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Le vestige et la ruine dans Few of us (1996) de Sharunas Bartas : les ornements sonores de l’oubli d’un peuple disparaissant

Sylvain Louet

Résumés

Si, selon Marc Augé, « [l]’opérateur principal de la mise en ‘fiction’ de la vie individuelle et collective, c’est l’oubli », comment signifier, sans commentaire ni dialogue, l’oubli d’un peuple - un peuple oublié et qui, peut-être, s’oublie ? Comment faire en sorte que l’oubli d’un peuple près d’être englouti ne se résume pas à un thème ni à une reconstitution et devienne une figure d’écriture ? C’est à ces questions que répond Few of us. Cette fiction cinématographique lituanienne de Sharunas Bartas met en scène quelques membres de la communauté des Tofalars, de l’Oblast d’Irkoutsk, en Sibérie, figurant un peuple constitué d’environ sept cents personnes, jadis nomade, désormais sédentarisé, oublié du monde et peut être oublieux de sa culture et de son histoire. Le film se caractérise d’abord par une écriture inhabituelle qui met en avant le silence et le mutisme des personnages, traversés de douces fulgurances sonores qui apparaissent comme un art de l’estompe. Cependant des formes survivantes des bruits et des chants du peuple des Tofalars traversent le vide apparent des paysages sonores, des formes se souvenant des quelques-uns qui vivent encore là. Aussi semble-t-on fondé à percevoir dans ces traces sonores les guenilles de l’histoire d’un peuple disparaissant. Cette écriture de l’histoire révèle le souffle continué des hommes à travers le tamis de la respiration du temps. Few of us met ainsi en œuvre l’oubli qui conditionne le déploiement des possibilités de se souvenir et la mise en mouvement du passé.

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Texte intégral

  • 1 Platon, Phèdre, traduit par E. Chambry, Paris, Garnier Flammarion, 1964, 274e, p. 165.

« [L’écriture] produira l’oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l’écriture [comme Thésée dans le fil d’Ariane], c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d’eux-mêmes qu’ils chercheront à susciter leurs souvenirs [...]1. »

  • 2 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants. L'Oeil de l'histoire, 4, Paris, Les Edit (...)
  • 3 Georges Didi-Huberman « Peuples exposés (à disparaître) », Chimères, n° 66-67, 1/2008, p. 23. C’est (...)

1L’exposition des peuples est devenue un enjeu fondamental de la vie publique et politique. Ainsi Georges Didi-Huberman, en signalant que les peuples peuvent être sur-exposés ou sous-exposés et exposés à disparaître2, s’interroge : « [c]omment donc, quand les peuples sont exposés à disparaître, organiser notre attente pour espérer voir un homme ?3 ».

  • 4 Le terme « paysage sonore » (soundscape en anglais, équivalent sonore du landscape) a été créé par (...)

2C’est à cette question que répond Few of us en liant esthétique et politique à travers l’expression de paysages sonores singuliers4. Cette fiction cinématographique lituanienne de Sharunas Bartas met en scène quelques membres de la communauté des Tofalars, de l’Oblast d’Irkoutsk, en Sibérie, figurant un peuple constitué d’environ sept cents personnes, jadis nomade, désormais sédentarisé, oublié du monde, oublieux de sa culture et de son histoire. Cette tribu d'origine turque, installée dans les monts Saïan, au sud de la Sibérie, est en effet en voie d’extinction.

  • 5 Maurice Blanchot, « L’Espèce humaine », in L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, repris dans (...)
  • 6 Marc Augé, Les formes de l’oubli, Paris, Payot et Rivages, collection « Manuels Payot », 1998, p. 4 (...)
  • 7 Few of us n’emprunte pas même la voie solitaire du narrateur de Elégie de la traversée d’Alexandre (...)
  • 8 Walter Benjamin, « Métaphysique de la jeunesse, le dialogue », traduit par Philippe Lacoue-Labarthe (...)

3Pour espérer voir un homme, Maurice Blanchot répond qu’il faut « faire droit à la parole en répondant à la présence silencieuse d’autrui5 ». Or le film se caractérise par une écriture inhabituelle qui met en avant le silence et le mutisme. Si, comme le dit Marc Augé, « [l]’opérateur principal de la mise en ‘fiction’ de la vie individuelle et collective, c’est l’oubli6 », Few of us, sans commentaire7 ni dialogue apparent, ni même récit, pourrait représenter l’oubli d’un peuple. En ce sens, l’écriture de l’oubli d’un peuple près d’être englouti ne se résumerait ni à un thème ni à une reconstitution et deviendrait un motif qui ferait droit à la parole à travers le silence des hommes représentés. Ainsi, le film engagerait un dialogue à travers une écoute mutuelle, partagée entre le silence des spectateurs du film et celui des hommes représentés : comme le dit Walter Benjamin, « [l]e dialogue tend au silence et celui qui écoute est d’abord celui qui fait silence. […] Faire silence est la frontière intérieure du dialogue8. ».

  • 9 Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Amer (...)

4Il s’agit d’abord de poser les quelques éléments historiques et géographiques qui permettent de situer ce peuple. Le film est en effet bâti implicitement en regard de ces repères et sur l’histoire de la disparition d’une langue. Or celle-ci renvoie à un non-dit essentiel, exprimé par Henri Maldiney : « la fonction universelle du langage […] est d’assurer à l’homme la conservation de soi-même. La langue rassemble ce qui a été pensé, elle en assure la garde dans un système de sens disponibles. Elle est une mémoire inactuelle9. » Le langage, en effet, est à la fois la communauté des possibles et celle du « nous ». Sa signification est existentielle, et même existentiale au sens où l’on habite un monde et un langage qui, pour chacun, élabore et pense. Or ces significations, qui dévoilent en profondeur le sens d’un rapport au monde, ont été mises à mal par l’histoire. En choisissant de ne faire entendre aucune parole, Few of us pourrait ainsi raconter la perte possible de l’expérience, qui semble identifier notre condition moderne.

  • 10 Maurice Blanchot, « L’espèce humaine » [1962], L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 194.

5Cependant, avec Few of us, une nouvelle expérience surgit à l’orée de la parole tue, qui place, dans une relation familière et de trouble altérité, notre regard et les images d’un peuple nous ressemblant, malgré tout, et disparaissant, devant nous C’est que les paysages sonores de l’oubli apparaissent avant tout comme un art de l’estompe, comme une trace effective, quoique ténue, de l’oubli de ce peuple, nous rappelant, comme le dit Maurice Blanchot, que « l’anthropomorphisme serait l’ultime écho de la vérité, quand tout cesse d’être vrai10 ».

  • 11 Marc Augé, Les formes de l’oubli, p. 23.

6Dès lors, ce vide semble une allégorie de l’oubli du présent. Les images de Few of us composent en effet une forme visuelle, tangible, de la fragile mémoire au présent du peuple des Tofalars, traversée de sons impressionnistes qui se souviennent des quelques-uns qui vivent encore là aujourd’hui, à l’écart du monde urbain et industriel, un monde de la reproduction mécanique placé sous l’influence de la colonisation soviétique. Si Marc Augé rappelle que l’on n’oublie pas la chose même mais les souvenirs des événements et que le souvenir est une impression11, les images de Few of us semblent aussi hantées par le passé qui, dans le silence des paysages sonores, apparaît sous la forme de survivances et de trouées de la pellicule du temps.

