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Minorités ethniques et intégration en Grande-Bretagne dans la période récente

L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration : enjeux et politiques publiques en Grande-Bretagne et en France

Helping Ethnic Minority Youth in the Labour Market: Problems and Policies in Britain and France
Corinne Nativel
p. 163-180

Abstracts

The inclusion of ethnic minority youth in the labour market presents considerable challenges on both sides of the Channel. In Great Britain and in France, the children of immigrants face strong “ethnic penalties” which result in difficulties accessing to or progressing in the labour market, particularly due to racial discrimination and segregation in disaffected neighbourhoods. The article examines the problems of unemployment and social exclusion as well as the policies designed to help these young people into the labour market. These policies are not only explored through the lens of the British and French models of integration but also in the light of their local dimension, which is illustrated through voluntary sector initiatives in the West London borough of Ealing and in the county (département) of Seine-Saint-Denis, in the eastern periphery of the French capital.

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Author's notes

L’auteure tient à remercier Francesca Froy et Lucy Pyne du Programme LEED de l’OCDE pour leur autorisation à diffuser une partie des résultats de l’étude « Fulfilling Promise » dans le cadre de cet article ainsi que John Blackmore, le directeur d’Action Acton pour le partage de ses données. Mes remerciements vont également aux professionnels de l’action sociale et aux jeunes ayant pris part à l’étude ainsi qu’à Nick Palmer du Office for National Statistics pour la mise à disposition de données du Labour Force Survey.

Full text

  • 1 Tony BLAIR “Foreword” in Strategy Unit, Ethnic Minorities and the Labour Market. Final Report, Cabi (...)
  • 2 Diane ABBOTT, “Labour can still help Black jobless youth”, The Guardian, 21 janvier 2010.

In ten years’time, ethnic minority groups should no longer face disproportionate barriers to accessing and realising opportunities for achievement in the labour market.1
It is a tragedy that, when the economy was booming and New Labour was in its pomp and power, the government was unwilling to focus specifically on disproportionately high levels of black and Muslim youth unemployment.
2

1L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration revêt des enjeux considérables des deux côtés de la Manche. Dans les deux pays, les enfants d’immigrés subissent de fortes « pénalités », qui se traduisent par des difficultés d’accès ou de progression sur le marché du travail, tout particulièrement en raison de discriminations ethno-raciales et de relégation dans des quartiers urbains défavorisés. Les recensements, enquêtes et statistiques de l’INSEE et de l’INED en France et de l’Office National des Statistiques en Grande-Bretagne indiquent que le taux de chômage de ces jeunes est en moyenne systématiquement deux fois supérieur à celui de leurs homologues blancs, même lorsque la conjoncture s’améliore. Lorsqu’elle se détériore, comme c’est le cas depuis 2008, ils sont nettement plus touchés et leur avenir est durablement compromis. Avant d’approfondir et d’étayer ces propos, il conviendrait en tout premier lieu de préciser nos questionnements et hypothèses.

Insertion et intégration : opposition ou convergence des modèles ?

  • 3 Les difficultés à nommer les enfants d’immigrés ont souvent été pointées dans la littérature. L’exp (...)
  • 4 France AUBERT, Maryse TRIPIER & François VOURC’H, Jeunes issus de l’immigration. De l’école à l’emp (...)
  • 5 Vincent LATOUR, « Les métamorphoses du multiculturalisme britannique, Revue Française de Civilisati (...)

2Depuis une dizaine d’années, le chômage et l’insertion professionnelle des jeunes et des travailleurs immigrés reçoivent une attention considérable au sein de l’analyse des politiques publiques. On constate toutefois que ces populations font rarement l’objet d’un « décloisonnement », puisque les descendants d’immigrés sont implicitement inclus dans l’une ou l’autre catégorie. De plus, les rares ouvrages et travaux consacrés à l’insertion professionnelle des jeunes issus de minorités ethniques et de l’immigration3 traitent essentiellement de la question au prisme de l’État-nation, de son modèle d’intégration et de ses institutions, sans pour autant adopter de perspective comparative4. L’état des savoirs dans le domaine de l’étude comparative des politiques d’intégration pourrait a priori nous amener à formuler l’hypothèse d’une divergence entre la Grande-Bretagne et la France. En effet, le postulat encore très répandu consiste à opposer le modèle multiculturel britannique favorisant la prise en compte de la diversité ethnique sur le marché du travail au modèle français fondé sur la citoyenneté républicaine et le droit commun qui exclut toute distinction de race ou d’origine. La confrontation de ces deux modèles pourrait laisser présager des contrastes saisissants quant aux dispositifs retenus en matière d’insertion et d’accompagnement vers et dans l’emploi. Existe-t-il par conséquent une nette opposition entre d’un côté, des actions « colour-conscious » s’appuyant sur des normes différentialistes, et de l’autre, des actions « colour-blind » fondées sur des principes universalistes ? Si l’on s’en tient aux récents travaux en civilisation britannique pointant les métamorphoses que connaissent les deux modèles d’intégration5, il semblerait plus pertinent de démentir cette dichotomie et de postuler une convergence, ou tout du moins la présence de certaines limites et contradictions.

  • 6 Didier FASSIN, « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des discrimina (...)

3D’autre part, comme le souligne Didier Fassin lorsqu’il aborde la problématique des discriminations sous l’angle d’une psychologie politique, il importe d’articuler l’argument racial et l’argument économique. Ceci revient à saisir comment la pauvreté qui frappe certains territoires renforce les représentations et vice-versa6. Les récentes émeutes urbaines et la crise économique et financière ont mis en évidence la prégnance et la persistance des inégalités socio-spatiales. Il n’est donc guère surprenant que celles-ci préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics et posent, en creux, la question du ciblage renforcé (des jeunes, des minorités ethniques et des quartiers dits « sensibles »). Il nous semble donc également judicieux d’appréhender les enjeux que revêt l’insertion professionnelle des jeunes issus de minorités « visibles » à la lumière de leur inscription territoriale.

  • 7 Les développements présentés ici sont issus de travaux menés en 2010 dans le cadre d’une étude comp (...)

