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Les exils de Dante

D’un bannissement subi à un exil revendiqué

La construction de l’« exul » dans les Épîtres de Dante
Da un bando subito a un esilio rivendicato. La costruzione dell'«esule» nelle Epistole di Dante
Sabrina Ferrara
p. 199-213

Résumés

Cette étude est née du constat que les termes employés par Dante pour désigner son exil diffèrent de ceux qui, dans les registres de la chancellerie florentine, définissent l’expulsion de la ville, à laquelle il avait été condamné. Le rejet du vocabulaire courant, au profit d’un lexique inspiré de la tradition classique de l’exilium, est allé de pair avec l’élaboration de la grande figure de l’exul inmeritus. Les étapes de cette élaboration, et les évolutions qui les caractérisent, constituent l’objet de cet article, à travers l’analyse de la terminologie privilégiée par Dante dans les Épîtres, qu’il a rédigées pendant la longue période faisant suite à son expulsion de Florence.

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Mots-clés :

bannissement, exil, Dante, épître

Parole chiave :

bando, esilio, Dante, Epistole
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Texte intégral

1Dans cette étude, nous avons pris le parti d’analyser l’exil de Dante à travers le lexique dont il se sert pour l’évoquer dans ses épîtres, car c’est là, et là seulement, que l’on trouve le célèbre syntagme « exul inmeritus ». Un détour préalable s’est imposé par les sources d’archives, et notamment le Libro del chiodo, le manuscrit conservé aux Archives d’État de Florence et qui comporte les listes des condamnés, des proscrits gibelins et guelfes blancs, sans distinction d’appartenance partisane. Ce manuscrit contient donc les textes des deux condamnations qui ont été prononcées contre les guelfes blancs, parmi lesquels Dante, le 27 janvier 1302 et le 10 mars 1302 : le constat du décalage entre la réalité historique et la manière choisie par Dante pour en rendre compte va aussitôt s’imposer.

  • 1 Pour une «  reconsideration  » historique de cette sentence et de la suivante, cf. Giuliano Milani, (...)
  • 2 Des pratiques de ce genre étaient très répandues à l’époque  ; les condamnations étaient infligées (...)
  • 3 Pour la sentence de janvier 1302, cf. Il libro del chiodo. Archivio di Stato di Firenze, riproduzio (...)

2La sentence du 27 janvier 13021 est prononcée par Cante de’ Gabrielli de Gubbio ; parmi les condamnés se trouvent Dante et les autres membres du priorat de juin-août 1300, qui sont poursuivis pour concussion pendant toute la durée de leur mission, mais qu’on accuse aussi de s’être opposés au pape et à Charles de Valois et d’avoir favorisé les divisions à l’intérieur de Pi-stoia, provoquant ainsi son abandon de l’alliance avec Florence et donc son éloignement du pape et de Charles. Si l’accusation n’est pas fondée sur des preuves réelles2, mais sur des rumeurs, sa connotation politique, soulignée par la nature conventionnelle des chefs d’accusation3, n’échappe à personne. Absents de Florence au moment de la sentence et sommés de se présenter devant le podestat pour se disculper – ce qui nous laisse supposer une accusation précédente et une invitation à se présenter devant les magistrats –, les accusés se soustraient à cette injonction et la sanction est appliquée par contumace ; elle prévoit une restitution de l’argent, le payement dans les trois jours d’une somme de 5 000 florins, l’exclusion des offices publics et enfin, même pour ceux qui se soumettent à la peine pécuniaire, la condamnation à rester hors des frontières de Florence pour deux ans (« extra provinciam Tu-scie ad confines duobus annis », p. 170). Dante et les autres inculpés, comme on le sait, ne se présentent pas pour payer ; un peu plus d’un mois après, le 10 mars 1302, une deuxième sentence est prononcée, dans laquelle toutes les allégations de la première sentence sont non seulement confirmées, mais aussi aggravées par la condamnation au bûcher, si les accusés étaient capturés dans les territoires de la Commune. Dante, au début – nous sommes en 1302 –, partage le sort des autres bannis blancs : ses premières épîtres, qui datent de 1304, constituent des témoignages liminaires de la période du bannissement, dont elles nous livrent la vision retravaillée par l’épistolier.

