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Aspirations démocratiques et « démocraties autoritaires » en Afrique centrale

Democratic Aspirations and “Authoritarian Democracies” in Central Africa

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Publié le mardi 17 novembre 2015 par João Fernandes

Résumé

Ce numéro s’attachera à illustrer les stratégies des divers acteurs et forces qui portent ces aspirations démocratiques ou qui s’y opposent en croisant les terrains et les pays. On le voit, ces aspirations démocratiques ne relèvent pas que du champ politique ou de la géopolitique régionale et internationale, elles correspondent à des exigences éthiques et se réfèrent à des systèmes de valeur qui transgresseraient les camps et les clivages reconnus. 

Annonce

Contextualisation

En 1986, la revue avait publié un numéro thématique inédit consacré à l’Afrique des Grands lacs. Au travers des entrées privilégiées et du choix des auteurs, il rendait compte d’une amélioration générale des relations entre des régimes autoritaires aux antécédents tourmentés[1] dont plusieurs venaient de négocier des accords de libre circulation des biens et des personnes.

Dans le contexte général de montée en puissance des revendications démocratiques sur le continent africain, on assistait alors à la structuration nationale et régionale d’organisations de la société civile, notamment en matière de droits de l’homme, ainsi qu’à la reconstitution de formations politiques contestant le monopole des partis uniques alors au pouvoir. À la fin des années 1980, les revendications démocratiques portées par de vastes mobilisations populaires font vaciller ces régimes. Mais la radicalisation des forces attachées à la défense de leurs privilèges d’un côté, l’impréparation et l’immaturité politique des partis d’opposition de l’autre conduisent les transitions démocratiques à l’échec. Après les tragédies burundaise (1993) et rwandaise (1994), l’effondrement du régime Mobutu au Zaïre (1996), c’est l’ensemble de la région qui est entraînée dans ce qui est devenue la première guerre continentale africaine. Pendant cinq années, de 1998 à 2003, les forces armées d’une demi-douzaine de pays vont s’affronter sur le territoire de la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) pour le contrôle des richesses et des espaces de ce pays-continent. Bien que désormais circonscrit dans les provinces de l’est du pays, ce conflit, le plus meurtrier de la planète depuis la Seconde Guerre mondiale, n’est toujours pas achevé. Des zones sous contrôle de forces ou de groupes armés d’origines diverses subsistent et y entretiennent l’instabilité. En liaison avec leurs relais dans les États riverains, ils contrôlent largement les filières d’exploitation et d’exportation des minerais et autres richesses naturelles.

Des rébellions sont désormais au pouvoir dans la majorité des pays de l’Afrique centrale (Angola, Ouganda, Rwanda, Burundi, RDC) et tirent leur légitimité d’avoir vaincu au terme de longues et douloureuses guerres civiles. Parmi ces pays, seul le Burundi a connu un processus de négociations conduit à terme. Il a débouché sur la mise en place d’une armée « intégrée » à parité entre les forces en conflit et l’organisation d’élections plurielles, libres et transparentes en 2005.

Argumentaire

Dans ce contexte, le désenchantement des populations a été général vis-à-vis des élites de pouvoir, anciennes et nouvelles confondues. Partout les espérances démocratiques ont été trahies ou manipulées, sans parler du prix payé lors des guerres civiles. D’une manière générale, les régimes de « démocratie autoritaire » qui se sont installés au pouvoir reposent sur des forces politico-militaires fondées sur des solidarités partisanes combattantes, généralement redoublées d’affinités régionales et/ou ethniques. Sans tradition démocratique, ils n’ont pas grand chose à envier aux systèmes de parti unique et de monopolisation des pouvoirs qui prévalaient jusqu’alors.

Mais l’enjeu aujourd’hui est que ces régimes sont eux-mêmes datés, si ce n’est marqués par l’usure. Ainsi, parmi les « new leaders » révolutionnaires ou progressistes, trois ont plus de 70 ans, ont régné 30 ans ou plus et sont candidats à de nouveaux mandats (Angola, Congo-Brazzaville, Ouganda). Quant aux trois derniers promus (Rwanda, RDC, Burundi), après avoir exercé respectivement le pouvoir pendant 21 ans (6 comme « vice-président » et 15 comme président), 14 ans et 10 ans, ils ont tous décidé de transgresser ou de modifier leur constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat en 2015, 2016 et 2017.

