Skip to navigation – Site map
Articles
Variations on Policing / Variations sur la police

Policiers, gendarmes et signalement descriptif. Représentations, apprentissages et pratiques d’une nouvelle technique de police judiciaire, en France à la Belle Époque

Laurent López
p. 51-76

Abstracts

From the 1880s onwards, new identification techniques worked out by Alphonse Bertillon at the Préfecture de Police de Paris (Paris Police Headquarters) were seen as modern and efficient means for the CID’s fight against what is seen as an irresistible crime-wave. One of these was the « spoken portrait » which supposedly, by a careful and systematic description of one’s facial features, enabled a perfect identification. Interestingly, unlike any other, this technique was, taught within the various components of the French police, namely the Paris headquarters police officers, the Sûreté générale officers as well as the gendarmes and Republican Guards. Each organisation implemented the technique in its own way, with unequal results. But contrary to what is commonly believed, learning and using the «spoken portrait» had the unexpected effect of fostering cooperation between police officers and gendarmes.

Top of page

Full text

  • 2 Joly (1888, p.VII).
  • 3 Joly (1889, p. 15).
  • 4 Ibid.
  • 5 Pour la France, Kalifa (1995, 2005); pour l’Angleterre, Emsley (1987, pp. 245-246).
  • 6 Chauvaud (1991, pp. 35-36); Farcy (1992) et pour une étude plus précise (2005).
  • 7 Le Temps, 10 décembre 1880.
  • 8 Sur l’essor des techniques d’identification en France, Kaluszynski (1987); Genèses, 54, particulièr (...)
  • 9 Voir le Compte général de l’administration de la justice criminelle (CGAJC) durant la période.

1« La question capitale est évidemment celle-ci : la société peut-elle quelque chose pour ralentir la marche du crime et en atténuer les effets ? »2. Aux yeux d’Henri Joly – philosophe proche du milieu judiciaire –, cette prolifération ne serait pas « une apparence créée par une vigilance […] plus victorieuse de la gendarmerie, de la police et de la magistrature »3 mais bien un fait confirmé par la statistique « car d’après les Comptes généraux de la justice criminelle le nombre d’affaires non élucidées serait passé de 9 000 en 1825 à 74 098 à la fin des années 1880 »4. Ce constat de l’impéritie des forces de l’ordre s’ajoute aux critiques d’une presse à grand tirage, qui entretient le sentiment d’insécurité, depuis la fin du Second Empire, en cultivant l’image d’une criminalité omniprésente5. Face à cette situation – qui ne correspond pourtant pas à une réalité tendanciellement en baisse depuis la Restauration6 –, les nouveaux gouvernants doivent montrer qu’ils savent que « […] la politique ne vit point de formules, mais de réalité »7. Au début des années 1880, les procédés développés par Alphonse Bertillon en matière d’anthropométrie criminelle, à la Préfecture de police de Paris (PP), fournissent des nouvelles armes à la police judiciaire8. Parmi celles-ci figure un procédé de signalement – le « portrait parlé » – qui prétend identifier un individu recherché d’après la description méthodique et normalisée de son visage. L’apprentissage de cette technique donne lieu à un cours organisé dès 1895 pour les agents de la PP. à partir de 1902, de manière inédite, des gendarmes bénéficient de cette formation professionnelle, sanctionnée par l’attribution d’un brevet. L’empreinte du « portrait parlé » sur la gendarmerie doit être largement décrite car, d’une part, son application est a priori problématique dans cette force militaire de police et, d’autre part, parce que celle-ci réalise la majeure partie des actes de police judiciaire dans le pays9; les transformations éventuelles des pratiques des militaires sont donc susceptibles d’avoir les effets quantitatifs les plus apparents dans les statistiques judiciaires. De plus, l’introduction de cette technique dans les rangs des gendarmes ouvre à la compréhension du cadre plus général de leurs relations avec les policiers en matière de police judiciaire. Elle pose également la question de la diffusion d’une procédure technique commune entre des institutions distinctes, certes, mais, néanmoins, appelées à renforcer leur coopération dès le tournant des XIXe et XXe siècles.

2Alors que la technique du « portrait parlé » est le sujet de nombreux développements – voire d’ouvrages – de contemporains qui louent A. Bertillon, son application est délaissée par l’historiographie ou, au mieux, rapidement déduite de ces sources. Or, celle-ci connaît une diffusion variable au sein de la nébuleuse policière française. L’évocation succincte des innovations anthropométriques d’A. Bertillon amènera à la comparaison des différentes catégories d’élèves participant au cours pour comprendre l’inégalité de leurs résultats à l’examen du brevet. Il faudra alors essayer de percevoir l’introduction éventuelle de cette technique dans les recherches judiciaires des diverses forces de l’ordre pour voir, enfin, si la possession d’un brevet professionnel commun a favorisé la coopération des polices françaises à la Belle Époque et, partant, une hausse de la productivité répressive.

1. « […] le portrait parlé constitue en même temps un procédé de filature et une méthode d’identification des récidivistes »10

  • 10 Garraud (1913, p. 222).
  • 11 Mairet (1882, p. 14).
  • 12 Kaluszynski (2002). Préoccupation à l’échelle européenne puisqu’en 1876, C. Lombroso développe sa t (...)
  • 13 Bertillon (1893, note 1, pp. LXVI-LXVII).
  • 14 Note de service du préfet de police aux commissaires de police, 4 mars 1902, APP (Archives de la PP (...)

3À la Belle Époque, la PP s’impose non seulement par l’ampleur de ses effectifs mais aussi par l’élaboration de nouvelles techniques de lutte contre la criminalité. Alphonse Bertillon y développe des méthodes novatrices d’identification des suspects. Depuis la loi de relégation votée en 1885, la lutte contre les récidivistes, « éminemment dangereux »11, – sanctionnés plus lourdement par les tribunaux – est passée des discours aux pratiques institutionnalisées. Formant un système original de mensuration et de photographie des individus arrêtés, le « bertillonnage » bénéficie d’un contexte politique et idéologique particulièrement favorable dans la République parlementaire et positiviste12. L’anthropométrie bertillonienne consiste à mesurer d’abord le corps dans son ensemble puis minutieusement les bras et des doigts de la main gauche, les jambes, et, surtout, la tête. Bertillon estime que sept mensurations sont nécessaires pour reconnaître infailliblement un individu récidiviste, déjà passé par son service. De plus, par la reconstitution d’un fichier commodément utilisable, Bertillon promet une reconnaissance rapide des récidivistes à une époque où il affirme qu’« […] il n’y a pas un seul exemple véridique d’une arrestation déterminée uniquement par la description physique du sujet »13. Ses réussites sont consacrées par l’application systématique de l’anthropométrie aux détenus conduits au dépôt de la Préfecture de police, à partir de 1888, et également par la création du service de l’Identité judiciaire en 1893. En mars 1895 est institué un cours de signalement descriptif, ou « portrait parlé », pour les policiers parisiens alors que l’apprentissage du signalement anthropométrique était prioritairement réservé au personnel pénitentiaire des prisons parisiennes depuis deux ans. À partir de 1902, le cours de signalement descriptif est bihebdomadaire, le mercredi et le vendredi, et dure désormais deux heures au lieu d’une. Organisé durant deux mois pour chaque promotion, il donne lieu à six sessions par an, comptant chacune vingt à vingt-cinq auditeurs. Les personnels soumis pour la première fois à l’examen du brevet commencèrent leur formation le 12 mars 190214. Aux objectifs de rédaction et de conservation des fiches anthropométriques, l’Identité judiciaire ajoute, désormais, celui de la formation des personnels des services actifs. Les conditions d’une large diffusion du « bertillonnage » au sein de l’institution policière sont apparemment posées.

  • 15 Bertillon (1893, p. 137).
  • 16 Bertillon (1897, p. 65).
  • 17 Gross (1899, p. 511).
  • 18 Locard (1906a, p. 148).
  • 19 Niceforo (1907, pp. 319-356).
  • 20 Sans développer la subjectivité évidente d’une telle caractérisation, comment distinguer alors le c (...)

4Contrairement au signalement anthropométrique, le signalement descriptif n’a pas besoin d’appareils de mesures. L’œil de l’agent expérimenté constitue son principal outil d’identification. D’abord destiné au personnel du dépôt de la PP, le cours de « portrait parlé » dispense un savoir professionnel empirique que son inventeur définit comme « la description minutieuse d’un individu faite spécialement en vue de sa recherche et de son identification sur la voie publique »15. Le « portrait parlé » est donc opportunément présenté comme l’arme décisive contre une criminalité conquérante; il répond aux contempteurs des forces de l’ordre qui leur reprochent l’incapacité à repérer les malfaiteurs qui sillonneraient impunément le pays. Ainsi, Bertillon assure qu’« il a été possible de retrouver au milieu de plus de cent détenus […], des individus dont […] le portait parlé, avait été rédigé hors de la présence du sujet, sur sa photographie prise lorsque, simplement prévenu, il avait encore barbe, cheveux et habit de ville »16. L’Autrichien Hans Gross – l’un des promoteurs de la criminalistique en Europe – souligne le mérite du Français et accrédite l’idée de l’efficacité de sa technique en alléguant qu’il lui « revient l’honneur d’avoir créé de toutes pièces, un procédé qui, sans l’aide d’aucune photographie, fondé uniquement sur une description précise et scientifique d’un certain nombre de traits du visage, permet à l’agent qui sait s’en servir, de retrouver, d’identifier au milieu de la foule, et ce, à coup sûr, l’individu dont il possède le portrait parlé »17. Le criminaliste lyonnais Edmond Locard attribue au chef de l’Identité judiciaire parisienne l’élaboration du « système le plus parfait du portrait parlé »18. Ce type de signalement isole des parties du visage – front, nez, oreille droite, forme de la tête de profil et de face, sourcils, paupières, lèvres – et les décrit successivement en les qualifiant par les adjectifs : « petit » – abrégé par un « p » –, « très petit » – résumé par « p » –, « légèrement petit » – exprimé par « (p) » –; ou « grand » – « g » –, « légèrement grand » – « (g) » –, « très grand » – « g » –. Une fois caractérisées par leur taille, ces parties sont décrites en indiquant leur forme et de leur direction – « concave » – « conc » – ou « convexe » – « conv »19. La couleur des yeux, poils et cheveux, la pigmentation, ainsi que les marques particulières éventuelles – tatouage, cicatrice, brûlure, etc. – sont également précisées par un lexique spécifique et des dizaines de symboles abrégeant ses termes. Les détails moyens ne sont pas mentionnés pour ne pas alourdir la description20. L’exemple des multiples traits à formuler – donc à retenir – pour caractériser le nez est particulièrement significatif pour comprendre le systématisme de la méthode mais aussi sa complexité :

Nez – Profondeur de la racine : petite, moyenne, grande
Dos : cave, rectiligne, vexe, busqué (variété = sinueux ou non)
Base : relevée, horizontale, abaissée
Hauteur : petite, moyenne, grande
Saillie : petite, moyenne, grande
Largeur : petite, moyenne, grande
Particularités : forme de la racine (étroite ou large, petite ou grande), ligne dorsale, forme du bout du nez, cloison apparente ou non, forme des narines.

  • 21 Gross (1899, p. 512).
  • 22 Marchesseau (1911, p. 74).

5H. Gross, à qui nous empruntons en partie ces renseignements, rapporte que « la salle étant tapissée de photographies de têtes, en grandeur naturelle, et numérotées, les élèves, dès que la description d’un caractère est terminée, lèvent les yeux et indiquent au professeur les photographies où se rencontre le caractère en question »21. Ce sont donc au total des centaines de traits morphologiques et chromatiques du visage qui doivent être mémorisés pour composer ou lire cette description analytique, décomposée en une quinzaine de rubriques. En effet, la fiche du « portrait parlé » devra « être apprise par cœur et conservée par un policier chargé de rechercher sur la voie publique l’individu auquel la fiche est applicable »22.