7Aussi semble-t-on fondé à percevoir dans ces traces sonores les guenilles de l’histoire d’un peuple disparaissant. Cette écriture de l’histoire révèle le souffle continué des hommes à travers le tamis de la respiration du monde. Le paysage sonore fonctionne ainsi comme l’expression fluente de la mémoire involontaire d’un peuple dont on n’aura vu ici que deux ou trois membres, toujours se taisant, toujours seuls ou composant avec un seul autre, dont la mémoire est exposée comme un ornement de l’oubli.

1. Une culture en déshérence

  • 12 Selon le linguiste K. David Harrison, they may be the least documented among native Siberian people (...)
  • 13 La version anglaise est plus prolixe, quoique donnant des informations très succinctes.

8On sait assez peu de choses des Tofalars dont l’habitat traditionnel se situait sur les pentes du nord des Montagnes Sayan Orientales12. Faire une recherche pour comprendre des mots habituellement associés à ce peuple et à sa langue (« Tofalar », mais aussi « Karaga » ou « Tubalar » ne donne souvent aucune réponse sur la fameuse Encyclopedia Universalis en langue française13.

  • 14 Cette langue est habituellement classée dans le groupe sibérien des langues turques. Le turcologue (...)
  • 15 K. David Harrison est sans doute le premier à avoir enregistré le Tofa. En collaboration avec Greg (...)
  • 16 Le médecin local, Raisa Kishteeva, né en 1957, a établi un parallèle explicite entre le recul de la (...)

9Les Tofalars ne possèdent pas d’histoire écrite. De ce fait, leur langue parlée est leur histoire14. Or, au recensement soviétique de 1989, quand la population des Tofalars s'élevait encore à sept cent trente et une personnes, la langue n'était déjà plus parlée que par trois cent quatorze d'entre eux. K. David Harrison15, en 2001, n'identifie plus que vingt-cinq locuteurs. Avec la langue disparaît une culture unique, qui combinait la chasse nomade et l’élevage (de rennes, principalement pour fabriquer des produits laitiers16). La vision mêlée de cette culture reflète la singularité des coutumes et de la vision religieuse de cette société.

  • 17 Idem, p. 53.
  • 18 Par exemple, le Tofa ne nomme pas l’ours qui est craint pour sa valeur sacrée. Aussi la langue mult (...)

10Au centre de cette culture, la langue Tofalar fait parler la terre. Le mode de vie Tofa nécessite en effet de complexes connaissances des ressources naturelles, qui dépendent à leur tour des droits d'accès à la terre et à la langue qui permet de comprendre et de faire comprendre l’environnement. Cette connaissance permet de prendre les décisions vitales et quotidiennes : par exemple, choisir quelle plante sauvage peut être mangée ou utilisée comme remède, savoir à quel clan s’adresser pour choisir une conjointe, et à quelle montagne il faut offrir de la nourriture de manière rituelle, se souvenir durant quels mois on peut chasser les écureuils, et vers quel renne se tourner dans le troupeau pour obtenir du lait17. Comme le signale K. David Harrison, ces connaissances sont plurielles, syncrétiques, mettant en jeu les mondes visible et invisible, dicible et indicible, dans un réservoir culturel immense, nonobstant la taille réduite de ce peuple18. Le Tofa possède ainsi plusieurs vocables qui attestent d’une vision animiste du monde.

11Ces connaissances portent en particulier sur le paysage sonore environnant, qu’elles contribuent à saisir et à créer. Les bergers et les chasseurs du sud la Sibérie, y compris les Tofalars, possèdent ainsi des capacités fortement spécialisées pour imiter l'environnement acoustique naturel. Ces compétences peuvent conférer un avantage en fournissant aux bergers et aux chasseurs-cueilleurs un outil de travail. Le mimétisme du son se manifeste dans la chasse d'appels et l'imitation des sons d’animaux. Quelques anciens peuvent encore jouer des sifflets d'écorce de bouleau spéciaux pour appeler des porcs sauvages et le chevrotin, ou des klaxons d'écorce de bouleau pour solliciter l’intérêt de l'élan sauvage. Mais ces compétences ancestrales s'éteignent avec la langue qui appréhende le monde : l’oubli est le silence du passé.

  • 19 Idem, p. 54.

12Encore moins de Tofalars se rappellent une pratique de chant antique. En employant une technique vocale spécifique, une vieille dame de 85 ans, Varvara Adamova, apparemment frêle et à la voix douce, a étonné un groupe de scientifiques par la puissance et la portée de sa voix de chant. Elle, avec sa soeur de 75 ans (Galina Adamova, maintenant décédée), étaient les seuls habitants restants du village d'Aligdzher qui persistaient à chanter dans la langue Tofa. Les deux soeurs ont chanté des douzaines de chansons pendant une semaine d'enregistrement des sessions. Beaucoup de ces chansons décrivent des activités quotidiennes comme la traite et l'élevage de rennes que les soeurs avaient pratiqués dans leur jeunesse. Certaines ont des thèmes plus métaphysiques comme le culte de l'ours, les divinités et les esprits Tofa, ou l'amour et l'amitié19.

  • 20 Idem, p. 55.

13Les tentatives d'écriture et la publication ont été interdites jusqu'en 1989, quand des scientifiques russes ont développé un alphabet et un manuel pour l’apprentissage des écoliers. Mais le système d'écriture n'a pas toujours été accepté : peu de locuteurs adultes Tofa peuvent le lire. Surtout, diverses pressions politiques, sociales, économiques et institutionnelles ont successivement érodé cette proximité avec l’environnement. Depuis le milieu du 17ème siècle, l'influence culturelle russe, puissante, s’est avérée déterminante. Puis la collectivisation soviétique a été suivie par l'introduction du « sovkhoze » (la ferme d'état) et la sédentarisation forcée de bergers, éleveurs de rennes, l'introduction d’internats situés loin des villages où le russe était enseigné aux enfants Tofalars comme leur langue « maternelle », enfin l'établissement d’entreprises employant les femmes de bergers. Durant les années 40, les pratiques chamaniques ont été bannies et les chamans persécutés ; les hommes jeunes ont été envoyés sur le front de l’ouest, pour se battre contre les allemands. Dans les années 50, il était même interdit de parler le Tofa20.

  • 21 Idem, p. 53. Voir Daniel Nettle, Suzanne Romaine, Vanishing Voices Oxford, Oxford University Press, (...)

14Ainsi, c’est un ensemble de connaissances ancestrales qui est soumis à l’oubli, du fait, notamment d’une inadéquation entre une langue dominante, exogène, et l’environnement immédiat qui a longuement forgé la langue autochtone désormais évanescente21.

15Face à cet oubli, dans Few of us, le silence ne s’apparente pas à l’habituel outil scénaristique qui souligne la tension dramaturgique, au traditionnel silence d’attente et d’expectative, mais à un art de l’estompe. Le son est travaillé de manière singulière pour se faire oublier, et faire oublier le passage des hommes. L’estompe est la forme que prend l’oubli en train de se former à la surface du paysage sonore.

