Le 26 juin 2000, le décryptage quasi complet du génome humain a été annoncé lors d’une conférence de presse à grand spectacle, conjointement par un consortium public international, le Projet Génome Humain, et par une compagnie privée fondée en 1998 par le généticien Craig Venter, Celera Genomics. En février 2001, l’annonce a été répétée, avec tout autant d’éclat, à l’occasion de la publication des résultats dans les revues Science et Nature. Tous les principaux médias ont rapporté et largement commenté ces événements. L’analyse comparative des discours de la presse quotidienne française révèle différents modèles interprétatifs de leur portée : trente mille gènes font-ils un homme ? Les réponses diffèrent et leur analyse permet de cerner la manière dont la société française pense l’apport de la génétique à la compréhension de la vie humaine.
Dans cet article, nous analysons de façon comparative les articles parus dans les principaux quotidiens français (La Croix, Le Figaro, L’ Humanité, Libération, Le Monde, Le Parisien) lors de ces deux annonces du décryptage du génome, en abordant tant les métaphores mobilisées autour du projet, l’infographie, les explications du contenu scientifique que les analyses de la portée de la découverte. Peu de journaux rappellent en effet à leurs lecteurs que l’homme n’est pas tout entier inscrit dans ses gènes, que son histoire et son environnement le marquent autant que son code génétique. Toujours d’actualité, la vieille querelle de l’inné et de l’acquis resurgit. Le sens même de ce qu’est l’ADN, support matériel d’une part plus ou moins grande de ce qui est transmis de génération en génération, diffère donc selon les journaux et selon les lectorats. La vision des chercheurs et la confiance qui peut ou doit leur être accordée, l’importance de l’aventure intellectuelle ou des applications concrètes et les risques potentiels entrent dans la composition de représentations différentes de cette « avancée » de la science.
On trouve, dans les comptes rendus de ces annonces du décryptage, différentes philosophies de l’être humain. Les journaux populaires restent préoccupés par les perspectives eugénistes. Les journaux ayant de fortes références morales (quelles qu’elles soient, de L’Humanité à La Croix ou au Figaro) rappellent avec énergie le rôle de l’histoire et de l’environnement dans la formation de l’homme, là où d’autres, Libération en particulier, sont prêts à le voir inscrit dans ses gènes.
Une grande diversité des discours médiatiques émerge donc, exprimant également des visions différentes de la science. Les quotidiens populaires ont systématiquement pris une certaine distance avec le monde scientifique, rappelant les interrogations d’ordre éthique que soulèvent leurs travaux. Cependant, ils ne constituent pas un bloc monolithique, Le Parisien étant en général plus complet et plus pondéré que son concurrent, France Soir. Les journaux dits d’élite se sont montrés plus proches des institutions, politiques ou scientifiques, plus prompts à accorder leur confiance aux chercheurs, avec là encore des nuances, le Figaro étant plus réservé que ses proches concurrents. Tous ces discours médiatiques portent les traces des interrogations et des hésitations d’une société face à des sciences du vivant qui interrogent et déplacent les limites de l’humanité.
Deciphering the Great Book of Life
On 26 June 2000, in a spectacular press conference, the Human Genome Project, an international public consortium, and Celera Genomics, a private company founded in 1998 by the genetician Craig Venter jointly announced the nearly complete decoding of the human genome. The following year, in February 2001, the announcement was reiterated when the the results were published in the journals Science and Nature. All the main media reported and commented these events. The comparative analysis of the discourse of the French daily press reveals different interpretation of the meaning of the discovery. The variety of answers and their analysis throw light on how French society thinks the way genetics contribute to understanding human life.
This article makes a comparative analysis of articles published in the major French daily newspapers (La Croix, Le Figaro, L’Humanité, Libération, Le Monde, Le Parisien) on these two announcements, of the metaphors mobilised around the project, the graphics, the scientific explanations as well as the analysis of the discovery’s implications. Few journals recalled that humans are not exclusively inscribed in their genes and that they are as marked by their history and their environment as by their genetic code. The old quarrel between the nature and nurture arises again : do 30000 genes really make a human being ? The very meaning of DNA, a transmission device from one generation to another, changes from one newspaper to another, from one readership to another. The vision of researchers and the trust they can or should be given, the importance of the intellectual adventure or the perspectives of applications or potential risks are part and parcel of the different representations of the “progress” of science. Reports of these announcements of the decoding contain different visions of the human being. Popular newspapers are preoccupied by eugenic perspectives. Papers with strong moral references (whether L’Humanité, La Croix or Le Figaro) energetically recall the role of history and environment in the genesis of man. Others Libération in particular, were more inclined to see humans inscribed in their genes.
In summary, we have found a large diversity among the press discourse, also expressing different views of sciences. Popular newspapers have systematically taken a certain distance from the scientific world, recalling the ethical questions often raised by their work. However, they do not constitute a monolithic bloc, Le Parisien being generally more thorough and more balanced than its rival France Soir. The so called elite newspapers have shown themselves to be closer to the political and scientific institutions, quicker in showing trust in researchers, though with some nuances, Le Figaro being more reserved than its close rivals. All these media discourse carry traces of a society’s questions and hesitations when faced with the evolutions of life sciences that probe and shift the boundaries of humanity.