L’origine lexicale et notionnelle de l’« exul »

  • 4 Dante Alighieri, Epistole, Egloghe, Quaestio de aqua et terra, in Id., Opere minori, vol.  III, t.  (...)

3L’épître I4, adressée au cardinal Niccolò da Prato qui avait été dépêché par Benoît XI à Florence comme pacificateur en mars 1304, tout en étant rédigée au nom des proscrits blancs, se présente, à une analyse plus détaillée, comme un texte programmatique du rédacteur réel. L’intérêt de cette missive réside dans la distance que Dante commence à prendre par rapport à ses compagnons, et que l’écriture cristallise dans la dichotomie entre les paroles écrites, porteuses de paix, et les actes qui, ressortant en filigrane du discours, attestent des tentatives armées ayant pour but le retour à Florence. Cette dichotomie prélude d’ailleurs à la division qui s’opérera assez vite entre Dante et ses compagnons.

  • 5 Par XVII, 61-69  : «  E quel che più ti graverà le spalle, / sarà la compagnia malvagia e scempia / (...)

4La tonalité de cette épître semble en effet être beaucoup plus proche des opinions de Dante que de celles de l’Universitas alborum dont il se fait le porte-parole. La conviction, qui commence à faire son chemin chez Dante, que le problème des exilés florentins devait désormais être débattu, et si possible résolu, sur le terrain politico-diplomatique et non point militaire, imprègne toute l’épître et conduit à un éloignement entre Dante et ses confrères : il se consommera assez rapidement après la faillite de la mission du cardinal da Prato (juin 1304) et sera verbalisé, bien des années après, dans les célèbres vers de Par XVII, 61-695. Malgré la distance temporelle entre les deux textes, les vers du poème pointent encore l’acrimonie des divergences entre Dante et ses compagnons d’exil, guelfes mais aussi gibelins, qui par la suite se dresseront contre le poète (« tutta matta ed empia / si farà contr’a te », v. 64-65). Or, la dissociation conflictuelle (« ella, non tu », v. 66) est déjà en cours à l’époque de l’épître qui, à côté de l’écriture “officielle”, dévoile une écriture propre à son rédacteur, car elle amorce la construction de l’« exul » qui non seulement est exclu de sa patrie, mais qui se détache aussi de ses compagnons. Par l’intermédiaire de cette écriture « double », Dante entreprend de se forger l’image d’un interlocuteur aimant la justice et la paix, animé par un éminent sens éthique et doté d’un sentiment de la patrie supérieur à tout intérêt personnel et de parti.

  • 6 Dans cette citation et dans les autres, c’est nous qui soulignons.
  • 7 Ep. II, [I], 3  : «  il convient que moi-même je plaigne mon malheur, moi qui chassé de ma patrie e (...)
  • 8 Ep. II, [3], 7-8 et Dante Alighieri, Convivio, a cura di Franca Brambilla Ageno, Firenze, Le Letter (...)

5L’épître II, probablement datée, elle aussi, de 1304 – une missive de condoléances aux comtes de Romena, Oberto et Guido, pour la mort de leur oncle Alessandro, signataire avec Dante et les autres exilés blancs de l’épître à Niccolò da Prato –, explicite cette image sur le plan du lexique. Le passage qui nous intéresse se trouve après les formules convenues de sympathie pour les vertus du défunt, parmi lesquelles occupait une place d’importance la générosité dont à présent Dante se trouve privé. Ainsi s’opère le glissement vers sa condition personnelle : « me miserum dolere oportet, qui a patria pulsus et exul inmeritus6 infortunia mea rependens continuo cara spe memet consolabar in illo7 ». L’intensité de la plainte se cristallise dans le syntagme « exul inmeritus », qui fait ici sa première apparition, dans le corps du texte. L’iniquité d’une proscription qui lui impose une indigence constante et l’humiliation de quémander l’hospitalité8 confère à présent de nouvelles facettes à la figure de l’exilé dont l’épître I avait suggéré la droiture intellectuelle et la clairvoyance politique.

