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Dossier

Une approche communicationnelle des Massive Open Online Courses

Eleni Mouratidou et Geneviève Vidal

Résumés

Développés en Amérique du Nord depuis 2008 et plus récemment en Europe, les Massive Open Online Courses (Mooc) sont des cours en ligne, ouverts et massifs, qui mobilisent des formes audiovisuelles et prônent une interactivité collective. La présente contribution interroge la façon dont les signes constitutifs des Mooc, les discours accompagnant leur déploiement et les prescriptions d’usages permettent d’identifier une rupture ou une continuité avec les modes traditionnels d’enseignement dans le supérieur. Nous recourons à une double méthode analytique : la première, sémio-pragmatique, interroge certains aspects de la mise en scène communicationnelle de trois Mooc et de leurs plateformes. La seconde mobilise une enquête par entretiens et observations auprès d’apprenants et enseignants utilisant des Mooc.

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Texte intégral

Introduction : de la quête d’autonomisation à la tension entre marché de la formation et circulation des connaissances

1Dans un contexte de prolifération de réseaux numériques, les usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) s’inscrivent dans un enchevêtrement de pratiques au quotidien. L’accès aux informations, aux connaissances, s’est diversifié. Les ordres sociaux régissant notamment l’éducation et la culture semblent être en prise avec ces réseaux, avec lesquels les étudiants ou apprenants professionnels ont le sentiment de pouvoir agir pour une alternative éducationnelle, en s’emparant de cours, sans présence en salles d’enseignement, exigeant ou pas des pré-requis. Une promesse d’émancipation est mise en place par les stratégies, notamment communicationnelles, des acteurs des Mooc, dans une dynamique réticulaire, qui participe de la structuration, fondée sur l’industrialisation des réseaux numériques, des rapports aux connaissances et à la culture.

2L’Internet en particulier fait l’objet d’une appropriation par les institutions culturelles et d’enseignement. Les apprenants s’emparent alors de l’Internet pour sortir, temporairement, de l’ordre éducationnel traditionnel, et ainsi participer à la promotion de leurs pratiques réticulaires, caractérisées par le participatif-contributif, par la sélection des contenus et par les interactions sociales médiatisées par des terminaux connectés grâce à des logiciels, applications et services. Ils s’appuient également sur la reconnaissance de leur pouvoir d’apprendre et de production de connaissances, dans un contexte de promotion de la créativité diffuse. Dès lors, les usages, et plus largement les pratiques numériques, contribuent à la valorisation des cours en ligne, prenant des formes diversifiées, la première desquelles nous pointons, les Massive Open Online Courses (Mooc,).

3Les Mooc, apparaissent sur le marché de l’enseignement en ligne comme étant le résultat des mutations socio-économiques des innovations numériques avec les TIC. Si leur filiation est l’enseignement à distance et plus précisément celui dit « par correspondance »1, d’autres modalités ont mobilisé, dans le passé, différents supports médiatiques et techniques, tels que la radio, la télévision, le satellite et plus récemment l’Internet. Initiés en amont par les prestigieuses universités Harvard et MIT, les Mooc, « ne sont pas simplement des cours en ligne, mais des vecteurs d’enseignement sophistiqués, exploitant tous les instruments de la vidéo numérique augmentée, éventuellement accompagnés de questionnaires et d’une interaction numérique avec les autres étudiants, animés par un tuteur »2 comme l’indique le blog de la ParisTechReview.

  • 3 La notion d’interactivité est ambiguë. Nous retenons néanmoins une triple entrée pour la cerner : a (...)

4Ces nouvelles formes d’enseignement et de formation par voie numérique, susceptibles d’apporter une alternative aux modes d’enseignement traditionnels de l’enseignement supérieur, s’appuient notamment sur la notion d’interactivité3, encore très soutenue dans les discours politiques, journalistiques, d’entreprises, mais aussi ceux des internautes pétris de représentations de technologies dites interactives comme vecteur de liberté d’agir. Cependant, l’interactivité désigne des prescriptions portées par les matériels et logiciels infiltrés dans la vie quotidienne. Ainsi, le simulacre de l’autonomisation grâce à l’interactivité (Proulx, Sénécal, 1995) réactualise la question de la prescription, entendue comme le fait d’indiquer aux individus des savoirs et savoir-faire qui leur permettraient de s’autonomiser. La prescription renvoie également à l’influence, pour conduire une action, une décision, en livrant des recommandations, dans l’environnement numérique, grâce à des algorithmes. Les données de prescription ont une valeur sur le marché de l’information ; celles-ci circulent dans des flux informationnels et communicationnels qui vont atteindre des récepteurs de prescriptions qui font appel « à un tiers ‘prescripteur’« (Benghozi, Paris, 2003). La prescription est ainsi reliée à la délégation du processus de prise de décision et par conséquent de celui d’action.

5Les Mooc, comme d’autres dispositifs numériques culturels, s’inscrivent dans un processus ambivalent de prescription, lui-même inscrit dans un processus d’industrialisation de toutes activités médiatisées par les TIC.

Objet, problématique, méthodologie croisée

6À l’heure d’une réflexion sur les humanités numériques, la démarche de recherche interdisciplinaire en sciences de l’information et de la communication doit non seulement être poursuivie mais étendue à des objets de plus en plus complexes, afin de contribuer à l’éclairage des enjeux de la numérisation de la société. En effet, l’étude, ici proposée d’un dispositif communicationnel tel que les Massive Open Online Courses, réunit une double approche. Nous recourons d’une part à une analyse sémio-pragmatique interrogeant la mise en scène d’espaces communicationnels assurant la promotion des Mooc, et présents dans les plateformes qui accueillent ces derniers (Odin, 2011). Elle permet de saisir « le type d’expérience communicationnelle » (Odin, 2011, p. 46) promise par les stratégies promotionnelles mises en place par les plateformes Mooc, Plus précisément, l’analyse sémio-pragmatique porte sur les bandes-annonces des Mooc, étudiés (tableau 1), qui recouvrent une forme audiovisuelle permettant de rendre visible et intelligible une sélection de propositions qui accompagnent les Mooc. Nous interrogeons la place qu’occupe une bande-annonce qui est, soulignons-le, un élément issu de l’industrie cinématographique, dans un espace communicationnel qui doit promouvoir une pratique d’enseignement. Outre la présence de cet élément d’ordre promotionnel et relevant de la promesse, nous interrogeons, d’un point de vue communicationnel, les discours et les positionnements des acteurs des Mooc ainsi que les modalités de suivi et d’évaluation d’un module Mooc. D’autre part, nous recourons à une enquête de terrain permettant de relever les représentations des apprenants et enseignants utilisant des Mooc, en termes de prescriptions d’usages. Cette enquête, menée par les étudiants en Master 1 Innovations et Communication, 2013-2014 de l’UFR Sciences de la Communication, Université Paris 13, sous la responsabilité des auteurs de cet article, a été réalisée grâce à un recueil de témoignages par entretiens et observations d’apprenants et enseignants utilisant des Mooc, ciblant la dimension audiovisuelle et multimédia des Mooc et les modalités pédagogiques proposées en termes d’enseignement et d’évaluation.