6Apparue dans un contexte d’exacerbation sécuritaire, la technique du « portrait parlé » répond, à première vue, à un impératif d’efficacité policière. Or, l’étude des différentes catégories participant au cours révèle que ce brevet commun masque des enjeux professionnels divers.

2. « […] tous les jeudis après-midi, nous allions au service anthropométrique de la préfecture de police, quai des Orfèvres, où nous suivions des cours de “portrait parlé” »23

  • 23 Forestier (1983, p. 118).
  • 24 Rapport de la Direction générale des recherches (1903, p. 124).
  • 25 Ibid.
  • 26 Achille (1909, p. 133); selon ce rapport, une centaine de « mobilards » auraient été brevetés en 19 (...)
  • 27 Hogier Grison (1887, p. 1).
  • 28 L’expression et les informations sont empruntées à Berlière (1996). Lire son indispensable thèse (1 (...)
  • 29 La maréchaussée et la gendarmerie sont mieux connues grâce aux recherches animées par Jean-Noël Luc (...)
  • 30 Voir Berlière (1993).
  • 31 Berlière (1996, pp. 133-162).

7Le décret du 6 mars 1895 porte création du « cours dit de signalement et de reconnaissance anthropométriques à l’usage des agents relevant du service de la Sûreté, du service des garnis, des brigades de Recherches et du Contrôle Général »24; il « a été étendu progressivement aux fonctionnaires et agents des commissariats ». Ensuite, « des cours particuliers furent successivement ouverts pour les inspecteurs de la police des chemins de fer […], pour les élèves officiers de l’école de Gendarmerie […], les gardiens de prison […] »; « des commissaires de police de la Ville de Paris, des officiers de la Garde républicaine et de la Gendarmerie, des fonctionnaires de nationalité étrangère […] obtinrent l’autorisation administrative de suivre ces leçons »25. S’ajoutent à cette théorie les policiers des brigades mobiles (BM) qui fréquentent en nombre croissant le cours, à partir de 190826. Or durant la Troisième République, le manque de cohésion entre les différents acteurs de l’ordre public est particulièrement souligné pour expliquer la hausse de la criminalité. Car la police héritée du Second Empire n’est pas une; « quand nous disons la police, nous employons une expression impropre, nous devrions dire les polices »27. En effet, l’institution policière française est un « singulier pluriel »28 marqué par la diversité des acteurs et le cloisonnement des autorités qui l’animent. Le dualisme institutionnel entre des forces civiles relevant du ministère de l’Intérieur – policiers de la Sûreté générale (SG) et commissaires municipaux – et des forces militaires relevant du ministère de la Guerre – gendarmerie nationale et Garde républicaine à Paris29 – structure un premier clivage. Aucune de ces polices n’a de véritable compétence nationale. En dépit de l’épithète qualifiant la gendarmerie, ses agents ont des pouvoirs limités à leur circonscription de résidence, c’est-à-dire le canton pour les quatre mille brigades environ quadrillant l’hexagone. Quant aux effectifs civils, ils sont essentiellement municipaux; depuis 1795, les villes de plus de cinq mille habitants ont l’obligation de rétribuer un commissaire de police – nommé par le ministère de l’Intérieur –, qui a sous sa direction des agents recrutés et salariés par la commune. À l’échelle la plus large, c’est le cas de la police parisienne, soumise au préfet de police mais en partie financée par le conseil municipal, ce qui provoque des tensions récurrentes30. Les services des polices municipales dévolus à la police judiciaire – ou services de sûreté – sont étiques, sauf dans quelques rares grandes villes. La Sûreté parisienne est une exception, dont les réussites masquent les carences sur le reste du territoire. En effet, la SG n’a pas de services de police judiciaire avant 1907. Les quelques centaines de fonctionnaires de ses services actifs forment depuis le début des année 1850 la « police spéciale des chemins de fer », qui se consacre surtout au renseignement administratif31; leurs compétences s’arrêtent aux limites de leur département et de leur réseau d’affectation. La création de douze « brigades mobiles régionales de Police judiciaire », le 30 décembre 1907, inaugure une remarquable évolution institutionnelle; strictement chargées de police judiciaire – du moins officiellement –, elles surveillent chacune plusieurs départements.

8Une formation professionnelle commune est donc dispensée à des représentants des principales forces policières de la République. Le tableau suivant indique leur proportion par rapport au nombre total d’élèves :

  • 32 D’après le Rapport du Contrôle général de la Direction des Recherches (1913).

Statistiques des élèves ayant suivi le cours de signalement descriptif entre 1902 et 191232

Catégories

Effectifs

Proportion

(en %)

Policiers de la PP

1957

74,5

Fonctionnaires de la SG

420

16

Gendarmes et gardes républicains

180

6,8

Fonctionnaires étrangers

70

2,7

Total

2627

100

  • 33 Lignereux (2002).
  • 34 López (2003).
  • 35 Vraie Police (1899).
  • 36 Forestier (1983, pp. 117-122).
  • 37 Id., p. 121.
  • 38 Ibid.
  • 39 En d’autres circonstances, non seulement Forestier témoigne d’une semblable aménité à l’égard des p (...)

9La participation des militaires de la gendarmerie à cet enseignement offre un angle très particulier, voire atypique, d’observation des relations nouées par des acteurs du système dual né durant la période révolutionnaire33. Cette dualité, associée à la différence entre statut militaire des gendarmes et condition civile des policiers, a favorisé l’essor de représentations faisant de ces deux catégories des rivales irréductibles34. Émile Lagarde constate ainsi que la gendarmerie et la police, « dans bien des villes, […] font le plus mauvais ménage du monde, elles se chicanent, […] se nuisent gravement l’une l’autre […] et portent atteinte au principe d’autorité dont elles sont dépositaires »35. La présence des militaires aux côtés des policiers peut donc surprendre. Elle s’explique par la création, le 3 janvier 1901, de l’École des sous-officiers de la gendarmerie. Ses élèves sont accueillis pendant six mois à la caserne Schomberg – voisine de la PP –, et encadrés par des officiers de la Garde républicaine. Sortis du rang, ces aspirants au grade de sous-lieutenant reçoivent un enseignement essentiellement militaire, complété par le cours de « portrait parlé ». Obtenant son brevet en 1907, le sous-officier Forestier évoque plus particulièrement les séances de reconnaissance organisées dans la cour de la PP36. Celles-ci ne sont pas considérées comme un divertissement quelque peu étrange mais prises au sérieux puisque les gendarmes sont « tous quelque peu inquiets »37; Forestier rapporte qu’« il s’agissait de trouver, parmi une centaine d’individus, appartenant tous au service de la Sûreté et allant et venant dans la cour, celui dont M. David nous aurait remis la fiche. Cette fiche ne comportait ni l’âge, ni la taille de l’intéressé; nous avions dix minutes pour l’étudier et retenir trois signes bien déterminés. Nous devions ensuite mettre la fiche dans notre poche et partir à la recherche de notre homme; les candidats à l’examen étaient compris dans le groupe des suspects possibles »38. La coexistence avec les policiers est plus que pacifique puisque le militaire conseille avec bienveillance un inspecteur stagiaire en difficulté. L’épisode nuance l’image du contentieux institutionnel séculaire dont la gendarmerie et la police seraient parties39.

10À l’instar de Forestier, les officiers de la Garde et les élèves officiers de la gendarmerie obtiennent tous leur brevet, ainsi que – pour les personnels de la Préfecture de police – les commissaires de police, les inspecteurs principaux et les sous-brigadiers, comme le tableau ci-dessous l’indique :

  • 40 D’après le Rapport de la Direction générale des Recherches (1903).

Statistique des élèves ayant suivi le cours de signalement descriptif en 1902 rapportée à leur taux de réussite40

Autorité de tutelle

Fonction

Élèves ayant suivi le cours

Élèves ayant obtenu le brevet

Élèves n’ayant pas obtenu le brevet

Taux de réussite (en %)

Préfecture de police

Commissaire de police

14

14

/

100

  

Secrétaire de commissariat

46

37

9

80,4

  

Inspecteur principal

1

1

/

100

  

Inspecteur

34

30

4

88,2

  

Inspecteur stagiaire

51

38

13

74,5

  

Sous-brigadier

12

12

/

100

  

Gardien de la paix

8

6

2

75

Gendarmerie

Officier (Garde républicaine)

4

4

/

100

  

Élève officier

18

18

/

100

SG

Inspecteur de la police spéciale

40

30

10

75

  

Totaux

228

190

38

  

11Comment interpréter cette réussite par rapport aux catégories qui connaissent une moindre fortune ? L’établissement d’une corrélation entre niveau d’étude et obtention du brevet est-elle pertinente ?

  • 41 Girardet (1998, p. 143).
  • 42 Ces renseignements figurent dans Berlière (1993, p. 126 et suiv.).
  • 43 Berlière (1996, p. 71).
  • 44 La France, 14 février 1886.

12L’instruction des officiers de la Garde républicaine est d’un niveau supérieur pour l’époque, puisque « l’officier de la nouvelle armée est essentiellement un officier d’école […]; saint-cyrien ou polytechnicien, il n’a vécu que dans une atmosphère de collège […] »41. Le profil des élèves de l’École des sous-officiers se rapproche plus de celui de la majorité des Français puisque la plupart sont alors titulaires d’un certificat d’études primaires. Des états de service satisfaisants, la considération de ses chefs et un niveau d’instruction jugé suffisant ont présidé à l’admission d’Ignace-Émile Forestier à l’école de la caserne Schomberg, en janvier 1907. L’instruction des commissaires de police est plus hétérogène42. Si ce corps compte des bacheliers et des licenciés en Droit – ces derniers étant dispensés du concours d’admission fixé par l’arrêté du 25 janvier 1894 –, la Direction de la Sûreté générale manifeste des efforts récurrents pour élever les compétences professionnelles des commissaires, notamment en démilitarisant le corps puisque la moitié des effectifs bénéficie alors des emplois réservés aux anciens militaires. La création d’une école pratique des élèves commissaires de police à Lyon et à Bordeaux, en 1895, participe de la même tendance. À la PP, le niveau de recrutement des commissaires s’élève également, notamment sous l’effet de l’examen détaillé plus loin; celui-ci devient un moyen d’entraver la carrière des policiers admis sur recommandation, pratique alors relativement répandue. Recrutés sur concours parmi les commissaires, les inspecteurs principaux sont les adjoints des officiers de paix, chargés de la direction des agents de police d’un arrondissement. Parmi les personnels sous leur direction, des sous-brigadiers, catégorie qui, elle aussi, enregistre une réussite complète à l’examen. Leur recrutement s’opère parmi les agents de police, dont l’origine militaire est prépondérante puisque ce sont près des 5/6e des personnels de la PP ou de la SG qui bénéficient, au début du siècle, des emplois réservés à d’anciens militaires43. En 1883, l’École pratique de police municipale est créée; destinée aux gardiens de la paix, ils y acquièrent des rudiments professionnels et orthographiques. Néanmoins, la faiblesse de leur instruction est raillée et le recrutement d’anciens gendarmes « venant d’une province quelconque, connaissant à peine Paris »44 est considéré comme une faiblesse. Les sous-brigadiers et brigadiers sont choisis parmi les plus doués des agents « ostensibles ». Leur niveau scolaire est comparable à celui des simples gendarmes qui maîtrisent la lecture et l’écriture, nécessaires à la rédaction des procès-verbaux. L’enseignement anthropométrique complète cette formation professionnelle.

