Sortie IRL à la rencontre de 5 nouveaux députés du M5S, trublion de la scène politique italienne (M5S 1/2)

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Suite à la rédaction du billet blaqswans.org/le-m5s-de-beppe-grillo, les blogueurs de Blaqswans Céline Trèfle et Raymondo ont profité de leur passage à Rome du 08 au 12 mai 2013, pour sortir de la sphère virtuelle et enquêter sur le terrain, oui madame, en interviewant 5 nouveaux députés italiens élus en février 2013 pour le M5S. Leurs élections permettent à des profils inhabituels de siéger à la chambre des députés. Nous les avons longuement interrogés sur leurs mobiles, leurs valeurs, leur capacité d’action et le rôle de Beppe Grillo. En espérant être moins caricaturaux que ce que nous avions pu lire dans la presse française.

 

COMMENT DEVIENT-ON DÉPUTÉ ?

Le M5S est très critique vis-à-vis des médias dominants, accusés de connivence et de dépendance au pouvoir politique et économique. Beppe Grillo et tous les membres du M5S s’étaient interdits pendant la campagne toute interview aux médias traditionnels italiens (télés, radios, journaux). La campagne électorale fut exclusivement menée sur internet ou lors de rassemblements sur la place publique. Alors, lorsque nous avons contacté par mail les 162 élus italiens du M5S, en nous présentant comme blogueurs, nous avons été ravis d’avoir été acceptés pour un entretien par 5 d’entre eux, les 09 et 10 mai.

Incontro con Francesca

Jeudi 09 mai justement, 09 heures somme toute matinales sous un soleil radieux, rendez-vous à Rome Piazza Montecitorio, face au Palais qui abrite la Chambre des Députés. Francesca Businarolo, 29 ans, député du Veneto, nous guide vers les bureaux parlementaires du groupe M5S à quelques centaines de mètres de là. Auparavant, elle terminait ses études de droit afin de devenir avocate. Francesca Businarolo fait aujourd’hui partie de la commission parlementaire de la justice. Elle nous raconte son parcours.

Engagée depuis 2005, d’abord volontaire catholique, la future députée s’est impliquée dans des luttes environnementales comme la protection des animaux, l’agriculture durable ou contre la pollution de l’eau dans sa ville de Venere, dans la province du Veneto, circonscription Veneto Uno.

En 2009, nous dit-elle, elle est présente à la création du mouvement au Teatro Smeraldo à Milan. En décembre 2009, ‘E stata cominciata la vera aventura’, nous dit la députée du Veneto, une ‘cité en ligne’ est créée sur MeetUp, un réseau politique regroupant les gens intéressés, lançant des discussions parfois très pointues, organisant des banquets d’information ‘banchetti informativo’ puis les campagnes et les élections. Les Non-statuts définissent les cinq étoiles du mouvement, ses cinq priorités, les Cinque Stelle : eau, environnement, transports, connectivité et énergie (voir sur beppegrillo.it ici et ici).

En 2012, Francesca Businarolo présente sa candidature à la députation pour le M5S sur internet. La citadina dit avoir été poussée à se présentée par les grillini – les militants M5S – de Veneto uno, et avoir été élue parce qu’elle était ‘jeune de 29 ans, femme, diplômée et reconnue activiste au sein du mouvement’.

L’activisme est en effet une part importante du travail politique du mouvement. Il s’accompagne d’un travail d’éducation populaire par la diffusion d’informations que la vénitienne juge nécessaire pour que les citoyens se ressaisissent de la cosa publica. Une repolitisation des citoyens est en effet indispensable après ‘vingt années d’hypnose berluscionnienne’ via les médias dominants, explique-t-elle.

