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Comptes rendus / Reviews

Livio Antonielli (éd), La polizia in Italia nell’età moderna / Livio Antonielli, Claudio Donati (éd), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (XVI-XIX sec.)

coll. « Stato, esercito e controllo del territorio », Soveria Manelli, Rubbettino, 2002, 214 p., ISBN 88-498-802511 / coll. « Stato, esercito e controllo del territorio », Soveria Manelli, Rubbettino, 2003, 326 p., ISBN 88-498-0638-7
Marco Cicchini
p. 173-176
Référence(s) :

Livio Antonielli (éd), La polizia in Italia nell’età moderna, coll. « Stato, esercito e controllo del territorio », Soveria Manelli, Rubbettino, 2002, 214 p., ISBN 88-498-802511

Livio Antonielli, Claudio Donati (éd), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (XVI-XIX sec.), coll. « Stato, esercito e controllo del territorio », Soveria Manelli, Rubbettino, 2003, 326 p., ISBN 88-498-0638-7

Texte intégral

1Les lecteurs francophones ont pu découvrir récemment le bel ouvrage de Paolo Napoli (Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société), riche et stimulante histoire du droit de police en France. Cette contribution devrait attirer l’attention sur le dynamisme de l’historiographie italienne dans ce champ. En effet, régulièrement depuis 1998, des chercheurs actifs dans la Péninsule ont été réunis autour de Livio Antonielli pour faire le point sur les travaux réalisés, en cours de réalisation ou en projet qui concernent l’histoire de la police en amont de l’unification italienne. Fruits des rencontres de 1998 et 2000, deux ouvrages sont parus dans la collection programmatique « Stato, esercito e controllo del territorio » (« État, armée et contrôle du territoire ») de l’éditeur Rubbettino.

2Ouvrage inaugural de la collection, paru en 2002, La polizia in Italia nell’età moderna se veut un premier repérage de ce vaste chantier. Le livre a été conçu comme le reflet fidèle du séminaire d’étude qui a vu la participation d’une vingtaine d’historiens et d’historiens du droit. Sept contributions ouvrent chacune une séance de débats dont les prises de position des participants sont également éditées. L’éditeur Livio Antonielli a fait le pari de livrer pratiquement à l’état brut la matière de discussions souvent polyphoniques, plus ou moins linéaires, parfois même dissonantes. Si la vivacité des débats demeure, des références bibliographique viennent donner du crédit au propos. On regrettera en revanche que les sources ne sont jamais convoquées.

3Bien que le livre s’organise autour de sept chapitres clairement définis – le concept de police; l’émergence d’une police moderne; les fonctions de police; les normes de police; les hommes de la police; l’image de la police; les pistes de recherche dans le domaine – un résumé des chapitres n’aurait aucun sens ici face à l’élasticité de l’objet de police : le mot polizia, et c’est un constat déjà bien connu que fait Paolo Preto en ouverture de ce dossier, n’a qu’un sens très général pour désigner les règles du « bon gouvernement », jusqu’à la période napoléonienne. Après quoi, le mot commence progressivement à désigner une partie de l’administration chargée de la surveillance et de la tranquillité publiques ou fait référence aux lieux et personnes qui concrétisent l’institution de police.

4Dans cette matière dense et souvent chaotique, une problématique ressort de manière récurrente qui touche au problème de la continuité/rupture des conceptions et institutions de police. Si tous les participants, ou presque, identifient un point d’inflexion situé au tournant du XVIIIe siècle, où faut-il en chercher les causes ? Pour Giorgia Alessi, exploitant les termes d’Elena Fasano, l’émergence d’une police moderne serait figurée par l’apparition de corps distincts des anciennes institutions communales ou des juridictions ordinaires avec pour fonction le « disciplinement matériel du territoire ». Selon elle, la nouvelle donne qui aurait permis cette transformation tient aux trois éléments suivants : la réforme des techniques de gouvernement – elle pense ici au modèle militaire à partir duquel les corps de police sont progressivement (ré)organisés dès la fin du XVIIIe siècle comme l’évoque Livio Antonielli; la prolifération au cours du XVIIIe siècle des règlements de police comme nouvelle forme de légitimation du pouvoir – telle que Bernardo Sordi en montre les aspirations et les limites dans ce même volume; le déploiement des sciences sociales naissantes et du savoir médical dans le contrôle social. Sans nier ces transformations, Maura Piccialuti insiste sur la portée innovante de la période napoléonienne. Le code pénal de 1810, et donc la séparation qu’il implique entre le pouvoir judiciaire d’une part et un organe policier homogène et identifiable en tant que tel d’autre part sont essentiels dans la transformation de la police.

5Une autre thématique sur laquelle ce recueil apporte de la matière concerne l’image très négative des sbirri, notoirement connue, notamment à travers le portrait sans concession que leur dresse Alessandro Manzoni dans les Promessi sposi. Livio Antonielli apporte sur ce point des réponses convaincantes qu’il conviendrait de mettre à l’épreuve plus généralement : les sbirri, adjoints ou exécutants de justice (« esecutori di giustizia »), présents à peu près dans toute l’Italie à l’exception notable du Piémont (comme le signale Michael Broers) n’auraient pas eu de comportements en soi abusifs, mais auraient occupé des fonctions estimées indignes par la population comme les arrestations, le transport des détenus, les visites domiciliaires.