4À partir d’une analyse de données statistiques et de la littérature afférente ainsi que d’une enquête menée en 2010 auprès de jeunes et d’acteurs du milieu associatif spécialisés dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes dans la commune de Ealing (ouest de Londres) et dans le département de Seine-Saint-Denis (Ile-de-France)7, l’objectif de l’article est d’apporter des éléments pour nourrir le débat concernant l’articulation et l’évolution des modèles d’insertion et d’intégration. Il s’agira dans un premier temps de faire ressortir les tendances et les faits les plus saillants en matière de chômage et de difficultés d’insertion. Puis nous examinerons la place que les politiques de l’emploi accordent à cette catégorie particulière de jeunes pour nous pencher sur leur mise en œuvre locale, ce qui nous amènera en conclusion à pointer quelques contrastes et similitudes entre les deux pays.

Chômage, discriminations et inégalités face à l’emploi

  • 8 Didier LASSALLE, L’intégration au Royaume-Uni. Réussites et limites du multiculturalisme, Paris : O (...)
  • 9 Roxane SILBERMAN & Irène FOURNIER, Jeunes issus de l’immigration : une pénalité à l’embauche qui pe (...)

5Les pénalités ethniques que subissent les groupes minoritaires sur le marché du travail ont été amplement documentées et analysées. Par exemple, ainsi que le note Didier Lassalle pour le Royaume-Uni, à qualification égale, les minorités ethniques présentent des taux de chômage nettement plus élevés que leurs homologues blancs et « sont également fortement représentées dans les emplois temporaires ou à temps partiel, souvent peu rémunérés, qui ne remplissent que très imparfaitement leur rôle dans le processus d’intégration sociale des individus, particulièrement des jeunes »8. Il souligne également la nécessité de nuancer les observations à la lumière des différences interethniques et de genre. Des observations similaires sont faites en France, où les enquêtes du CEREQ (Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications) montrent que 40 % des jeunes d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne connaissent davantage de difficultés que les ceux originaires d’Europe du sud et disent avoir subi une discrimination à l’embauche en raison de caractéristiques « visibles » tels que le nom ou la couleur de peau9. Les pratiques discriminatoires peuvent avoir une incidence sur les aspirations des jeunes et renforcer les mécanismes d’exclusion ainsi que l’illustrent les propos d’une professionnelle des politiques de la ville de Saint-Denis. Celle-ci relate les perceptions exprimées par des jeunes représentants de comités locaux de jeunesse lors d’ateliers de travail :

  • 10 Directrice d’une structure associative de la ville de Saint-Denis (entretien réalisé le 6 octobre 2 (...)

Ils avaient le sentiment que pour eux tout était bloqué. Ils étaient tous blacks ou maghrébins. C’est la réalité de Seine-Saint-Denis. Ce sentiment que « de toute façon, nous la fac, on ne peut aller qu’à Paris 8. Un animateur du service jeunesse à l’époque me disait : « moi j’avais envie de faire un doctorat mais j’avais pas le droit d’aller à la Sorbonne parce que j’arrivais d’ici ». Vrai ou faux, c’est quelque chose qui est porté très fortement par beaucoup de jeunes10.

  • 11 Le Labour Force Survey est une enquête annuelle réalisée depuis 1973 par l’Office National des Stat (...)

6En Grande-Bretagne, le Labour Force Survey (LFS) qui, tout comme le recensement comprend des catégories ethno-raciales11, laisse apparaître d’importantes variations des taux d’activité et de poursuite d’études en fonction de l’appartenance ethnique. En 2011, les jeunes blancs âgés de 16 à 24 ans affichent des taux d’activité nettement plus élevés (65 %) que les jeunes de minorités visibles, lesquels sont plus susceptibles de poursuivre leurs études (voir graphique 1).

Source : Labour Force Survey (1er trimestre 2011)

  • 12 Dominique MEURS, Ariane PAILHÉ, & Patrick SIMON, Mobilité intergénérationnelle et persistance des i (...)
  • 13 Voir par exemple, Alejandro PORTES & Min ZHOU « The New Second Generation : Segmented Assimilation (...)
  • 14 Cris BEAUCHEMIN, Christelle HAMEL & Patrick SIMON (coord.), Trajectoires et Origines. Enquête sur l (...)

7Au-delà des différentiels entre groupes majoritaires et minoritaires d’une même classe d’âge, les recherches consacrées à la situation des immigrés s’orientent depuis quelques années vers l’observation et l’analyse des trajectoires suivies par ces descendants de deuxième ou de troisième génération. La raison de cet intérêt pour les mobilités intergénérationnelles est qu’elles permettent de mieux cerner les modalités et processus intégratifs des sociétés post-migratoires12. Aux États-Unis, de nombreuses études ont été menées autour de l’hypothèse d’un déclassement (downward assimilation) et d’une « assimilation segmentée » selon laquelle seulement une partie des minorités accèderaient à un emploi stable tandis que les minorités visibles seraient reléguées à l’underclass13. Si ces théories et méthodes n’ont été que peu développées en Grande-Bretagne, elles ont plus volontiers été importées en France dans le cadre d’enquêtes longitudinales telles que les enquêtes « Génération » du CEREQ ou « Trajectoires et Origines » réalisées conjointement par l’INED et l’INSEE. Cette dernière montre que toutes choses égales par ailleurs – c’est-à-dire à âge, sexe, niveau de diplôme, composition de la famille et lieu de résidence comparables – le risque de chômage est 2,7 fois plus élevé pour les immigrés algériens que pour la population majoritaire, 2,1 fois plus important pour les immigrés marocains, tunisiens et d’Afrique subsaharienne. Ces écarts se réduisent mais perdurent pour les descendants d’immigrés : le ratio est de 2 pour les enfants d’immigrés algériens et de 1,8 pour les enfants d’immigrés marocains, tunisiens et d’Afrique subsaharienne14.

8En Grande-Bretagne, des comparaisons intergénérationnelles ont été effectuées par Richard Berthoud ainsi que par Sin Yi Cheung et Anthony Heath à partir de l’enquête générale des ménages – le General Household Survey (renommé General Lifestyle Survey en 2006) – réalisée chaque année auprès d’un échantillon d’environ 9 000 ménages correspondant à 16 000 adultes de plus de 16 ans. Ces travaux montrent très nettement que les descendants de seconde génération connaissent des taux de chômage plus élevés que ceux de la première génération. Ceci est particulièrement frappant pour les hommes originaires d’Afrique et des Antilles britanniques (voir tableaux 1.A et 1.B).

  • 15 La notion d’effet cicatrice (« scarring effect ») est utilisée en économie pour décrire les conséqu (...)