7Cette approche complémentaire permet de saisir le fonctionnement de l’objet Mooc, et la façon selon laquelle ce fonctionnement, signifiant, impose des prescriptions en termes d’accès à la connaissance et de circulation des savoirs. Elle permet également de rendre compte des représentations des usagers – potentiels apprenants – des plateformes Mooc, et des modules, autrement dit de la façon dont les internautes ayant suivi un ou plusieurs Mooc, se prononcent justement sur les prescriptions aussi bien d’usages que de circulation et de médiatisation de savoirs véhiculées par les plateformes.

8Notre question de recherche constituant le fil rouge de notre étude est la suivante : dans quelle mesure les prescriptions par les signes constitutifs des Mooc, et de leurs plateformes annoncent une rupture ou une continuité avec les pratiques traditionnelles de l’enseignement supérieur ?

9Pour répondre à cette question, nous tentons de vérifier trois hypothèses.

10Malgré des modalités dites interactives et ludiques d’utilisation au cœur de la médiation éducative, le Mooc relève d’une situation de réception et s’inscrit dans une continuité avec les cours de l’enseignement supérieur.

11Pourtant, les discours, produits par les acteurs des Mooc, et en partie repris par les internautes-apprenants, mais également les prescriptions de réception et d’usages visent à favoriser des modes d’accès renouvelés à la connaissance, fondés sur l’autonomisation de l’apprenant, l’enseignement à la carte, une dimension communautaire et ludique des Mooc. Ces discours promotionnels et ces prescriptions tendent, selon cette deuxième hypothèse, à créer une rupture avec les cours traditionnels de l’enseignement supérieur.

12D’autant plus que les Mooc imposent un rapport quantitatif aux cours et à l’enseignement. En effet, les Mooc sont majoritairement évalués selon des règles quantitatives (le scoring par exemple). L’évaluation quantitative (quiz) des apprenants des Mooc rejoint les dynamiques inscrites dans une économie de la contribution, de la recommandation, dans la culture de la performance chiffrée, telle qu’elle se déploie sur l’Internet actuellement (ex. nombre d’étoiles d’Amazon, d’astérisques ou de cœurs dans les guides touristiques, de like de Facebook, de followers de Twitter…). Nous émettons ainsi une troisième hypothèse selon laquelle ce type d’évaluation permet aux plateformes Mooc d’attirer des partenaires prestigieux (partenariats techniques, enseignants stars) assurant alors leur visibilité, et de valoriser une certaine rupture avec les modalités d’évaluation pratiquées dans l’enseignement supérieur.

  • 4 Ces trois Mooc ont été créés durant l’année 2013-2014.

13Pour vérifier ces trois hypothèses, nous avons étudié un corpus hétérogène, constitué de trois plateformes et de trois Mooc, qui en dépendent et des témoignages recueillis par entretiens et observations portant sur les mêmes Mooc, et les mêmes plateformes. Plus précisément, nous avons soumis à l’analyse la plateforme Udacity et le Mooc Introduction to Psychology ; la plateforme Iversity et le Mooc The Future of Storytelling ; la plateforme France Université Numérique (FUN) et le Mooc Scientific Humanities4, ainsi que les témoignages d’enseignants (2 pour Iversity, 3 pour Udacity, 4 pour FUN), et trois observations directes suivies d’entretiens (1 observation par plateforme). Les entretiens, en face-à-face ou par vidéoconférence, ainsi que les observations directes se sont déroulés entre octobre 2013 et janvier 2014.

14Nous avons opté pour ces trois plateformes car elles sont issues de trois cultures différentes et développent trois positionnements distincts :

Tableau 1 – Plateformes de Mooc analysées

Udacity

Plateforme états-unienne, référencée par Google en tant que structure permettant de faire avancer sa carrière à travers des cours en ligne basés sur des projets, elle se positionne davantage sur le segment de l’enseignement appliqué en valorisant notamment l’efficacité quant à la mise en place de projets professionnels.

Iversity

Plateforme allemande, référencée par Google : Iversity – open courses – Education. Online. Free. Face à Udacity, ce n’est pas tant l’efficacité professionnelle qui semble caractériser la plateforme allemande mais le processus et les moyens techniques, notamment à travers une dimension digitale et interactive. Udacity serait alors la plateforme du résultat tandis que Iversity celle du processus.

FUN

Plateforme française, initiée par le Ministère d’Enseignement Supérieur et de la Recherche, référencée par Google : France Université Numérique – FUN – Découvrir, apprendre et réussir. Si le nom évoque une dimension institutionnelle à travers l’emploi du terme France et Université, faisant sans doute référence à l’université française et son modèle économique publique, le sigle FUN rompt avec le sérieux de l’appellation pour promouvoir une dimension éventuellement ludique.

15Dans la première partie de cette contribution, nous proposons d’aborder la façon dont les Mooc, en suivant les contenus du Web collaboratif, se positionnent sur le principe de l’économie de l’émotion et aussi sur celui de l’enseignement à la carte. Nous traitons par la suite la question du culte du chiffre présente dans les stratégies promotionnelles des Mooc et de leurs plateformes, dans les modalités d’évaluation proposées aux apprenants et aussi dans la façon dont les apprenants se représentent et interprètent cette modalité pédagogique. Enfin, la troisième partie traite des prescriptions d’usages des Mooc.

Modèles du Web 2.0 : économie de l’émotion et enseignement à la carte

  • 5 Réseaux sociaux numériques, de communautés virtuelles, de médiation commerciale à partir de laquell (...)

16Les services 2.0 ont contribué5 ont contribué à la mise en place d’un nouveau statut de l’internaute, souvent envisagé sous le terme d’empowerment, participant des constructions idéologiques en lien avec une nouvelle économie numérique. Partant des travaux d’Henry Jenkins sur une « économie affective » (Jenkins, 2006), Philippe Bouquillion et Jacob T. Matthews soulignent que les « acteurs industriels transforment les marques en lovemarks (marques affectives) et brouillent la frontière entre les messages des marques et les contenus de divertissement » (Bouquillion, Matthews, 2010, p. 51). Ce cadre permet d’interroger l’éventuelle présence de stratégies propres au Web collaboratif dans le fonctionnement communicationnel des Mooc et de leurs plateformes. Il s’agit alors de savoir comment la dimension de l’empowerment, de l’économie de l’émotion et le divertissement sont susceptibles d’accompagner les stratégies promotionnelles et pédagogiques des Mooc et de leurs plateformes.