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Francesca Businarolo, député du M5S, piazza San Silvestro, Roma, le 09 mai 2013 @ Céline Trèfle

Tre ragazzi a Roma

Jeudi 09 mai, 11h30. Piazza San Silvestro , Via del Pozzetto, à une encâblée du Palazzo Montecitorio, sont abrités les bureaux personnels des parlementaires. Nous avions rendez-vous avec Carlo Sibilia et nous sommes accueillis par trois députés qui partagent un même bureau: Carlo, 27 ans, député de Campanie. Manlio Di Stefano, 32 ans, député de Lombardie et Emanuele Scagliusi, 29 ans, député des Pouilles.

Carlo Sibilia a rejoint le mouvement en 2007 par activisme ici encore. Il était engagé dans la lutte en Campanie pour le zero waste, le problème des déchets et des incinérateurs. Devant chez lui, dans la région d’Avelino, il ne pouvait plus sortir tellement les déchets débordaient dans les rues. Il existe, selon Manlio Di Stefano, une Eco Mafia (mafia de l’environnement).

> Manlio Di Stefano sur l’Eco Mafia:
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La mafia a des domaines de spécialisation et l’environnement en fait partie. Carlo Sibilia précise ‘Elles sont partout, comme Véolia pour l’eau, on ne peut s’en débarrasser’. C’est la situation d’urgence absolue qui l’a décidé à s’engager pour tenter de résoudre ce problème des déchets. Et c’est son engagement local qui l’a conduit ensuite à se présenter comme candidat député. Il y avait des critères pour être candidat: ‘ne jamais avoir élu précédemment, ne pas être dans un autre parti et ne pas avoir eu maille à partir avec la justice’.

Tous les membres du M5S pouvaient être candidat. Carlo Sibilia le napolitain a été élu par 116 adhérents sur près 2 000 dans sa circonscription. Le Blog de Beppe Grillo est suivi par des millions de personnes, dont 48 000 adhérents au niveau national qui forment le noyau actif du mouvement, ceux qui votent,  et participent à des actions locales ou travaillent en réseau via la plateforme MeetUp.

Comme Francesca Businarolo rencontrée précédemment, Emanuele Scagliusi se définit lui aussi comme un activista, mobilisé pour un référendum sur les biens communs et pour la sortie du nucléaire dans sa circonscription près de Bari. Son élection au sein du M5S est selon lui l’affirmation de son engagement.

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Emanuele Scagliusi, Manlio Di Stefano et Carlo Sibilia, députés du M5S, dans leurs bureaux de parlementaires, via del Pozetto, Roma, le 09 mai 2013. @ Céline Trèfle

Ecco Carla

Vendredi 10 mai, 17h. Le lendemain, après sa journée de travail parlementaire, nous avons rendez-vous avec Carla Ruocco, 39 ans, nouvelle députée du M5S, élue à Rome et vice-présidente de la commission des finances. De façon assez désuète, le carabiniero à l’accueil du Palazzo prête à Raymondo une veste. Une fois habillés ‘convenablement’, Carla Ruocco nous accueille accompagnée de ses deux attachés parlementaires dans une salle de réunion du groupe M5S. La députée romaine nous accorde initialement 30 minutes d’interview (contre une heure par les autres députés) mais nous en consentira 45 au final.

> Interview de Carla Ruocco ~ 10 mai 2013

Persuadée de changer la politique italienne, Carla Ruocco présente le M5S comme ‘un magnifique mouvement de citoyens’, construit autour de luttes locales, transverses aux partis politiques. Elle aussi s’est engagée en premier lieu pour des causes environnementales : gestion des déchets, lutte contre la pollution à l’arsenic, défense d’une eau publique, des biens communs. La classe politique est déconnectée des gens et de leurs problèmes, dit Carla Ruocco.

La classe politica in Italia non è risolutamente piu représentativita
‘La classe politique en Italie n’est plus résolument représentative’

L’Italia ha bisogno di persone perbene chi prendano questo paese e lo riscattino. Io spero che questo movimento si allarghi tutt’ Europa e tutti il mondo […] per che il mondo a bisogno di una presa di conciensa.
‘L’Italie a besoin de personnes comme il faut qui prennent ce pays et le rachètent [moralement]. J’espère que ce mouvement s’élargira à toute l’Europe et le monde […] car le monde a besoin d’une prise de conscience.’