9Enfin, il convient de mesurer l’importance grandissante de ces enjeux dans le contexte de la crise économique qui s’est déclenchée à l’été 2008. Un rapport de l’Institute for Public Policy Research (IPPR) montre qu’en l’espace de dix-huit mois (entre le premier trimestre de 2008 et le troisième trimestre de l’année 2009), la jeunesse a été gravement touchée dans son ensemble puisqu’un jeune sur quatre était au chômage. Ce sont toutefois les non-diplômés et les jeunes de minorités ethniques qui ont le plus souffert et sont les plus exposés à un « effet cicatrice »15 sur le marché du travail.

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  • 16   Source : Sin Yi CHEUNG & Anthony HEATH, op. cit., 2007, p. 522.

Tableau 1.A : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (hommes, en %), 1991-200116.

Tableau 1.A : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (hommes, en %), 1991-200116.

Tableau 1.B : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (femmes, en %), 1991-2001.

Tableau 1.B : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (femmes, en %), 1991-2001.

Notes tableaux 1.A & 1.B : 1) compte tenu de la faiblesse de l’échantillon annuel du General Household Survey, les données ont été compilées sur la période 1991 à 2001 à l’exception des années 1997 et 1999 où l’enquête n’a pas été réalisée ; 2) compte tenu de leur faible taux d’activité, afin d’éviter tout biais de sélection, les données concernant les femmes de seconde génération noires africaines, pakistanaises et bangladaises n’ont pas été incluses.

11Ces tendances étaient déjà visibles lors des précédentes récessions. Par exemple, au début des années 1990, le chômage chez les jeunes de groupes ethniques minoritaires avait augmenté de 10 points de pourcentage comparé à 6 points pour le groupe majoritaire. Alors que le taux de chômage des jeunes blancs de 16 à 24 ans est passé de 12,4 % à 20,4 % entre début 2008 et fin 2009, l’augmentation a été nettement plus élevée pour les jeunes Afro-antillais puisque quasiment la moitié (48 %) était au chômage, ce qui représente une augmentation de 12,4 % sur la période. Les Métis ont connu l’augmentation la plus importante (de 21 % à 35 %). L’augmentation la plus faible (5,9 %) concernait les Asiatiques (Pakistanais, Indiens et Bangladais) mais leur taux de chômage s’élevait tout de même à 31,2 % au troisième trimestre 2009. Nous avons mis à jour ces données en comparant le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2011 (au lieu de 2009 dans le rapport IPPR). Les écarts restent similaires hormis une légère augmentation de 3 points pour les Métis et un recul à 42,1 % pour les Noirs Africains et Antillais (voir graphique 2).

Source : Labour Force Survey (données trimestrielles)

12Face à cette situation, le rapport de l’IPPR préconise une intervention accrue, notamment par un ciblage territorial renforcé du dispositif alors en vigueur, le Future Jobs Fund, sur lequel nous reviendrons dans la section suivante :

  • 17 Institute for Public Policy Research, Youth Unemployment and the Recession, London, IPPR, janvier 2 (...)

These findings are a worrying reminder that although the recession is affecting all young people, those from ethnic minorities or with fewer qualifications are far more likely to become part of a generation lost to unemployment and disadvantage. Extra action should be considered, such as increasing the number of Future Jobs Fund places in disadvantaged areas.17

L’intervention de l’État, du côté britannique…

  • 18 Le Youth Opportunities Programme (YOP) fut créé par les Travaillistes en 1978 puis remplacé au débu (...)
  • 19 E. DE SOUZA, « Racism in the YTS », Critical Social Policy, vol. 7, n°20, 1987, pp.66-74.
  • 20 Vincent LATOUR, « Les minorités ethniques et les politiques de retour à l’emploi : étude des straté (...)

13Des deux côtés de la Manche, les enfants issus de l’immigration ont été insérés dans les divers dispositifs nationaux de droit commun qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années. L’égalité des chances et de traitement de tous les jeunes était déjà inscrite dans les programmes mis en œuvre sous les gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et John Major tels que le Youth Opportunities Programme (YOP) et le Youth Training Scheme (YTS)18. Et pourtant, même si les directives concernant le YTS proscrivaient toute discrimination à l’égard des groupes minoritaires, les pratiques de sélection et de recrutement au sein des offres de formation ont clairement été teintées de racisme19. Par la suite, le New Deal for Young People, dispositif phare du gouvernement blairiste en direction des jeunes âgés de 18 à 24 ans n’a pas manqué d’inclure des références « politiquement correctes » aux Britanniques issus de l’immigration dans ses communiqués officiels sans pour autant leur proposer de mesures concrètes. Vincent Latour relève que cette approche peut paraître atypique dans le contexte britannique, car elle tranche avec l’orientation prise par les politiques publiques qui, depuis les années 1960, se sont souvent distinguées par une approche différenciée vis-à-vis des minorités ethniques, notamment avec l’adoption d’une législation spécifique sur les relations raciales, l’importance accordée à la notion d’Equal Opportunity et plus récemment, la mise en œuvre de suivis statistiques (ethnic monitoring)20. En ce qui concerne l’impact du New Deal, une enquête menée par des chercheurs britanniques à Oldham, dans le nord-ouest de l’Angleterre, auprès de 75 bénéficiaires issus de minorités ethniques laisse apparaître que l’égalité des chances a été davantage respectée que dans les précédents dispositifs des gouvernements conservateurs et que la perception des bienfaits est similaire à celle exprimée par l’ensemble des bénéficiaires. En définitive, le New Deal semble avoir produit des résultats équivalents en aidant uniquement ceux considérés comme « employables » dans le sens où ils n’étaient pas confrontés à des difficultés particulières autres que la pénurie d’offres d’emploi.

  • 21 Présentation du dispositif dans le budget de 2009 : HM Treasury, Budget 2009, HC 407, Chapitre 5, p (...)

14La crise économique et la hausse brutale du chômage des jeunes incitent le gouvernement de Gordon Brown à lancer en juillet 2009 une campagne interministérielle de soutien à la jeunesse, « Backing Young Britain ». L’objectif principal est de sensibiliser les employeurs pour qui, en période de crise, la jeunesse a tendance à constituer une « variable d’ajustement ». En parallèle, le Ministère de l’emploi et des retraites (Department for Work and Pensions) lance un nouveau dispositif pour l’emploi des jeunes de moins de 25 ans : la Young Person’s Guarantee (Garantie pour le jeune) assortie d’un financement s’élevant à un milliard de livres sterling : le Future Jobs Fund (FJF) (Fonds pour les emplois d’avenir). La YPG se place dans la continuité du New Deal pour les jeunes puisqu’il s’agit de « garantir un emploi, une formation ou un stage à tous les jeunes âgés de 18 à 24 ans inscrits au chômage depuis plus de douze mois. L’objectif est qu’aucun jeune ne soit laissé sur le carreau en raison du chômage de longue durée »21.

