LAFAM : L’Ardenne, des Frontières en l’An Mil

Bilan du projet LAFAM :

L’étude des formations territoriales et des frontières, longtemps liée à la seule analyse historique, peut être aujourd’hui renouvelée par des apports d’ordre archéologique et sociologiques, en matière d’espace, de comportements sociétaux, d’économie.
Le projet LAFAM intervient sur les boucles mosanes et l’Ardenne méridional pour cerner les conditions d’apparition des limites et frontières – tant politiques que sociales, culturelles, religieuses et économiques – qui divisent ce territoire et en comprendre l’organisation autour de l’an Mil.
Il a fallu entreprendre une démarche inédite dans cette région pour entrevoir l’implantation humaine et identifier les frontières et influences de tous ordres qui la composaient. Un site référence a été particulièrement approfondi pour mener à bien cette enquête : le Château des fées de Montcy-Notre-Dame.

Le projet LAFAM se concentre sur les boucles de la Meuse dans le secteur de Charleville-Mézières et d’une manière plus générale sur l’Ardenne méridionale. De 2010 à 2014, il a associé 24 chercheurs français, belges et luxembourgeois issus de disciplines historiques et archéologiques. Deux tables rondes ont pu être menées, en avril 2011 au sein de la MSH à Nancy et une seconde en septembre de la même année, au musée municipal de Charleville-Mézières. Le projet aboutit à la publication de deux ouvrages, l’un tourné sur la recherche et la compréhension des frontières et un orienté sur l’étude archéologique du Château des fées de Montcy-Notre-Dame et son insertion dans son contexte politico-géographique.

Si le terme Frontière a été conservé dans la titulature de ce projet pour des raisons de lisibilité, il ne correspond vraisemblablement pas à une réalité millénaire, tant l’idée de limite a évolué au fil des siècles. Elle se confondait alors plutôt avec une frange large et floue, revêtant des aspects très divers et interagissant entre eux.

La période retenue, celle de l’an Mil, était très intéressante pour travailler sur la thématique de la frontière. En effet, notre secteur d’étude voit s’enchevêtrer de multiples confins. Sur le plan géomorphologique, c’est une interface entre bassin parisien et massif ardennais, ce qui influe sur la configuration et l’implantation des habitats et les ressources disponibles. C’est également une limite hydrologique et politique, de par la Meuse, vecteur frontalier primordial à cette période puisqu’elle fait séparation entre Royaume de France et Saint-Empire Germanique. À ce titre, le fleuve servit plusieurs fois de point de rencontre entre souverains. C’est encore une frontière religieuse sensible, entre les diocèses de Reims et de Liège, l’évêque du premier couronnant les rois de France, le second créant un véritable état dans l’état par la constitution d’une puissante principauté épiscopale au cours du Xe siècle. La région de Charleville est enfin un vaste échangeur routier, un nœud stratégique de franchissement de la Meuse, entrainant une anthropisation importante dès l’Antiquité.

L’historiographie a longtemps privilégié l’idée d’une domination politique des entités centrales, à la fois origine et conséquence d’un fort sentiment d’appartenance, les zones de marges étant par défaut perçues comme sans identités marquées. Ce point de vue peut aujourd’hui être remis en cause partiellement. Pour notre secteur, marginal au sens étymologique du terme, des interactions sans cesse renouvelées au fil des siècles lui ont donné une identité propre, ainsi qu’à ses habitants.

Cette identité est encore marquée dans le paysage actuel par les vestiges de sites fortifiés aux abords de la Meuse, traduction de la puissance d’une élite locale s’émancipant d’une gestion carolingienne exsangue. Une multitude de positions géographiques symboliques ont été ainsi investies pour marquer une présence, une domination sur les terres environnantes, dont le Château des fées, situé sur la commune de Montcy-Notre-Dame, est un exemple particulièrement expressif. Son étude aide à la compréhension du contexte politique, religieux, économique, social et culturel de toute une région, notamment par l’analyse du mobilier archéologique issu des fouilles. Par exemple, que déduire de la présence à la fois de meules en basalte de l’Eifel, de céramique locale mais aussi d’importation septentrionale, de verre creux champenois, de pièces de monnaies germaniques et romanes ? L’analyse géo-économique, qui parait ici comme une évidence, peut-elle s’additionner à une compréhension plus humaine et culturelle de cet état de fait ? Jusqu’à quel point ce mélange contribue t’il à forger une identité culturelle particulière ? Ainsi frontières et confins de l’Ardenne sont des plates formes de contact. Mais auraient-elles pu à terme devenir à leur tour centre d’entités ? Pour y répondre, nous avons souhaité croiser l’étude historique et textuelle et la réflexion archéologique afin de préciser les aires d’influences de ces diverses productions et d’en déduire des pratiques et comportements sociétaux propres, fruits probables d’une fusion entre romanité et germanité.

Vers l’an Mil, la Meuse est le cordon qui sépare deux entités. Mais elle est en même temps, de manière sous-jacente, au centre des conflits et des intérêts. Ces rivalités font donc de notre secteur un espace cohérent, articulé autour de l’idée d’incertitude politique. En revanche, dans les mentalités, il semble peu probable que la population aie le sentiment d’appartenir à un ensemble commun. La microtoponymie et la frontière linguistique montre de nombreuses disparités culturelles, qui paradoxalement se traduisent moins dans l’art et dans le flux des marchandises, notamment la céramique.

Au fil des décennies, on passe d’un constat au Xe siècle où la Meuse est frontière, avec une domination lotharingienne, à l’an Mil où la frontière s’épaissit et devient frange, avec une autonomisation de l’aristocratie locale. Le dernier stade, à partir de la fin du XIe-début du XIIe siècle verrait l’influence champenoise s’imposer.

