Le CPA devait être la réforme sociale phare du quinquennat Hollande. Un marqueur politique aussi fort que le RMI de Rocard ou la CMU de Jospin, trois majuscules pour se réancrer à gauche. Le programme du président était idéalement conçu ainsi : les trois premières années, le gouvernement serre les boulons afin d’honorer les promesses de réduction des déficits faites à Bruxelles, il rassure les entreprises via le pacte de responsabilité, le CICE et autres exonérations de charges patronales. Et en 2016, place au social (et à son électorat), avec la création en fanfare du compte personnel d’activité (CPA), éventail de droits sociaux nouveaux, adaptés à un monde du travail en pleine recomposition.

Droits au chômage, à la retraite, à la formation, à l’épargne-temps ? Le fameux CPA étant inscrit sous forme de coquille à remplir dans la loi Rebsamen de 2015, les grandes déclarations de principe ont de fait longtemps prévalu sur son contenu exact. « C’est la grande mesure sociale que les socialistes réclament, il s’agit de créer un filet de sécurité pour les salariés, quelle que soit leur situation, qu’ils soient au chômage ou non », expliquait sans plus de précisions au Monde Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, l’an dernier. La mesure avait également l’avantage de mettre d’accord tout un camp déchiré.

Lors du congrès du PS en juin 2015, à Poitiers, Martine Aubry avait fait du compte personnel d’activité une condition de son ralliement à la « motion A » de la majorité présidentielle. Quelques mois plus tôt, dans une contribution en vue du congrès, elle avait réclamé plus de social et appelé à la mise en place d'une « sécurité sociale professionnelle », une « assurance temps-formation » appelée à devenir rien de moins que la cinquième branche de la Sécurité sociale.

Manuel Valls et Myriam El Khomri lors de la présentation du rapport piloté par France Stratégie sur le CPA © DR Manuel Valls et Myriam El Khomri lors de la présentation du rapport piloté par France Stratégie sur le CPA © DR

Quant à François Hollande, le CPA a eu valeur d'atout maître à chaque grand rendez-vous, instrument de la « flexisécurité à la française » qu’il appelle de ses vœux. Des plateaux télévisés à la dernière conférence sociale, en passant par le 70e anniversaire de la Sécurité sociale, le chef de l’État aime à rappeler que le CPA sera la grande œuvre de son mandat. « J'ai voulu créer – et ça va être la grande réforme du quinquennat – le capital de ceux qui travaillent (…). Qu'est-ce qui pourrait leur appartenir tout au long de leur vie ? Un compte (…), ça leur permettra d'avoir de la liberté, de la protection et des moyens de vivre et de réussir leur parcours de vie », lançait-il sur le plateau de l’émission de Canal Plus le Supplément, il y a un an, le 19 avril 2015.

Erreur de communication, changement de stratégie, ou dévoilement d’une ligne libérale plus assumée ? Le CPA a finalement terminé sa course glorieuse dans les tréfonds de la loi sur le travail, à l'article 23, éclipsé par les points litigieux de cette réforme du code du travail commentée tous azimuts. Le dispositif a été écrasé dans l’arène médiatique par le renversement de la hiérarchie des normes, l’allongement du temps de travail, les indemnités prud’homales ou encore l’assouplissement du licenciement économique… « Ah vous m’appelez pour le CPA ? Vous n’êtes pas nombreux, les journalistes à vous y intéresser, alors que c’est une réforme majeure », regrette ainsi un proche du président François Hollande, ravi d’envoyer enfin à quelqu’un le dossier de presse « qu’on s’est cassé la tête à faire ».

Dans la première version de la loi, dévoilée en février dernier, la faiblesse du CPA sautait effectivement aux yeux. Il s’agissait d’une simple compilation de deux comptes existants, le compte pénibilité (C3P), et le compte personnel de formation (CPF). Mi-mars, face à une contestation sociale d’une ampleur qu'on n'avait pas vue depuis 2012 et soucieux de s’attirer au moins les bonnes grâces de la CFDT et des organisations de jeunesse, Manuel Valls a consenti à enrichir le dispositif, en ciblant les jeunes et les sans-diplômes.

Que contient au final le CPA, cet objet social non identifié ? « Il est trop complexe et encore trop abstrait, concède ce proche de François Hollande. C’est difficile d’en parler en termes simples. Cela reste une philosophie, car les gens n’ont pas encore de droits sur leurs comptes. Mais c’est une grande réforme. Vous pourrez mobiliser tous les droits et les sortir de leurs compartiments. Un peu comme avec sa banque en ligne, on pourra faire passer un peu de sous vers le livret A, le compte épargne, etc. »