15Le FJF soutient la création de 150 000 emplois jeunes dans le secteur associatif ou municipal (assistants scolaires, animateurs, coachs sportifs, agents affectés à la protection de l’environnement, etc.) entre octobre 2009 et mars 2011. Le ciblage d’un tiers de ces emplois sur les quartiers les plus frappés par le chômage est explicitement présenté comme un bienfait pour les groupes minoritaires :

  • 22 Communiqué du DWP, Equality Impact Assessment Young Person’s Guarantee and Future Jobs Fund, Londre (...)

the creation of 50,000 jobs in unemployment hotspots will be expected to actively help ethnic minority groups and therefore have a positive impact that promotes opportunity. This is because ethnic minority groups are traditionally found in areas of higher unemployment. The Working Neighbourhoods Fund (WNF), for example, is given to the most deprived Local Authorities in England. The WNF areas include more than half (52%) of all workless ethnic minorities.22

16Cependant, le FJF restera peu de temps en vigueur puisque le gouvernement de coalition supprimera en mars 2011 ce qu’il considère comme un élément « inefficace » des politiques de retour à l’emploi. Bien qu’il existe quelques évaluations ad hoc du dispositif au niveau local23, un flou demeure quant à ses retombées sur les bénéficiaires au sens large, et surtout sur les jeunes issus de minorités ethniques. L’étude de cas présentée dans la suite de l’article nous permettra d’en saisir quelques-unes mais à petite échelle et dans une perspective qualitative. Quoi qu’il en soit, le bilan des mesures mises en œuvre par les gouvernements de Tony Blair et de Gordon Brown indique clairement qu’ils ont été réticents à inclure des mesures radicales de discrimination positive au sein des politiques sociales. En effet, ces pratiques courantes aux USA montrent que les bénéficiaires se sentent souvent stigmatisés dans le processus24. Certains élus travaillistes tels que Diane Abbott25 ainsi que des associations telles que Race for Opportunity26 militent toutefois en faveur d’actions ciblant les jeunes des minorités ethniques.

  • 27 Janet MURRAY, “Youngsters from ethnic minorities miss out on apprenticeships”, The Guardian, 22 fév (...)

17Le gouvernement de coalition de David Cameron a instauré à partir de juin 2011, le Work Programme qui renforce l’obligation de travailler pour tous ainsi qu’une Youth Employment Initiative dotée d’un budget global de 60 millions de livres sterling dans le but de créer 100 000 stages de 250 000 places d’apprentissage en alternance entre 2011 et 2015. Les discriminations qu’affiche ce secteur laissent dubitatif quant à sa capacité à répondre aux enjeux. En effet, selon la source, les jeunes de minorités ethniques ne seraient qu’entre 6 % (selon le syndicat Unionlearn) et 8 % (selon le National Apprenticeship Service, une agence gouvernementale) à suivre un apprentissage. De plus, la suppression en 2011 de la bourse d’études (Education Maintenance Allowance) dont le montant hebdomadaire s’élevait à 30 livres sterling affecte tout particulièrement ces groupes. En effet, en 2008, 43 % des jeunes scolarisés âgés de moins de 18 ans en étaient bénéficiaires, comparé à 67 % de Noirs africains et 88 % de Bangladais. Il en va de même pour les places d’apprentis27.

… et du côté français

  • 28 Matthieu ANGOTTI, Isa ALDEGHI, Manon BREZAULT & Christine OLM, Deuxième change? La prise en charge (...)

18Tout comme son voisin britannique, la France se caractérise par une profusion de dispositifs pour les jeunes éloignés de l’emploi, qu’un récent rapport du CREDOC28 qualifie de « mille feuilles de la deuxième chance » en soulignant la grande complexité du paysage de l’insertion et l’absence de lisibilité pour les jeunes eux-mêmes, qui tient à la fois à la valse des mesures gouvernementales mais aussi à la multitude des approches parallèles. Depuis les années 1980, de nombreux contrats aidés et dispositifs d’accompagnement (tels que les « Emplois Jeunes », le programme TRACE, et plus récemment les contrats d’insertion dans la vie sociale, dits « Civis ») relevant des politiques générales de l’emploi et de la formation professionnelle ont été mis en œuvre par les organismes au service des jeunes âgés de 16 à 25 ans que sont les Missions locales et les P.A.I.O (Permanences d’accueil, d’insertion et d’orientation). Par ailleurs, d’autres actions sont mises en place dans le cadre de la politique de la ville et de la lutte contre les discriminations. La dynamique de décentralisation accentue la dispersion de ces actions. L’apprentissage et la formation professionnelle des jeunes et des adultes entrent dans les compétences des régions, le volet insertion des minima sociaux dans celles des départements, et des actions complémentaires sont mises en place par les communes ou groupements de communes par le biais des CCAS (centres communaux d’action sociale). Ces grandes orientations politiques, en raison de leur manque de continuité et de leur dispersion (au sein des administrations centrales comme des collectivités territoriales), ont abouti à un émiettement saisissant des actions et dispositifs en place. Dans ce paysage foisonnant, les jeunes issus de l’immigration sont implicitement ciblés dans les actions mises en place dans le cadre de la lutte contre les discriminations ou à travers les Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).

19L’irruption des émeutes urbaines, conséquence ultime des phénomènes de ségrégation et de ghettoïsation, a favorisé le rapprochement entre la problématique des jeunes issus de l’immigration et celles des territoires, notamment avec en juin 2008, l’introduction du « Plan Espoir Banlieues » du gouvernement Sarkozy dont l’objectif était précisément d’introduire des mesures de discrimination positive, (notamment dans le service public), de développer des « écoles de la deuxième chance » et de promouvoir la création de 100 000 emplois pour les jeunes sur une période de quatre ans. En 2011, les acteurs de terrain s’accordent à dire qu’en dehors de quelques avancées sur le plan de la rénovation urbaine, ce dispositif n’a produit aucun effet spectaculaire, la crise économique ayant balayé les promesses gouvernementales.