  • 45 Berlière (1993, p. 132).
  • 46 Note ministérielle, 10 mars 1886, relative aux demandes d’emplois civils ou militaires par les sous (...)

13Quel est le degré d’instruction des catégories qui échouent partiellement à l’examen ? Les secrétaires de commissariat – qui, seuls, peuvent devenir commissaires de la Ville de Paris – sont « recrutés sur examen parmi les bacheliers, les diplômés en droit ou les secrétaires suppléants »45. L’échec d’environ 20 % d’entre eux étonne donc, en regard des succès des sous-brigadiers ou des élèves officiers de la gendarmerie. Faut-il l’imputer à la surcharge de travail que les commissaires de police leur imposent ou au fait que, pour certains, l’examen leur est inutile ? Il surprend d’autant plus en comparaison du niveau scolaire des inspecteurs, inspecteurs stagiaires et gardiens de la paix. Reste la catégorie des inspecteurs de la police spéciale. Leur recrutement, essentiellement militaire, pose le problème de compétence du corps puisqu’une instruction ministérielle de 1886 déplore qu’« on voit se présenter […] des sous-officiers dont beaucoup sont […] anciens de service mais n’ont qu’une instruction primaire très insuffisante »46. L’échec du quart d’entre eux s’expliquerait ainsi aisément.

  • 47 Le Rapport de la Direction générale des recherches souligne que ce diplôme « sera exigé de tous les (...)
  • 48 Policiers, gendarmes de la compagnie de la Seine et gardes républicains sont étroitement, et quotid (...)
  • 49 Voir les notes 24 et 26.
  • 50 Ryckère (1913, p. 564).

14En définitive, l’étude de la composition des élèves ayant suivi le cours de signalement descriptif en 1902, montre que l’instruction n’est pas la condition principale du succès à l’examen. Il existe une réelle hétérogénéité de niveau scolaire au sein des deux groupes présentés – ceux qui réussissent en totalité et ceux qui échouent en partie. Quels peuvent être les facteurs explicatifs de ces écarts ? Ce brevet est d’abord destiné aux fonctionnaires de la PP et s’inscrit dans la volonté de professionnalisation de ses personnels47. Sélectif, cet examen constitue de facto un concours d’accès aux postes vacants les plus convoités. À défaut de pouvoir éliminer les inconvénients du recrutement décrits plus hauts, il devient un moyen de les réduire. En revanche, peu importe pour les effectifs de la PP que l’intégralité des gendarmes inscrits réussisse cet examen. La nécessaire entente entre officiers de la Garde, gendarmes et policiers parisiens est une des conditions du maintien de l’ordre efficace organisé par le préfet de police48. Il faut donc éviter que des militaires échouent à l’examen, ce qui pourrait être perçu comme une vexation et provoquer un ressentiment nuisible à l’entente nécessaire avec les policiers parisiens. L’hypothèse peut ainsi être avancée que l’obtention du brevet par les militaires témoigne plus de leur participation au cours que de leur capacité à utiliser convenablement le langage du « portrait parlé ». En outre, s’il n’est pas sûr que les cours aient été identiques pour chacune des catégories d’élèves au regard de l’hétérogénéité problématique de leurs résultats, on peut également s’interroger sur les modalités de l’examen qui leur est réservé. Puisqu’il recouvre des enjeux différents selon les groupes professionnels, ce même brevet concrétisait-il un enseignement identique et un examen équivalent ? Notons d’abord que si gendarmes et policiers partagent les mêmes bancs à la PP, ils ne les occupent pas ensemble49. De plus, il ressort de la visite du juge bruxellois Raymond de Ryckère à l’Identité judiciaire que « ces élèves [officiers] reçoivent un brevet spécial après examen »50 et que la durée de leur formation est près de deux fois moins longue que celle des policiers.

15Puisque l’enseignement du signalement descriptif est d’abord destiné à des policiers, la question de son application et de son adaptation dans la gendarmerie se pose d’emblée. Mais elle met également en lumière les conceptions et les pratiques judiciaires divergentes des militaires qui l’animent.

3. « La gendarmerie est une sorte de police, […] mais une police militaire d’un fonctionnement très différent de celui de la police judiciaire »51

  • 51 Reiss (1914, p. 146).
  • 52 « Dans les villes de moindre importance, où la population fixe est connue individuellement des auto (...)

16Les procédés employés par les gendarmes en matière de police judiciaire ont-ils été significativement modifiés par la présence de certains d’entre eux au cours dispensé à la PP ? Avant même de vouloir avancer une réponse, la pertinence d’une telle interrogation doit être examinée par les hypothèses qui la fondent. En effet, la technique de Bertillon est, selon lui, initialement destinée à lutter contre la criminalité particulière dont les grandes villes seraient les cibles52. Or, la gendarmerie a-t-elle besoin de méthodes d’identification sophistiquées alors qu’elle est particulièrement dévolue à la surveillance des campagnes ? Il faut d’abord souligner que c’est la participation même des gendarmes aux cours dispensés à la PP qui suggère nécessairement cette question; notons, ensuite, que les gendarmes sont présents dans toutes les grandes villes de France – y compris Paris et sa banlieue – et que leurs missions administratives ou judiciaires, sans compter celles d’ordre militaire – peuvent les amener à rencontrer des personnes recherchées par les parquets; ensuite, par son maillage territorial, la gendarmerie est alors sans doute l’institution dont les recherches sont susceptibles d’être les plus efficaces.

  • 53 Pierre (1904, avant-propos); l’officier exagère la nouveauté de ces états qui, encore au début du X (...)
  • 54 Ibid.
  • 55 La gendarmerie compte plus de 21 000 militaires au début du XXe siècle et les effectifs de la Garde (...)
  • 56 Résumé du cours donné à l’école de signalements, PP, 86 p., APP, DB 48.
  • 57 Ce sont encore deux gradés de la Garde républicaine qui assurent un cours de photographie judiciair (...)
  • 58 Note de service du lieutenant Chabannes, commandant l’arrondissement de Romorantin, 13 septembre 19 (...)
  • 59 Rapport du capitaine Poilpré, commandant l’arrondissement de Brignoles, 8 février 1905, SHGN, 83 E (...)
  • 60 Ibid. Niceforo (1907, pp. 354-356) donne des exemples de ces « notations abrégées » probablement me (...)
  • 61 Rapport de l’adjudant Moulis, commandant [par intérim] l’arrondissement de Toulouse, 13 février 190 (...)
  • 62 Ibid.
  • 63 Ibid.
  • 64 Rapport du chef de la brigade de Mansles, 14 février 1905, SHGN, 16 E 658. Dans la 4e légion, cette (...)

17La mesure de la perméabilité des gendarmes à des techniques novatrices d’identification, nées dans une institution parfois ressentie comme foncièrement autre, voire rivale, constitue un premier enjeu. Deux ans après l’entrée des gendarmes dans le cours dispensé à la PP, le lieutenant Camille Pierre publie un manuel décrivant la technique du « portrait parlé ». L’officier de la Garde républicaine se propose d’être un médiateur n’ayant « d’autre but que de permettre aux militaires de la gendarmerie d’arriver rapidement à lire et à utiliser les fiches signalétiques des repris de justice, criminels à rechercher, etc., qui leur sont adressées, sous la forme du “portrait parlé” par le service de Sûreté générale du ministère de l’Intérieur »53. Il pousse même l’ambition jusqu’à voir des gendarmes rédiger des « signalements descriptifs abrégés »54. Alors que le nombre des militaires de la gendarmerie ayant participé au cours reste très faible par rapport aux effectifs de l’Arme55, ce livre vise, par une voie plus large, à familiariser les gendarmes avec des procédés modernes de police judiciaire. Si cet opuscule marque le rôle de la Garde républicaine comme vecteur d’innovation policière dans la gendarmerie à la Belle Époque, nulle part le militaire ne signale son emprunt direct aux manuels qui accompagnent les leçons données par les adjoints d’A. Bertillon56. Il exprime, néanmoins, l’évolution des représentations de la police parisienne parmi de jeunes officiers pour qui s’estompe l’ombre tutélaire de Vidocq. La participation de quelques officiers de la Garde à ces leçons et à l’encadrement des élèves officiers, mais également la proximité géographique, l’entente née des rapports quotidiens avec les policiers parisiens favorisent l’incorporation d’éléments de leur culture professionnelle57. C’est probablement l’initiative de ce militaire – personnelle ou commandée par sa hiérarchie ? – qui donne lieu à une vaste interrogation sur la compréhension et l’utilisation de la méthode par les gendarmes de tous grades. En adressant à ses subordonnés le volume de C. Pierre, le lieutenant Chabannes a pour but – conformément aux ordres de ses supérieurs – de « permettre aux chefs de brigade de déchiffrer et au besoin d’établir succinctement un signalement descriptif […]. Les gradés devront donc l’étudier et en enseigner les parties principales aux gendarmes inscrits au tableau d’avancement pour le grade de brigadier. Le même enseignement pourra être donné dans des théories facultatives aux gendarmes les mieux doués »58. Contrairement aux sources d’origine policière, les rapports des gendarmes posent, d’une part, le problème concret de la possibilité de diffusion d’une méthode ardue parmi un personnel au niveau scolaire hétérogène, et dont les moins instruits savent, au mieux, à peine lire et écrire; d’autre part, ils révèlent la diversité des réactions vis-à-vis d’une technique qui souffre, en tout cas pour certains, du double défaut d’avoir une origine policière et de leur être imposée. Il faut donc prendre garde de ne pas confondre dans leur interprétation, les appréciations des militaires concernant la méthode elle-même et leur sentiment relatif à sa source. Ainsi, les gendarmes du Var reçoivent favorablement cette nouveauté en précisant que « tous les chefs de brigade et candidats connaissent d’une façon satisfaisante les principaux caractères du signalement descriptif dit “Portrait parlé”. Ils sont, presque tous, susceptibles de déchiffrer et, au besoin, d’établir succinctement un signalement descriptif […]. Jusqu’ici ce système n’a rendu aucun service et il ne peut en être autrement tant qu’il ne sera pas d’un usage constant pour l’établissement des signalements adressés à la gendarmerie par les autorités civiles et militaires, et réciproquement […] »59. L’officier « apprécie moins les notations abrégées qui compliquent sans grande nécessité le système, en rendent l’étude plus longue, plus fastidieuse, la lecture des fiches plus difficile […] »60. Si cet avis dénote l’intérêt de l’officier pour la technique policière, il est difficile, cependant, d’imaginer qu’en quelques semaines – à raison d’une conférence hebdomadaire, au mieux, par le chef de brigade – ses subordonnés aient pu assimiler les nombreux termes utilisés pour la description, dont il souligne la complexité en en rejetant la spécificité de facto. Néanmoins, mettre en valeur les nouvelles compétences de ses subordonnés revient implicitement à se féliciter de ses capacités à transformer des habitudes professionnelles routinières. La gendarmerie ne serait pas responsable de l’échec annoncé de la diffusion de cette technique puisqu’il déplore que le défaut d’emploi de la technique entre les différents acteurs de la police judiciaire ne puisse entraîner qu’un rapide oubli. Un sous-officier du sud-ouest exprime ce même désir d’introduire dans la gendarmerie des innovations en matière d’identification. Il affirme « qu’il y aurait avantage à rendre obligatoire dans la Gendarmerie l’étude sommaire [souligné par le rédacteur] du signalement descriptif établi suivant la méthode Bertillon »61 et de le substituer « aux données insuffisantes et généralement banales du signalement réglementaire actuel »62. À ses yeux, « l’étude obligatoire pour les gradés et les candidats, celle facultative pour les gendarmes les moins doués, a permis de constater qu’ils peuvent facilement arriver à saisir les notations […] les plus caractéristiques »63. Même appréciation positive pour ce chef de brigade en Charente qui estime que « le portrait parlé, bien que n’étant pas appelé à être employé journellement dans la gendarmerie, rendra certainement de fréquents services, surtout dans la recherche des individus signalés. Car son étude développe considérablement l’esprit d’observation et l’on est surpris de remarquer instantanément aujourd’hui, chez toutes les personnes avec lesquelles on se trouve en présence, des détails de physionomie qui eussent bien certainement échappé auparavant »64.