2 Les paysages sonores de l’oubli : un art de l’estompe

  • 22 Tacet - « Il se tait » - est le terme latin utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un (...)
  • 23 Le « phonocentrisme » postule que la voix permettrait d’atteindre avec justesse une intuition de so (...)

16Le spectateur assiste d’abord à un évidement des voix : Tacet - il se tait22 - murmure la partition du film. Few of us ne comporte en effet aucun dialogue. La parole des hommes semble appartenir à un temps ancien, effacé, dé-passé. Cet oubli de la parole cependant nous éveille à l’écoute du subtil paysage sonore de ce peuple. La représentation filmique de celui-ci nous demande, en faisant primer le silence : comment le manque de dialogue modifie-t-il le montré ? Cette absence est-elle un contrepoint de la mémoire perdue des hommes ? Qu’a-t-on commencé à entendre dans cet oubli de la parole ? La privation de voix signifie-t-elle la défaillance de toute voie entre les personnages ? Leur oubli mutuel ? Qu’est-ce que ce silence dit de la relation des hommes avec leur environnement ? Ce questionnement travaille la perception du film et compose une sorte d’initiation à la ténuité de ce qui survit des Tofalars. Ainsi se trouve écarté le phonocentrisme, la prééminence de la voix au travers de laquelle, selon Jacques Derrida23, la philosophie occidentale viserait à atteindre la vérité.

  • 24 Robert Bresson le dit clairement : « Musique. Elle isole ton film de la vie de ton film (délectatio (...)
  • 25 Le générique signale seulement des « Arrangements » de Victor Copytsko. Or le réalisateur emploie T (...)
  • 26 K. David Harrison, « Language Endangerement among the Tofa », op. cit., p. 53.

17En outre, la rareté de la musique de fosse et sa délicate utilisation ne contreviennent pas au silence des lieux. Sharunas Bartas, en effet, combat la puissance totalitaire des paroles et de la musique, comme le font d’autres cinéastes24. Ainsi la première apparition d’une jeune femme, silencieuse (jouée par Katerina Golubeva) est associée au ciel. Son visage naît de l’ombre en se tournant vers la lumière du hublot d’un hélicoptère. Le clair-obscur étrécit l’espace dévolu à la figure, alors même que la courbe du hublot inverse celle du visage ombreux, comme par un effet de miroir. Une symphonie de Charles Ives, The Unanswered Question25, se glisse alors sur les sons liés à l’hélicoptère (quelques mots du pilote, à peine perceptibles, et le bruit continu du rotor). Le choix de cette pièce musicale est significatif : les cordes jouent très lentement tandis que la trompette, seule, interprète des motifs très courts que le compositeur décrit comme l'éternelle question de l'existence. Les flûtes répondent à la trompette par une explosion stridente, excepté la toute dernière fois : c'est la question sans réponse (the unanswered question). La question qui ne conduit plus à un échange de parole. Dans le film, cette musique de fosse semble arriver incidemment et, à travers ses points d’orgue, elle établit une légère tension, se mêlant au bruit des pales qui, lui, commence à se résorber et s’efface peu à peu, glisse au second plan, vient à son tour au bord du silence. Puis la musique – comme pour établir un partage des voix – elle aussi s’amenuise, et le vrombissement de l’hélicoptère fait son retour. Mais ce son mécanique est désormais lointain : contre toute vraisemblance – l’effet de réalisme est oublié - il semble que ce soit le bruit d’un moteur qui s’arrête lentement de tourner, et s’oublie. L’hélicoptère s’éloigne, glissant dans le ciel. L’identité de la femme demeure inconnue, comme sa raison d’être là : sa présence est entr’aperçue. Elle est un mouvement apparaissant, disparaissant, à l’image des trois villages des Tofalars (Alygdzher, Nerkha et Gutara) qui, chaque année, pendant dix mois, ne sont plus accessibles que par hélicoptère ou par de très petits avions26.

18Le film montre que la distribution des formes sonores d’un lieu ne correspond pas nécessairement à ce que l’organisation visuelle nous révèle. Ainsi ni la musique, ni le bruit de la machine volante ne se sont imposés à notre ouïe : ces sons paraissent avoir été atténués ou annihilés par l’immensité et la beauté du paysage. L’oreille semble ainsi préparée – accordée - à l’expression de la fragilité de la puissance. Ce paysage sonore, en effet, est doublement singulier : dans la réalité, les hélicoptères signalent leur passage de manière assourdissante et, dans la plupart des films, ils servent à souligner une dramaturgie de l’extrême, au même titre, bien souvent, que la musique. Ici, au contraire, se dégage une grande douceur. Notre horizon d’attente passe un seuil – celui, dramatisé, du film d’aventure – et s’en détourne aussitôt. Le son de l’hélicoptère rappelle ici celui de quelque insecte éphémère qui ne fait que se dissiper, dans une ambiance ouatée. Le paysage sonore fait oublier des hommes, leur démesure, leur hybris.

  • 27 Voir Raymond Murray Schafer, op. cit.
  • 28 Ainsi le « World Forum for Acoustic Ecology » (WFAE), fondé en 1993, est une association internatio (...)

19Qui ne connaît, bien entendu, la métaphore de la vie comme un voyage, celui-ci se terminant par la mort ? Les véhicules, chez Sharunas Bartas, semblent affirmer cette métaphore avec délicatesse, en l’associant à l’oubli d’un peuple. Le premier plan du film, de loin, montre le passage de quelque train, sans nom, et dont le bruit est à peine perceptible, alors qu’une dizaine d’avions demeurent cloués au sol, comme oubliés sous la neige, et rivés au silence. Le film se libère ainsi de la saturation de notre environnement sonore quotidien qui a pour conséquence paradoxale un appauvrissement croissant du paysage sonore. Raymond Murray Schafer indique que cet étiolement est moins à comprendre en terme quantitatif que qualitatif car il se caractérise par la rémanence des sons de l’industrie, la disparition de sonorités naturelles, le brouillage des sources dans la masse, les intensités croissantes empêchant une audition qualifiée27. L’écoute de l’oubli passe inévitablement par une réparation de l’environnement sonore représenté, par une Acoustic Ecology28. Dans Few of us, la distance du regard nous promet de retrouver le silence et, loin du monde urbain, la spécificité du paysage sonore des Tofalars. Filmé avec une longue focale, l’espace représenté garde bien la trace des voyages conquérants d’autrefois (ici, un pont est brisé), et il indique encore le mouvement possible des hommes, présents et futurs (là, à quelques mètres du premier, un autre pont a été bâti). Mais ce déplacement est rare dans le plan où domine le lent mouvement de la nature, le frémissement gris des eaux charriées de l’hiver qui semblent délimiter les rives de la mémoire et de l’oubli : sur l’une, la mémoire des œuvres des hommes est symptomatiquement réduite à un train glissant, dont on ne connaît ni l’origine, ni la destination, et à des avions demeurant immobiles, symboles par excellence de la soif de conquête de l’espace d’autrui mais qui semblent, là, de simples maquettes, des jouets du temps et de l’espace ; sur l’autre rive, en surplomb, notre regard icarien sur ce monde qui essaie d’affirmer qu’il ne disparaît pas, ce qui constituerait encore une fin, une arrivée. Le film ne montre ni le départ, ni l’arrivée des moyens de transport. Même en arrivant chez les Tofalars, la jeune femme se soustrait à l’arrivée : le film ne montre pas la scène, toujours