20En somme, les deux pays présentent d’importantes similitudes : qu’il s’agisse d’une part de la transformation de l’État-providence en État-gestionnaire encourageant opérateurs privés et acteurs du monde associatif à « coproduire » localement les politiques sociales, manifeste sous le New Labour et renforcé depuis 2010 par le gouvernement de coalition de David Cameron ou d’autre part, de l’émiettement du paysage d’insertion en France, les actions envers les jeunes de groupes minoritaires sont à chercher dans les interstices de l’action publique où il existe un large spectre d’initiatives, tout particulièrement dans les quartiers dits « prioritaires » des politiques de la ville.

L’exemple du Future Jobs Fund dans l’Ouest de Londres

  • 29 Anne GREEN, « Routes into Employment for Refugees : A Review of Local Approaches in London » in Fra (...)
  • 30 Ibid., p. 198.
  • 31 London Borough of Ealing, State of Ealing 2009: Population, p. 7, (document téléchargeable: http:// (...)
  • 32 Ibid., p. 8.

21En raison d’un afflux croissant de réfugiés depuis le début des années 1990, Londres a développé une vaste infrastructure d’accueil opérant un ciblage précis sur les primo-arrivants, tels que le London Refugee Economic Action ou les Refugee Forums29. Bien que les analyses territoriales soient généralement centrées sur ces groupes, nous restreignons ici notre réflexion à l’intervention destinée aux descendants d’immigrés. Ceux-ci bénéficient des prestations de Jobcentre Plus (le Service Public de l’Emploi) qui depuis 2003 a intégré des objectifs de performance vis-à-vis des demandeurs d’emploi issus de minorités ethniques, notamment via un accord, le Public Sector Agreement30. Les jeunes eux-mêmes ne se montrent guère enclins à voire proliférer des dispositifs labellisés « ethniques » qu’ils perçoivent comme stigmatisants ainsi que l’illustre l’enquête réalisée auprès des bénéficiaires du Future Jobs Funds mis en œuvre par Action Acton en 2010. Action Acton est une organisation caritative fondée en 1999 et dont la mission est de contribuer à l’insertion professionnelle des communautés résidant dans les quartiers ouest de Londres, en particulier dans la commune de Ealing où elle est implantée et dans une moindre mesure à Hammersmith, Fulham et Hounslow. L’octroi de financements publics lui permet d’intervenir chaque année auprès d’environ 2000 personnes, dont 70 % issus de minorités ethniques. Sur les 354 boroughs anglaises, Ealing est classée en quatrième rang pour la diversité de ses communautés ethniques et en sixième rang pour la diversité de ses confessions31. Dans le recensement de 2001 (mis à jour en 2006), la proportion de la population se déclarant de minorités ethniques autres que « blanches » (britannique, irlandaise, européenne, etc.) s’élevait à 41,1 % et selon les prévisions atteindra 50 % en 202632. Parmi les groupes minoritaires, les ressortissants d’origine indienne représentent le groupe le plus important (14,8 % de la population totale d’Ealing).

22En 2010, Action Acton s’implique dans le FJF en tant que membre de deux partenariats, l’un coordonné par Barnardo’s (la principale association caritative pour l’enfance) et le deuxième piloté par un consortium d’une dizaine d’acteurs de la société civile, le 3SC (Third Sector Consortium) créé en 2009 spécifiquement en vue de répondre à des appels d’offres de services dans le domaine des politiques sociales. Le FJF repose sur une coopération forte entre ces associations, la municipalité de Ealing et Jobcentre Plus, dont le rôle consiste à mettre en lien les jeunes demandeurs d’emploi avec les offres disponibles. Outre ses actions traditionnelles de formation et d’accompagnement (ateliers de simulation d’entretiens d’embauche, préparation de CV, etc.), Action Acton, a créé neuf « emplois d’avenir » dont six pour des jeunes issus de l’immigration. Il s’agit de postes à temps partiel (d’une durée hebdomadaire de 25 heures) que le gouvernement subventionne à hauteur de £ 5,80 par heure et que l’association complète pour atteindre le London living wage (ou « salaire décent ») de £ 7,60. Certains de ces jeunes ainsi que d’autres bénéficiaires des emplois d’avenir à Ealing ont été réunis par Action Acton dans le cadre d’un groupe de réflexion collective (focus groups). La discussion laisse apparaître une grande diversité d’opinions quant aux bienfaits du FJF, la plupart estimant qu’il s’agit d’un « bon dispositif », d’autres manifestant un soulagement de le voir arriver à terme (voir annexe).

23Action Acton n’est pas la seule association de l’ouest londonien à s’être mobilisée pour la création d’emplois d’avenir. Une association œuvrant en vue de promouvoir la diversité dans le monde de l’entreprise s’est également saisie du FJF. Le Network for Black Professionnals (NBP) est connu pour ses prestations dans le domaine de la formation professionnelle des salariés de minorités visibles. En 2010, l’association est intervenue en tant que partenaire de la municipalité et des établissements de formation professionnelle de Ealing (ainsi que dans la commune de Lambeth située au sud de Londres) auprès d’employeurs prêts à créer des emplois d’avenir spécifiquement destinés aux jeunes issus de l’immigration. Les employeurs bénéficient d’une subvention de 3 000 livres sterling sur une période de six mois tandis que le NBP se charge de recruter les candidats et de les accompagner par des actions de coaching pendant toute la période de leur contrat de travail. Une soixantaine d’emplois ont ainsi vu le jour à Londres.