>Carla sur le besoin de “personne perbene” :
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Carla Ruocco, dans une salle de réunion, palazzo Montecitorio, Roma, le 10 mai 2013 @ Céline Trèfle

Très récemment élus, heureux, ces députés affirment qu’ils ne sont pas corrompus, ni par le pouvoir -dont ils s’estiment protégés par les Non statuts du M5S qui stipulent le non-cumul et pas plus de deux mandats successifs- ni par l’argent -ayant renoncé à 50% de leur indemnité parlementaire. Si l’unanimité semble de mise parmi ceux que nous avons rencontrés, Beppe Grillo a dû s’employer durement à faire appliquer cette promesse de campagne de baisse des indemnités.

Ils sont jeunes, éduqués, acteurs politiques locaux. Ils ne se sont ni enivrés de pouvoir ni enrichis. Ils n’appartiennent pas à l’élite. Emanuele Scagliusi est étudiant. Leur pauvreté les mènerait-elle au bien?

 

ET MAINTENANT ? COMMENT GOUVERNER ?

Les cinq cameri rencontrés font partie d’une des quatorze commissions parlementaires, et sont bien décidés à participer au débat public. Il y eu le maximum de candidatures pour la commission ambiante du fait de la mobilisation des grillini sur le volet environnemental. Tous ne purent en être membre à la suite du vote interne. Il y eut donc des déçus mais aussi de jeunes gens amenés à traiter de la justice, des affaires du vaste monde et de la guerre, du système fiscal italien. Or si la défense des beni comuni, les biens communs que sont l’eau, l’air, la terre, est revendiquée localement, il n’y a pas, au delà, de ligne politique globale. Que vont-ils faire des voix qui se sont portées sur eux ?

Out of Afghanistan

Carlo Sibyllia, Manlio Di Stefano et Emanuele Scagliusi font partie de la commission des affaires étrangères. Ils étaient respectivement chercheur en biotechnologie, consultant informatique et étudiant. Ils travaillent actuellement sur les conditions de la sortie de l’Italie d’Afghanistan. Nos trois députés s’en font une idée auprès des ONG implantés en Afghanistan, comme Emergency. Ils découvrent que leurs prédécesseurs n’avaient jamais pris la peine d’exercer leur pouvoir de contrôle sur les opérations de guerre, dont, au Parlement, on ignore le coût, le nombres d’hommes tués afghans ou le nombre de soldats sur place. Manlio Di Stefano voudrait pouvoir juger en toute transparence, en toute connaissance.

Non è giusto

Carla Ruocco est vice-présidente de la Commission des finances. Auparavant, la jeune députée travaillait dans le contrôle de gestion dans le privé, le secteur pharmaceutique, puis a travaillé pour l’administration fiscale. Elle compte proposer une réforme des émoluments de tous les élus italiens. Elle se dresse contre l’impôt chi non è giusto (non équitable), qui pénalise les classes populaires et moyennes alors qu’il épargne les nantis, rois de l’évasion fiscale [1]. La romaine insiste sur la nécessaire péréquation fiscale, d’un système où l’on taxerait davantage les capitaux et les grandes fortunes.

L’égalité fiscale n’est pas seulement une question morale mais aussi de performance économique. Il faut inverser la charge fiscale qui pèse sur les classes moyennes, les travailleurs indépendants et les retraités. ‘Paga di piu chi ha di piu‘ :
[soundcloud url=”http://api.soundcloud.com/tracks/96202366″ iframe=”true” /]
‘L’impôt est trop lourd pour ceux qui le déclarent’. La vice-présidente défend un cercle vertueux dans lequel, si les nantis n’échappent plus à l’impôt, si les services publics sont rendus de manière plus efficace et si le système est plus transparent, alors les citoyens adhéreront davantage à l’effort fiscal demandé et l’honnêteté sera alors renforcée sans agents fiscaux supplémentaires. Refonder la morale de l’impôt.