6Dante se dit d’abord pulsus (« expulsé ») de sa ville, employant un terme qui indique, notamment à Florence, la volonté de poursuivre les condamnés en portant également atteinte, par la propagande, à leur renommée. En se désignant comme « exul », il s’individualise ensuite par l’adoption d’un lexème étranger à la langue statutaire communale, qui employait des mots comme « bannitus », « exbannitus » ou « proscriptus ». « Exul », mot d’origine entièrement latine, appartenait au monde juridique romain auquel Dante, de toute évidence, veut se rattacher. On y reviendra. Enfin, il livre son appréciation personnelle de la mesure qui le frappe, et de celui qu’elle frappe, en se proclamant « inmeritus », injustement proscrit. Ainsi la locution « a patria pulsus et exul immeritus » rend compte, en les juxtaposant mais surtout en les distinguant par la terminologie adoptée, des deux aspects, voire des deux moments, dont se compose cette première désignation d’une identité que l’exil lui impose de redéfinir.

  • 9 Ep. II, [I], 3 ; III, 1 ; V, 1 ; VI, 1 ; VII, 1. Dans les deux autres passages le mot indique les e (...)

7C’est donc dans l’épître II que Dante emploie pour la première fois le terme « exul », qu’il continuera par la suite d’utiliser uniquement dans ses missives : à sept reprises, dont cinq au sein du syntagme « exul inmeritus9 ».

L’exil latin et le bannissement médiéval

  • 10 Le syntagme deviendra protocolaire dans les épîtres “politiques” (V, VI, VII).
  • 11 Elisabetta Graziosi, «  Dante a Cino  : sul cuore di un giurista  », in Letture Classensi, 26, 1996 (...)

8Cette tournure lexicale, qui se trouvait dans le corps du texte de l’épître II, devient, dans la III, l’un des titres qualifiant le destinateur dans l’intitulatio10, adressée à l’« exulanti Pistoriensi », Cino da Pistoia11  : « Exulanti Pistoriensi Florentinus exul inmeritus per tempora diuturna salutem et perpetue caritatis ardorem ». Dans cette missive Dante s’adresse, certes, à un ami avec lequel il a partagé un même climat culturel et poétique, comme l’épître elle-même en témoigne ; mais il s’adresse surtout, d’une manière plus allusive, au juriste renommé qu’est Cino, par le biais de la double occurrence liminaire de l’exil.

  • 12 Cf. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. aug., Niort, L. Favre, 1883-1887, t. 1, (...)
  • 13 Quelques années après, Bartolo di Sassoferrato écrira un Tractatus de bannitis (ou bannitorum) publ (...)
  • 14 Le champ juridique romain disposait de termes bien précis pour indiquer les différents châtiments, (...)
  • 15 Giuliano Milani, L’esclusione dal comune. Conflitti e bandi politici a Bologna e in altre città ita (...)

9Comme on l’a vu, dans les documents légaux et d’archives de la période communale et dans le ius proprium de Florence, l’expulsion de la cité était désignée par « bannum », et l’expulsé par « bannitus » ou des termes de la même famille12. Aucune institution romaine n’ayant son correspondant dans le « bannum », il était difficile, pour les juristes, d’en expliquer les contours et la pratique, faute de pouvoir s’appuyer sur les sources romaines13. « Bannum », d’origine germanique, indiquait différentes sanctions dont, notamment, le pouvoir de punir, de contraindre et d’ordonner sans laisser aucune latitude au condamné, ainsi que celui d’infliger la condamnation à la peine capitale14. Mais c’est à partir de la fin du xiiie siècle que s’amorce le tournant décisif par lequel le bannissement, dans les cités de l’Italie centrale et septentrionale, devient une véritable arme politique, irréversible et non plus temporaire, et que les bannis sont assimilés aux « ennemis de la cité », une cité s’identifiant, du même coup, avec le parti des vainqueurs15. Et c’est au xive siècle que des juristes éminents, de Cino à Bartolo, se prononcent sur le « bannum » en interrogeant sa plus ou moins grande compatibilité avec l’« exilium ».

  • 16 Isidori Hispalensis Episcopi Etymologiarum sive Originum libri XX, W. M. Lindsay (éd.), Oxford 1911 (...)