L’exemple de la Seine-Saint-Denis

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24Avec une population de 1,5 million d’habitants dont plus de 20 % âgés de moins de vingt ans et 40 % résidant en logement social, la Seine-Saint-Denis est sans aucun doute le département français qui illustre de manière exemplaire les effets d’une « stigmatisation en triptyque »33 : l’image négative du « 9-3 », la méfiance persistante vis-à-vis des jeunes, diplômés ou non à la recherche d’un emploi, et une peur récurrente de l’immigré. Selon l’INSEE, au premier trimestre de l’année 2011, le taux de chômage y est de deux points supérieurs à la moyenne nationale (11,3 % contre 9,2 %) tandis qu’environ un tiers des moins de 25 ans (inscrits ou non auprès de Pôle Emploi) sont sans emploi. Les collectivités territoriales se sont saisies de ces questions et parmi un vaste éventail d’associations à but non lucratif œuvrant pour l’insertion des jeunes dans les zones urbaines sensibles (ZUS) de Seine-Saint-Denis, nous avons sélectionné deux structures en raison de leur rapport à la question ethno-raciale. En effet, celle-ci est placée au cœur de leur intervention : créées en 2005 suite aux émeutes qui ont secoué le pays, Mozaïk RH et Créo-Adam bousculent chacune à leur manière les idées reçues. La première s’est établie en tant que cabinet de recrutement et de conseil en ressources humaines et intervient à contrecourant dans le paysage institutionnel de l’insertion. En effet, il s’agit de promouvoir l’égalité des chances et la diversité en proposant aux recruteurs de la région Ile-de-France des candidats issus de l’immigration et résidant en Seine-Saint-Denis. Par son action auprès de grands groupes tels que BNP Paribas, GDF-Suez ou SFR, l’association accompagne en priorité les jeunes diplômés (bac +2 à bac +5) des quartiers populaires vers l’emploi et cherche à initier de nouvelles pratiques professionnelles en faisant évoluer les représentations des employeurs. L’association opère selon un modèle d’entreprenariat social34 lui permettant une forte capacité d’autofinancement. Elle est construite sur un modèle hybride : 70 % du budget proviennent de fonds privés et 30 % de subventions publiques. Elle articule ses actions avec celle du service public de l’emploi (l’agence Pôle Emploi) tout en restant indépendante de tout mouvement, politique ou religieux. Elle est menée par un directeur dynamique lui-même issu de la Seine-Saint-Denis qui table sur les changements organisationnels intervenus depuis 2004 sous l’impulsion de l’Union européenne. En effet, de nombreuses multinationales ont adopté des politiques volontaristes promouvant le multiculturalisme au sein de leur personnel, afin non seulement de valoriser leur image de marque auprès de la clientèle, mais aussi d’être en accord juridique avec la Charte de la Diversité européenne35. Chaque année, Mozaïk RH place en moyenne deux cents candidats dans des postes de cadres.

25Cette approche reste toutefois très controversée puisqu’elle est à contre-courant du fameux modèle républicain. À Aulnay-Sous-Bois, une ville de 80 300 habitants où se côtoient plus de 65 nationalités et où le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans dans la ZUS « la rose des vents-cité Emmaüs-les Merisiers » atteint 40 %, l’association Créo-Adam, contrairement à Mozaïk RH, ne cherche pas à convaincre les entreprises d’embaucher les jeunes des quartiers populaires, mais préfère jouer la carte de l’aide à la création d’activité économique en soutenant les porteurs de projets. Cette approche est donc en rupture avec le modèle traditionnel de recherche d’intégration par l’emploi salarié et vise plutôt l’autonomie. L’association fait partie d’un réseau de structures ADAMs (Associations de Détection et d’Accompagnement des Microentrepreneurs) soutenues par Planet-Finance, une organisation de solidarité internationale créée en 1998 pour lutter contre la pauvreté par le développement de la micro-finance. En France, Planet-Finance soutient l’entrepreneuriat dans les ZUS. Depuis sa création en 2005, Créo accompagne en moyenne 150 jeunes chaque année grâce à des actions de coaching et de conseils. L’âge moyen des jeunes entrepreneurs est de 25 ans et les secteurs d’activité couvrent entre autres, le transport, le bâtiment, la distribution, les technologies de l’information et les services à la personne. De plus, l’association organise en partenariat avec L’Oréal et PSA Peugeot Citroën une remise de prix, le « révélateur de talents ». Cette manifestation annuelle se tient dans un centre commercial et représente un moment fort pour célébrer la réussite sociale et ainsi véhiculer une image positive des jeunes au sein de la communauté aulnaysienne. La notion de « talent », tout comme la notion de « créativité », fortement en vogue dans le nouvel esprit du capitalisme, sont mises en exergue afin de proposer une vision alternative au diplôme comme unique condition d’accès légitime à l’emploi.

26Bien qu’ayant opéré des choix stratégiques très différents, Mozaïk RH et Créo partagent le fait qu’elles font appel à des facteurs intangibles qui influencent les normes et représentations sociales : l’utilisation de capital symbolique (par le prestige que confère l’image de marque des grandes multinationales qui s’associent à leur action), une importante médiatisation, non seulement via les réseaux sociaux mais également auprès des chaînes et radios « grand public » et des « effets d’exemplarité » faisant que certains jeunes se distinguent et suscitent le désir d’émulation auprès de leurs pairs. Par ailleurs, le travail de médiation est très prégnant mais c’est moins le rôle traditionnel de travailleur social ou de « grand frère » que celui d’intermédiaire entre individus et institutions de la sphère économique que jouent les responsables de ces structures.

Conclusions

27L’action sociale en faveur de l’insertion et de l’emploi des jeunes issus de minorités ethniques est hautement révélatrice de la place que les sociétés contemporaines accordent à cette frange de la population. Une large partie des politiques de l’emploi sont élaborées au niveau national et leur déclinaison territoriale permet à l’État de mener des politiques implicites d’accompagnement des jeunes. C’est donc essentiellement à travers les politiques de la ville que les acteurs territoriaux, structures municipales et associatives mais aussi opérateurs du secteur privé, viennent s’insérer dans les interstices de l’intervention publique pour tenter d’en combler les lacunes mais surtout et de manière croissante, de se positionner sur le « marché de l’insertion ». Si ces pratiques volontaristes demeurent encore isolées car réalisées à petite échelle, elles dessinent des possibilités qu’offrent les expérimentations au niveau local. Il est difficile de prédire dans quelle mesure ces micro-initiatives changeront le destin des jeunes issus de l’immigration en Grande-Bretagne et en France. Du point de vue méthodologique, l’intérêt est de pointer les limites de la comparaison des modèles nationaux lorsque l’on opère un changement d’échelle. À l’heure du démantèlement de l’État-providence et des mesures d’austérité budgétaire, ces initiatives soulignent par conséquent la nécessité de nuancer les idées reçues concernant les modèles d’intégration des populations immigrées et de leurs descendants.