Promouvoir un Mooc : du document à la fiction

  • 6 Voir par exemple : Sylvie Périneau, Les formes brèves audiovisuelles. Des interludes aux production (...)

17En ce qui concerne le Mooc The Future of Storytelling de la plateforme Iversity, nous avons dans un premier temps étudié sa bande-annonce. Soulignons que le principe promotionnel de la bande-annonce est présent dans les trois plateformes soumises à l’analyse. De façon récurrente, il est significatif de noter que la promotion d’un Mooc impose des contenus audiovisuels puisés dans un secteur bien différent de celui de l’enseignement, à savoir le cinéma, la télévision et leurs techniques marketing6.

18La bande-annonce du Mooc The Future of Storytelling7 démarre sous forme de bêtisier, cette modalité propre aux séries télévisuelles qui consiste à montrer, lors du générique de la fin, les événements ludiques et humoristiques s’étant produits durant le tournage de chaque épisode. Le bêtisier correspond à une modalité qui permet de rompre avec la fiction de la série télévisuelle et qui invite les téléspectateurs à entrer dans l’envers du décor, lui-même étant déconstruit et par conséquent démystifié8. Les téléspectateurs quittent la fiction et entrent dans un discours dit de réalité, instaurant des liens de proximité, voire de connivence avec l’objet télévisuel. Aussi, le bêtisier présenté dès l’ouverture de la bande-annonce du Mooc The Future of Storytelling impose-t-il une relation de proximité avec l’instructrice du Mooc, Christina Maria Schollerer. Si le propre du bêtisier est d’accompagner et démystifier des discours fictionnels, quel est son rôle lorsqu’il figure aux côtés d’un discours pédagogique ? D’un point de vue sémio-pragmatique (Odin, 2011), un Mooc peut être qualifié de discours documentarisant quand les énonciateurs sont « interrogeables en termes d’identité, de faire et de vérité » (Odin, 2011, p. 56). Mais lorsque les Mooc sont accompagnés d’une telle forme audiovisuelle empruntée à la fiction, il semblerait qu’ils questionnent leurs propres modalités communicationnelles. Comme si le fait de faire appel à un bêtisier instaurait une tension entre le discours de vérité et le discours fictionnel. Quant à la bande-annonce du Mooc Introduction to Psychology de la plateforme Udacity, elle introduit également une dimension ludique et humoristique aux contenus pédagogiques proposés, notamment lorsque l’une des instructrices illustre ses propos scientifiques à travers un jeu effectué avec un animal domestique9.

  • 10 The Future of Storytelling, nous soulignons.
  • 11 Introduction to psychology, nous soulignons.

19Au-delà des techniques narratives audiovisuelles propres aux bandes-annonces des Mooc, les discours verbaux assurant la promotion des modules pédagogiques vont également dans le sens d’une économie de l’émotion et du ludique. Le système des valeurs mis en place construit une relation affective entre les apprenants et les contenus pédagogiques proposés. Do you like Game of Thrones ? Do you enjoy games like Limbo, World of Wordcraft or Heavy Rain10 ? Ou bien : Hi, I’m Lauren I wanna use this course to show you why I love psychology son much11. Ces deux énoncés mettent l’accent sur une dimension affective, dimension qui souligne la présence d’un discours que Roger Odin qualifie de « moralisant », dans le cadre duquel son énonciateur est interrogeable en termes d’identité, de faire, de valeurs, mais pas de vérité (Odin, 2011, pp. 53-58). Les internautes sont invités dès lors à entrer dans l’univers des deux Mooc par le biais de l’appréciation, du like ou du love. Aussi, la promesse de la rencontre avec des objets du quotidien que l’on peut apprécier voire pratiquer, lorsqu’il s’agit des enseignements appliqués que l’on consomme, s’organise-t-elle non pas à travers un discours surplombant l’objet comme un objet d’étude, nécessitant ainsi une distance et une posture éventuellement critique, mais à travers un discours qui place les internautes à l’intérieur de l’objet d’étude, dans une relation qualifiée, du moins en partie, d’affective.

20Face à ces deux films promotionnels, celui de la présentation du Mooc Scientific Humanities dispensé par la plateforme FUN développe un positionnement différent, aussi bien du point de vue des modalités audiovisuelles que verbales. La bande-annonce de Scientific Humanities12 opte pour une modalité audiovisuelle qui évoque, ne serait-ce que partiellement, un Cours Magistral en présentiel. Le responsable du Mooc, Bruno Latour, est filmé dans un espace clos, assis, tandis que derrière lui se produit un défilement d’images animées en lien avec ses propos. Si l’image peut faire allusion éventuellement à des plateaux télévisuels, animés par des présentateurs des Journaux Télévisés par exemple, la différence entre la bande-annonce du Mooc Scientific Humanities et les deux précédentes semble se situer au niveau de l’absence d’un processus fictionnalisant et moralisant aussi bien en termes de communication audiovisuelle que verbale. Contrairement à la posture des bandes-annonces des Mooc précédents, Bruno Latour développe un discours à la fois réflexif et référentiel. Réflexif car, en se présentant de façon succincte – Hello I am Bruno Latour – il sous-entend sa posture de chercheur renommé et reconnu et ainsi la non nécessité de se présenter davantage. Son statut même est suffisant pour qu’une relation se crée entre ce Mooc et ses potentiels apprenants. Référentiel, car le ton et le regard surplombant l’objet d’étude sont donnés dès l’ouverture de cette présentation. Bien que le discours soit occasionnellement humoristique, la porte d’entrée dans ce Mooc relève davantage d’un discours documentarisant, discours que nous pouvons très aisément rapprocher des discours présentant des enseignements universitaires. En effet, les livrets fournis aux étudiants à l’occasion des cours à suivre obligatoirement ou en option, dans le cadre de leur cursus de formation supérieure, développent exclusivement des discours documentarisants et n’entrent pas dans des processus promotionnels à travers des modalités ludiques, fictionnelles ou affectives.

21Face aux normes véhiculées par le Web collaboratif et notamment ses acteurs, l’enseignement se développe davantage en tant que contenu ludique. Au sujet de ces normes Jeremy Rifkin souligne : « désormais, ce ne sont plus tant l’efficacité et l’assiduité dans le travail qui comptent que la créativité, et d’ailleurs il est plus question de jeu que de travail » (Rifkin, 2005, p. 213). Dans le cadre des Mooc nous soulignons surtout un positionnement qui met l’accent sur le jeu visant à transformer le travail pédagogique en un moment divertissant.