  • 65 évoqué note 65.
  • 66 Rapport du 13 février 1905, SHGN, 16 E 5.

18L’avis du chef d’escadron commandant la compagnie de la Charente contraste singulièrement avec celui de son subordonné65. L’officier exprime l’ambiguïté et l’ambivalence de la position des gendarmes quant à la réception et l’utilisation de la méthode Bertillon66. En effet, s’il indique que « l’étude résumée des principaux caractères du signalement descriptif a été faite consciencieusement par les militaires de la compagnie », il précise aussitôt que « cette étude exige de l’attention et surtout un certain effort de mémoire qui fait souvent défaut même avec la meilleure volonté » car « il faut […] un temps assez long afin que les particularités du “portrait parlé”, les expressions servant à les traduire par écrit ou à les désigner verbalement soient suffisamment sues ». Paradoxalement, il affirme que « les résultats obtenus pour l’ensemble de la compagnie sont les suivants :

  

Résultats

15 maréchaux des logis
Sous-officiers :
1 adjudant

Bon
Bon

23 brigadiers

Bon

11 candidats brigadiers

Bon

Gendarmes :
60
79

Bon
Assez bon

  • 67 Qu’on retrouve en 1910 sous la plume du chef d’escadron commandant la compagnie des Alpes-Maritimes (...)

19La conclusion de son rapport est très significative car « tout en reconnaissant l’utilité incontestable de ce système et l’avantage qu’il y a à rendre obligatoire dans l’Arme la connaissance du “portrait parlé”, [l’officier souligne qu’] il convient de rester dans des limites restreintes de façon à ne pas considérer les militaires de la gendarmerie comme des agents de police, laissant aux professionnels le soin de procéder par des moyens spéciaux aux arrestations sensationnelles, ce qui constitue leur métier et leur raison d’être ». Ce rejet légèrement méprisant de la méthode définit d’abord, a contrario, ce que doit être l’image d’une « bonne » gendarmerie aux yeux de cet officier. Cependant, à une époque où la lutte contre la criminalité devient une demande sociale forte, refuser cette pression revient à laisser le champ libre aux initiatives policières. La création des BM en 1907 doit ainsi sans doute autant à ces réticences67 qu’aux efforts de Célestin Hennion et au soutien de G. Clemenceau.

  • 68 écho de la Gendarmerie (1905, p. 346).
  • 69 Selon Vohl (1936, p. 178), la gendarmerie ne se dote de fichiers manuels qu’à la fin des années 192 (...)
  • 70 Maire (1905, p. 2).
  • 71 Salesses (1905, p. 50).

20Au niveau ministériel, l’étude de la méthode fut finalement limitée aux seuls gradés et gendarmes inscrits au tableau d’avancement68. Si cet enseignement devait permettre aux militaires de déchiffrer les signalements adressés par la SG, il n’était toutefois pas question de permettre aux gendarmes d’en rédiger de semblables. Ils demeurent dans une position d’auxiliaires passifs et non d’acteurs dynamiques de la chaîne pénale. Plus encore, la dépendance de la gendarmerie à l’égard des fichiers établis par la PP, puis par la SG, à partir de février 1907, est établie durablement. Il lui manque un outil essentiel pour mener des enquêtes judiciaires autonomes et efficaces, en particulier en matière criminelle69. L’institution est d’autant moins encline à se moderniser en ce domaine que ses militaires se plaignent de manière ancienne et constante de la « paperasse » accablant leur service quotidien et les empêchant d’accomplir avec efficacité leurs missions répressives70. Ainsi, le chef d’escadron commandant la compagnie des Côtes-du-Nord estime qu’avec l’essor de la diffusion des signalements, les gendarmes cessent d’être des agents de l’ordre pour devenir des copistes, puisqu’« il résulte enfin de cette accumulation de signalements que les recherches ne se font plus aussi sérieusement, l’attention des gendarmes n’étant plus tenue en éveil »71.

4. « La gendarmerie est l’arme du progrès par excellence »72

  • 72 Lélu (1909, p. 63).
  • 73 écho de la Gendarmerie (1910, p. 802).
  • 74 Voir note 69.
  • 75 Wailly (1914, pp. 260-261). Voir, pour une autre perspective, Houte (2003, p. 163). Nous remercions (...)
  • 76 Farcy (2001).
  • 77 Forestier exprime un avis similaire (1983, p. 111).
  • 78 Fabre (1905).
  • 79 Id., p. 21.
  • 80 Id., p. 22.
  • 81 Id., p. 23.
  • 82 Id., p. 33.

21La question de l’adoption du signalement descriptif dans la gendarmerie soulève un deuxième enjeu qui met en lumière un de ses malaises à la Belle Époque. Le souci réaffirmé, en 1910, « de permettre aux militaires de la gendarmerie d’arriver rapidement à lire et à utiliser les fiches signalétiques […] qui leur sont adressées sous la forme du “signalement descriptif” » et de remplacer le « signalement réglementaire actuel »73 marque l’échec persistant de la diffusion de ce procédé dans l’Arme; la décision ministérielle n’a pas été suivie d’effet74. Pourtant, certains gendarmes prônent l’importation des techniques policières et érigent – sans doute exagérément – le service de la Sûreté parisienne en modèle, car « si, pour les policiers parisiens […], savoir relever et appliquer sans erreur le signalement d’un individu est jugé indispensable, ne devrait-il pas en être de même pour la gendarmerie entière […] ? »75. En opposant sa vision à celle des officiers, partisans des « vieilles méthodes », ce gendarme construit un clivage qui diviserait le corps des officiers et celui des sous-officiers quant à la volonté de pratiquer une police judiciaire moderne. Si le Code d’Instruction criminelle confère aux seuls officiers la qualité d’officier de police judiciaire, ce sont, en réalité, majoritairement les gendarmes et les sous-officiers qui la pratiquent76. De ce fait, ils sont sans doute plus sensibles aux critiques d’archaïsme qui pleuvent sur leur Arme et plus soucieux que leurs supérieurs de leur substituer l’image de modernité attachée à la méthode Bertillon77. Détail remarquable, celle-ci sert de levier pour articuler cette protestation et révéler des clivages socio-professionnels qui sont, pourtant, extérieurs à son institution d’origine. Néanmoins, l’ouvrage du capitaine Fabre nuance fortement cette représentation; il manifeste une volonté d’adaptation originale du signalement descriptif à la gendarmerie78. L’officier estime à 3 260 le nombre annuel de signalements reçus par chaque brigade79 : « Dans la proportion des 9/10, ils se ressemblent tous, à part le nom : taille 1 m 65 (ordinaire), cheveux châtains, yeux gris, nez ordinaire, menton ordinaire, visage ovale, teint coloré; marques particulières : néant »80. Il renchérit en notant qu’« exception faite […] des signalements délivrés à la suite d’un crime ou d’un délit flagrant commis dans la région, la gendarmerie n’a jamais arrêté, de sa propre initiative, que des individus mentionnés avec des marques particulières exceptionnelles […] »81. Il propose donc pour remédier à ce déficit d’établir un modèle uniformisé de pièce d’identité, assortie d’une photographie de profil et de précisions tirées de l’anthropométrie82. Comme le lieutenant Pierre, l’officier tait l’origine policière de la technique et ignore l’emprunt à la PP.

  • 83 Kaluszynski (1987, p. 275).
  • 84 Le coefficient accordé à l’anthropométrie judiciaire est de six alors que les connaissances relativ (...)
  • 85 Drioux (1908, p. 364).
  • 86 La gendarmerie dépend de la Direction de la Cavalerie, au ministère de la Guerre, jusqu’en 1920, da (...)
  • 87 Journal de la Gendarmerie, 18-25 mars 1901, p. 331.
  • 88 Ordre du jour adopté par le Sénat « approuvant les déclarations du Gouvernement et convaincu que le (...)

22En dépit de ce cas, les efforts de professionnalisation de la gendarmerie en matière judiciaire furent timides. En effet, le signalement descriptif s’inscrit dans un système comprenant trois étapes d’identification des récidivistes : d’abord le « portrait parlé » – qui fournit des éléments pour rechercher une personne –, ensuite, le relevé des marques particulières – qui permet l’identification certaine de la personne arrêtée –, enfin, la photographie judiciaire – qui incarne les signalements anthropométriques établis par les mensurations83. Or, l’École des sous-officiers ne familiarise les gendarmes qu’au seul « portrait parlé », ce qui rend l’application du « bertillonnage » forcément incomplète et limite son efficacité pratique. L’avocat général Drioux décline ce scepticisme sur l’utilité de la formation reçue lorsqu’il relève qu’« une école de gendarmerie a été créée […] et on aurait pu espérer que cette source de recrutement amènerait à donner à la catégorie des officiers qui en sont originaires un enseignement où la police judiciaire occuperait la place qui lui revient. L’examen des programmes d’entrée et de sortie, ainsi que les coefficients donnés à chacune des matières dont on les a composés84, détruit vite cette illusion »85. La participation des gendarmes à ce cours ne relève donc pas du souci de leur hiérarchie de les voir posséder une formation de police judiciaire efficiente86. La presse proche des officiers exprime d’ailleurs ces réticences à l’ouverture du recrutement et à la modernisation de l’instruction dans l’Arme, engagées par l’école née en 1901, puisqu’elle estime qu’« un stage dans un régiment ou de préférence à l’école de cavalerie pour compléter l’instruction équestre des officiers d’infanterie est le seul enseignement qui puisse avoir quelque utilité »87. Le rejet d’une instruction pratique de police judiciaire converge avec l’opposition à la démocratisation du corps des officiers. Le conservatisme social se conjugue à un conservatisme professionnel qui met ainsi la gendarmerie doublement en difficulté dans un régime républicain où son existence est l’objet de débats récurrents, de la fin de l’Empire à 1914. Les antagonismes entre partisans et opposants de l’introduction de méthodes policières dans la gendarmerie sont peut-être ainsi, et enfin, le révélateur de la républicanisation du corps des officiers par le régime88 et, donc, de la coexistence au sein de ce corps de catégories socio-politiques hétérogènes.

  • 89 Gazette des tribunaux (1905, p. 2885).

23L’appréciation péremptoire affirmant, au début de 1905, que « la méthode due à M. Bertillon […] permettant de constater et de reconnaître l’identité des prévenus et prisonniers est aujourd’hui universellement connue et pratiquée »89 ne traduit donc pas la réalité nationale et reste encore un vœu. Les disparités de diffusion du « portrait parlé » ont-elles constitué un obstacle à la coopération entre les principales composantes du paysage policier français en favorisant leur incompréhension technique ? En effet, si la gendarmerie départementale a de rares rapports avec les policiers de la PP, les relations avec les policiers mobiles qui interviennent désormais dans son « pré carré », à partir de 1908, deviennent fréquentes. Or, dès leur apparition, les BM constituent des fichiers anthropométriques fournis qui n’ont pas leur équivalent dans les légions de gendarmerie.