28En définitive, le contraste le plus saisissant semble davantage se situer au niveau des modalités de l’action publique, entre une approche descendante (top-down) britannique et, dans une certaine mesure, ascendante (bottom up) française. Cette différence tient essentiellement aux modalités de financement des dispositifs en direction des jeunes. On constate que la Grande-Bretagne se caractérise par davantage de centralisation et de contrôle dans l’élaboration de grandes lignes directrices et une mise en concurrence de prestataires des secteurs privés et associatifs, par le biais d’appels d’offres pour la mise en œuvre sur le terrain de grands dispositifs nationaux. En France, les collectivités territoriales disposent encore d’une certaine marge de manœuvre pour aider au financement d’actions associatives spécifiques, mais les restrictions budgétaires et la montée des impératifs gestionnaires en réduisent la portée.

29En tout état de cause, lorsqu’il s’agit de relever le défi d’insertion des jeunes, et en particulier de ceux issus de l’immigration, dans les deux pays, les pouvoirs publics sont tiraillés entre la tentation de se cacher derrière l’argument territorial ou de céder au risque d’enfermement des jeunes dans un traitement catégoriel. C’est bien ce dilemme qui, à ce jour, continue de perdurer.

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Bibliography

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Sites web des associations figurant dans l’étude

Action Acton: [http://www2.ealing.gov.uk/]

Créo-Adam: [http://www.creo-adam.fr]

Mozaïk-RH: [http://www.mozaikrh.com/]

Network for Black Professionals: [http://www.nbp.org.uk/]

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Appendix

Extraits du groupe de discussion avec sept jeunes de minorités ethniques, descendants de deuxième génération âgés de 19 à 24 ans et employés dans le cadre du dispositif « emplois d’avenir », (Ealing, septembre 2010).

Question: What do you think of the job centre and the Future Jobs Fund?

B: I don’t think job centres are very good at their job.

C: I don’t really agree with you.

D: I signed on with jobcentres for 6 months and then they put you on that New Deal program. They make you come in every week and they act like they’re interested but they don’t care. You come in, do your thing, then go.

C: Well, I got on really great with my advisor. We’re still in contact now and we still speak… maybe it’s how you present yourself.

E: The jobcentre is great for giving you money.

B: What is your job position now?

E: Assistant manager through Future Jobs Fund.

D: Because I have a degree, the jobs offered by job centres didn’t match my qualification. My position now is project manager.

B: I do 25 hours a week and I get paid just under £ 6 an hour. Assistant manager they have to pay you more than £ 6 an hour.

E: They’re paying me £ 7.60, but they should be giving me more because of my position.

F: But it’s a government scheme. I mean they get us to do a lot of hard work sometimes more that the job position and the pay does not match that.

B: I have been liaising with the Future Jobs Fund advisor and I’ve never been happy with this job from the start.

Question: This scheme will be ending so, what do you think of that?

C: That’s so bad. I love my job and I finish my assignments and then I ask for more.

B: They should come up with a better idea.

G: I reckon that there will be something similar to this in the future.

B: I’m glad.

C: This is a really good scheme actually! I don’t understand how you can say that it’s a bad scheme. It’s a really good scheme.

G: It’s a good scheme.

C: We help unemployed people get jobs. We find a job vacancy, we send it to the job centre, the job centre then advertises it, people then email their CVs to the job centre, the job centre then emails the CVs back to us, we then interview them and give people jobs. So we actually give people jobs, we make a vacancy for people, so how is it a bad scheme, I don’t understand that.

B: Well if the scheme is so great why is it getting stopped?

G: Because of the new government.

D: So what happens to us?

You continue until the contract ends.

D: What contract? I didn’t know we had to sign a contract.

B: See how misinformed people are. I’m glad David Cameron has axed the scheme.

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Notes

1 Tony BLAIR “Foreword” in Strategy Unit, Ethnic Minorities and the Labour Market. Final Report, Cabinet Office, Londres, mars 2003, p. 3.

2 Diane ABBOTT, “Labour can still help Black jobless youth”, The Guardian, 21 janvier 2010.

3 Les difficultés à nommer les enfants d’immigrés ont souvent été pointées dans la littérature. L’expression « minority ethnic youth » est courante en Grande-Bretagne tandis qu’en France, on fait généralement référence aux « jeunes issus de l’immigration » ou aux « descendants d’immigrés ».

4 France AUBERT, Maryse TRIPIER & François VOURC’H, Jeunes issus de l’immigration. De l’école à l’emploi, Paris : l’Harmattan, 1997 ; Mustapha BOURMMANI (dir.), Les discriminations à l’emploi. L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration, 2001, Amiens : Licorne ; John SOLOMOS, The Politics of Black Youth Unemployment. A critical analysis of official ideologies and policies, Working Paper on Ethnic Relations, n° 20, Birmingham: Research Unit on Ethnic Relations/Social Science Research Council, 1983.

5 Vincent LATOUR, « Les métamorphoses du multiculturalisme britannique, Revue Française de Civilisation Britannique, vol. 14, n°3, 2007, pp. 23-36 ; Romain GARBAYE, Émeutes vs intégration, comparaisons franco-britanniques, Paris : Presses de Sciences Po (Collection Nouveaux débats), 2011 ; Olivier ESTÈVES, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), Paris : Presses de Sciences Po, 2011.

6 Didier FASSIN, « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des discriminations » in Didier FASSIN & Eric FASSIN (dir.) De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006, pp. 133-157.

7 Les développements présentés ici sont issus de travaux menés en 2010 dans le cadre d’une étude comparative (Fulfilling Promise. Ensuring Labour Market Success for Ethnic Minority and Immigrant Youth) commanditée par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).

8 Didier LASSALLE, L’intégration au Royaume-Uni. Réussites et limites du multiculturalisme, Paris : Ophrys, 2009, p. 40. ; (nous ajoutons ici le soulignage).

9 Roxane SILBERMAN & Irène FOURNIER, Jeunes issus de l’immigration : une pénalité à l’embauche qui perdure, Bref n°226, 2006, Marseille : Céreq.

10 Directrice d’une structure associative de la ville de Saint-Denis (entretien réalisé le 6 octobre 2010).

11 Le Labour Force Survey est une enquête annuelle réalisée depuis 1973 par l’Office National des Statistiques (Office for National Statistics) auprès d’un échantillon représentatif de la population correspondant à 59 000 foyers, c’est-à-dire à environ 138 000 personnes. Depuis 1979, le LFS inclue des informations sur l’appartenance ethnique en fonction des déclarations faites par des enquêtés. Tout comme dans le recensement, des modifications ont été apportées en 2001 avec notamment l’ajout de la catégorie « Métis » au « niveau 1 » ainsi que d’un deuxième niveau plus précis de sous-catégories, par exemple « Blanc-Antillais », « Blanc-Africain », « Blanc-Asiatique », etc. Ici, nous utilisons uniquement les principales catégories.