Suivre un Mooc : assiduité et versatilité

22L’ensemble des positionnements ludiques et fictionnels ci-dessus abordés trouve également sa place dans « cette nouvelle économie des contenus … marquée par la liberté ; c’est le free flow of information enfin mis en œuvre » (Bouquillion, Matthews, 2010, p. 60). Placés sous le signe de la convergence (Jenkins, 2013) l’accès et l’utilisation des contenus numériques sont susceptibles d’accorder aux internautes, consommateurs de contenus pédagogiques, une liberté qui minimise les contraintes spatiotemporelles et qui offre une multiplicité de choix d’usages. Dans cet ordre d’idées, le Mooc Introduction to psychology de la plateforme Udacity, donne la possibilité aux apprenants de répondre, ou pas, aux quiz en lien avec les différentes sessions, d’en faire l’impasse et de continuer la session suivante pour arriver à une autre : « I think it’s important to focus on making the course as accessible as possible, potentially offering remedial material to ‘catch up’ those students coming with less training or simply a different training than what you would expect in your own school » (entretien, enseignant, Udacity). De même, bien que le suivi d’un Mooc repose sur une linéarité respectant la publication en ligne de séances hebdomadaires -chacune d’elle étant composée d’un certain nombre de sessions-, un apprenant a la possibilité soit de respecter cette linéarité temporaire soit de procéder à une lecture aléatoire lui donnant la possibilité par exemple de découvrir la troisième séance avant la deuxième et ainsi de suite.

23Qu’il s’agisse des positionnements portant sur le ludique voire sur la dimension divertissante des Mooc ou l’usage optionnel de certaines de leurs modalités et fonctionnalités, mais aussi de l’engagement des internautes, nous soulignons, pour les Mooc des plateformes Udacity et Iversity, la présence d’une stratégie communicationnelle et pédagogique qui consiste à rassurer les apprenants et à les placer dans une position de confort quant à l’utilisation des contenus pédagogiques proposés. Ceci marquerait une certaine rupture avec les modèles de fonctionnement de l’enseignement supérieur, du moins tel qu’il est pratiqué en France où l’offre des unités d’enseignement est obligatoire, même si les étudiants peuvent en choisir une parmi un certain nombre proposées (notamment pour les options dites obligatoires). Par ailleurs, et comme nous le verrons par la suite, la même dimension de confort et de liberté est observée dans les formes d’évaluation quantitative pour lesquelles optent deux sur trois Mooc étudiés.

Stratégies promotionnelles et évaluation des apprenants : le culte du chiffre

  • 13 Contrairement par exemple aux sites Web d’e-learning dont le positionnement communicationnel relève (...)

24Sur le marché de l’enseignement en ligne, les plateformes des Massive Open Online Courses développent des stratégies marketing comparables à celles mises en place par une entreprise ou une marque13. Nous proposons dans cette deuxième partie d’une part d’observer la façon dont certaines stratégies communicationnelles des plateformes Mooc s’organisent. D’autre part, nous interrogeons la façon dont certaines pratiques proposées par les Mooc et portant sur l’évaluation des apprenants – en guise de validation d’un Mooc suivi – contribuent également, de façon implicite, à la valorisation générale des plateformes.

Une « recommandation » quantitative

25Les internautes inscrits aux Mooc des plateformes étudiées reçoivent régulièrement des courriels à vocation informative et promotionnelle. Iversity par exemple valorise implicitement sa plateforme en soulignant : The Future of Storytelling launched with more than 50.000 users and our other courses are seeing user numbers in the ten thousands as well. This wouldn’t have been possible without you spreading the word about Iversity ! Ce discours promeut une évaluation quantifiée de la qualité et de l’efficacité grâce à la forme évaluative du j’aime et qui « permet, par un geste ponctuel de l’utilisateur, de produire d’importants effets de sens et de forts rendements économiques, par la mobilisation quantitativement conséquente de sujets cliqueurs… » (Candel, Gomez-Mejia, 2013, p. 142). Ce même discours met également l’accent sur une culture participative et contributive focalisée sur l’internaute, ce dernier étant promu au rang de représentant de la plateforme compte tenu du fait qu’il est susceptible de contribuer à sa valorisation. La plateforme construit dès lors un destinataire pensé comme un « individu ‘utilisateur-acteur’ des médias … à la fois actif et créatif et engagé dans des processus collectifs de ‘création-consommation'« (Bouquillion, Matthews, 2010, p. 58).

  • 14 https://iversity.org/blog/become-iversity-ambassador-win-great-perks/
  • 15 C’est le cas par exemple de la plateforme Coursera qui utilise comme embrayeur de légitimité des él (...)

26En effet, la plateforme Iversity propose aux apprenants de devenir ses « ambassadeurs »14 en invitant d’autres internautes à suivre les Mooc de la plateforme et en relayant les contenus de cette dernière à travers les réseaux sociaux numériques et notamment Facebook. Les dix ambassadeurs les plus productifs, à savoir ceux qui parviennent à inviter le plus d’internautes à suivre les Mooc de la plateforme, recevaient, en novembre 2013, en guise de récompense soit des mini tablettes I Pad soit des chèques cadeaux Amazon. Cette pratique de construction du réseau Iversity s’inspire des stratégies de marketing collaboratif où la cible – en l’occurrence l’internaute et apprenant – contribue à la notoriété de sa marque préférée, à savoir la plateforme Iversity. Ce processus collectif met l’accent sur les bénéfices pour le consommateur, même si, in fine, c’est la marque qui est le dernier bénéficiaire. Dans le cadre du programme ambassador d’Iversity, nous assistons à un processus de collaboration cyclique où plus l’internaute est présent aux côtés de la plateforme, plus il sera gratifié par cette dernière et plus cette dernière bénéficiera d’une réputation positive. Cette modalité de communication cyclique peut être analysée à l’instar de la théorie du don et du contre-don telle que développée par l’anthropologue Marcel Mauss (1923-1924, 2007) et dans le cadre de laquelle le processus du don et du contre-don instaure une relation d’échange permanent. En stratégies marketing, cette conception d’échange se traduit à travers des pratiques liées au brand content, qui consistent pour les marques à produire du contenu – divertissant, informationnel, éducatif – dans l’objectif d’instaurer avec leurs cibles-publics une relation qui n’est pas perçue comme étant marchande. Ainsi, dans le cadre de la plateforme Iversity, l’échange entre cette dernière et ses ambassadeurs se construit sur cette logique mercatique. Il y a certes valorisation de la réputation de la plateforme mais aussi valorisation des internautes dont le statut se modifie – symboliquement et matériellement aussi – lorsqu’ils sont promus ambassadeurs. Soulignons par ailleurs que la réputation de la plateforme est également assurée par le culte du chiffre, visible sur les pages Facebook des trois plateformes ici analysées : 137k j’aime pour Iversity, 74 979 pour Udacity et 12 732 pour FUN15.