Aussi, dans chaque pays, des exaspérations s’expriment ouvertement ou selon les possibilités d’expression. Partout, elles correspondent à l’arrivée de jeunes générations qui n’ont pas connu les guerres civiles ou étaient trop jeunes pour être elles-mêmes impliquées, qui ont appris par les médias que la démocratie et les libertés existent, mais constatent qu’elles n’en bénéficient pas. Ces jeunesses acceptent bien volontiers l’héritage mais veulent rompre avec le futur qui leur est prédit. En effet, les exaspérations et contestations se nourrissent aussi des frustrations économiques et sociales de larges secteurs de la population condamnés à des avenirs incertains, à la misère, au chômage, à l’exploitation. Elles renvoient aussi à des compétitions plus complexes pour le contrôle et l’exercice du pouvoir entre les élites qui considèrent le principe de l’alternance comme une règle d’hygiène politique permettant à d’autres personnes, d’autres groupes d’intérêts, d’autres « régions » ou catégories d’individus de participer à la distribution des postes et de la rente. Plus largement encore, elles mobilisent tous les exclus, les stigmatisés ou les « vaincus » qui, sans illusion sur l’amélioration de leur sort, aspirent à des États de droit démocratiques qui leur permettraient de faire connaître, voire reconnaître, leur situation ou qui, plus encore, émanciperaient les institutions chargées de lutter contre l’impunité, de dire le vrai et le juste. Elles concernent enfin tous ceux qui  ne supportent pas les atteintes ou les limites permanentes imposées aux citoyens en matière de liberté d’expression, d’organisation, de déplacement. Bref, tous ceux qui estiment que les élites de pouvoir doivent rendre compte de leur gestion aux citoyens et que le contrôle social des populations sur leurs élus est la contrepartie légitime de la délégation du pouvoir.

On le voit, ces aspirations démocratiques ne relèvent pas que du champ politique ou de la géopolitique régionale et internationale, elles correspondent à des exigences éthiques et se réfèrent à des systèmes de valeur qui transgresseraient les camps et les clivages reconnus. Paradoxalement, on pourrait dire qu’elles semblent d’autant plus impératives que la déstructuration des liens sociaux, l’arbitraire social et l’autoritarisme ont atteint des limites inconnues jusque-là et imposent de refonder la démocratie ; une démocratie partagée et vécue au quotidien.

Pour élargir le débat, on soulignera enfin que les aspirations démocratiques qui prévalent actuellement en Afrique centrale se nourrissent de l’exemple d’autres processus électoraux contestés ou ouvertement bafoués sur le continent africain comme au Burkina Faso. Dans cette optique, les réponses que ce numéro voudrait apporter renvoient à la question plus générale de la compréhension des échecs, des semi-réussites, voire des réussites de ces mobilisations politiques. Une exigence d’une grande actualité au moment où les promoteurs de ces dérives autoritaires associent à nouveau, comme dans les années 1990, la démocratie formelle avec le risque d'anomie ou avec les particularismes lignagers et clientélistes.

Thématiques et axes structurants

Concrètement, ce numéro s’attachera à illustrer les stratégies des divers acteurs et forces qui portent ces aspirations démocratiques ou qui s’y opposent en croisant les terrains et les pays. L’approche sera organisée autour des trois axes génériques suivants. Parmi les entrées susceptibles d’être couvertes pourraient figurer :

Instruments d’encadrement, de contrôle et de légitimation

  •   Les structures chargées du maintien de l’ordre politique et des politiques sécuritaires (forces armées, police, services de renseignement, partis uniques (de facto), jeunesses, auto-surveillance « citoyenne », etc. ;
  •   Le renouvellement des élites dirigeantes, notamment des ex-mouvements rebelles : des guerriers ou militants-combattants aux cadres politiques des partis uniques (de facto). On s’intéressera aux noyaux combattants, combattants-militants, cadres militants soumis à rotation, politiciens professionnels ;
  •   Restructuration post-conflit des forces armées, professionnalisation, démobilisation, reconversion civile (police, jeunesses des partis) ;
  •   Légitimité combattante et légitimité de la démocratie des urnes ;
  •   Le double visage des jeunesses des partis uniques (de facto) : encadrement de proximité des populations et prédation, fabrique des élus et autopromotion ;
  •   Les modes d’autolégitimation et les techniques de gouvernement : consensus obligé/redistribution clientéliste hiérarchisée/impunité orchestrée ;
  •   Impunité, justice, processus de justice transitionnelle locaux ;
  •   Violence électorale.

