Marseille 2013 OFF, quelles critiques de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture ?

Synthèse de terrain de recherche par Maria Elena Buslacchi, Nicolas Maisetti et Barbara Rieffly 

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Intruduction

Les évènements culturels et les grands évènements font de plus en plus l’objet de programmations parallèles parfois pensées comme des contrepoids à l’officiel. La littérature désigne ces mobilisations par le vocable off ou fringe[1]. La Capitale européenne de la culture à Marseille n’a pas dérogé à cette tendance pourtant encore assez inédite dans l’histoire de ce label décerné par l’Union européenne. Cela ne devrait pas surprendre le sens commun qui attribue à cette ville un caractère querelleur et frondeur.

L’histoire de Marseille 2013 OFF, qui sera présentée dans ce texte, insère l’expérience marseillaise dans une trajectoire plus générale des formes de contestation culturelle définies au sens large comme « off ». Tout d’abord il faut souligner la diffusion de ce format de critique, originellement développé au sein du monde de l’art[2] et qui s’étend aujourd’hui dans bien d’autres contextes, foires-expositions, salons[3], grands évènements culturels[4], évènements sportifs[5]. Ce format dialogue de plus en plus avec des logiques de contestations typiques des mondes sociaux, de l’échelle urbaine (voire infra-urbaine, par exemple les comités de quartiers) à l’échelle globale (par exemple le G7, G8, G20…). Ces formes de critiques se constituent par ailleurs comme contre-pouvoir vis-à-vis de l’évènement officiel ou des politiques culturelles que ce dernier incarne, en donnant lieu à des initiatives parallèles, « à la marge » et indépendantes des évènements officiels. L’enjeu vise à rejeter le « système » institutionnalisé tout en proposant des alternatives à partir « du bas » (Crivello, Salone, 2012). Il s’agit ici d’une première définition des évènements off, qui souligne l’indépendance de ces initiatives, dans le sens où elles sont conçues spontanément ou de manière stratégique par un nombre restreint d’individus qui décident d’inscrire leurs initiatives en décalage ou en contrepoint de la programmation officielle. L’expérience de Marseille 2013 OFF sera autrefois investie par l’analyse pour démontrer comme un évènement off prend forme et pour interroger les propriétés qui la composent à partir de trois points de vue : en tant que lieux coproducteurs de l’évènement, elle se déploie sur un large territoire urbain ; en tant qu’instance de programmation de projets, elle agence un calendrier de festivités ; en tant que publics, elle rassemble des bénévoles qui représentent à la fois une forme d’engagement artistique et sociale, tout en permettant la réalisation même du OFF. Enfin on reviendra sur l’expérience pour en tirer un bilan et voir les perspectives : pourrons nous dire que le OFF à Marseille a su dégager un ensemble de propriétés éligibles à des caractères communs aux pratiques des évènements off ? 

Les propriétés d’un off ne sont pas homogènes d’un terrain et d’un objet à l’autre. On essayera, dans cette réflexion, de les éclairer dans le cas marseillais afin de distinguer les différentes formes d’opposition et de protestation selon leurs positionnements, leurs statuts, leurs buts. Cette typologie pourra, on l’espère, s’adapter à bien d’autres cas d’étude et aider à ne pas confondre des formes de critique variées qui pourtant se mêlent dans les discours des acteurs et dans une partie de la littérature[6]. La pluralité de voix qui se sont levées contre la Capitale européenne de la culture à Marseille est témoin, non pas seulement de désaccords sur une programmation culturelle, mais surtout de l’existence d’une résistance complexe et hétérogène à l’idée de la ville promue par les acteurs en charge de l’organisation officielle. Parfois en la déconstruisant, parfois en lui opposant d’autres images, parfois en lui contestant son caractère excessivement abstrait, les formes de protestation qui se déployaient tout au long de l’année 2013 ont tenté de prendre d’assaut cette « nouvelle image de Marseille ». On doit donc se demander au préalable en quoi cette image se détachait du passé et comment cette évolution a été reçue, interprétée, pour comprendre dans quelle mesure la Capitale européenne de la culture a donné l’occasion à une série d’acteurs de la contester.

[1]   La littérature académique sur les off n’est pas très nombreuse. La référence principale en France est constituée par les travaux d’Elsa Vivant qui, en 2007, a écrit un papier sur les scènes off, en soulignant par ailleurs aussi (2007b), comme scènes culturelles alternatives, dites off, puissent faire l’objet d’une instrumentalisation de la part des politiques urbaines. Au niveau international, la référence va tout d’abord aux travaux de Bernadette Quinn, qui s’inscrivaient dans la tradition des études sociologiques et touristiques sur les évènements dominée par Getz (2005 ; 2008), qui inclut les off dans les festivals d’arts, comme un type très particulier de manifestations à la marge, autrement dits fringe. Le festival de référence est dans ce cas le festival fringe de théâtre d’Edinburgh, traité surtout du point de vue touristique (Prentince, Andersen, 2003). En général la littérature a inclus les off soit parmi les classifications des différents évènements et festivals, soit comme nouvelles formes de contestation, inscrites dans le rapport et du rapport art/politique. Peu de travaux ne se sont donné les moyens de penser le sens de la pluralité de ce type d’évènements.

[2]   Citons le Fringe Festival d’Edimbourg et le plus connu le Festival Off d’Avignon qui émerge à partir de 1966.

[3]   Citons le Fuorisalone dans le cadre de la semaine internationale du design à Milan.

[4]   Si Marseille 2013 OFF se définit comme le premier off dans l’histoire des Capitales Européennes de la Culture, il y a eu des précédents qui, bien que moins structurés ou non contemporains à l’évènement principal, y faisaient référence : Weimar 1999 (Frank & Roth 2000, Frank 2003) ainsi que Turku, “European Capital of Subculture 2011”. Mons, en Belgique, en 2015 connaîtra également son off.

[5]   Le monde du sport semble n’avoir exploité que récemment la forme d’évènement off pour exprimer ses controverses. Les manifestations organisées en parallèle aux évènements officiels s’entremêlent beaucoup avec les formes de contestation traditionnelles : on évoquera ici les cas des Mondiali Antirazzisti, qui se disputent au même temps que la Coupe du monde de football, les actions des comités Nolimpiadi (ex. à Turin 2006 : cfr Del Corpo 2004 et 2006), #occupysport et Gioco Anch’io. Le cas le plus éclatant est apparemment celui du Conifa, « a global umbrella organization for all the football teams outside FIFA. There are more than 5 500 etnicities around the world and hundreds of sportingly isolated regions that doesn´t have an international arena to play international football. CONIFA welcome all registred Football Associations and teams to play. We organize the official World Championship for teams outside FIFA, Continental Championships, International tournament and Cups combined with Cultural Events and Youth Exchanges. The Football World outside FIFA is fast growing and millions of dedicated fans follow the scene ».

[6]   C’est surtout le cas de la contestation de la « ville créative » qui critique d’un point de vue épistémologique, l’existence même de la classe créative (Markusen, 2006) ; d’un point de vue moral, l’injonction néo-libérale résumée par le slogan « be creative or die » (Peck, 2005 et 2009) ; ou encore, d’un point de vue pragmatiste, son efficacité économique (Eckert, Grossetti et Martin-Brelot 2012 ; Benhamou 2004 ; Glaeser 2005).

Pour citer cet article : AUTHOR/S, "Marseille 2013 OFF, quelles critiques de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture ?," in Public(s) ISSN 2553-5722, 18/09/2016, https://publics.hypotheses.org/553.

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