  • 29 Jacques Derrida parle ainsi de la « fantômachie », dans le film Ghost dance (Ken McMullen, 1982) : (...)
spectaculaire ailleurs, d’un atterrissage d’hélicoptère. On ne la verra pas non plus repartir, à travers la scène topique de quelque adieu. Le terme et le point de départ du personnage se trouvent à même l’image : quand on voit la jeune femme assise à côté d’un vieil homme qui fume, le visage féminin est régulièrement enveloppé d’un halo qui l’efface un peu, mais qui n’a pas même la valeur de quelque aura, car il expire sur elle. Le film paraît ainsi « avoir la mémoire de ce qui, au fond, n’a jamais eu la forme de la présence29 ».
  • 30 Ce paysage sonore prend le contre-pied des représentations habituelles de la violence, mais aussi d (...)
  • 31 Léonard de Vinci, Carnets, tome I, traduit par Louise Servicen, préface de Paul Valéry, Paris, Gall (...)

20Dans Few of us, le sentiment récurrent de l’oubli résulte de la trace éphémère des paysages sonores humains. Aussi, quand le film raconte une scène violente, le fait-il avec douceur, à travers le mixage des sources sonores, sources qui prennent ici un sens littéral. Un homme poursuivi par un autre, un limier armé (sans que l’on ne connaisse la cause de cette poursuite), vient boire à la rivière, peu large et peu profonde, puis est tué : il semble être venu boire la mort et l’oubli, peut-être l’eau du Léthé. Dans le film, le bruit de l’eau, subrepticement, s’immisce et commence par occuper le premier plan du paysage sonore, puis le spectateur entend le coup de feu. L’homme touché, sans un cri, se replie sur lui-même et glisse à l’eau. En gros plan, un petit morceau de glace de rivière se brise. On écoute le fondu du son de l’eau, avant que l’image ne donne à voir, de plus loin, les seules montagnes neigeuses. Le bruit des hommes et de l’eau apparaît ainsi comme une parcelle fugace de vie : il est un humble signe de leur passage sur terre, avant que les hommes ne deviennent un élément de l’eau, portés par elle pour aller, dans l’oubli, nourrir la terre, et peut-être se réitérer. Sharunas Bartas a d’abord commencé par établir un continuum indistinct de petits sons aquatiques. Le réalisateur a ensuite créé une tension entre ce paysage sonore de l’eau et le son, bien distinct, du coup de feu. Puis les bruits ont lentement été estompés, comme si la visualité de la neige imposait à chacun son paysage sonore, y compris à la violence des hommes30. Dans ce glissement vers l’oubli, inchoatif et fragile, on songe à un art subtil de la métamorphose. Le silence retrouvé nous fait pénétrer un monde nouveau, dans lequel le bruit sourd des armes des hommes est dominé par quelques éclats de glace qui retournent à leur liquidité, et par quelques mouvements floconneux, dociles et indéterminés, qui transforment le paysage montagneux en palimpseste, en mode d’écriture du temps qui passe : « [l]’air, dès que point le jour, est rempli d’innombrables images auxquelles l’œil sert d’aimant31. »

  • 32 Georgio Agamben, Enfance et histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire [1977], (...)
  • 33 W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle [1999], traduit par Patrick Ch (...)

21Seule l’aphasie permettrait alors de comprendre ce quelque chose qui, sans elle, nous ferait face comme étant de part en part inconnu. Un lien est d’ailleurs posé entre ce peuple et le spectateur et ce, dès le titre : Few of us semble désigner conjointement le « nous » Tofalar, réduit à quelques individus, et le « nous » de tous les hommes. Or, selon Georgio Agamben, « [t]out discours sur l’expérience doit aujourd’hui partir de cette constatation : elle ne s’offre plus à nous comme quelque chose de réalisable. Car l’homme contemporain, tout comme il a été privé de sa biographie, s’est trouvé dépossédé de son expérience : peut-être même l’incapacité d’effectuer et de transmettre des expériences est-elle l’une des rares données sûres dont il dispose sur sa propre condition32 ». Toutefois, à côté de cette perte, l’absence de dialogue est susceptible de conférer aux visages eux-mêmes, et aux sons naturels ou musicaux, une clarté singulière et une lisibilité inaperçue. Le film organise ainsi notre attente pour nous donner à espérer entendre ou voir - pour reconnaître – l’oubli d’un peuple : découvrir un peuple jusque dans son oubli, jusque dans sa disparition érigée comme une expérience commune et partagée, à l’instar de la longue « histoire naturelle de la destruction33 », dans laquelle l’écrivain W.G. Sebald situait lui-même sa démarche littéraire.

22L’estompe permet donc de creuser le paysage sonore. Elle est la forme choisie par le cinéaste pour signifier un oubli collectif. Dans ce creux, cependant, quelque chose apparaît, incarnant les signes d’un peuple disparaissant. Aussi l’oubli se manifeste-t-il dans ce film moins comme un thème que comme un motif.

3 Les formes survivantes du peuple des Tofalars dans les paysages sonores de l’oubli

  • 34 « Le cygne », le poème de Charles Baudelaire qui évoque l’oubli et la mémoire du poète fertilisée p (...)

23Dans Few of us, l’oubli se déploie comme un motif à travers les formes sonores survivantes du peuple des Tofalars. Subtilement, le film fait entendre un son ou une situation sonore qui évoque l’environnement présent de ce peuple disparaissant. Un premier exemple de forme survivant au présent se laisse saisir dans une scène assez longue qui fait entendre le bruissement des arbres et du vent devant un homme seul, qui se tait à terre. Dans une forêt, près d’une rivière, l’homme, d’abord assis sur le sol, s’allonge puis se redresse très lentement, incarnant le topos de l’être au visage tendu vers le ciel et la stase de l’attente de signe34. Agenouillé, en silence (on pourrait dire en prière), il laisse venir à lui les bruits à l’entour, le vent qui se lève, le léger craquement de la communauté étique des branches. Ce lieu muet se met à créer une musique, à commencer à créer un rythme – une œuvre commune dont l’homme est l’auditeur privilégié. Puis, quand les arbres se taisent de nouveau, dans un mouvement d’ensemble de réticence, le paysage sonore se remplit du silence de l’homme et peut-être de celui de tous les hommes de ce peuple oublié et oublieux de sa propre culture, se tarissant. Ce silence est peut-être une parole tue, une parole à taire, une parole tout près de naître mais oubliée avant que d’avoir été. Le silence est aussi celui d’une trêve : l’homme agenouillé est celui qui sera ensuite poursuivi, et touché au bord de la rivière avant qu’elle ne s’offre à lui comme son dernier véhicule.

  • 35 Walter Benjamin, « Sur le langage », in Œuvres, I, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2000, (...)
  • 36 Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, op. cit., p. VII.