Il nous faut admettre que les boucles mosanes françaises et les premiers contreforts de l’Ardenne sont une entité ambigüe, qui se définit comme frontière sur certains aspects (découpage politique, religieux, etc…) mais également comme un centre (culture, architecture, céramique locale, etc…) et comme un lieu de transit (commerce). Ce faisant, son identité de départ, bien réelle, se nourrit et s’enrichit des apports frontaliers. C’est ce qui lui donne une complexité que ne possèdent pas les grands centres aux identités mieux marquées comme la Champagne, la Wallonie, ou l’Eifel.

Indicateurs :

Principaux acteurs du projet :

    Nom et prénom    Spécialité

Laboratoire ou
groupe d’appartenance

 Établissement
MOULIS Cédric, porteur de l’opération Archéologue HISCANT-MA

EA 1132

UL
CABART Hubert (†) Spécialiste du verre HISCANT-MA

EA 1132

UL
LEMANT Jean-Pierre Archéologue Société archéologique du sillon mosan
BERTRAND Patrice Conservateur

 

Conservation du patrimoine DRAC Champagne
BUR Michel Historien CRUHL EA 3945  

UL

HARMAND Dominique Géologue  LOTERR EA 1135 UL
SERDON-PROVOST Valérie Archéologue CRUHL

EA 3945

UL

 

BONNAIRE Emmanuelle Carpologue Service archéologique

 

Communauté d’agglomération de Douai
GORET Jean-François Archéologue, spécialiste en Tabletterie Unité d’archéologie de Paris Ville de Paris
SUTTOR Marc Historien Université d’Artois
De LONGUEVILLE Sylvie Céramologue Direction de l’archéologie Service public de Wallonie
NICOLAS David Attaché de conservation Musée de l’Ardenne Commune de Charleville-Mézières
BRUN Olivier

 

Archéologue Cellule archéologique des Adrennes Conseil Département des Ardennes
MECHIN Colette Sociologue

 

UMR 7043 CNRS
TEGEL Willy Dendrologue Laboratoire Dendronet
GOUGUENHEIM Sylvain Historien Hiscant-MA

EA 1132

ENS Lyon 2
MIGNOT Philippe Archéologue Direction de l’archéologie Service public de Wallonie
CHANTINNE Frédéric Archéologue

 

Direction de l’archéologie Service public de Wallonie
PETTIAU Herold Historien

 

Laboratoire d’histoire Université de Luxembourg
HARTER Jean-Gabriel Historien EA 2616 Université de Reims
SAMAIN Charlotte Archéozoologue
ADAM Christophe Numismate
GALLAND Sophie Archéologue INRAP
JACCOTTEY Luc Archéologue Laboratoire chrono-environnement INRAP

Tables rondes organisées :

Table ronde de Nancy, en compagnie de tous les acteurs du projet LAFAM. Le 4 avril 2011, salle international de la MSH à Nancy.

Table ronde de Charleville-Mézières, en compagnie de tous les acteurs du projet LAFAM. Le 12 septembre 2011, musée de l’Ardenne à Charleville-Mézières.

Articles liés au projet :

Bertrand (P.) & Moulis (C.), Conception et matérialité de la frontière en l’an Mil : l’exemple des boucles mosanes ardennaises, in Francfort (D.) & Deshayes (J.-L.) dir., Du pointillé au barbelé : les frontières au regard des sciences humaines et sociales, Nancy, PUN, 2010, p. 39-80.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.), Montcy-Notre-Dame (Ardennes), le Château des fées. Deux pièces d’échec. In Grandet (M.) & Goret (J.-F.), Échecs et tric-trac. Fabrication et usages des jeux de tables au Moyen âge. Catalogue de l’exposition du château de Mayenne, éd. Errance, 2012, p. 98-99.

Publications liées au projet :

Moulis (C.) dir., L’Ardenne, Des frontières en l’an Mil, Nancy, PUN, 2015, 277 p.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le Château des fées de Montcy-Notre-Dame. Archéologie d’un site de l’an Mil, Nancy, PUN, 2016, env. 200 p. (à paraître)

Rapports produits :

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le château des fées, mémoires de confins de l’Ardenne en l’an Mil, Bilan 2009 et perspectives 2010, 2009, 67 p.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le château des fées. L’Ardenne, des frontières en l’an Mil, Bilan 2010, 2011, 96 p.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le château des fées. L’Ardenne, des frontières en l’an Mil, Bilan 2011, 2012, 89 p.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le château des fées. L’Ardenne, des frontières en l’an Mil, Bilan 2012, 2013, 52 p.

Lémant (J.-P.) & Moulis (C.) dir., Le château des fées. Archéologie d’un site de l’an Mil, Bilan d’activités 2009-2013, 2014, 220 p.

Communications :

C. Moulis, Présentation du relevé topographique et des données archéométriques pour le Château des Fées, Séminaire de travail du 3 mars 2010 organisé par C. Moulis « Autour du Château des Fées », Nancy (MSH Lorraine).

Table Ronde de J.M. Poisson & Ph. Mignot (dir.), L’archéologie des résidences aristocratiques du Xe siècle dans la Francia Media, 30-31 mai 2011, Amay (Belgique). Communication : C. Moulis : Aux confins de l’Ardenne : le Château des Fées de Montcy-Notre-Dame. Publication prévue.

C.Moulis, J.-P. Lémant, Le Château des fées de Montcy-Notre-Dame, sentinelle d’Ardenne, 13 février 2015, Charleville (Rotary Club), 20 juin 2015, Musée de l’Ardenne (Journées nationales de l’archéologie), et 12 septembre 2015, Montcy-Notre-Dame.


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