10L’étymologie de ce mot, selon Isidore de Séville, renvoie au déracinement du sol, à l’arrachement de la patrie16, nécessairement rattachés à une idée d’appauvrissement et de châtiment. Cependant l’exil, dans le droit romain, n’était pas uniquement une modalité de sanction et de coercition, car il se rattachait au ius exilii qui reconnaissait à tout citoyen romain le droit et la liberté de quitter Rome avant la dernière sentence. Le monde latin avait ainsi pu accueillir la conception positive de l’exil qui était celle des stoïciens, et qui est notamment reprise par Cicéron et Sénèque.

  • 17 Marcus Tullius Cicero, Pro Coecina, xxxiv, 100.

11Pour Cicéron, l’exil pouvait représenter un choix salutaire : « exsilium enim non supplicium est, sed perfugium portusque supplici. Nam quia uolunt poenam aliquam subterfugere aut calamitatem, eo solum uertunt, hoc est sedem ac locum mutant17 ». Lorsqu’il est volontaire, l’exil est en effet une manière d’opter pour l’éloignement d’une situation de non-liberté, ainsi qu’une occasion d’acquérir une nouvelle grandeur d’âme, par le choix de la véritable liberté et le mépris des biens matériels.

12Quant à Sénèque, qui en 41 av. J.-C. fut condamné à la relégation en Corse, il parvient, lui aussi, à envisager l’expérience de l’expatriation d’une façon positive. Si, en effet, l’expatrié est souvent confronté à la pauvreté et à un milieu inhospitalier, son déracinement et l’inévitable perte de ses habitudes lui permettent de se consacrer entièrement à l’otium philosophique et de procéder à une nouvelle fondation de soi, grâce à une réflexion renouvelée par les circonstances.

13Bien différent est le cas d’Ovide, relégué par le fait du prince aux confins du monde romain : on revient de Corse, pas de Tomes, et l’exil en vient alors à coïncider avec son horizon existentiel. Obligé de devenir l’objet de sa propre poésie, Ovide adopte une posture qui, pour la première fois, fait de l’exil l’élément structurant de son autodéfinition en tant que poète.

  • 18 Cf. aussi Par XVII, 46-48 pour la reprise de l’épisode mythologique.

14Pour en revenir à l’épître III, Cino est sans doute l’interlocuteur le mieux à même d’interpréter la signification juridique et idéologique du terme latin qui s’exhibe pour la première fois dans l’intitulatio de la lettre dont il est le destinataire, qualifié à son tour par le participe « exulanti ». En se désignant ici comme « exul », Dante clame son appartenance à une lignée qui le rattache aux grands auteurs de l’Antiquité et qui le différencie nettement de tous les fuoriusciti des cités médiévales. D’autre part, s’adressant au célèbre juriste, il s’assure sa caution juridique, tout en ayant la certitude que ses paroles seront entendues au-delà de Florence. D’où la place qu’occupe, dans le protocole, le syntagme qui va désigner l’épistolier pendant environ une décennie. Dans ce syntagme, « inmeritus » rehausse la dénotation négative de son préfixe par le fait d’être une citation issue d’une auctoritas latine, justement Ovide. En découvrant l’exil d’Hippolyte d’Athènes dans Métamorphoses, XV, 504, Dante lisait en effet : « inmeritumque pater proiecit ab urbe », mauvaise transcription du vers « meritumque nihil pater eicit urbe18 ».

  • 19 «  Quanquam Sarnum biberimus ante dentes et Florentiam adeo diligamus ut, quia dileximus, exilium p (...)

15Par ce lexique de matrice latine, Dante associe donc, durablement, sa propre condamnation à la notion d’injustice, ainsi que le souligne également DVE, I, vi, 319, où l’adverbe « iniuste » exprime, comme dans les épîtres, le sentiment d’avoir subi un sort inique en raison, précisément, de sa noblesse d’âme et de son amour pour la patrie.