24Le mutisme de ce personnage sur le sol permet d’écouter ce qui s’élance dans ce silence : cette sorte de rythme improvisé par la nature. De même, le compositeur John Cage réclame le silence non pour réfuter tout langage mais parce que le langage ferait écran à l'écoute des sons. Ce bruit de branches dessine peut-être les contours d’une communication entre la nature et l’homme - ce que nous rendrait une vision métaphysique ou celle d’un Walter Benjamin pour lequel, si l’homme « donne nom à la nature, c’est selon la communication qu’il reçoit d’elle35 ». La parole de l’homme est à terre/taire pour que vienne à lui un épanchement musical de la nature en repos (les jardiniers disent des arbres qu’ils se reposent durant le grand froid). Ce paysage sonore est en somme une rêverie du repos bachelardienne où les arbres bruissent de ne plus avoir de feuilles, d’être dans l’oubli même de leur efflorescence, dans l’absence d’attente. Le lieu où se tient l’homme assis incarne l’aître, le terrain libre qui sert de cimetière et, nous dit Henri Maldiney, les portes des « demeures de la pensée non encore thématisées en signes mais dont la lucidité puissancielle, instante à tous les signes, fonde, avant tout savoir, la possibilité même de signifier36 ».

  • 37 « Un tissu de correspondances mêle sous une destinée commune les animaux, les plantes, l’homme, et (...)

25Certes, l’écriture de l’oubli de la parole des hommes au sein de cette nature montre à la fois la ténuité de la présence humaine et la sorte d’échange que permet l’oubli de la voix humaine. Mais le paysage sonore de la nature, dans lequel l’homme est muet, devient aussi un écran où percevoir encore l’ancien passage des hommes. Le réalisateur semble ainsi prolonger un héritage qui place le corps au centre d’un système de représentation globale du vivant où il ne fait qu’un avec la communauté et, à une plus grande échelle, avec l’ensemble du cosmos37 et ce, depuis si longtemps.

  • 38 Jean Genet, « L’atelier d’Alberto Giacometti » [1958], in Œuvres complètes, V, Paris, Gallimard, 19 (...)
  • 39 Raymond Murray Schafer, op. cit., p. 30.

26Un autre exemple de forme survivante possède, cette fois, un élan ascensionnel. La nuit, dans une maison indéterminée (sans nom et non encartée topographiquement et, de ce fait, comme nomade), la femme venue du ciel en hélicoptère regarde face à elle, en silence. Elle demeure, elle, l’alter, la seule venue d’ailleurs. Le paysage sonore, à travers un lent fondu, commence à faire entendre le bruissement du vent. Puis, un plan de coupe présente la lune et le lent glissement des nuages devant elle. Le paysage sonore se modifie peu à peu, laissant lentement venir à lui la présence humaine : on entend des aboiements de chiens, d’abord lointains, mais qui semblent de plus en plus proches, enfin de la musique (quelques notes d’accordéon, un chant d’homme). Les aboiements et la musique se mêlent, sertis d’une sorte de réverbération donnant un léger effet de saturation, comme si la forme polyphonique, dont le souffle pourtant contingent ne conduit à aucune diaphonie, était le fruit de quelque décollement pressé. Les sons apparaissent diffus, à la fois subtils et sculptés, rappelant ces statues qui, selon Jean Genet, « semblent appartenir à un âge défunt, avoir été découvertes après que le temps et la nuit […] les ont corrodées pour leur donner cet air à la fois doux et dur d’éternité qui passe38 ». Le bruissement du vent fusionne avec les chants de l’homme, de l’instrument et des jappements. On retrouve de nouveau le visage de la jeune femme : l’impression d’écho s’éloigne et la musique, cette fois, s’ancre à l’image, à travers des musiciens apparus qui jouent devant l’inconnue. Comme nous, la jeune femme écoute sans être vue, devient médiatrice de l’oubli qui fraye vers nous. A travers elle, le film devient un « des témoins auditifs » dont Raymond Murray Schafer rend compte comme des messagers du temps : « [l]e talent de romanciers tels que Tolstoï, Thomas Hardy ou Thomas Mann, qui ont su saisir les paysages sonores de leur époque et de leur pays, nous a permis de reconstituer le passé39. »

  • 40 Le rapprochement entre certains visages filmiques et la peinture byzantine avait déjà été posé par (...)
  • 41 Jean-Pierre Vernant, « Figuration et image », in Métis. V, Autour de l'Image, 1990, p. 225-238, rep (...)
  • 42 Marie-José Mondzain, Image, Icône, Économie, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1996, p (...)
Enfin, une fois, semble-t-il, une forme survivante met au jour une icône sonore : l’aura retrouvé des hommes dans l’oubli de leurs paroles. Quelques plans, dénués de profondeur de champ, font en effet penser à des icônes byzantines40. Ainsi un très gros plan entomologiste montre le visage, rendu énigmatique par les valeurs scalaires habituelles, d’un vieil homme muet à la peau burinée. Durant plus d’une minute, le plan fixe laisse très longuement entendre une respiration humaine et, une fois encore, un chien qui aboie au loin. Quel est le sens de ce paysage sonore ? « L'icône […] porte d'emblée en elle son propre dépassement41 », nous dit Jean-Pierre Vernant. Dans l'icône, c'est le visage qui est le centre de la représentation : il est le lieu de présence de l'Esprit de Dieu. Dans Few of us, même en suivant une lecture laïcisée, on pourrait parler d’icône au sens où cette image « instaure un regard et non point un objet42 ».
  • 43 Georges Didi-Huberman, L'image survivante, histoire de l'art au temps des fantômes selon Aby Warbur (...)

27Ce regard silencieux porté sur nous est celui d’un peuple oublié, qui nous regarde, et que l’on saisit à travers des phénomènes qui semblent aussi relever de quelque mémoire involontaire des lieux traversés par les Tofalars, que nous écoutons. Peut-être pourrait aller jusqu’à parler, au sujet de ces sons, d’une forme de survie de l’histoire. Georges Didi-Huberman indique ainsi que « [l]a forme survivante, au sens de Warburg […] survit, symptomalement ou fantomalement à sa propre mort : ayant disparu en un point de l'histoire ; étant réapparue bien plus tard, à un moment où, peut-être, on ne l'attendait plus ; ayant, par conséquent, survécu dans les limbes encore mal définies d'une ‘mémoire collective’43 ». Et le paysage des Tofalars de se montrer ainsi mémoriel, un genius loci, une mémoire intermittente des êtres qui, dans le passé, ont emprunté un lieu et l’ont, ainsi, empreinté, y laissant des survivances.

4 Les guenilles sonores de l’histoire

  • 44 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » [1940], trad. Maurice de Gandillac revue par P. Rusc (...)
  • 45 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle : le livre des passages, trad. Jean Lacoste, d’aprè (...)

28Dans ce mouvement de la mémoire, le film montre le reste d’un peuple. Walter Benjamin, dans ses thèses Sur le concept d’histoire, indiquait déjà que, pour revivre le passé, l’historiciste ne sait s’identifier qu’aux vainqueurs44. Or on peut considérer qu’il n’est d’histoire sans traces qui donnent voix aux opprimés, aux victimes, aux laissés-pour-compte de l’histoire. A la suite de Walter Benjamin et de Siegfried Kracauer, Few of us invite ainsi à partager le regard d’un historien chiffonnier qui ne veut pas s’approprier des « formules spirituelles » mais des documents-rebuts, « les guenilles » d’un peuple, afin de « leur rendre justice de la seule façon possible : en les utilisant45 ». Depuis cette marge, la vérité demeure invisible, mais un point de vue s’impose, inédit, celui d’une trace qu’il ne s’agit pas d’épingler afin de l’observer scrupuleusement, comme c’est le cas dans les fictions de reconstitution, mais d’observer vivante, c’est-à-dire en ce qu’elle suscite une expérience de remémoration, et une rencontre.

