Depuis son indépendance en 1974, la Guinée-Bissau est la plaque tournante préférée des narcotrafiquants sud-américains. Enquête au royaume africain du trafic de cocaïne.

Narco-État

Nous nous trouvons à Bissau, capitale de la Guinée-Bissau. Les quartiers généraux de la police judiciaire, l’agence du gouvernement chargée de mener la guerre contre les drogues dans le pays, sont situés dans une rue poussiéreuse, au beau milieu de cette capitale d’Afrique de l’Ouest étonnamment silencieuse. À l’intérieur se trouve l’unique laboratoire d’analyse des drogues du pays, un ajout récent dû à l’augmentation du financement de l’Union européenne, qui vise à endiguer le flot de narcotiques qui traversent en permanence les frontières du petit État africain.

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Carte de la région

En l’absence de gardes ou de détecteurs de métaux, le laboratoire ne ressemble pas à la première ligne d’une guerre contre de violents criminels qui contrôlent un vaste trafic de cocaïne. On parle de plusieurs milliards d’euros chaque année. Mais les fonctionnaires qui y travaillent s’accordent pour dire que les fioles assorties et les équipements de test rassemblés ici représentent un premier pas important – quoique limité – dans une quête gigantesque. Il s’agit de remonter la piste des cartels sud-américains qui se sont aventurés à des milliers de kilomètres de chez eux pour établir la plaque tournante idéale dans l’un des États les plus pauvres d’Afrique.

« Nous voulons réduire de 80 à 90 % le trafic de drogue qui transite par la Guinée-Bissau », me confie Sargento Natcha de sa voix douce, alors qu’il analyse un petit échantillon de cocaïne à l’aide d’un kit acheté grâce au financement des donateurs. « L’UE a promis de nous envoyer davantage d’équipement », ajoute le coordinateur du laboratoire.

Mais le sort s’acharne contre Natcha et son équipe du labo. Des personnages clés du gouvernement notoirement corrompu du pays – le même gouvernement censé agir dès que le labo a une piste – sont soupçonnés de soutenir le développement du trafic de drogue. Les Nations Unies ont dit de la Guinée-Bissau, une nation pauvre d’1,7 million d’âmes, qu’elle était le premier « narco-État » d’Afrique. On sait que pendant des décennies, l’élite au pouvoir a ouvert les portes du pays aux barons de la drogue d’Amérique du Sud, qui l’utilisent comme base pour acheminer de vastes quantités de cocaïne en Europe, d’après les Nations-Unies. 60 % de la cocaïne consommée en Europe occidentale transiterait par l’Afrique de l’Ouest.

Les routes varient : certaines drogues sont transportées à travers le Sahara – en passant par le Mali, la Mauritanie, l’Algérie, le Maroc et jusqu’en Europe du Sud – tandis que d’autres cargaisons franchissent l’Atlantique en partance pour les États-Unis. Dans les deux cas, la Guinée-Bissau est une plaque tournante essentielle du trafic. Un rapport de l’ONU datant de 2012 estime que 50 % des barons de la drogue colombiens ont des bases en Guinée-Bissau, où ils opèrent aux côtés de membres du tout-puissant cartel mexicain de Sinaloa. Le rapport estime que cette année-là, ils faisaient entrer une tonne de cocaïne dans le pays par les airs… chaque nuit.

La plaque tournante

Les experts sont d’avis que si les trafiquants ont autant la mainmise sur cette petite nation d’Afrique de l’Ouest, c’est en partie à cause de son instabilité politique persistante. Depuis son indépendance en 1974, l’armée a participé à neuf coups d’État ou tentatives de coups d’État, et aucun leader politique élu n’est allé au bout de son mandat. L’actuel président José Mário Vaz a limogé deux Premiers ministres au cours de l’année 2015, aggravant encore la crise politique qui a renforcé la détermination des hauts gradés de l’armée à assurer la protection du trafic de cocaïne, ce dernier représentant une source essentielle de revenus. « Durant la dictature militaire (qui a duré jusqu’en 1994, nda), l’armée était utilisée pour garantir les bénéfices…

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