6Au final, cette publication met en scène une tension sur l’approche même de l’objet de la police inhérente aux différentes disciplines concernées par le domaine. En schématisant l’opposition, les historiens du droit proposent une analyse conceptuelle de la police dans son sens large et l’évolution du concept au moment de l’affirmation de l’État de droit. Sur un versant plus pragmatique, les historiens s’intéressent aux activités de police – au sens entendu aujourd’hui – pour chercher à identifier les organes et les corps qui assumaient ordinairement les tâches du maintien de l’ordre avant l’émergence de la police moderne. Bien des thématiques sont abordées dans ce livre, malheureusement souvent sans pouvoir être approfondies, la méthode des tours de paroles ne le permettant pas. C’est sans doute la limite majeure de cet ouvrage de suggérer bien des pistes, de susciter la curiosité sans que celle-ci puisse être satisfaite. Faut-il, comme le suggère Elena Brambilla, comprendre l’avènement de la police moderne à partir du vide laissé par l’abolition des tribunaux ecclésiastiques et du Saint-Office ? Comment circulent les modèles de police entre les États italiens pré-unitaires ? Signalons encore la précieuse bibliographie qui énumère un peu plus de 200 études récentes dans le champ pour l’Italie.

7Le second livre, Corpi armati e ordine pubblico in Italia (XVI-XIX sec.), qu’Antonielli édite avec la collaboration de Claudio Donati dans la même collection que le précédent, est comme l’écho empirique des amorces lancées par le premier ouvrage. En promouvant les approches des pratiques effectives de police, les éditeurs de ce volume ont cherché à croiser les apports de l’histoire militaire avec ceux de l’histoire de la police. Les contributions recueillies – on ne retrouve plus que des historiens – se concentrent sur les corps militaires qui en Italie ont, entre XVIe et XIXe siècles, déployé des activités du maintien de l’ordre. Contrairement au précédent volume, celui-ci présente des résultats de recherches toujours originaux en réunissant dix contributions autonomes, richement documentées par des sources. Ce qui ressort des contributions est d’abord une grande homogénéité des approches et des méthodes. Fruits de recherches menées dans les archives des institutions judiciaires ou militaires des États italiens, les textes s’inscrivent tous dans une histoire sociale et institutionnelle du personnel commis au maintien de l’ordre. Si certains États italiens, comme le Piémont, ont déjà fait l’objet d’études (voir les travaux de Walter Barberis, Sabina Loriga et plus récemment de Paola Bianchi dont on trouve ici une contribution), ce livre comble en partie des lacunes sur bien d’autres régions et institutions de la Péninsule.

8C’est le cas notamment du Grand-Duché de Toscane qui bénéficie de deux contributions complémentaires articulées sur deux tranches chronologiques successives. Franco Angiolini apporte des données essentielles sur les milices médicéennes – les Bande medicee – qui entre 1534 et 1753 enrôlent jusqu’à 5 % des sujets toscans, engagés plus ou moins volontairement selon les périodes. Initialement formées pour compléter les troupes professionnelles dans les efforts de guerres des Médicis, les milices sont affectées à partir du XVIIe siècle à des tâches d’ordre public, dans la poursuite, comme l’affirme un document officiel de 1738, « des malvivants, déserteurs et contrebandiers, pour renforcer la garnison et choses similaires ». Finement, Angiolini montre que le privilège du port des armes moyennant lequel la population s’enrôlait supplante progressivement les privilèges fiscaux ou sociaux, celui-là étant moins contesté dans les communautés locales. À partir du gouvernement lorrain, comme le montre Alessandra Contini, l’armée se professionnalise sur les modèles du Piémont et de Hesse-Kassel. Mais l’abolition des milices traditionnelles laisse un vide sur le contrôle du territoire qui ne sera comblé qu’à partir des réformes de Léopold.

9Bien d’autres contributions apportent des éléments originaux à l’historiographie italienne : dans son étude très pointue, Andrea Zanini par exemple, décrit une situation des milices dans la République génoise, proche des milices toscanes : moyennant des privilèges dont non le moindre était le port d’armes, des communautés désignent dans les milices ordinaires des individus spécialement détachés par la poursuite des banditi. De son côté, Elena Brambilla reprend le fil d’une interrogation laissée en suspend par le premier livre : elle s’intéresse à la police des tribunaux ecclésiastiques dans le cadre de la réforme pénale du XVIIIe siècle. Tout un personnel au service des évêques et des inquisiteurs est actif dans la poursuite de délits moraux. Au moment où les tribunaux ecclésiastiques et le Saint-Office sont abolis et où la réforme pénale est engagée dans la laïcisation de la justice, par exemple en Toscane dans les années 1780, non seulement certains comportements (propagande antireligieuse, adultères, sodomie, etc.) ne sont pas dépénalisés, mais aussi les activités policières dans la poursuite de ses délits, jusque-là souvent secrètes, prennent place dans les nouvelles institutions policières.

10Si le dynamisme des chercheurs italiens n’est que valorisé par cette nouvelle collection, on peut s’interroger sur la capacité des historiens de la Péninsule à intégrer les travaux menés en parallèle dans d’autres aires culturelles. Hormis les références à G. Oestreich, M. Foucault et C. Emsley, on ne peut que constater sur ce point l’absence de comparaisons qui ne soient internes à l’Italie. Mais c’est aussi ce qui fait la richesse du cas italien, puisqu’il est démultiplié par autant d’États contigus à la veille de l’unification.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marco Cicchini, « Livio Antonielli (éd), La polizia in Italia nell’età moderna / Livio Antonielli, Claudio Donati (éd), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (XVI-XIX sec.) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 8, n°2 | 2004, 173-176.

Référence électronique

Marco Cicchini, « Livio Antonielli (éd), La polizia in Italia nell’età moderna / Livio Antonielli, Claudio Donati (éd), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (XVI-XIX sec.) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 8, n°2 | 2004, mis en ligne le 19 février 2009, consulté le 16 mai 2015. URL : http://chs.revues.org/482

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Auteur

Marco Cicchini

Université de Genève, marco.cicchini@lettres.unige.ch

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