  • 46 « Mais chaque jour, avec nos actions orientées vers des fins précises et, davantage encore, avec no (...)
  • 47 Jacques Derrida, Glas, Paris, Editions Galilée, 1974, 43b.
  • 48 Georges Didi-Huberman, « Le souffle généalogique de l’image », in « Actuel/Inactuel », L’inactuel. (...)
  • 49 Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio-histoire », 1975, p. 1 (...)
  • 50 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 431.

29Ainsi le film rappelle ce que Walter Benjamin disait de la mémoire involontaire, proche de l’oubli : « dans le tissage des souvenirs, le travail de Pénélope de remémoration » transparaît à la surface des bribes de récit, dans les « ornements de l’oubli46 ». Few of us invente ainsi un paysage sonore, tissé de l’oubli, nous donnant à écouter encore un peu ceux qui s’absentent, la voix nue et se taisant d’un peuple sans doute disparaissant mais encore perceptible, là, à l’orée de l’oubli. En ce sens, ce film est peut-être, comme le dit Jacques Derrida, un « monumanque47 », un monument absent. Ou simplement un tombeau, le lieu de celui qui manque, mais qui se fait entendre. Comme le voile tissé par Pénélope, destiné à envelopper un futur mort, Laërte, le paysage sonore de Few of us prend en effet la valeur d’un cénotaphe, d’un tombeau vide vibrant du son des sans-voix, le « tombeau sensoriel48» de celui qui joue, chante, écoute. Cette écriture de l’événement de la sépulture rejoint peut-être celle de l’histoire, que Michel de Certeau définit comme un « rite d’enterrement [qui] exorcise la mort [car] ‘marquer’ un passé, c’est […] fixer une place aux vivants49 ». Ce que met en œuvre Few of us est l’oubli qui conditionne le déploiement des possibilités de se souvenir et la mise en mouvement du passé. Le film fait ainsi œuvre d’historien, quand « [f]aire œuvre d’historien […] signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger50 ». Quel est ce danger ? Celui de l’anéantissement de l’écoute du passé au moment même où il effleure le présent.

  • 51 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 428.

30L’air est ainsi le véhicule de la plainte et du chant, et encore par là le milieu par excellence du figurable, le mouvement même, atmosphérique et fluide, de l’histoire passée d’un peuple, quand bien même cette histoire n’aurait pas été écrite et ne le serait peut-être jamais dans son présent évanescent. Walter Benjamin avait prévenu l’historien que « le passé est marqué d’un indice secret » dont nous faisons l’expérience – un retour d’expérience - dès lors que nous devenons capables de « sentir nous-mêmes un faible souffle de l’air dans lequel vivaient les hommes d’hier », tout comme « les voix auxquelles nous prêtons l’oreille [apportent] un écho de voix désormais éteintes51 ». C’est ainsi que l’on comprend l’analyse du langage et de « l’air maternel » que Ludwig Binswanger ne cesse d’effectuer dans Trois formes manquées de la présence humaine :

  • 52 Ludwig Binswanger, Trois formes manquées de la présence humaine. La présomption, la distorsion, le (...)

« Si en analyse existentielle, nous partons comme d’habitude de la langue usuelle et si nous nous laissons guider par elle un bout de chemin, c’est parce que, ce que nous sommes nous-mêmes et ce au milieu de quoi nous sommes et nous vivons, – pour reprendre les termes de Goethe – la langue usuelle l’a déjà interprété, articulé et énoncé avec tant de profondeur et d’exactitude, “en mille traits de langage et de parole”, que ses esquisses du monde sont notre foyer spirituel originel, notre partie spirituelle, ou “notre air maternel” sans lesquels nos propres pas perdraient le contact du sol et notre respiration son élément vital52

  • 53 Une telle écriture n’est pas sans faire songer à celle de Paul Celan dont le recueil, publié en 196 (...)

31Ainsi le chant à l’origine invisible, apparaissant, disparaissant est l’air maternel, l’une des racines de ce peuple auquel une nation puissante, dominante, a voulu retirer sa langue maternelle. Dans le pli du silence de ce paysage gris, la présence des hommes est donc une survivance, toujours près de revenir, dans l’aire de la mère, et toujours près d’être aspirée par la Loi du père. Ce paysage sonore est une relique, une enveloppe aérienne qui fait des vivants des fantômes et des fantômes des vivants. L’air est donc à la fois un filtre et le porte-empreinte d’un monde mystérieux mais perceptible, lointain mais encore audible, malgré l’effacement de l’histoire autochtone. Dans cette image d’une sépulture d’air, le vent est pensé avec son fossile, la terre avec sa pierre, le vivant avec l’inanimé. En ce sens, la mémoire agissante – le venir du souvenir - ne va jamais sans l’air qui la ploie et la déploie, de même que les corps ne vont jamais sans l’air qui les meut et les émeut. Le corps, même s’écroulant, ne va pas sans l’air qu’il fait s’involuer jusqu’au plus profond de lui-même à chaque fois qu’il inspire, et qui le contient encore, même au bord d’expirer. Few of us fait ainsi de l’oubli une matérialité : l’écriture de l’air y est un « tournant » ou un « détour » du souffle53 de la mémoire.

  • 54 Voir Raymond Murray Schafer, op. cit.

32Bien avant Sharunas Bartas, d’autres ont posé le cadre théorique d’un tel projet qui vise à saisir ce qui au cœur des sons survit à l’oubli : il s’agit d’abord de penser le paysage sonore, historiquement mouvant, symboliquement chargé, dans lequel nous évoluons trop souvent sans prendre garde à son organisation subtile, à ses plans et arrières plans, à sa trame comme à ses détails. Aussi, pour écrire nos paysages sonores, Raymond Murray Schafer54 a-t-il créé de nouveaux outils conceptuels (les keynote sounds ou tonalités, les soundmarks ou empreintes sonores, les signal sounds ou signaux, notamment) et méthodologiques (le fieldrecording comme enregistrement, notamment d’un monde qui disparaît, les marches d’écoute…). Few of us nous convie à une telle démarche, à cette progression du regard et de l’écoute à travers un monde qui s’éclipse. Le film suggère ainsi que l’écriture de l’oubli inaugure un combat contre le bruit qui enveloppe un monde disparaissant. Refigurer ce monde, c’est l’écouter malgré tout, jusque dans son aphasie.

33Dans Few of us, l’oubli élabore donc une fiction qui, suivant son étymologie, caractérise un travail de modelage. Sharunas Bartas part du vide pour faire écouter, à travers des paysages sonores étiques, la maigre présence de l’homme qui, d’abord insaisie, s’avère toujours arrimée à son histoire, demeurée là, inouïe, enfouie dans son oubli, et revenant, faisant entendre le chant des hommes et des animaux, la symphonie du bois des forêts, et le silence toujours prolongé de la parole des hommes.