5. « Pour que les nouvelles méthodes d’identification donnent dans la pratique tous les avantages qu’on doit en attendre, il faut que ces méthodes soient répandues dans tous les services de la Sûreté publique […] »90

  • 90 Locard (1906b, p. 444).
  • 91 L’inégale diffusion des nouvelles techniques selon les services et parmi les policiers relevant d’u (...)
  • 92 étude sur l’organisation et le fonctionnement de la Police Municipale de la Ville de Toulouse […], (...)
  • 93 Vogel (1993, p. 90).
  • 94 AD de la Gironde, 4 M 4.
  • 95 AD du Rhône, 4 M 6.
  • 96 Vogel (1993, p. 122).
  • 97 Archives nationales (AN), F7 14666.

24Si ce souhait se réalise à la PP et à la SG, en particulier dans les BM91, au sein des polices municipales, le « portrait parlé » connaît une diffusion plus lente et, sans doute relativement limitée, en raison de leur disparité. Vers 1910, le commissaire central à la tête de la police municipale toulousaine déplore l’absence de service anthropométrique et de service des archives; il en impute la cause à la faiblesse du budget consacré à la police92. Cette situation est-elle représentative des villes où la police n’est pas étatisée ? À Grenoble, est créée, en 1907, une unité anthropométrique après qu’un agent et un secrétaire du service de la sûreté ont été envoyés à Paris au cours d’A. Bertillon, en juin93. À Bordeaux, un tel service semble exister depuis au moins 189494. De son côté, la police étatisée lyonnaise a instauré un cours d’anthropométrie le 30 mars 1897, après la création d’une école pratique d’élèves commissaires à Lyon et à Bordeaux en mai 189595. Faut-il déduire de cette chronologie succincte et partielle une transformation notable des pratiques judiciaires des services de sûreté des villes citées ? Il est difficile d’avancer des hypothèses; le cas de la gendarmerie a montré que la participation à des cours d’anthropométrie est, certes, une condition nécessaire, mais pas suffisante. Dans la police grenobloise, M. Vogel avance que « lors de la création du service anthropométrique, il était prévu que les deux agents envoyés en stage à Paris restituent l’enseignement suivi à l’ensemble du personnel de la sûreté grenobloise. Il ne semble pas que le projet se soit concrétisé, mais il illustre bien l’importance de la modernité technique dans l’identité professionnelle de la sûreté conçue comme service spécialisé »96. Cet exemple montre, d’abord, que les municipalités avaient sans doute comme priorité la police administrative avant la police judiciaire et pose, ensuite, la question du financement de l’introduction des innovations parisiennes à l’échelon local. Cependant, de l’intense correspondance policière suscitée par l’affaire Bonnot (automne 1911 – printemps 1912) apparaissent des signes de l’utilisation par les policiers lyonnais – qui appartiennent à une police étatisée, rappelons-le – du signalement descriptif. En octobre 1913, le chef du service de la sûreté envoie à son collègue de la 1ère BM des cartons anthropométriques, appelés « fiches de voie publique », sur lesquels le « portrait parlé » des hommes recherchés est indiqué. Le même type de carton est utilisé par les BM. C’est donc dans l’ensemble des polices dépendant de la SG que l’emploi du signalement descriptif semble s’être généralisé sur près d’une quinzaine d’années97.

  • 98 Avis de recherche envoyé le 23 juin 1908 au Contrôle général des services de recherches judiciaires (...)
  • 99 APP, DA 391.
  • 100 Id., « 1 m 62, cheveux et sourcils châtains, yeux marrons, nez et bouche moyens, moustache rousse, (...)

25L’évaluation de l’emploi par les policiers parisiens du signalement descriptif doit être prudente. D’abord parce que les sources qui en portent trace sont rares. D’autre part, parce qu’elles ne donnent pas une vision univoque. En effet, si des signalements transcrivent les termes du « portrait parlé », d’autres restent peu précis. Rappelons d’abord que la plupart des signalements diffusés, lorsqu’ils empruntent au vocabulaire du « portrait parlé », ont été dressés lors du passage par le dépôt de la PP. Ainsi, le service de la Sûreté parisienne diffuse-t-il des mandats d’arrêt du parquet de la Seine en les illustrant de photographies et de signalements établis selon la méthode d’A. Bertillon98. Il est très malaisé de déterminer quelle est la part de la retranscription par les policiers d’un signalement d’abord établi par le personnel pénitentiaire ou de leur propre maîtrise de la technique apprise. Aucun signalement dressé par un policier durant une filature, sur le « vif », n’a pu être retrouvé; ce qui n’est, toutefois, pas suffisant pour en tirer des conclusions. Il semble, en fait, que les conditions d’élaboration des signalements soient au moins aussi importantes que la culture professionnelle du rédacteur de la description pour comprendre le résultat final. Ainsi, la majorité des recherches se font d’après des témoignages de témoins et, ou, de proches. Les signalements diffusés sont l’écho de leurs approximations99. De plus, la maîtrise du signalement descriptif par un policier peut être incomplète. En février 1914, la caractérisation, par un commissaire d’arrondissement, d’un cadavre retrouvé dans la Seine révèle la connaissance imprécise du « portrait parlé »100. Loin d’être systématique, la technique semble néanmoins avoir favorisé une description ordonnée du visage et des marques significatives.

  • 101 Voir tableau infra.
  • 102 Journal des commissaires de police (1907, p. 317).
  • 103 About (2004, p. 39).
  • 104 Achille (1909, p. 137).

26Appris par près de deux mille policiers parisiens, entre 1902 et 1912101, nécessaire pour faire carrière à la PP, le « portrait parlé » a-t-il produit des effets notables sur la productivité judiciaire dans le ressort du préfet de police ? À en croire un laudateur du chef de l’Identité judiciaire, « les notions scientifiques répandues par M. Bertillon ont totalement transformé l’ancien langage policier : tous les inspecteurs de la Sûreté emploient, quand ils parlent de signalement, les termes spéciaux exacts »102. Il est surprenant de relever que ce thuriféraire insiste sur la professionnalisation103 et, plus loin, sur la presque totale disparition des arrestations arbitraires qui en découlerait mais pas sur la hausse du nombre des suspects appréhendés. Ces prétendus résultats ne correspondent pas à l’effet attendu comme le remarque insidieusement le conseiller municipal parisien L. Achille – qui s’attaque ainsi au budget de l’Identité judiciaire -; s’il crédite A. Bertillon de l’essor des « études criminologiques et policières » en France et à l’étranger, il déplore que « ces études […] semblent promettre plus qu’elles ne peuvent donner en pratique »104.

  • 105 AN, AD XIX i 207. Le carton conserve une série lacunaire du n° 129, du 28 février 1910, au n° 335, (...)
  • 106 Circulaire du ministère de l’Intérieur, 4 avril 1908.

27La parution, à partir du 15 juin 1907, du Bulletin hebdomadaire de police criminelle (BPC) devait favoriser la coopération entre les forces de polices105; en effet, les « […] avis de mandats que les parquets sont tenus de transmettre au ministère de l’Intérieur en les accompagnant, autant que possible, d’une photographie et d’un signalement anthropométrique, sont mentionnés au bulletin de police hebdomadaire établi par ce ministère et adressés régulièrement au préfet de police, aux procureurs généraux, procureurs de la République, juges d’instruction, commissaires divisionnaires, commissaires centraux et commissaires de police municipale, commissaires de police spéciaux, brigades de gendarmerie, directeurs de maisons centrales et gardiens chefs des maisons d’arrêt »106. Le BPC reprend donc les mandats d’arrêt lancés par les magistrats de toute la France, voire de l’étranger pour les plus notables. Figurent d’abord les signalements anthropométriques, accompagnés de photographies judiciaires, et les « portraits parlés » des récidivistes. Viennent ensuite les mandats d’arrêt, sans photographie, avec des descriptions physiques non normalisées. Puis, les demandes de recherches de personnes disparues. Enfin, les avis de cessation de recherches.

  • 107 Rapport du chef de la brigade, 19 juin 1910, SHGN, 00129.
  • 108 Rapport du chef de brigade, [ ?] décembre 1910, SHGN, 1128.
  • 109 Lettre du commandant de la compagnie de Vendée au commissaire principal dirigeant le CGSRJ, 8 octob (...)
  • 110 Instructions du commandant de la compagnie d’Eure-et-Loir, 25 janvier 1912, SHGN, 28 E 13.

28Cette correspondance a-t-elle favorisé un accroissement de la productivité judiciaire ? En ce qui concerne la gendarmerie, la réception de ces signalements n’a pas produit d’effets significatifs. Ainsi, l’état numérique des arrestations opérées sur les indications fournies par le bulletin hebdomadaire de police criminelle pendant les années 1908 et 1909 dans la brigade de Joinville-le-Pont est nul107. Relevé identique pour la brigade de Genlis108. Ces maigres bilans, qui se répètent dans toute la France, expliquent probablement la disparition rapide de ce type de rapport des registres. Mais l’envoi du Bulletin dans les brigades pouvait-il produire les effets escomptés alors qu’en 1912 des commandants de compagnie constatent que des brigades ne le reçoivent toujours pas plusieurs années après sa création109 et que la tenue des carnets de signalements n’est toujours pas fixée110 ?

6. « Oh ! chinoiseries de l’organisation policière ! Sainte routine qui fait que la police ignore tous les progrès de la science et que le téléphone et le télégraphe ne profitent qu’aux voleurs, aux assassins… et aux journalistes… ! »111

  • 111 Goron (1897, p. 47).
  • 112 4 février 1912, SHGN, 87 E 1.
  • 113 Rapport du chef d’escadron Journot, [ ?] janvier 1912, SHGN, 22 E 2.
  • 114 15 février 1912, SHGN, 87 E 1.
  • 115 Vraie Police (1900).

29Cependant, avec la centralisation de la réception et de la diffusion des avis de recherches au niveau national par la CGSRJ, se pose un autre problème : celui du nombre des signalements reproduits dans le BPC et, donc, de leur hiérarchisation. Le commandant de la compagnie de la Haute-Vienne constate que « pour l’année 1911 seulement, le nombre des inscriptions au bulletin de police s’élève à 5 200 environ »112. Pour établir une priorité guidant les observations des militaires, le chef d’escadron Journot, dans la compagnie des Côtes-du-Nord, propose la tenue d’un « carnet-calepin […] par chaque gendarme », qui « doit être simple, de format réduit et très portatif ». Seront inscrits les individus recherchés par les parquets du département et des départements limitrophes113. Les signalements ainsi simplifiés cessent, par conséquent, d’être descriptifs. La décision de laisser le « mode de confection […] à l’initiative de chaque chef de poste »114 hypothèque la modernisation de cet outil de recherches. à Toulon, l’absence de classement des signalements reçus interdit également toute recherche efficace en raison de « l’abondance de mandats d’arrêts inscrits sur les calepins des agents de police. Ils en ont chacun une moyenne de deux à trois cents. Comment veut-on qu’ils s’y reconnaissent au milieu de ce fouillis de signalements, d’autant que, par suite du manque d’entraînement, ils sont pour la plupart incapables de reconnaître un malfaiteur au vu du signalement »115; les policiers et les gendarmes partagent donc les mêmes difficultés.

  • 116 Télégramme, 8 juillet 1913, AD de la Côte-d’Or (ADCO), SM 20969, 7562.
  • 117 Procès-verbal, 7 avril 1913, ADCO, SM 20969, 7559.
  • 118 ADCO, SM 20975, 9409. Ces fiches s’ajoutent aux notices individuelles qui comportent, pour les plus (...)