16Dans l’intitulatio de la lettre à Cino, « exul », le terme stratégique pour la reconstruction de soi en tant qu’exilé, se trouve en fait encadré par deux qualificatifs sémantiquement hétérogènes, voire oxymoriques. Que signifie-t-il au juste ce « florentinus » antéposé ? Sans anticiper indûment sur la formule tout aussi célèbre « florentinus natione non moribus », qui n’apparaîtra que bien plus tard, dans l’épître à Cangrande, le syntagme protocolaire de la missive adressée à Cino aligne dans une progression savamment calculée les trois facettes qui concourent à l’édification de la nouvelle image de soi qu’il lui faut bâtir.

17La progression a comme point de départ une donnée objective : la continuité de son identité civique (florentinus), qui ne peut se définir que par rapport à la cité où il est né ; mais « exul », en position centrale, introduit, dans cette continuité objective, une double fracture : celle, subie et toute négative, que Florence a provoquée en le bannissant ; celle qu’il a choisi d’établir en se réclamant de la tradition latine de l’exilium, ce qui, le détachant des pratiques en cours à Florence, le distingue, nous l’avons dit, tout autant des autres fuorusciti. La fracture est enfin totalement assumée, et consommée, par l’« inmeritus » final qui parachève la construction identitaire, valorisée par la citation ovidienne et placée sous le signe de l’inaliénable autonomie de son jugement, sur sa ville autant que sur soi-même.

  • 20 Pour une analyse des problématiques liées à la chanson, cf. les contributions Umberto Carpi, La nob (...)
  • 21 Dante Alighieri, Rime, a cura di Domenico De Robertis, 13 (CIV), p. 186-202, Tre donne intorno al c (...)
  • 22 Tre donne intorno al cor, v. 73-80, «  Lors écoutant par divines paroles / soi consoler et plaindre (...)

18Dans ces années si importantes pour la dimension auctoriale de cette reconstruction de soi – rappelons que ce sont les années cruciales où la rédaction de la Comédie va commencer ou vient tout juste de débuter –, les épîtres qui nous restent sont les seuls textes de Dante que l’on peut dater avec exactitude, du moins lorsque la date est conservée. Tel n’est pas le cas des épîtres III et IV, que l’on peut cependant situer dans les années 1306-1307, c’est-à-dire dans le même laps de temps où Dante a écrit la « grande chanson de l’exil » qu’est « Tre donne intorno al cor mi son venute20  ». Celle-ci présuppose l’adoption déjà advenue du syntagme identitaire « exul inmeritus », mais semble aussi se situer dans le prolongement de la réélaboration dont témoigne l’intitulatio de la lettre à Cino. Un prolongement qui, n’étant plus confié au langage protocolaire, se déploie en enrichissant considérablement les éléments que l’on vient de dégager. La canzone s’ouvre sur une scène allégorique, d’une ampleur jamais encore atteinte dans la poésie lyrique, qui montre « trois femmes », comme lui chassées, ignorées et bafouées, qui symbolisent les trois formes de la justice et sont définies par l’adjectif « discacciata21 ». Le glissement de la circonstance allégorique à la situation existentielle du poète est signalé par le surgissement du pronom personnel « io » (v. 73), lequel, en interrompant brusquement la narration allégorique, introduit une référence autobiographique, dont la précision était également inconnue de la poésie lyrique. Et cependant ce « io » autobiographique est aussi assimilé aux « così alti dispersi » de la fiction allégorique : « E io, che ascolto nel parlar divino / consolarsi e dolersi / così alti dispersi, / l’essilio che m’è dato, onor mi tegno  : / ché, se giudizio o / forza di destino / vuol pur che il mondo versi / i bianchi fiori in persi, / cader co’ buoni è pur di lode degno22 ». Ainsi le v. 75 (« l’essilio che m’è dato, onor mi tegno ») exhibe syntaxiquement la volonté auctoriale d’une métamorphose identitaire transformant une condition passivement subie en la revendication, active et hautaine, de la nouvelle signification, et de la nouvelle valeur, qu’il lui confère.