12 Dominique MEURS, Ariane PAILHÉ, & Patrick SIMON, Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités : l’accès à l’emploi des immigrés et de leurs descendants en France, Document de travail n°130, Paris : Institut national des études démographiques, 2005.

13 Voir par exemple, Alejandro PORTES & Min ZHOU « The New Second Generation : Segmented Assimilation and its Variants among Post-1965 Immigrant Youth », The Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, vol. 530, 1993, pp. 74-96.

14 Cris BEAUCHEMIN, Christelle HAMEL & Patrick SIMON (coord.), Trajectoires et Origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Document de travail n°168, Paris : Institut national des études démographiques, 2010.

15 La notion d’effet cicatrice (« scarring effect ») est utilisée en économie pour décrire les conséquences durablement néfastes d’une entrée « ratée » sur le marché du travail. Voir, par exemple, David ELLWOOD (1982) “Teenage Unemployment: Permanent Scars or Temporary Blemishes” in Richard B. FREEMAN & David A. WISE (Eds.) The Youth Labor Market Problem: Its Nature Causes and Consequences, Chicago: University of Chicago Press, pp. 349-390.

16   Source : Sin Yi CHEUNG & Anthony HEATH, op. cit., 2007, p. 522.

17 Institute for Public Policy Research, Youth Unemployment and the Recession, London, IPPR, janvier 2010.

18 Le Youth Opportunities Programme (YOP) fut créé par les Travaillistes en 1978 puis remplacé au début des années 1980 par le Youth Training Scheme (YTS) du gouvernement Thatcher.

19 E. DE SOUZA, « Racism in the YTS », Critical Social Policy, vol. 7, n°20, 1987, pp.66-74.

20 Vincent LATOUR, « Les minorités ethniques et les politiques de retour à l’emploi : étude des stratégies mise en place par l’autorité locale de Bristol, Observatoire de la Société Britannique, n°2, 2006, pp.211-222.

21 Présentation du dispositif dans le budget de 2009 : HM Treasury, Budget 2009, HC 407, Chapitre 5, p.87.

22 Communiqué du DWP, Equality Impact Assessment Young Person’s Guarantee and Future Jobs Fund, Londres: Department for Work and Pensions Welfare and Well-Being Group-Employment Group, 2009, p. 5. Téléchargeable: http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20130128102031/http://www.dwp.gov.uk/docs/ia-young-person-guarantee-jobs-09.pdf

23 Voir par exemple le rapport d’évaluation réalisé par le cabinet Merida Associates pour le compte du Local Strategic Partnership, « Be Birmingham » : http://www.bebirmingham.org.uk/ (consulté le 24 juin 2011).

24 LASSALLE, op.cit., p. 79.

25 Voir note de bas de page n°1.

26 Site Internet: http://www.bitc.org.uk/workplace/diversity_and_inclusion/race/

27 Janet MURRAY, “Youngsters from ethnic minorities miss out on apprenticeships”, The Guardian, 22 février 2011.

28 Matthieu ANGOTTI, Isa ALDEGHI, Manon BREZAULT & Christine OLM, Deuxième change? La prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité, CREDOC, Cahier de recherche, n°257, décembre 2008.

29 Anne GREEN, « Routes into Employment for Refugees : A Review of Local Approaches in London » in Francesca FROY & Sylvain GIGUÈRE (eds) From Immigration to Integration. Local Solutions to a Global Challenge, Paris: OECD, pp.189-238.

30 Ibid., p. 198.

31 London Borough of Ealing, State of Ealing 2009: Population, p. 7, (document téléchargeable: http://www2.ealing.gov.uk, consulté le 30 juin 2011).

32 Ibid., p. 8.

33 Hervé VIELLARD-BARON « Seine Saint-Denis, entre misère sociale et intégration économique », Géoconfluences, 2006 (article téléchargeable : [http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient4.htm], consulté le 30  juin 2011).

34 Pour une définition de l’entrepreneuriat social, voir Corinne NATIVEL « Social Entrepreneurship » in Tony Fitzpatrick et al. (eds) International Encyclopedia of Social Policy, London, New York : Routledge, 2006, pp. 1248-49.

35 Milena DOYTCHEVA, « Réinterprétations et usages sélectifs de la diversité dans les politiques d’entreprises », Raisons Politiques, 2009/3, n°35, pp. 107-123.

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Credits Source : Labour Force Survey (1er trimestre 2011)
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Title Tableau 1.A : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (hommes, en %), 1991-200116.
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/689/img-2.jpg
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Title Tableau 1.B : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des origines ethniques (femmes, en %), 1991-2001.
Caption Notes tableaux 1.A & 1.B : 1) compte tenu de la faiblesse de l’échantillon annuel du General Household Survey, les données ont été compilées sur la période 1991 à 2001 à l’exception des années 1997 et 1999 où l’enquête n’a pas été réalisée ; 2) compte tenu de leur faible taux d’activité, afin d’éviter tout biais de sélection, les données concernant les femmes de seconde génération noires africaines, pakistanaises et bangladaises n’ont pas été incluses.
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/689/img-3.jpg
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Credits Source : Labour Force Survey (données trimestrielles)
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References

Bibliographical reference

Corinne Nativel, L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration : enjeux et politiques publiques en Grande-Bretagne et en FranceRevue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012, 163-180.

Electronic reference

Corinne Nativel, L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration : enjeux et politiques publiques en Grande-Bretagne et en FranceRevue Française de Civilisation Britannique [Online], XVII-2 | 2012, Online since 15 March 2016, connection on 05 May 2024. URL: http://journals.openedition.org/rfcb/689; DOI: https://doi.org/10.4000/rfcb.689

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About the author

Corinne Nativel

Corinne Nativel est Maîtresse de conférences dans la filière Langues étrangères appliquées à l’Université de Franche-Comté et membre du CREW (Centre for Research on the English-Speaking World) de l’Université - Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Ses travaux portent sur le chômage, la pauvreté, les recompositions de l’État-providence, les politiques de l’emploi, du logement et de la jeunesse. À paraître en 2012 : Les politiques de jeunesse au Royaume-Uni et en France : désaffection, répression et accompagnement à la citoyenneté, co-dirigé avec Sarah Pickard et Fabienne Portier-Le Cocq, aux Presses de la Sorbonne Nouvelle.

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