La démocratie, directe

Pour tous, c’est leur première expérience d’élus ; et ils ont l’enthousiasme mais aussi le sérieux de la responsabilité devant leur tache. Ils croient possible une moralisation de la vie publique. Seront-ils meilleurs que la classe politique traditionnelle parce qu’ils sont jeunes et moins ‘en place’ que cette élite ? Quelle résistance à l’épreuve du temps offriront ils, à l’usure de la tâche politique, à la fréquentation des barons, aux jeux oratoires du parlement, au formatage induit par une professionnalisation et une communication politique en expansion ?

Francesca Businarolo et Manlio Di Stefano nous expliquent l’un et l’autre qu’il faut d’abord informer les citoyens pour qu’ils puissent ensuite participer à l’élaboration de propositions sur les réseaux sociaux, pour ensuite respecter de manière absolue le vote des adhérents. Ils ne prétendent pas être de meilleurs politiciens, mais meilleurs par leur méthode, celle de la démocratie directe.

Ainsi, lors de l’élection pour la présidence italienne, députés et sénateurs du M5S ont tous voté à l’unanimité pour le candidat choisi par les militants, même si certains auraient pu être tenté par leur choix personnel. La candidate, désignée en tout cas par le vote des adhérents, était initialement Milena Gabanelli, journaliste-investigatrice reconnue pour sa pugnacité qui travaille sur la Rai, chaîne pourtant honnie pendant la campagne qui vient tout juste de s’achever. “La” Gabanelli, comme on dit en Italie, ne briguait rien mais finit pourtant en tête des noms proposés par les adhérents du M5S avant de se retirer gênée et “honorée” qu’on la croie “à la hauteur d’une telle tâche” mais “un peu surévaluée”.

En l’absence de candidat naturel (majoritaire ou suffisamment reconnu), il faudra plusieurs jours et toute l’activité de Beppe Grillo pour désigner un véritable candidat. Stefano Rodotà, un politicien plus classique, ancien membre de plusieurs partis et plusieurs fois ministre, récent président de l’Autorità garante della protezione dei dati personali (la cnil italienne), fut finalement désigné candidat du mouvement à la présidence du Palazzo Quirinale.

L’impasse

Les injonctions morales de Beppe Grillo étaient claires : pas d’alliance avec des partis politiques en place, pour former un gouvernement ou pour élire leur candidat à la présidentielle. Avec 25% des voix, les députés du movimento ne pouvaient pourtant guère espérer peser sur l’élection sans le soutien d’autres partis. Les limites de leur ligne politique sont rapidement atteintes lorsque, l’alliance entre centre gauche et droite italienne battant son plein dans le conservatisme économique, Berlusconi apporte finalement son soutien à De Letta, ancien de la Démocratie chrétienne et figure montante du Partito Democratico (PD). On notera au passage que faire alliance avec le bonimenteur dans le but de conduire le gouvernement a valu à De Letta bien des articles élogieux dans la presse française de ‘ gauche ‘ du Monde au Inrocks. Ce qui en dit surement autant sur l’état de la politique transalpine que sur celui de la boussole de la gauche française.

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Palazzo del Grillo, Salita del Grillo, quartier Monti, Roma, 12 mai 2013 @ Céline Trèfle

En s’excluant du jeu politique, le M5S limite méchamment son champ d’action. Sans alliance, pas de vote. Les actes des députés minoritaires peuvent certes influencer la rédaction d’une proposition de loi, mais pas la détourner. La recherche d’une majorité pour écrire une proposition de loi et pour son vote se fera sans eux.

(à suivre)

Céline Trèfle et Raymondo – 08-09 mai 2013 – Rome et Paris


[1] l’affaire Cahuzac ou le mouvement Attac lui sont en passant inconnus.

4 comments

  1. Brava Carla,dovreste farlo anche in qualche programma,specifico,italiano. Non tutti si informano da soli,cosi’ come faccio io.ancora grazie.sempre M5S.

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