30Les relations entre gendarmes comtois et policiers mobiles dijonais apportent quelques indices sur la circulation des méthodes parisiennes en province. Ainsi, un chef de brigade dans le Doubs envoie au commissaire divisionnaire chef de la 11e BM, un télégramme lui indiquant le vol de cinquante francs par un domestique. Si le signalement joint montre sa méconnaissance du « portrait parlé »116, et, si dans ce cas, cette collaboration ne se traduit pas par un succès, trois mois auparavant l’envoi d’un signalement similaire par le chef de brigade en Côte-d’Or au policier dijonais aboutissait à l’arrestation par deux inspecteurs de la 11e BM d’un homme suspecté du vol d’un cheval117. Rien n’indique, toutefois, la véritable cause de sa capture. Le signalement diffusé par ces militaires, avec des termes relativement subjectifs, reste l’usage dans la gendarmerie à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans le même temps, les « mobilards » utilisent des cartons de format réduit sur lesquels figurent la photographie et le signalement descriptif des personnes recherchées lorsqu’il s’agit de récidivistes. Les notices individuelles établies pour toute personne arrêtée comportent l’identité de la personne, sa photographie, ses empreintes digitales et éventuellement son « portrait parlé », à la condition que le policier rédacteur de cette fiche en connaisse la technique, comme cela lui est rappelé – ce qui révèle la progressive et donc, inégale, diffusion de la technique. Notons que si les BM se constituent rapidement des fichiers de toutes les personnes arrêtées dans leur circonscription, les annotations figurant sur ce qui peut apparaître comme un efficace outil de surveillance peuvent varier selon leur rédacteur, à quelques mois d’intervalle118. La photographie, éventuellement collée sur ce carton, constitue sans doute le support le plus courant, et le plus sûr, de l’identification d’individus recherchés.

  • 119 « Taille 1 m 60, cheveux sourcils blonds moyen, front vertical, yeux azur moyen, nez rectiligne, re (...)
  • 120 Id.
  • 121 Marchesseau (1911). Voir infra.
  • 122 Ryckère (1913, pp. 572-573).
  • 123 Id., p. 573.
  • 124 Marchesseau (1911, p. 13).
  • 125 Voir supra, note 60.

31L’approximation préside également aux avis de recherche qui émanent des parquets. Leur formulation ne varie guère entre les années 1870 et la veille de la Première Guerre mondiale. Pourtant, le signalement d’un mineur évadé d’une colonie pénitentiaire, envoyé par le procureur de la République au Havre119 ou le télégramme émanant du juge d’instruction à Lyon120 nuancent cette appréciation globale. Ces magistrats recopient-ils des signalements établis par les personnels pénitentiaires ou ont-ils compulsé l’ouvrage de leur collègue, juge d’instruction à Saumur, qui a écrit un manuel de criminalistique sur le modèle de celui de H. Gross121 ? Ce livre laisse penser que quelques magistrats ont été sensibles à l’enseignement d’A. Bertillon – même si les statistiques ne témoignent pas de leur participation directe au cours. Comment L. Marchesseau a-t-il alors connu ce qu’il décrit dans son manuel ? Peut-être a-t-il participé à cette « école de la magistrature » destinée aux futurs juges, décrite par le belge Raymond de Ryckère122 ? Leur formation comprend une visite des services de la PP, notamment ceux de la Sûreté et de l’Identité judiciaire où « M. Bertillon les reçoit » et « leur explique la méthode du signalement descriptif (portrait parlé), du système anthropométrique et de la photographie métrique, et leur montre les archives des fiches individuelles »123. En dépit de l’intérêt de certains magistrats qui considèrent que le « portrait parlé » est « destiné à faciliter la tâche de la Magistrature et de la Police chargées de la recherche et de l’arrestation des malfaiteurs »124, l’immobilisme de l’institution judiciaire constitue une des limites à la diffusion du « portrait parlé » et ne motive pas de besoin d’adaptation de ses auxiliaires policiers, « et réciproquement », comme le note d’ailleurs un officier de gendarmerie125.

  • 126 ADCO, SM 20976, 9741.
  • 127 Cette fiche trouve probablement son origine dans les publications de Reiss (1905, 1907, 1914). Brev (...)
  • 128 Reiss (1907, p. 23).
  • 129 Locard (1906a, p. 145).

32A contrario, c’est à l’initiative du juge d’instruction du canton de Neufchâtel qu’une fiche préimprimée de « portrait parlé » est envoyée à la 11e BM par la police cantonale126. L’exportation outre-Jura du procédé développé par A. Bertillon fournit le moyen d’une coopération policière transfrontalière127. L’originalité de la fiche réside autant dans sa facture que dans la trace d’une « internationalisation de la police »128 pour combattre la « quotidienne extension du crime international »129. L’essor de techniques anthropométriques, nées à la PP, favorise des collaborations entre policiers européens qui se manifestent, au niveau institutionnel, par le premier congrès de police judiciaire internationale, à Monaco, en avril 1914.


*
*  *

  • 130 Rousseau (1906, p. 22).
  • 131 Selon Berlière et Liaigre (2004, p. 165), les policiers de brigade criminelle de la PP manifestent (...)
  • 132 Darmon (1989, p. 225).
  • 133 Berlière (1994, p. 142) et Kalifa (1995).
  • 134 Comme la photographie planimétrique, par exemple, APP, EA 140-141. L’une des multiples conséquences (...)
  • 135 Chauvaud (2000).
  • 136 Jauffret (1983).

33L’inégale application du « portrait parlé » renseigne sur le rapport que les différentes forces chargées de police judiciaire entretiennent avec cette mission. Sa diffusion restreinte, sur le plan national, s’explique d’abord par son inadaptation relative aux pratiques. Le « portrait parlé » est inutile aux gendarmes dans des territoires ruraux où les militaires connaissent chacun des habitants sédentaires – les inconnus sont donc immédiatement identifiés – et où le braconnage, l’ivresse et les infractions à la police du roulage constituent les principaux délits relevés par une police judiciaire de proximité130. Parallèlement, la méconnaissance relative du signalement descriptif par les policiers municipaux marque autant le déficit des moyens que l’absence de centralisation étatique. Simultanément, l’essor de la photographie judiciaire et de la dactyloscopie rendent caduque une méthode d’identification pourtant utilisée par les « mobilards » et les policiers de la PP pour constituer leurs fichiers respectifs131. Cette technique, auréolée du succès du fichage anthropométrique, en usurpe probablement l’efficacité, sortie des locaux de l’Identité judiciaire. Si « […] cette technique, beaucoup trop complexe pour dépasser le cercle de quelques initiés, ne semble pas avoir été d’une grande utilité à la police »132, elle participe, toutefois, à la construction de l’image d’une « police qui rassure […] dans un contexte de psychose d’insécurité […] »133. Mais, paradoxalement, les critiques les plus virulentes sont encore essuyées par la PP à la veille de la Première Guerre mondiale, lors de l’affaire Bonnot, alors que les policiers parisiens utilisent les techniques les plus récentes pour traquer les « bandits tragiques »134. Néanmoins, face à des experts judiciaires qui se multiplient135, la police attache un gage de scientificité à ses techniques d’identification pour légitimer son budget et préserver son rôle inquisitoire. L’envoi de gendarmes à la PP répond probablement aux mêmes préoccupations, mais pour des motivations différentes. Après les conclusions de la commission extraparlementaire relative à la sécurité dans les campagnes, présidée par E. de Marcère, en 1898, la participation de gendarmes au cours d’A. Bertillon relève plus de la concession opportuniste que d’une volonté réelle d’évolution. Ainsi, paradoxalement, il faut sans doute interpréter la participation des quelques dizaines d’officiers de la gendarmerie à ce cours comme l’indice du désintérêt de la Direction de la Cavalerie pour une des missions pourtant constitutives de l’Arme136; celle-ci ne se soucie pas de créer une instruction en police judiciaire propre à la gendarmerie.

  • 137 Thomas (1999, p. 122).
  • 138 Ottolenghi (1912).
  • 139 Ryckère (1912).
  • 140 Locard (1920, p. 236).

34Faut-il voir dans le « portrait parlé » un indice de l’émergence d’une police technique et scientifique137, comme l’Italien S. Ottolenghi138 ou le belge R. de Ryckère139 le pensent ? E. Locard, l’un des fondateurs de la criminalistique française, est plus réservé140. Il faut donc se méfier de l’anachronisme et constater que cette association de la science et de la technique à la police fait débat. Au delà de sa finalité première, l’une des conséquences inattendues du « portrait parlé » est d’avoir favorisé la perméabilité de gendarmes aux nouvelles techniques d’enquête. Il faut, toutefois, attendre l’entre-deux-guerres pour que l’intérêt de quelques personnalités soit valorisé par leur institution et plus tard encore pour que policiers et gendarmes soient, à nouveau, associés à une structure commune au sein du Conseil supérieur de la police technique et scientifique, en mars 1992.

Top of page

Bibliography

DOI are automaticaly added to references by Bilbo, OpenEdition's Bibliographic Annotation Tool.
Users of institutions which have subscribed to one of OpenEdition freemium programs can download references for which Bilbo found a DOI in standard formats using the buttons available on the right.
Format
APA
MLA
Chicago
The Bibliographic Export Service is accessible via institutions subscribing to one OpenEdition freemium programs.
If you wish your institution to become a subscriber to one OpenEdition freemium programs and thus benefit from our services, please write to: access@openedition.org.

About, I., Les fondations d’un système national d’identification policière en France (1893-1914). Anthropométrie, signalements et fichiers, Genèses, mars 2004, 54, Vos papiers !, pp. 28-52.

Achille, L., Rapport pour le projet de budget de la Ville de Paris, annexe 18, 1909, n° 98.

Becker, P., Kriminelle Identitäten im 19. Jahrundert. Neue Entwicklungen in der historischen Kriminallitâtsforschung, Historische Anthropologie, 1994, 2, pp. 142-157.

Berlière, J.-M., L’institution policière en France sous la IIIe République (1875-1914), doctorat d’histoire, Université de Bourgogne, 1991.

Berlière, J.-M., Le préfet Lépine, Paris, Denoël, 1993.

Berlière, J.-M., Images de policiers en France : deux siècles de fantasmes Jahrbuch für Europaïsche Verwaltungsgeschichte, juin 1994, 6, pp. 125-148.

Berlière, J.-M., Le monde des polices en France, XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996.

Berlière, J.-M., Liaigre, F., Le sang des communistes, Paris, Fayard, 2004.

Bertillon, A., Identification anthropométrique, Melun, Imprimerie administrative, 1893.

Bertillon, A., Résultats obtenus par l’Anthropométrie au point de vue de la criminalité. Quelles sont les lacunes à combler ?, Compte rendu des travaux du quatrième congrès international d’anthropologie criminelle, Genève, Georg et Cie, 1897, pp. 63-66.

Chauvaud, F., De Pierre Rivière à Landru, Bruxelles, Brépols, 1991.

Chauvaud, F., Les experts du crime, Paris, Aubier, 2000.

Darmon, P., Médecins et assassins à la Belle Époque, Paris, Le Seuil, 1989.

Denis, V., Milliot, V., « Police et identification dans la France des Lumières, Genèses, 2004, 54, pp. 4-27.

Drioux, J., Rapport sur la réorganisation de la police en province, Revue pénitentiaire, avril 1908, 4, pp. 321-374.

Écho de la Gendarmerie (l’), La méthode Bertillon dans la gendarmerie, 21 mai 1905, 1291, p. 346; « Le portrait parlé », 27 novembre 1910, 1579, p. 802.

Emsley, C., Crime and Society in England, London and New York, Longman, 1987.

Fabre, P.-A., Procédés actuels de recherche et de surveillance des malfaiteurs et autres individus dangereux, Paris, Lavauzelle, 1905.

Farcy, J.-C., L’historiographie de la criminalité en histoire contemporaine, in Garnot, B. (dir.), Histoire et criminalité de l’Antiquité au XXe siècle, Dijon, Publications de l’Université de Bourgogne, 1992, pp. 31-44.