Les mérites du scoring et de l’évaluation chiffrée

27Au-delà de l’évaluation quantifiée de la fréquentation de chaque plateforme, celle des travaux des apprenants dans le cadre du suivi d’un Mooc est également soumise au culte du chiffre. Comme nous l’avons vu, les Mooc accordent aux internautes une certaine souplesse quant à l’usage qu’ils peuvent faire des contenus pédagogiques proposés ; réponses aux quiz, mise en place d’un blog, publication des devoirs en ligne, participation aux forums de discussion, échanges avec les instructeurs des Mooc, suivi de toutes les séances ou bien d’une partie de celles-ci de façon assidue ou optionnelle.

28Les informations explicatives du Mooc The Future of Storytelling soulignent la dimension facultative de la publication de devoirs. Aussi, les internautes ont-ils la possibilité de s’atteler à l’exercice des devoirs, comme c’est le cas pour un enseignement universitaire, mais peuvent aussi suivre un Mooc en tant qu’auditeur libre, profitant du savoir fourni sans pour autant entrer dans un processus de participation active d’évaluation. L’évaluation des apprenants présente principalement deux volets. D’abord il s’agit de l’évaluation des travaux : publication de devoirs, création et animation de blogs. Ensuite, il est question de l’évaluation de la fréquentation des Mooc, souvent assimilée à des performances positives mais aussi négatives de la part des apprenants : « je suis pour l’instant satisfaite. Les Mooc étaient gérés différemment d’un cours à l’autre ; pour certains, il n’y avait pas de devoir à rendre ; je trouvais ça dommage car personne ne pouvait vérifier si on a compris le cours » (entretien, étudiante, FUN).

29Deux sur les trois Mooc suivis, The Future of Storytelling et Introduction to Psychology proposent des modalités d’évaluation qui répondent à des exigences davantage quantitatives que qualitatives : les internautes sont invités à répondre à des quiz qui correspondent aux sessions thématiques des Mooc. Iversity propose une certification aux apprenants dès lors qu’ils ont réussi à 80 % le suivi d’un Mooc. Cela correspond au nombre de séances suivies, au nombre de vidéos regardées et au nombre de quiz répondus. Quant au Mooc de Udacity, il propose deux sessions d’examen accessibles directement, même si les apprenants n’ont pas suivi l’intégralité des séances. Les deux sessions sont organisées autour de quiz qui, en cas de mauvaise réponse, invitent les internautes à essayer de nouveau, et ce, jusqu’à ce que la bonne réponse soit donnée. Aussi, une réussite à 100 % peut-elle être envisagée sans pour autant que ce chiffre soit transparent quant aux modalités d’évaluation qu’il est censé représenter. Aucun élément ne permet de vérifier la qualité des réponses des internautes, la seule valeur évaluative étant celle de la quantité. Le fait d’avoir répondu correctement à toutes les questions de chaque quiz ne justifie pas une bonne compréhension du Mooc, voire un bon investissement intellectuel de la part de l’internaute. Ce dernier, confronté aux quiz, peut par exemple opter en amont pour les mauvaises réponses pour finir par en choisir la bonne, simplement parce qu’il a épuisé tous les choix possibles. Ce qui nous permet de considérer que la réussite est ici quantitative et relativement opaque : elle permet aux apprenants de valider officiellement le suivi d’un Mooc, sans pour autant que cette validation corresponde à une compréhension effective du Mooc suivi. Elle permet aussi aux plateformes de publier des chiffres importants quant aux apprenants ayant validé un Mooc, ce qui, comme nous l’avons vu ci-dessus, accorde une légitimité à leur fonctionnement et sert une réputation à la plateforme.

  • 16 Le modèle de la classe inversée – flipped classroom – consiste à rendre les étudiants davantage act (...)

30Face à l’évaluation quantifiée mise en place par ces deux plateformes, le Mooc Scientific Humanities de la plateforme FUN propose une modalité d’évaluation fort différente. Son enseignant Bruno Latour invite les apprenants à tenir un blog où les échanges peuvent se mettre en place suscitant des interactions entre les apprenants. Ce Mooc ne propose pas d’évaluation quantitative sous forme de quiz mais une évaluation qui se met en place à travers la création des blogs personnels et des échanges susceptibles d’exister entre les internautes. Compte tenu du fait que le Mooc ne délivrait pas encore de certification, l’évaluation se faisait par les apprenants, chacun d’eux étant invité à proposer des commentaires sur les contenus publiés à travers les blogs qui fonctionnent comme une évaluation informelle et qualitative. Si la culture de la performance quantitative est écartée dans le cadre de ce Mooc, celle de la co-construction de l’évaluation et d’une culture participative est mise en place. Toutefois, soulignons que cette co-construction du processus évaluatif ne diffère pas, sur le fond, des processus d’enseignement collaboratif mobilisés dans le cadre des enseignements universitaires traditionnels (en présentiel organisés en Cours Magistraux, en Travaux Dirigés et Travaux Pratiques) et renforcés par exemple à travers le modèle de la flipped classroom (Mazur, 1997)16. Par ailleurs, les témoignages des internautes de ce Mooc vont dans le même sens lorsque par exemple, sur l’espace du blog, ils demandent des informations concernant les profils des différents apprenants du Mooc pour contextualiser davantage les échanges et les interactions mis en place. Cette demande, partagée par nombre d’apprenants du Mooc, marque également les limites d’un dispositif interactif tel qu’il est valorisé à travers les discours autopromotionnels des Mooc et de leurs plateformes. Elle pointe également une autre spécificité, à savoir celle de la dynamique et de l’évolution d’un contenu pédagogique dépendant, non seulement de ce qui est prévu en amont, mais également de ce que les apprenants apportent, demandent et souhaitent optimiser. Dans cet ordre d’idées, le Mooc Scientifc Humanities fonctionnerait à l’instar d’un enseignement universitaire traditionnel.