  • 55 Voir Hanna Arendt, Qu’est-ce que la politique ? [1950-1959, Was ist Politik ?], traduit par Sylvie (...)

34Le film rappelle ainsi que les peuples ne sont pas des abstractions, ils sont faits de corps parlants et agissants, quoique se taisant souvent. Ils présentent, ils exposent leurs visages55. Dans le regard de Few of us, l’air est un objet tumulaire, le porte-empreinte des voix et des musiques des hommes, des bruits, des cris et des chants de ce monde, de toutes choses oubliées de ce monde peut-être oublieux de sa propre histoire. L’empreinte nous fait penser la disparition avec son reliquat, nous obligeant à renoncer à l’abstraction de l’oubli habituellement apparenté au néant, à sa pureté supposée, métaphysique.

  • 56 Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, Les Editions de Minuit, coll. « Paradoxe », (...)
  • 57 Francis Jacques, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, Presses universitaires de (...)

35La spécificité du motif de l’oubli tient ici au fait qu’il se situe dans le pli de cette figure du vide et de la privation, de la disparition d’un peuple et de l’affirmation, au bord de l’abyme, de ses traces. L’oubli y trouve sa puissance, terrible, de dire le vestige et la ruine. Le film dévoile ainsi, à travers une vision subtilement historienne, une écriture de l’oubli de l’histoire qui incarne une survivance des lucioles, définie par Georges Didi-Huberman comme « ces signaux humains de l’innocence anéantis par la nuit56 ». De cette manière, le film remet en question la phénoménologie transcendantale, selon laquelle « [l]e dialogue ne prend vie, ne se noue que si s’instaure une interaction verbale effective57 » car, en effaçant les paroles entre les personnages, la fonction du dialogue subsiste et s’approfondit avec le spectateur.

36Ainsi l’écriture filmique produit l’oubli sans faire négliger la mémoire puisque, dans la renverse de l’air, l’oubli est le motif même de la mémoire, le lieu où s’inscrit le souvenir, à travers des appels d’air musiciens, de voix et de chants intermittents. L’histoire d’une disparition - rien moins que la disparition d’un peuple - se dit ainsi à travers une confiance renouvelée dans l’écriture de l’histoire, sans poser le moins du monde quelque dichotomie entre le dehors, et ses caractères étrangers, et le dedans, le fond de soi par lequel on chercherait à susciter ses souvenirs. Le film rappelle à sa manière que la terre et l’air sont des traverses de lumière, de la mémoire de l’homme et du monde.

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Notes

1 Platon, Phèdre, traduit par E. Chambry, Paris, Garnier Flammarion, 1964, 274e, p. 165.

2 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants. L'Oeil de l'histoire, 4, Paris, Les Editions de Minuit, collection « Paradoxe », 2012, 288 pages.

3 Georges Didi-Huberman « Peuples exposés (à disparaître) », Chimères, n° 66-67, 1/2008, p. 23. C’est l’auteur qui souligne.

4 Le terme « paysage sonore » (soundscape en anglais, équivalent sonore du landscape) a été créé par Raymond Murray Schafer. Voir Raymond Murray Schafer, Le paysage sonore, le monde comme musique [The Soundscape, our sonic environment and the tuning of the world, 1977], traduction de l’anglais, révisée par Sylvette Gleize, Marseille, éditions Wild Project, Collection « Domaine sauvage », 2010, 328 pages.

5 Maurice Blanchot, « L’Espèce humaine », in L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, repris dans Robert Antelme, Textes inédits, Paris, Gallimard, 1996, p. 86.

6 Marc Augé, Les formes de l’oubli, Paris, Payot et Rivages, collection « Manuels Payot », 1998, p. 47.

7 Few of us n’emprunte pas même la voie solitaire du narrateur de Elégie de la traversée d’Alexandre Sokourov (2001) qui s'interroge lui-aussi sur la disparition : les visages de nos contemporains, demande-t-il, les paysages de l'Europe du nouveau millénaire portent-ils encore vivante la trace de cette « idée de l'Europe » qui, pour Alexandre Sokourov, rime avec l'équilibre et l'harmonie ?

8 Walter Benjamin, « Métaphysique de la jeunesse, le dialogue », traduit par Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, Aléa, n° 6, 1985, p. 11-17.

9 Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Amers », 1975, p. 150.

10 Maurice Blanchot, « L’espèce humaine » [1962], L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 194.

11 Marc Augé, Les formes de l’oubli, p. 23.

12 Selon le linguiste K. David Harrison, they may be the least documented among native Siberian peoples ». Voir K. David Harrison, « Tofa », in Encyclopedia of the World's Minorities, Chicago, Fitzroy Dearborn, 2002.

13 La version anglaise est plus prolixe, quoique donnant des informations très succinctes.

14 Cette langue est habituellement classée dans le groupe sibérien des langues turques. Le turcologue russe N. Baskakov la situe cependant avec l'ouïgour, c'est-à-dire dans le groupe oriental. Yuri Tambovtsev a rappelé que la langue des Tofalars est proche d’autres langues d’Asie centrale, du Japonais et du Basque. Voir Yuri Tambovtsev, « Phonological similarity between Tofalar and some other languages of Central Asia based on the frequency of occurrence of certain typological consonantal features », Lyon, ENS Lettres & Sciences humaines, septembre 2003.

15 K. David Harrison est sans doute le premier à avoir enregistré le Tofa. En collaboration avec Greg Anderson, il a commencé à établir une grammaire de cette langue.

16 Le médecin local, Raisa Kishteeva, né en 1957, a établi un parallèle explicite entre le recul de la langue autochtone et le déclin de l'élevage de rennes. Voir K. David Harrison, « Language Endangerement among the Tofa », in Cultural Survival Quarterly, été 2003, p. 54.

17 Idem, p. 53.

18 Par exemple, le Tofa ne nomme pas l’ours qui est craint pour sa valeur sacrée. Aussi la langue multiplie-t-elle les périphrases pour le désigner. Idem, p. 54.

19 Idem, p. 54.

20 Idem, p. 55.

21 Idem, p. 53. Voir Daniel Nettle, Suzanne Romaine, Vanishing Voices Oxford, Oxford University Press, 2000, 256 p.

22 Tacet - « Il se tait » - est le terme latin utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu'il doit rester silencieux pendant toute la durée du mouvement.

23 Le « phonocentrisme » postule que la voix permettrait d’atteindre avec justesse une intuition de soi, l’immédiateté d’une présence à soi. Voir Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Editions de Minuit, Collection « Critique », 1967, p. 23.

24 Robert Bresson le dit clairement : « Musique. Elle isole ton film de la vie de ton film (délectation musicale). Elle est un puissant modificateur et même destructeur du réel, comme alcool ou drogue. » Voir Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 1975, p. 86. Andréï Tarkovski partage ce point de vue : « Pour qu’une image cinématographique puisse atteindre tout son volume, il me semble préférable, en effet, de renoncer à la musique. Parce que, strictement parlant, le monde transformé par le cinéma et celui transformé par la musique sont deux mondes parallèles en conflit l’un avec l’autre. » Voir Andréï Tarkovski, Le Temps scellé de « L'Enfance d'Ivan » au « Sacrifice », traduit du russe par Anne Kichilov et Charles H. de Brantes, Paris, Editions de l’Etoile, Cahiers du cinéma, coll. « Beaux écrits », 1989, p. 147.