Farcy, J.-C., La gendarmerie, police judiciaire au XIXe siècle, Histoire, économie et société, 2001, 3, pp. 385-403.

Farcy, J.-C., Le procureur entre l’ordre public et les justiciables : plaintes, procès-verbaux et poursuites pénales à Dijon à la fin du XIXe siècle, Crime, Histoire et sociétés, 2005, 9, 1, 79-115.

Forestier, I.-É., Gendarmes à la Belle Époque, Paris, France-Empire, 1983.

Garraud, P., La preuve par indices dans le procès pénal, Paris, Sirey, 1913.

Gazette des tribunaux (la), 2-4 janvier 1905, p. 2885.

Girardet, R., La société militaire de 1815 à nos jours, Paris, Perrin, 1998.

Goron, M.-F., Les mémoires de M. Goron, ancien chef de la Sûreté, vol. 2, Paris, A. Méricant éd., 1897.

Gross, H., Manuel pratique d’instruction judiciaire, t. 1er, Paris, Marchal & Billard, 1899.

Hogier Grison, La police : ce qu’elle était, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être, Paris, s.é., 1887.

Houte, A.-D., Un métier en crise ? La gendarmerie de la Belle Époque d’après ses retraités, Sociétés & Représentations, Figures de gendarmes, n° spécial dirigé par Luc, J.-N., sept. 2003, 16, pp. 153-165.

Format
APA
MLA
Chicago
The Bibliographic Export Service is accessible via institutions subscribing to one OpenEdition freemium programs.
If you wish your institution to become a subscriber to one OpenEdition freemium programs and thus benefit from our services, please write to: access@openedition.org.

Jäger, J., Photography : a means of surveillance ? Judicial photography, 1850 to 1900, Crime, Histoire & Sociétés, 2001, 5, 1, pp. 27-51.
DOI : 10.4000/chs.1056

Jauffret, J.-C., Armée et pouvoir politique. La question des troupes spéciales chargées du maintien de l’ordre de 1871 à 1914, Revue historique, juil.-sept. 1983, pp. 97-144.

Joly, H., Le crime. Étude sociale, Paris, L. Cerf, 1888.

Joly, H., La France criminelle,Paris, L. Cerf, 1889.

Journal de la Gendarmerie de France (le), 18 mars 1901, pp. 330-332.

Journal des commissaires de police (le), 1907, p. 317; 1909, pp. 322-328.

Kalifa, D., L’encre et le sang, Paris, Fayard, 1995.

Kalifa, D., Crime et culture en France au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2005.

Kaluszynski, M., Alphonse Bertillon et l’anthropométrie, in Vigier, P. et al., Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, pp. 269-285.

Kaluszynski, M., La République à l’épreuve du crime, Paris, LGDJ, 2002.

Lélu, G. (lieutenant de gendarmerie), La sécurité publique en France et le rôle social de la gendarmerie, Thiers, Impr. A. Favyé, 1909.

Lignereux, A., Gendarmes et policiers dans la France de Napoléon : le duel Moncey-Fouché, Maisons-Alfort, SHGN, 2002.

Locard, E., Les services actuels d’identification et la fiche internationale », Archives d’anthropologie criminelle, 1906a, 21, pp. 145-206.

Locard, E., Compte rendu du VIe congrès d’anthropologie criminelle, Archives d’anthropologie criminelle, 1906b, 21, pp. 423-473.

Locard, E., L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Flammarion, 1920.

López, L., Les relations entre policiers et gendarmes à travers leurs représentations mutuelles sous la Troisième République (1875-1914), Sociétés & Représentations, Figures de gendarmes, sept. 2003, 16, pp. 213-227.

López, L., Tout en police est affaire d’identification. Techniques et pratiques de la police judiciaire par la 11e brigade mobile (1908-1940), Cahiers de la sécurité intérieure, 2005, 56, pp. 201-224.

Luc, J.-N. (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.

Maire, G., Étude sur la gendarmerie, Paris, impr. A Cahn, 1905.

Mairet (avocat général), De la récidive, audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Dijon, Dijon, Darantière, 1882.

Marchesseau, L., Le portrait parlé et les recherches judiciaires, Paris, Marchal & Billard, 1911.

Niceforo, A., La police et l’enquête judiciaire scientifique, Paris, Librairie universelle, 1907.

Ottolenghi, S., Police scientifique et anthropologie criminelle, Bruxelles, Vve. F. Larcier, 1912.

Piazza, P., Histoire de la carte nationale d’identité, Paris, Odile Jacob, 2004.

Pierre, C., étude résumée des principaux caractères du signalement descriptif dit portrait parlé (méthode Bertillon) à l’usage des militaires de la gendarmerie, Paris, Lavauzelle, 1904.

Format
APA
MLA
Chicago
The Bibliographic Export Service is accessible via institutions subscribing to one OpenEdition freemium programs.
If you wish your institution to become a subscriber to one OpenEdition freemium programs and thus benefit from our services, please write to: access@openedition.org.

Porret, M., Le drame de la nuit : enjeux médico-légaux du quadruple égorgement commis en 1885 à Genève par une mère sur ses enfants, Revue d’histoire du XIXe siècle, 2003, 26-27, pp. 305-329.
DOI : 10.4000/rh19.753

Rapport de la Direction générale des Recherches, 1903, APP, DB 44.

Rapport du Contrôle général de la Direction des Recherches dressant le bilan de l’enseignement du signalement descriptif entre 1902 et 1912, 1913, APP, DB 47.

Reiss, R.-A., Manuel du portrait parlé (méthode Alphonse Bertillon) à l’usage de la police, Lausanne/Paris, Sack & Schlachter, 1905.

Reiss, R.-A., Un code télégraphique du portrait parlé, Paris, Maloine, 1907.

Reiss, R.-A., Contribution à la réorganisation de la police, Paris, Payot, 1914.

Romarin, G., La formation des techniciens en identification criminelle, Revue de la gendarmerie nationale, hors-série, La police technique et scientifique, 3e trim. 1996, pp. 21-23.

Rousseau, H., Des fonctions de la police judiciaire de la gendarmerie nationale, Paris, Marchal & Billard, 1906.

Ryckère (de), R., La police scientifique, Bruxelles, Vve. F. Larcier, 1912.

Ryckère (de), R., L’enseignement de la police judiciaire à Paris, Lausanne, Rome, Archives d’anthropologie criminelle, 1913, 28, pp. 561-612.

Salesses, L., Contribution à l’étude du vagabondage et de la mendicité et considérations sur l’action de la Gendarmerie en ce qui s’y rapporte, Saint-Brieuc, impr. F. Guyon, 1905.

Thomas, R. A., Detective Fiction and The Rise of the Forensic Science, Cambridge, CUP, 1999.

Vogel, M.-T.,Les polices des villes entre local et national. L’administration des polices urbaines sous la Troisième République, doctorat de science politique, Université Grenoble II, 1993.

Vohl, P.-G., La Police française, Paris/Limoges, Lavauzelle, 5e éd., 1936.

Vraie Police (la), 5 novembre 1899.

Wailly, A., Le signalement descriptif dans la Gendarmerie, Progrès de la Gendarmerie (le), 15 juin 1914, pp. 260-261.

Top of page

Notes

2 Joly (1888, p.VII).

3 Joly (1889, p. 15).

4 Ibid.

5 Pour la France, Kalifa (1995, 2005); pour l’Angleterre, Emsley (1987, pp. 245-246).

6 Chauvaud (1991, pp. 35-36); Farcy (1992) et pour une étude plus précise (2005).

7 Le Temps, 10 décembre 1880.

8 Sur l’essor des techniques d’identification en France, Kaluszynski (1987); Genèses, 54, particulièrement, About (2004); Denis, Milliot (2004); Piazza (2004). Voir également Becker (1994) et Jäger (2001), pour une comparaison internationale.

9 Voir le Compte général de l’administration de la justice criminelle (CGAJC) durant la période.

10 Garraud (1913, p. 222).

11 Mairet (1882, p. 14).

12 Kaluszynski (2002). Préoccupation à l’échelle européenne puisqu’en 1876, C. Lombroso développe sa thèse du « criminel-né » dans L’Uomo delinquente. L’essor de l’anthropométrie – qui a pour objectif d’identifier les auteurs d’infraction – est un des versants des progrès concomitants de l’anthropologie criminelle – qui cherche à établir les causes de leur acte.

13 Bertillon (1893, note 1, pp. LXVI-LXVII).

14 Note de service du préfet de police aux commissaires de police, 4 mars 1902, APP (Archives de la PP), DB 47.

15 Bertillon (1893, p. 137).

16 Bertillon (1897, p. 65).

17 Gross (1899, p. 511).

18 Locard (1906a, p. 148).

19 Niceforo (1907, pp. 319-356).

20 Sans développer la subjectivité évidente d’une telle caractérisation, comment distinguer alors le caractère « moyen » de la lacune de l’agent incapable de renseigner une rubrique ou l’ayant omis involontairement ?

21 Gross (1899, p. 512).

22 Marchesseau (1911, p. 74).

23 Forestier (1983, p. 118).

24 Rapport de la Direction générale des recherches (1903, p. 124).

25 Ibid.

26 Achille (1909, p. 133); selon ce rapport, une centaine de « mobilards » auraient été brevetés en 1908.

27 Hogier Grison (1887, p. 1).

28 L’expression et les informations sont empruntées à Berlière (1996). Lire son indispensable thèse (1991), en particulier les pp. 1246-1252 sur le « portrait parlé ».

29 La maréchaussée et la gendarmerie sont mieux connues grâce aux recherches animées par Jean-Noël Luc (Université Paris-IV) avec le Service historique de la gendarmerie nationale (SHGN). Lire Luc (2002) et les actes du colloque Gendarmerie et gendarmes au XXe siècle, Sorbonne, 13-14 juin 2003 (à paraître).

30 Voir Berlière (1993).

31 Berlière (1996, pp. 133-162).

32 D’après le Rapport du Contrôle général de la Direction des Recherches (1913).

33 Lignereux (2002).

34 López (2003).

35 Vraie Police (1899).

36 Forestier (1983, pp. 117-122).

37 Id., p. 121.

38 Ibid.

39 En d’autres circonstances, non seulement Forestier témoigne d’une semblable aménité à l’égard des policiers mais exprime son goût pour ses tâches judiciaires. Son stage à la PP a-t-il déterminé cette attitude ultérieure ?

40 D’après le Rapport de la Direction générale des Recherches (1903).

41 Girardet (1998, p. 143).

42 Ces renseignements figurent dans Berlière (1993, p. 126 et suiv.).

43 Berlière (1996, p. 71).

44 La France, 14 février 1886.

45 Berlière (1993, p. 132).

46 Note ministérielle, 10 mars 1886, relative aux demandes d’emplois civils ou militaires par les sous-officiers.

47 Le Rapport de la Direction générale des recherches souligne que ce diplôme « sera exigé de tous les agents de la Direction générale des recherches proposés pour l’avancement et de tous les candidats aux fonctions de commissaire de police de la Ville de Paris, d’officier de paix, et au grade d’inspecteur principal » (1903, p. 125).

48 Policiers, gendarmes de la compagnie de la Seine et gardes républicains sont étroitement, et quotidiennement, associés dans le dispositif de sécurité publique de la capitale.

49 Voir les notes 24 et 26.

50 Ryckère (1913, p. 564).

51 Reiss (1914, p. 146).

52 « Dans les villes de moindre importance, où la population fixe est connue individuellement des autorités locales, la nécessité de l’identification anthropométrique se fait sentir plus rarement, et le répertoire central de Paris, consulté au besoin par télégraphe suffit amplement », Bertillon (1893, p. LXXII).

