au kit de survie du cinéphile 2.0 !

En cette mi-janvier, entre la correction de deux copies d’examen, quoi de mieux que de faire le tour de ce que la Toile nous propose ?

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Carnet de recherches en histoire du droit et des institutions