Contournements et respirations : de l'individu au territoire

  •   Les contre-pouvoirs et/ou espaces d’expression ;
  •   L’État de droit : légalité versus légitimité ;
  •   Les nouvelles formes de mobilisation collective micro et macro ;
  •   Les organisations dites de la « société civile » (associations de défense des droits de l’homme, de femmes, de jeunes, églises, etc.) ;
  •   Place et rôle des médias et des réseaux sociaux face aux contrôles étatiques des communications ;
  •   Les aspirations des jeunes générations nées dans les années 1990 ;
  •   Les stratégies de sécurité et de prévention dans les zones de conflit (les expériences de résolution des conflits à l’échelle des territoires, la mobilisation des femmes, etc.).

Interdépendances et crispations régionales

  •   De l’Afrique des Grands lacs à l’Afrique centrale : conjonctions et oppositions entre les interdépendances obligées (enclavement, approvisionnement, etc.) et les alliances d’opportunités (le double tropisme est/ouest, les corridors nord, centre et sud, la concurrence des organisations d’intégration régionale) ;
  •   Crises nationales et incidences régionales (réfugiés, déplacés, exilés, mouvements armés) ;
  •   L’ambivalence de la communauté internationale (Union africaine, Nations unies, CIRGL, SADC, EAC, etc.) face aux conflits, crises politiques, atteintes aux libertés (opérations de maintien de la paix, médiations, lutte contre l’impunité, appuis aux sociétés civiles, aux médias, etc.).

Cadrage des articles

Au niveau disciplinaire : histoire, science politique, sociologie, géographie, droit, anthropologie, socio-économie.

Au niveau méthodologique : importance de la mise en contexte, de la rencontre d’une approche théorique solide et d’un terrain, d’études empiriques, de corpus originaux, des jeux d’échelle entre le local et le régional. Ce dossier souhaite proposer une alternative aux approches géostratégiques et aux témoignages humanitaires. Il tend à mettre l’accent sur les individus et les communautés dans les rapports de forces.

Édition du dossier thématique

La confection de ce numéro s’appuiera aussi sur des événements spécifiques et des approches originales (ateliers de réflexion, table-ronde, interviews[2]). Il tentera notamment de rendre compte et de valoriser la diversité et la richesse des recherches doctorales actuellement en cours sur la région.

Dans cette optique, un ouvrage complémentaire publié par les éditions du groupe de presse Iwacu au Burundi, pourra accueillir un nombre plus important d’articles scientifiques de qualité qui permettront d'explorer plus avant certaines des entrées thématiques mentionnées ci-dessus. Des entretiens et des documents originaux pourront aussi y trouver leur place. La coordination de ce second ouvrage sera assurée par un collectif d’universitaires et de chercheurs animé par André Guichaoua, professeur à l’IEDES.

Les propositions dʼarticle exposent, en français ou en anglais, en 4 500 signes (espaces compris) :

  •   le titre ;
  •   la question de recherche ;
  •   le cadre théorique ;
  •   le terrain étudié ;
  •  les principaux résultats ;
  •  des jalons bibliographiques (hors du décompte de signes).

Calendrier

avant le 9 décembre 2015

  •   Les notifications du coordinateur et du comité de rédaction pour les auteurs présélectionnés seront envoyées le 6 janvier 2016 ;
  •   Les premières versions des articles seront envoyées par les auteurs avant le 14 mars 2016 à l’adresse suivante : tiermond@univ-paris1.fr

Coordinateurs

  •  Frère Emmanuel Ntakarutimana, frère dominicain, ex-président de la commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi (CNIDH).
  •  Scott Straus, professeur de science politique et d’études internationales à l’université du Wisconsin, États-Unis.