53 Pierre (1904, avant-propos); l’officier exagère la nouveauté de ces états qui, encore au début du XXe siècle, n’emploient que peu de termes tirés du signalement descriptif, contrairement à ceux diffusés une dizaine d’années plus tard.

54 Ibid.

55 La gendarmerie compte plus de 21 000 militaires au début du XXe siècle et les effectifs de la Garde républicaine s’élèvent à près de trois mille.

56 Résumé du cours donné à l’école de signalements, PP, 86 p., APP, DB 48.

57 Ce sont encore deux gradés de la Garde républicaine qui assurent un cours de photographie judiciaire au fort de Charenton, en 1949, comme le note Romarin (1996, p. 21).

58 Note de service du lieutenant Chabannes, commandant l’arrondissement de Romorantin, 13 septembre 1904, SHGN, 953 bis.

59 Rapport du capitaine Poilpré, commandant l’arrondissement de Brignoles, 8 février 1905, SHGN, 83 E 37.

60 Ibid. Niceforo (1907, pp. 354-356) donne des exemples de ces « notations abrégées » probablement mentionnées par l’officier : « frt cic ov de G/3 or à 3 c cl f α ».

61 Rapport de l’adjudant Moulis, commandant [par intérim] l’arrondissement de Toulouse, 13 février 1905, SHGN, 31 E 30.

62 Ibid.

63 Ibid.

64 Rapport du chef de la brigade de Mansles, 14 février 1905, SHGN, 16 E 658. Dans la 4e légion, cette image favorable est toutefois contredite par le cas d’un anarchiste que les gendarmes de Chartres ne peuvent repérer en gare, à l’arrivée d’un train, malgré le signalement télégraphique du chef de la brigade de Dreux. Le gradé est admonesté par le commandant de la compagnie pour n’avoir transmis qu’un « signalement sommaire » alors que « la simple indication des vêtements qu’il portait à son départ de Dreux pouvait le faire […] reconnaître ». Rapport du chef d’escadron commandant de la compagnie d’Eure-et-Loir au capitaine commandant l’arrondissement de Dreux, 6 octobre 1907, SHGN, 28 E 7.

65 évoqué note 65.

66 Rapport du 13 février 1905, SHGN, 16 E 5.

67 Qu’on retrouve en 1910 sous la plume du chef d’escadron commandant la compagnie des Alpes-Maritimes lorsqu’il écrit que le « signalement descriptif système Bertillon […] convient plutôt au personnel de la police et des prisons » qu’à la gendarmerie. Rapport du 29 octobre 1910, SHGN, 06 E 15.

68 écho de la Gendarmerie (1905, p. 346).

69 Selon Vohl (1936, p. 178), la gendarmerie ne se dote de fichiers manuels qu’à la fin des années 1920.

70 Maire (1905, p. 2).

71 Salesses (1905, p. 50).

72 Lélu (1909, p. 63).

73 écho de la Gendarmerie (1910, p. 802).

74 Voir note 69.

75 Wailly (1914, pp. 260-261). Voir, pour une autre perspective, Houte (2003, p. 163). Nous remercions Arnaud-Dominique Houte – qui mène une thèse, sous la direction de Jean-Noël Luc, sur la figure du gendarme sous le Second Empire et la Troisième République – de ses précisions érudites.

76 Farcy (2001).

77 Forestier exprime un avis similaire (1983, p. 111).

78 Fabre (1905).

79 Id., p. 21.

80 Id., p. 22.

81 Id., p. 23.

82 Id., p. 33.

83 Kaluszynski (1987, p. 275).

84 Le coefficient accordé à l’anthropométrie judiciaire est de six alors que les connaissances relatives à la réglementation et aux exercices militaires représentent la quasi totalité des coefficients d’une note totale sur près de quatre-vingt.

85 Drioux (1908, p. 364).

86 La gendarmerie dépend de la Direction de la Cavalerie, au ministère de la Guerre, jusqu’en 1920, date de création d’une Direction autonome.

87 Journal de la Gendarmerie, 18-25 mars 1901, p. 331.

88 Ordre du jour adopté par le Sénat « approuvant les déclarations du Gouvernement et convaincu que le ministre de la Guerre s’inspirera, pour l’avancement des Officiers, à la fois de leurs qualités professionnelles et de leur dévouement à la République […] », 30 mars 1905.

89 Gazette des tribunaux (1905, p. 2885).

90 Locard (1906b, p. 444).

91 L’inégale diffusion des nouvelles techniques selon les services et parmi les policiers relevant d’une même brigade mobile nuance néanmoins fortement cette appréciation (López, 2005).

92 étude sur l’organisation et le fonctionnement de la Police Municipale de la Ville de Toulouse […], présentée par M. Louis Tomps, p. 2, AD de la Haute-Garonne, M 286.

93 Vogel (1993, p. 90).

94 AD de la Gironde, 4 M 4.

95 AD du Rhône, 4 M 6.

96 Vogel (1993, p. 122).

97 Archives nationales (AN), F7 14666.

98 Avis de recherche envoyé le 23 juin 1908 au Contrôle général des services de recherches judiciaires (CGSRJ), AN, F7 14666.

99 APP, DA 391.

100 Id., « 1 m 62, cheveux et sourcils châtains, yeux marrons, nez et bouche moyens, moustache rousse, menton rond, visage ovale, cicatrice arcade sourcilière gauche ».

101 Voir tableau infra.

102 Journal des commissaires de police (1907, p. 317).

103 About (2004, p. 39).

104 Achille (1909, p. 137).

105 AN, AD XIX i 207. Le carton conserve une série lacunaire du n° 129, du 28 février 1910, au n° 335, du 23 février 1914; près de 32 000 signalements sont diffusés à cette date.

106 Circulaire du ministère de l’Intérieur, 4 avril 1908.

107 Rapport du chef de la brigade, 19 juin 1910, SHGN, 00129.

108 Rapport du chef de brigade, [ ?] décembre 1910, SHGN, 1128.

109 Lettre du commandant de la compagnie de Vendée au commissaire principal dirigeant le CGSRJ, 8 octobre 1909, SHGN, 1740.

110 Instructions du commandant de la compagnie d’Eure-et-Loir, 25 janvier 1912, SHGN, 28 E 13.

111 Goron (1897, p. 47).

112 4 février 1912, SHGN, 87 E 1.

113 Rapport du chef d’escadron Journot, [ ?] janvier 1912, SHGN, 22 E 2.

114 15 février 1912, SHGN, 87 E 1.

115 Vraie Police (1900).

116 Télégramme, 8 juillet 1913, AD de la Côte-d’Or (ADCO), SM 20969, 7562.

117 Procès-verbal, 7 avril 1913, ADCO, SM 20969, 7559.

118 ADCO, SM 20975, 9409. Ces fiches s’ajoutent aux notices individuelles qui comportent, pour les plus complètes, le « portrait parlé », les mensurations anthropométriques, la photographie et les empreintes digitales. La 11e BM constitue un fichier recensant toutes les personnes arrêtées – coupables ou non – dans sa circonscription et, à partir de la loi du 16 juillet 1912, tous les nomades à qui l’obligation est faite de détenir un carnet anthropométrique. Cette diffusion a-t-elle été stimulée par la surveillance du nomadisme, qui connaît un nouvel élan après cette loi, et dont les policiers mobiles sont des exécutants essentiels ? Si la création et l’essor des BM sont liés à la volonté de contrôler les populations nomades, les techniques employées par les policiers mobiles à l’égard de cette catégorie spécifique ne diffèrent pas de celles employées pour les autres individus. Voir López (2005) pour des détails complémentaires sur cet aspect précis.

119 « Taille 1 m 60, cheveux sourcils blonds moyen, front vertical, yeux azur moyen, nez rectiligne, relevé », 15 avril 1914, APP, DA 391.

120 Id.

121 Marchesseau (1911). Voir infra.

122 Ryckère (1913, pp. 572-573).

123 Id., p. 573.

124 Marchesseau (1911, p. 13).

125 Voir supra, note 60.

126 ADCO, SM 20976, 9741.

127 Cette fiche trouve probablement son origine dans les publications de Reiss (1905, 1907, 1914). Breveté du cours de signalement descriptif en 1903, il crée un institut de police scientifique à l’Université de Lausanne, en 1908; son enthousiasme pour le « bertillonnage » favorise l’usage par les polices cantonales helvétiques des techniques anthropométriques françaises. Lire Porret (2003) pour la diffusion des techniques de Bertillon dans le canton de Genève, dès les années 1880.

128 Reiss (1907, p. 23).

129 Locard (1906a, p. 145).

130 Rousseau (1906, p. 22).

131 Selon Berlière et Liaigre (2004, p. 165), les policiers de brigade criminelle de la PP manifestent leur maîtrise de la technique lors de la traque des communistes durant l’Occupation.

132 Darmon (1989, p. 225).

133 Berlière (1994, p. 142) et Kalifa (1995).

134 Comme la photographie planimétrique, par exemple, APP, EA 140-141. L’une des multiples conséquences de cette affaire est d’avoir favorisé la création d’un cours de police technique le 20 août 1912. Le brevet de signalement descriptif est exigé pour avoir le droit de suivre cet enseignement.

135 Chauvaud (2000).

136 Jauffret (1983).

137 Thomas (1999, p. 122).

138 Ottolenghi (1912).

139 Ryckère (1912).

140 Locard (1920, p. 236).

Top of page

References

Bibliographical reference

Laurent López, « Policiers, gendarmes et signalement descriptif. Représentations, apprentissages et pratiques d’une nouvelle technique de police judiciaire, en France à la Belle Époque », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 10, n°1 | 2006, 51-76.

Electronic reference

Laurent López, « Policiers, gendarmes et signalement descriptif. Représentations, apprentissages et pratiques d’une nouvelle technique de police judiciaire, en France à la Belle Époque », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [Online], Vol. 10, n°1 | 2006, Online since 27 janvier 2009, connection on 07 octobre 2014. URL : http://chs.revues.org/197 ; DOI : 10.4000/chs.197

Top of page

About the author

Laurent López

74, avenue Laferrière, 94000 Créteil, laurent.lopez8@wanadoo.fr
Laurent López prépare une thèse de doctorat en co-tutelle, à l’Université Paris IV – Sorbonne et à l’Université de Bourgogne, sous la direction de Jean-Noël Luc et Jean-Marc Berlière, dont l’intitulé est : Pratiques et représentations des relations entre policiers et gendarmes en matière de police judiciaire et de maintien de l’ordre sous la Troisième République (1872-1914). Il est également rattaché au Centre de recherches en histoire du XIXe siècle (Paris I – Paris IV) et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CNRS). Il a publié : « Les relations entre policiers et gendarmes à travers leurs représentations mutuelles sous la Troisième République (1875-1914) », Sociétés & Représentations, sept. 2003, 16, pp. 213-227; « Gendarmes, policiers mobiles et police judiciaire dans la circonscription de la 11e brigade mobile durant l’entre-deux-guerres », in Jean-Noël Luc (dir.), Actes du colloque Gendarmerie et gendarmes au XXe siècle, Sorbonne, 13 et 14 juin 2003, à paraître; « Tout en police est affaire d’identification. Techniques et pratiques de police judiciaire de la 11e brigade mobile (1908-1940) », Cahiers de la sécurité intérieure, 2005, 56, pp. 201-224. À des titres divers, l’auteur tient à marquer sa gratitude envers Jean-Claude Farcy, Jean-Marc Berlière et Jean-Noël Luc.

By this author

Top of page

Copyright

© Droz

Top of page
  • Revues.org