25 Le générique signale seulement des « Arrangements » de Victor Copytsko. Or le réalisateur emploie The Unanswered Question, une symphonie écrite en 1906 et révisée en 1930-1935. Cette pièce est écrite pour une formation très inhabituelle : une trompette soliste, quatre flûtes et un quatuor à cordes.

26 K. David Harrison, « Language Endangerement among the Tofa », op. cit., p. 53.

27 Voir Raymond Murray Schafer, op. cit.

28 Ainsi le « World Forum for Acoustic Ecology » (WFAE), fondé en 1993, est une association internationale qui vise à promouvoir l’intérêt pour les paysages sonores et leur sauvegarde dans le monde.

29 Jacques Derrida parle ainsi de la « fantômachie », dans le film Ghost dance (Ken McMullen, 1982) : « Le cinéma est une ‘fantômachie’ [] un art de laisser revenir les fantômes. [] être hanté par un fantôme, c’est avoir la mémoire de ce qu’on n’a jamais vécu au présent, avoir la mémoire de ce qui, au fond, n’a jamais eu la forme de la présence. » .

30 Ce paysage sonore prend le contre-pied des représentations habituelles de la violence, mais aussi de la guerre qui, de tous temps, été associée à l’écoute. Voir Peter Szendy, Sur écoute. Esthétique de l’espionnage, Paris, Les Editions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2007, p. 13-25.

31 Léonard de Vinci, Carnets, tome I, traduit par Louise Servicen, préface de Paul Valéry, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1994, p. 66.

32 Georgio Agamben, Enfance et histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire [1977], traduit par Yves Hersant, Paris, Payot, 1989, p. 19.

33 W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle [1999], traduit par Patrick Charbonneau, Arles, Actes Sud, 2005.

34 « Le cygne », le poème de Charles Baudelaire qui évoque l’oubli et la mémoire du poète fertilisée par les larmes d’Andromaque, en est un exemple familier : « Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal, / Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide, / Vers le ciel ironique et cruellement bleu, / Sur son cou convulsif tendant sa tête avide, / Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! ». Voir Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, édition établie par John E. Jackson, préface d'Yves Bonnefoy, Paris, Librairie générale française, coll. « Le Livre de Poche Classique », 1999, p. 137.

35 Walter Benjamin, « Sur le langage », in Œuvres, I, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2000, p. 165.

36 Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, op. cit., p. VII.

37 « Un tissu de correspondances mêle sous une destinée commune les animaux, les plantes, l’homme, et le monde invisible. Tout est relié, tout résonne ensemble, rien n’est indifférent, tout événement fait signe. [...] A travers cette représentation, infiniment diversifiée dans ces formes culturelles mais qui laisse aisément entrevoir sa structure anthropologique, il n’y a aucune rupture quantitative entre la chair de l’homme et la chair du monde. » Voir David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2008, p. 33.

38 Jean Genet, « L’atelier d’Alberto Giacometti » [1958], in Œuvres complètes, V, Paris, Gallimard, 1979, p. 55.

39 Raymond Murray Schafer, op. cit., p. 30.

40 Le rapprochement entre certains visages filmiques et la peinture byzantine avait déjà été posé par Barthélemy Amengual, dans « S.M. Eisenstein – Rapport avec l’art byzantin », Premier Plan, n° 25, octobre 1962. Voir aussi Paul Schrader, Transcendantal style in film : Ozu, Bresson, Dreyer, University of California Press, Berkeley, 1972.

41 Jean-Pierre Vernant, « Figuration et image », in Métis. V, Autour de l'Image, 1990, p. 225-238, repris dans Entre mythe et politique, Paris, Le Seuil, 1996, p. 385.

42 Marie-José Mondzain, Image, Icône, Économie, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1996, p. 96.

43 Georges Didi-Huberman, L'image survivante, histoire de l'art au temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Editions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2002, p. 67. C’est l’auteur qui souligne.

44 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » [1940], trad. Maurice de Gandillac revue par P. Rusch, in Œuvres, III, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 432.

45 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle : le livre des passages, trad. Jean Lacoste, d’après l’édition originale établie par Rolf Tiedemann, Paris, Éd. du Cerf, 2006, p. 476.

46 « Mais chaque jour, avec nos actions orientées vers des fins précises et, davantage encore, avec notre mémoire captive de ces fins, nous défaisons les entrelacs, les ornements de l’oubli. C’est pourquoi, à la fin de sa vie, Proust avait changé le jour en nuit : dans une chambre obscure, à la lumière artificielle, sans être dérangé, il pouvait consacrer toutes ses heures à son travail et ne laisser échapper aucune des arabesques entrelacées. » Voir Walter Benjamin, « L’image proustienne », in Œuvres, tome II, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000, p. 136-137.

47 Jacques Derrida, Glas, Paris, Editions Galilée, 1974, 43b.

48 Georges Didi-Huberman, « Le souffle généalogique de l’image », in « Actuel/Inactuel », L’inactuel. Psychanalyse et culture, Circé, 2004, p. 42. C’est l’auteur qui souligne.

49 Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio-histoire », 1975, p. 139-140.

50 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 431.

51 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 428.

52 Ludwig Binswanger, Trois formes manquées de la présence humaine. La présomption, la distorsion, le maniérisme, traduit de l'allemand par J.-M. Froissart, Puteaux, Le Cercle herméneutique, coll. « Phéno », 2002, p. 49.

53 Une telle écriture n’est pas sans faire songer à celle de Paul Celan dont le recueil, publié en 1967 et intitulé Atemwende, a été traduit diversement. « Tournant du souffle » dans Paul Celan, Le Méridien et autres proses, traduit par Jean Launay, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2002, p. 73 ; « Renverse du souffle », dans Paul Celan, Renverse du souffle, traduit par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2003 ; ou « Détour du souffle » dans Paul Celan, Le Méridien, traduit par André du Bouchet, Fata Morgana, coll. « Dioscures », 1995, p. 23.

54 Voir Raymond Murray Schafer, op. cit.

55 Voir Hanna Arendt, Qu’est-ce que la politique ? [1950-1959, Was ist Politik ?], traduit par Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2001, 195 pages.

56 Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, Les Editions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2009, p. 21.

57 Francis Jacques, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Philosophie d'aujourd'hui », 1979, p. 338.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvain Louet, « Le vestige et la ruine dans Few of us (1996) de Sharunas Bartas : les ornements sonores de l’oubli d’un peuple disparaissant », Images Re-vues [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 08 avril 2015, consulté le 22 septembre 2016. URL : http://imagesrevues.revues.org/3614

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Auteur

Sylvain Louet

Doctorant en études cinématographiques (sous la direction de M. Cerisuelo, Marne-la-vallée – NYU, Passy) : Le temps de la justice dans le tribunal et hors du prétoire. Les figures temporelles de l’appel à la justice dans les cinématographies européenne et américaine. Agrégé de lettres modernes, enseignant au lycée Montaigne (Paris). Membre du jury de l’Education nationale à Cannes en 2009. Correcteur à Sciences-Po (Paris). Membre de l’AFECCAV et de la SERCIA

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