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Après les primaires américaines du 15 mars

Le rôle politique de la campagne de Sanders

Par Joseph Kishore
18 mars 2016

Les élections primaires démocrates et républicaines tenues dans cinq États mardi ont cimenté davantage la position des deux meneurs de la compétition, Hillary Clinton et Donald Trump.

Du côté républicain, il est de plus en plus probable que le parti aura en tête de son ticket en novembre un candidat avec un programme distinctement fascisant et autoritaire, y compris des appels ouverts à la violence contre les opposants politiques et à l’agitation raciste contre les immigrés et les minorités ethniques et religieuses. Mardi, Trump a menacé qu’il y aurait des « émeutes » au cas où il lui serait refusé la nomination à une convention républicaine « contestée ».

Du côté démocrate, la possibilité que Bernie Sanders surmonte l’avance de Clinton en nombre de délégués est de plus en plus faible après la victoire de l’ancienne secrétaire d’État dans les cinq états qui ont tenu des primaires mardi. À moins d’un événement grave – tel qu’un acte d’accusation criminelle concernant l’affaire de ses courriels lorsqu’elle était au ministère de la défense – Clinton se dirige vers l’obtention de l’investiture démocrate à la convention du parti en juillet.

Une nomination probable de Clinton – la personnification du statu quo et l’un des personnages politiques les plus méprisés aux États-Unis – rends plus claire la fonction politique de la campagne de Sanders. Le large soutien pour Sanders a révélé combien les travailleurs et les jeunes sont à la recherche d’une alternative au capitalisme. Ils ne la trouveront pas, cependant, dans le sénateur du Vermont autoproclamé « socialiste démocratique ».

Dès le début, le rôle de Sanders est de servir de paratonnerre au mécontentement social, pour le diriger dans l’impasse du Parti démocratique. À ses moments les plus francs, il a déclaré que le contenu réel de sa « révolution politique » est d’encourager des millions de jeunes et de travailleurs de ne pas perdre la foi dans le « système politique » et d’augmenter le vote démocratique en novembre. Il va maintenant commencer le processus de faire pression sur ses partisans pour qu’ils soutiennent la candidate éventuelle, Clinton.

Faisant en quelque sorte un bilan de la campagne de Sanders du point de vue du Parti démocrate, le chroniqueur du New York Times Timothy Egan a écrit mercredi que bien que « l’arithmétique fasse qu’il est désormais presque impossible pour lui d’obtenir la nomination », Sanders devrait continuer sa campagne parce qu’il a « rendu un véritable service au parti qu’il n’a rejoint que récemment, et pour le pays ».

Grâce à Sanders, a déclaré Egan, « les électeurs de la génération du millénaire, nés entre 1980 et 2000, qui ont afflué vers Barack Obama, mais qui ne sont pas enthousiastes pour qu’un autre Clinton soit de retour dans l’arène […] Ses idées vont façonner chaque partie de la plate-forme du parti, ce qui donnera à Clinton ce qui lui manque : un message clair. Finalement, [Sanders] va approuver la femme qu’il a influencée, et les démocrates en profiteront ».

En fait, la campagne Sanders n’aura aucun impact sur le programme du Parti démocratique ni sur les politiques d’un futur gouvernement Clinton. Déjà, Clinton commence à virer vers la droite dans la préparation d’une campagne présidentielle contre Trump, se préparant à se positionner comme l’alternative pour l’aile « modérée » de la droite républicaine et en tant que gardien fiable des intérêts du capitalisme américain. Cependant, les commentaires d’Egan indiquent une compréhension au sein de l’establishment politique du fait que le rôle de Sanders, dont le candidat lui-même est très conscient, est de contrer la colère et la désillusion profondes qui ont été les principaux produits des sept années du gouvernement Obama.

La forme et le contenu de la campagne Sanders ne sont pas accidentels. Le fait qu’il ait choisi de briguer la présidence au sein du Parti démocrate, quelle que soit sa rhétorique de « gauche », détermine la trajectoire et la signification politique de sa campagne. Les revendications de diverses organisations pseudo-gauches mises à part, le Parti démocrate ne peut pas être transformé en un instrument de progrès social et politique, encore moins du socialisme. Même si Sanders devait accomplir l’exploit improbable de gagner la nomination, cela ne changerait que la forme particulière dans laquelle il répudierait ses promesses et soutiendrait les intérêts des grandes entreprises et des banques.

Au cours de la campagne de Sanders son contenu est devenu de plus en plus droitier. Il a combiné son appel à diverses réformes sociales, inatteignables en dehors d’un mouvement de masse de la classe ouvrière dirigé contre le système capitaliste, avec des engagements pour maintenir « l’armée la plus forte du monde ». Au cours des dernières semaines, il a concentré sa rhétorique (en particulier dans l’Ohio et le Michigan) sur les dénonciations des « accords commerciaux déloyaux », faisant écho à Trump dans la promotion de la notion réactionnaire selon laquelle la mise en place des barrières nationales serait une réponse à des attaques contre les salaires aux États-Unis, plutôt que de s’opposer au système capitaliste mondial lui-même.

Le « socialisme » de Sanders est une fraude. Il est dépourvu de tout contenu anticapitaliste. Il défend le système de la propriété privée des entreprises et du profit. Il défend l’État capitaliste. Sa campagne n’est nullement l’expression du militantisme croissant ni de la radicalisation politique de la classe ouvrière. Au contraire, c’est une réponse de l’élite dirigeante à ces développements et au risque qu’ils créent qu’émerge un mouvement politique indépendant contre le capitalisme.

La prochaine étape de cette manœuvre politique soigneusement élaborée afin de neutraliser et de démoraliser l’opposition sociale est déjà en cours de préparation sous la forme d’une campagne qui insiste sur l’idée que la seule façon de « stopper Trump » serait d’unifier tout le monde derrière Clinton. Dans une lettre ouverte publiée mardi, MoveOn.org, le Syndicat international des employés des services (SEIU) et d’autres organisations affiliées au Parti démocrate, à la fois pro-Sanders et pro-Clinton, ont appelé à une « renaissance du vote » pour « arrêter Trump » et pour « montrer que notre pays vaut mieux que ça ». Cette campagne « tout sauf Trump » prendra différentes formes et impliquera toute la fraternité pseudo-gauche.

Ceux qui développent les arguments en faveur d’une telle campagne « anti-Trump » non seulement cherchent à renforcer le Parti démocrate et à préparer le terrain pour le soutien par Sanders de Clinton, ils perpétuent également une fausse compréhension de la dynamique politique de la politique américaine. Le danger réel représenté par Trump ne peut pas être contré par le soutien pour le Parti démocrate. Au contraire, la capacité de Trump à exploiter la colère sociale et à l’orienter vers des canaux réactionnaires est due avant tout au rôle du Parti démocrate et de ce qui se présente comme la « gauche » aux États-Unis, y compris Sanders et les organisations qui l’ont soutenu, une « gauche » caractérisée par le mépris pour la classe ouvrière et déterminée à étouffer la croissance de la combativité ouvrière et à démobiliser l’opposition à l’inégalité sociale et à la guerre.

Alors qu’il reste encore huit mois à la campagne électorale américaine, elle a déjà révélé à la fois la crise profonde de la politique américaine et les énormes dangers auxquels est confrontée la classe ouvrière. La tâche centrale et critique est la construction d’une véritable direction socialiste, révolutionnaire et internationaliste – le Parti de l’égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 17 mars 2016)