31Les analyses et observations présentées dans les deux premières parties permettent de saisir la façon selon laquelle l’organisation signifiante et communicationnelle des trois Mooc de notre corpus et de leurs plateformes ouvre sur des prescriptions en termes de réception et d’usage de cet objet. Ces prescriptions ne sont pas réservées au seul objet Mooc ; elles émanent de façon transversale de nombreux contenus du Web collaboratif. Soulignons toutefois que notre corpus étant particulièrement qualitatif ne permet pas d’apporter de conclusions généralisantes quant à ces deux dimensions caractérisant les Mooc et directement en lien avec les mutations que produit le Web collaboratif. Il nous permet en revanche d’observer une tendance aussi bien en termes de stratégies promotionnelles que pédagogiques. Le modèle économique déterminant les Mooc du corpus peut également être pris ici en considération. Comme en amont annoncé, le choix des plateformes étudiées se justifie aussi bien à travers le positionnement de ces dernières qu’à travers leurs partenariats avec des structures soit universitaires soit industrielles. En effet, le Mooc qui se rapproche davantage d’un modèle d’enseignement universitaire en présentiel est celui de Scientific Humanities, proposé par Bruno Latour et la plateforme France Université Numérique, plateforme mise en place par le Ministère français de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Nous pourrions ainsi voir dans cette démarche, loin d’une rupture avec l’enseignement universitaire, une proposition de complémentarité et de renforcement du modèle de l’enseignement supérieur en France.

32Pour la troisième et dernière partie analytique, nous proposons de poursuivre l’étude des prescriptions grâce à l’analyse des témoignages des apprenants et enseignants des Mooc rencontrés.

Prescriptions d’usages des Mooc

33L’objectif de l’étude des prescriptions d’usages sur les plateformes Mooc est de cerner les modes d’accès aux contenus pédagogiques ou de formation, en rupture ou en continuité avec l’enseignement supérieur. Nous retenons d’une part une quête d’autonomisation de l’usager de technologies numériques comme moyens de se libérer de ce qui peut être considéré comme des contraintes (présence en cours, lecture en bibliothèque par exemple), et ouvrant sur une posture agréable en tant qu’émetteurs (de commandes) et récepteurs (de contenus) : « What I like about the Mooc experience: opportunity to review instructor/class materials (lessons) as many times as I need to fully understand the information, rather than scrambling to take notes during a live class » (entretien, étudiant, Udacity). D’autre part, nous identifions une offre fondée sur l’ouverture d’un enseignement à la carte et sur une masse d’apprenants : «  the students can progress at their own speed and don’t need to keep up the speed of class mates » (entretien, étudiant, Iversity) ; « j’apprends juste pour apprendre. C’est génial ça, je ne suis pas obligée et donc c’est ce critère là qui me rend à l’aise » (observation, étudiante, FUN).

Prescriptions en rupture, prescriptions en continuité

34La prescription doit composer avec la négociation par les usages de la part d’internautes mus par la représentation du numérique comme « territoire » des possibles et de l’autonomisation. Ainsi expérimentent-ils les plateformes Mooc, en puisant dans leurs pratiques pédagogiques, numériques et communicationnelles, tout en mêlant le plaisir de l’interactivité. Ce faisant, la posture relative au dispositif technique fait référence aux produits industriels de consommation, voire de consommation ludique associée au processus de gamification de toute situation de communication. Cette posture fait également référence aux usages participatifs, stimulés par les acteurs des Mooc. Mais ces derniers, même s’ils modifient la manière d’entrer en relation avec les apprenants-usagers, ils orientent le suivi des cours selon des modalités d’échanges, de façon à maîtriser le cadre des cours en ligne : « I find that Mooc is more of a mix between the traditional education and the e-learning aside the social interaction factor. I find that mooc offers a nice learning experience and perhaps fills the gaps for the visual learners like myself  » (entretien, étudiant, Iversity). Mais sur l’Internet les frontières sont floues et les étudiants internautes provoquent des mouvements exogènes de contenus, quand ils veulent vérifier, compléter des éléments du cours en ligne, durant et après la diffusion et réception de ce dernier.

35Dans un contexte d’usages potentiellement volatiles, la stabilité, associée aux pratiques professionnelles relatives au secteur éducatif, se télescope avec les pratiques de flux en lien avec les usages sur l’Internet. L’étude des observations d’usages des Mooc et des entretiens ne doit donc pas être réduite à l’évaluation de la satisfaction (par scoring et statistiques de connexion/téléchargements, bien que ces indices importent pour les internautes cherchant à choisir un Mooc plutôt qu’un autre), mais considérer les significations d’usages et interactions de pratiques. Les apprenants, dont on a pu relever les témoignages, soulèvent le sens pour eux d’un suivi et d’une participation à un Mooc : compléter des connaissances ou une culture générale, atteindre un objectif professionnel ou personnel. Les répondants indiquent ainsi une diversité d’objectifs : leur réputation en ligne (voire dans leur curriculum vitae) en mobilisant le Mooc non seulement pour les contenus mais aussi pour légitimer leur parole en mentionnant le Mooc d’une plateforme prestigieuse. D’autres souhaitent observer la façon dont un Mooc s’organise, pour tirer expérience de la forme de cette innovation en ligne. À cette occasion, les usagers peuvent être critiques et estimer qu’il y a peu d’écarts entre un Mooc et un cours traditionnel. Cependant, ils apprécient quand il y a une certaine rupture selon eux dans le rapport à l’enseignement universitaire, notamment grâce à la vidéo et à la flexibilité de suivi. Pour s’approprier les Mooc, en visant ces objectifs, les usagers mobilisent diverses expériences, provoquant des interactions entre leurs pratiques, de l’Internet aux cours d’enseignement supérieur ou à une formation professionnelle, en passant par des pratiques informatiques (téléchargement, enregistrement d’extraits, transfert de données entre logiciels…) : « I find that Mooc allows me to organize my day as the schedule is much more flexible and adaptable to a busy schedule. In the e-learning I had so far, you would be given a list of book to buy, chapters to read and dates to pass an exam » (entretien, étudiant, Iversity).

36Les usages fondés sur ces pratiques en interaction semblent propices à des expériences de cours durant et dépassant le Mooc, offrant ainsi de nouvelles frontières aux cours, en tant que média de formation. Un double mouvement exogène et endogène prend la forme de compléments d’une veille, d’une culture générale, de connaissances préalables, dans l’environnement social des usagers de Mooc, porteurs de sens dans leur vie, sans pour autant, d’après les témoignages recueillis, se substituer aux autres pratiques relatives à l’accès aux contenus et connaissances : « Mooc should be a different thing but it sometimes ends up just replicating its less virtual predecessors. For many reasons; habit for both students and teachers being one of them. Sometimes Mooc becomes glorified interactive textbooks. That’s sad as well. To community engagement should be just as important if not paramount to individual learning » (entretien, étudiant, Iversity).