 Jalons bibliographiques

  •   Bekoe D. (ed.), 2012, Voting in Fear: Electoral Violence in Sub-Saharan Africa, Washington, United States Institute of Peace.
  •   Deibert M., 2013, The Democratic Republic of Congo: Between Hope and Despair, Londres, Zed Books.
  •   Gerold G., 2013, RD Congo, analyse comparative des violences électorales (2006-2011). Note n° 28/13, Paris, Fondation pour la recherche stratégique.
  •   Guichaoua A. (dir.), 2004, Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Paris, Karthala.
  •   Hafner-Burton E., Hyde S., Jablonski R., 2014, « When Do Governments Resort to Election Violence? », British Journal of Political Science, vol. 44, n° 1pp. 149-179.
  •   Ingelaere B., 2010, « Peasants, Power and Ethnicity. A Bottom-Up Perspective on Rwanda’s Political Transition », African Affairs, vol. 109, n° 435, pp. 273-292, http://afraf.oxfordjournals.org/content/109/435/273.full.
  •   L'Afrique des Grands Lacs, collection dirigée par Filip Reyntjens, (particulièrement les Annuaires), Paris, L'Harmattan.
  •   Lemarchand R., 2009, The Dynamics of Violence in Central Africa, Philadelphie, University of Pennsylvania Press.
  •   Levitsky S., Way L., 2010, Competitive Authoritarianism: Hybrid Regimes after the Cold War, New York, Cambridge University Press.
  •   Lynch G., Crawford G., 2011, « Democratization in Africa: An Assessment », Democratization, vol. 18, n° 2, pp. 175-210.
  •   Messiant C., 2008, L’Angola postcolonial. Guerre et paix sans démocratisation, Paris, Karthala.
  •   Stearns J., 2012, Dancing in the Glory of Monsters: The Collapse of the Congo and the Great War of Africa, New York, PublicAffairs.
  •   Patry J.-J., 2014, Les armées ougandaises : un instrument de contrôle intérieur et de positionnement régional. Note n° 9-2014, Paris, Fondation pour la recherche stratégique.
  •   Straus S., Waldorf L., 2011, Remaking Rwanda: State Building and Human Rights After Mass Violence, Madison, The University of Wisconsin Press.
  •   Straus S., 2015, Making and Unmaking Nations: War, Leadership, and Genocide in Modern Africa, Ithaca, Cornell University Press.
  •   Thibon C., 2014, Les élections de 2015 au Burundi, enjeux, inquiétudes, espoirs et inconnu(e)s. Note n° 5-2014, Paris, Fondation pour la recherche stratégique, http://www.lam.sciencespobordeaux.fr/sites/lam/files/conference_burundi.pdf.
  •   Tsiyembe M., 1970, Géopolitique de paix en Afrique médiane : Angola, Burundi, République Démocratique du Congo, République du Congo, Ouganda, Rwanda, Paris, L’Harmattan.
  •   Uvin P., 2008, Life After Violence: A People's Story of Burundi, Londres, Zed Books.
  •   Vandenginste S., 2014, « Governing Ethnicity after Genocide: Ethnic Amnesia in Rwanda Versus Ethnic Power-Sharing in Burundi », Journal of Eastern African Studies, vol. 8 ; n° 2, pp. 263-277.

[1] Ces antécédents douloureux et meurtriers communs à la quasi totalité des pays de la sous-région (sauf la Tanzanie) ont déjà fait l’objet d’un grand nombre de publications anciennes et récentes. C’est pourquoi, si les exclusives et les violences politiques contemporaines puisent leurs racines dans les divisions et affrontements qui ont accompagné les processus d’accession à l’indépendance et l’installation de nouveaux pouvoirs civils ou militaires, le présent numéro entend privilégier l’analyse et la compréhension des contextes politiques et sociaux nationaux ainsi que leurs évolutions depuis les années 1990.

[2] Comme les ateliers Burundi et Grands lacs de l’IEDES et de l’UMR Développement et sociétés, le Contemporary Burundian Studies Symposium de Gand des 15-16 octobre 2015, etc.

Lieux

  • 45 bis av. de la Belle-Gabrielle
    Nogent-sur-Marne, France (94136)

Dates

  • mercredi 09 décembre 2015

Fichiers attachés

Mots-clés

  • démocratie, Afrique, Afrique centrale, élections, jeunes, mouvements sociaux, contestation, autoritarisme, révoltes, democracy, Africa, Central Africa, elections, young people, social movements, protests, autoritarism, riots

Contacts

  • Emmanuel Jouai
    courriel : tiermond [at] univ-paris1 [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Emmanuel Jouai
    courriel : tiermond [at] univ-paris1 [dot] fr

Pour citer cette annonce

« Aspirations démocratiques et « démocraties autoritaires » en Afrique centrale », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 17 novembre 2015, http://calenda.org/346768