37De fait, le Mooc s’inscrit dans la continuité de la recherche documentaire en ligne, des cours classiques, et sans heurt dans la vie quotidienne des apprenants qui s’emparent des dispositifs avec une relative aisance, notamment avec les pauses dans le flux vidéo, malgré des limites ergonomiques mentionnées par certains répondants pour certains Mooc : « le rythme est lent, c’est ennuyeux » (observation, étudiant, Udacity). Les apprenants apprécient par ailleurs la gratuité, les modalités d’évaluation avec des quiz et des présentations, quand celles-ci rompent avec le cours filmé. En effet, ils soulignent des cours les prenant en compte à distance, quand l’enseignant manipule la caméra, change la prise de vue et diversifie les médias (images, power point, démonstrations). Ils apprécient pouvoir lire les textes des cours avant ou après ces derniers en vidéo, les liens vers des sources sur l’Internet à consulter pendant la vidéo.

38Comme nous l’avons abordé, les interactions de pratiques établies par les apprenants, qui s’appuient sur leur expérience numérique (avec le cadre de référence aux technologies Internet notamment mais aussi aux cours d’enseignement supérieur) pour engager une posture réflexive sur leurs propres usages, participent des relations avec les institutions d’enseignement. Les apprenants reçoivent alors les innovations Mooc et les situent au cœur de leurs pratiques Internet et de formation, de plus en plus fondées sur les modèles du Web participatif-contributif. De ce point de vue, nous pouvons souligner la convergence des prescriptions, telles qu’elles figurent au sein de l’objet Mooc, partie intégrante du Web participatif et telles qu’elles sont nommées par les personnes rencontrées.

Conclusion

39Nous avons relevé les modalités sémio-pragmatiques et communicationnelles des Mooc et de leurs plateformes démontrant une rupture, sur la forme, avec les pratiques habituelles de l’enseignement supérieur : discours promotionnels empruntant des codes propres à la fiction télévisuelle et cinématographique, discours affectifs, enseignement à la carte, stratégies d’évaluation des apprenants et de promotion des plateformes basées sur des données majoritairement quantitatives. Les prescriptions d’usages, telles que saisies à travers les témoignages des apprenants et des enseignants, soulèvent également la question de la rupture avec les pratiques de l’enseignement supérieur, dans les modalités d’accès aux connaissances et à la formation : souplesse organisationnelle, accès illimité aux contenus pédagogiques, valorisation de formats audiovisuels.

40Dans le même temps, les prescriptions d’usages mettent l’accent sur un système d’organisation qui, tout en minimisant les contraintes d’apprentissage, peut être critiqué par les apprenants, notamment lorsque ces derniers saisissent l’absence d’évaluation qualitative. Ce constat témoigne d’une divergence entre les intentions communicationnelles et pédagogiques des acteurs Mooc, telles que présentées sur leurs plateformes, et la façon dont les apprenants saisissent l’offre aussi bien du point de vue de sa réception que de son usage. Cette divergence peut éventuellement être comprise comme le résultat d’une certaine émancipation de l’internaute, non pas du point de vue du rôle qu’il peut jouer en tant qu’apprenant d’un Mooc mais du point de vue de sa place au sein de la toile mondiale. En effet, confrontés et habitués aux stratégies du Web 2.0, les internautes peuvent développer des attentes d’innovation dépassant les formats numériques déjà connus.

41De fait, la rencontre entre les plateformes et les apprenants s’appuie sur un cadre d’innovations technique et d’accès aux connaissances et à la formation (format de vidéo, quiz notamment repris par les apprenants dont nous avons recueilli les témoignages) qui porte des prescriptions d’usages, de suivi, de réception, parfois discutées. Ces critiques s’expriment en se référant aux modèles de la vidéo courte dans laquelle l’enseignant s’adresse aux apprenants selon une prestation séduisante. Les critiques s’expriment également en termes de limites ergonomiques, quand les apprenants ne peuvent intervenir au fil du Mooc, ou convoquer des contenus selon une ergonomie interactive ancrée dans des routines d’usages numériques (par exemple relier les cours et les échanges en ligne), dépassant les fonctionnalités offertes (suivre la vidéo, lire le texte).

42Un lien entre Mooc et enseignement supérieur est souligné quant à l’organisation communicationnelle de la plateforme FUN et de son mooc Scientific Humanities. Cette plateforme, présentant, comme nous l’avons vu, un modèle économique bien différent de celui de Udacity et d’Iveristy, s’est positionnée lors de son lancement – et selon notre analyse sémio-pragmatique – dans une continuité et complémentarité à l’enseignement traditionnel. La plateforme a en effet valorisé, durant sa première année de fonctionnement, sa dimension complémentaire à l’enseignement universitaire, car les Mooc de FUN ne délivraient pas jusqu’à présent de certificats. Elle annonce dorénavant la livraison de ces derniers, entrant ainsi dans un processus concurrentiel vis-à-vis de plateformes européennes et internationales. Elle demeure toutefois un adjuvant de l’université et non pas un concurrent et continue à s’ouvrir vers un nouveau public, pour une visibilité de l’enseignement supérieur français, selon le modèle de l’économie de la formation, du numérique et de la circulation des connaissances. Le Mooc Scientific Humanities témoigne par ailleurs de cette idée de continuité avec l’enseignement supérieur compte tenu de la dimension « documentarisante » (Odin, 2011) de son espace communicationnel et de ses modalités d’évaluation qualitative. Enfin, la continuité entre Mooc et enseignement supérieur est également soulevée avec l’étude des observations d’usages et des témoignages recueillis, notamment lorsque les apprenants n’évoquent pas de différences saillantes entre ces deux modalités pédagogiques.

43Deux projets émergent, rejoignant le processus d’une rationalisation des usages de l’Internet ; l’un visant une diffusion massive en soumettant un enseignement à la carte et l’autre une ouverture pour répondre à des attentes (encore mal cernées) d’interventions avec et sur les contenus de la part des apprenants. L’appropriation des Mooc par l’enseignement supérieur montre bien le processus structurant d’innovations pédagogiques en cours fondées sur des politiques d’information, de communication et de médiation numériques. Au moment où les Ecoles et les Universités tentent de penser la mise en réseau de leurs contenus, elles renouvellent la prescription de l’accès aux contenus puisés prioritairement à l’intérieur des institutions, mais également en s’appuyant sur les contenus et services à l’extérieur (notamment Twitter, Facebook).

  • 17 « On entend ici par communication multimodale instrumentée une communication qui utilise différente (...)

44Sur le marché des connaissances, les Mooc se présentent comme révélateurs des déplacements de la notion de prescription, maintenue de façon ambivalente entre contrainte et dialogue, mais renouvelée par une émancipation partielle du rapport aux enseignements. En effet, les prescriptions sont attendues par les publics pour un accès aux connaissances, selon des conditions de négociations d’usages des technologies numériques avec une attente d’innovations technique et pédagogique. Les prescriptions des Mooc et de leurs plateformes jouent ainsi un rôle qui dépasse la diffusion d’informations ou de connaissances au sein d’institutions légitimes aux yeux des apprenants sur les Mooc. Les Mooc suscitent des connaissances préalables et nouvelles, tout en valorisant les usages de l’Internet. Les apprenants deviennent ainsi partenaires des environnements Mooc, ancrés d’une part dans un processus de « communication multimodale instrumentée »17 et d’autre part dans un marché de l’enseignement et de la formation sur l’Internet. Mais, il convient de mettre à distance le paradigme de l’apprenant-acteur qui ressent le besoin de prescriptions, dans le cadre d’une relation avec des enseignants et des institutions qui peuvent recevoir les prescriptions des publics, conduisant, dans une dynamique de continuité, à renouveler la diffusion de la formation. Le territoire Mooc sur l’Internet donne à voir une phase d’appropriation de ces propositions d’innovations pédagogiques. Pour les engager et les faire aboutir, les acteurs des Mooc s’appuient sur une expérience Internet des apprenants, et depuis plusieurs années avec le Web 2.0 qui offre des outils de mise en contact et de participation-contribution.

45Ainsi, la double démarche adoptée nous a permis de cerner un tel dispositif communicationnel, et confirme la pertinence des pratiques de recherche pour analyser un même objet : l’analyse sémio-pragmatique et l’étude d’usages, et au delà de cette proposition, dans le cadre des humanités numériques.

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Bibliographie

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Benghozi Pierre-Jean, Paris Thomas, « De l’intermédiation à la prescription : le cas de l’audiovisuel », Revue Française de Gestion, vol. 29 n° 402, 2003, p. 205-227, en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00262496/document.

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Odin Roger, Les espaces de communication. Introduction à la sémio-pragmatique. Grenoble, PUG, 2011.

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Vidal Geneviève (dir.), La sociologie des usages : continuités et transformations, London-Paris, Hermès Science-Lavoisier, 2012.

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Notes

1 L’éditeur I. Pitman est à l’origine de la création de la première école par correspondance et dont le développement est à mettre en relation avec l’invention de la sténographie, cf. Pierre Moeglin, Les industries éducatives, Paris, PUF, 2010, p. 56-76.

2 http://www.paristechreview.com/2013/06/24/face-cachee-moocs/

3 La notion d’interactivité est ambiguë. Nous retenons néanmoins une triple entrée pour la cerner : allant du simple système de sélection et de manipulation des données, aux relations soit entre humains et machines, soit interindividuelles et médiatisées par des ordinateurs et des réseaux, en passant par l’échange d’informations entre dispositifs socio-techniques, pilotés ou non par des individus. Cette notion polysémique permet de dépasser le niveau fonctionnel et ergo-cognitif, et de designer la place de l’action dans la médiation technique, qui rend possibles mais aussi configure les relations entre individus, ainsi que les relations entre ces derniers et une multitude d’objets de leur environnement, dans le cadre de normes d’usages, aussi bien prescrites par le dispositif qu’intériorisées (voir Geneviève Vidal, La sociologie des usages : continuités et transformations. London-Paris, Hermès Science-Lavoisier, 2012).

4 Ces trois Mooc ont été créés durant l’année 2013-2014.

5 Réseaux sociaux numériques, de communautés virtuelles, de médiation commerciale à partir de laquelle les internautes consommateurs sont invités à donner leur avis sur tel ou tel bien ou service, personnalisation des offres, publicité interactive, contenus (notamment commerciaux) à vocation divertissante, informative ou pédagogique… L’inventaire ne saurait être exhaustif.

6 Voir par exemple : Sylvie Périneau, Les formes brèves audiovisuelles. Des interludes aux productions web, Paris, CNRS Editions, 2013.

7 https://iversity.org/courses/the-future-of-storytelling

8 Voir par exemple : François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision, Paris, Ellipses, 2004.

9 https://www.udacity.com/course.ps001

10 The Future of Storytelling, nous soulignons.

11 Introduction to psychology, nous soulignons.

12 http://www.dailymotion.com/video/x168gnv_fun-mooc-scientific-humanities_school

13 Contrairement par exemple aux sites Web d’e-learning dont le positionnement communicationnel relève davantage d’une communication d’ordre institutionnel et dont la cible principale est plus réduite que celle d’une communication de marque.

14 https://iversity.org/blog/become-iversity-ambassador-win-great-perks/

15 C’est le cas par exemple de la plateforme Coursera qui utilise comme embrayeur de légitimité des éléments quantitatifs annoncés en page d’accueil : 16 597 478 learners – 1 511 cours – 140 partners, là où d’autres plateformes présentent explicitement leurs partenaires, ces derniers faisant office d’autorité. Udacity par exemple introduit en page d’accueil les logotypes de Google et Facebook entre autres.

16 Le modèle de la classe inversée – flipped classroom – consiste à rendre les étudiants davantage actifs et impliqués même lors d’un cours magistral, là où traditionnellement, ils sont plutôt réceptifs du cours d’un professeur. Les étudiants sont invités à faire des recherches en amont, avant le déroulement du cours magistral mais aussi tout au long de ce dernier, en formant de petits groupes de discussions et en essayant de reproduire des problèmes posés par l’enseignant. Les réponses sont transmises via les outils informatiques installés sur les tables de travail des étudiants et affichées sur les écrans installés dans les salles de cours. Les étudiants peuvent alors visionner les réponses proposées et en débattre. Le modèle de la classe inversée valorise une participation active et collaborative des étudiants suivant un enseignement traditionnel.

17 « On entend ici par communication multimodale instrumentée une communication qui utilise différentes médiations sémiotiques (vidéo, peinture, dessin à la main, graphique, schéma, sonorité, musique…), éventuellement en les englobant l’une dans l’autre dans un jeu d’incorporation progressive et de transformation mutuelle des caractéristiques spécifiques de chaque medium » (Mouratidou, Dondero, 2014, p. 64).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Eleni Mouratidou et Geneviève Vidal, « Une approche communicationnelle des Massive Open Online Courses », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 21 mars 2016, consulté le 12 avril 2016. URL : http://rfsic.revues.org/1945

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Auteurs

Eleni Mouratidou

Eleni Mouratidou est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris 13, IUT de Bobigny et membre du Labsic. Ses recherches en communication visuelle et audiovisuelle mobilisent la sémiotique, la socio-sémiotique et l’analyse du discours. Courriel : mouratidou@univ-paris13.fr.

Articles du même auteur

Geneviève Vidal

Enseignante-chercheure, habilitée à diriger des recherches, en Sciences de l’Information et de la Communication, Geneviève Vidal est membre du Labsic à l’Université Paris 13. Ses recherches portent sur les usages des technologies numériques. Courriel : gvidal@sic.univ-paris13.fr.

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