19Il faut cependant relever également la présence d’autres éléments, tout aussi inhabituels dans un texte lyrique, qui se réfèrent au moment historique précis que le « je » autobiographique traverse : après la victoire désormais acquise des Noirs, la réorganisation en cours du camp guelfe laisse entrevoir une possibilité de retour qui le pousse à se déclarer coupable et même – fait unique chez lui – à demander le pardon. La faute dont il s’accuse n’a bien évidemment rien à voir avec la condamnation à l’exil, mais se réfère, dans la période qui lui est postérieure, à l’alliance avec les gibelins que maintenant il renie et à la conviction d’avoir participé, lui aussi, à la division des partes communales Le repentir pour une faute politique avouée l’induit à solliciter, en retour, l’octroi d’un pardon à son tour politique. Aussi la « grande chanson de l’exil » est-elle également fondamentale pour apprécier tout ce qui, dans le concret d’une situation toujours mouvante, introduit des fêlures, des éléments de tension, voire des contradictions, au risque de lézarder l’image de soi dont il entend cependant poursuivre et amplifier l’indispensable valorisation. En même temps, la formule protocolaire de l’épître, par sa brièveté même, lui permet de consigner les points de repère désormais stables de cette construction, malgré, voire contre, la précarité réelle de sa situation et les réorientations qu’elle lui impose.

20À ce moment de son parcours – nous sommes donc en 1306-1307 –, Dante a déjà “choisi” son exil : il l’a fait concrètement, en s’éloignant de la « compagnia malvagia e scempia », linguistiquement, lorsqu’il entérine le lexique latin, et idéologiquement, par la transfiguration de son exil qu’il va jusqu’à transformer en honneur. Mais il l’a fait surtout en faisant de l’exil le “lieu” d’où il parle en tant qu’auteur, le lieu qui valide, en la légitimant et en la valorisant, la profération de sa parole autobiographique d’exilé, qu’il s’exprime comme poète lyrique, comme auteur de deux traités aussi radicalement novateurs que De Vulgari Eloquentia et Convivio, ou bien en tant qu’épistolier.

L’« exul » politicus

21Cela est d’autant plus valable lorsque l’entreprise de Henri VII, qui redistribue toutes les cartes et mobilise toutes les forces, accapare entièrement les énergies de Dante, avec les répercussions théoriques, politiques et poétiques que l’on sait, mais qui retentissent aussi sur la nouvelle identité qu’assume le « je » épistolier. À l’occasion de l’entreprise impériale de Henri VII, Dante est le rédacteur de trois missives en son propre nom, les épîtres V, VI et VII adressées respectivement aux Seigneurs d’Italie, aux « scélérats Florentins » et à l’empereur lui-même, dont le protocole reprend le syntagme « exul inmeritus », avec cependant des ajouts remarquables.

  • 23 Ep. V, [1], 1  : «  À tous et à chacun des rois d’Italie et des sénateurs de la Ville sainte, et mê (...)
  • 24 De V.E. I, xviii, 3  ; II, iv, 6. Ecl. I, 15-18. Ep. XIII, [10], 31, plus l’occurrence qui nous int (...)
  • 25 V.N., ii, 3  ; xii, v. 32  ; xv, 1, xxi, v. 10  ; xxii, v.1, 8  ; xxiii, v. 72  ; xxvi, v. 10  ; xx (...)
  • 26 La deuxième occurrence, moins pertinente pour notre propos, est celle de Purg X, 64-66  ; dans la c (...)

22L’épître V est officiellement adressée à « Universis et singulis Ytalie Regibus et Senatoribus alme Urbis nec non Ducibus Marchionibus Comitibus atque Populis » par l’« humilis ytalus Dantes Alagherii florentinus et exul inmeritus » qui « orat pacem23 ». La formula humilitatis qui ouvre l’intitulatio – « humilis ytalus Dantes Alagherii » – frappe d’emblée : c’est la seule fois dans l’ensemble de ses écrits, en latin ou en vulgaire, que Dante se présente comme « humilis  », alors que, par ailleurs, cet adjectif figure cinq fois dans les œuvres latines24 et vingt-quatre dans les écrits en vulgaire25, dont deux dans la Comédie26.

  • 27 Inf I, 106.
  • 28 Publius Vergilius Maro, Aen., III, 521-524  : «  humilem que videmus Italiam  ».

23La première occurrence, nous la retrouvons dans le chant I de l’Enfer à propos du veltro qui « di quella umile Italia fia salute27 ». Cette citation, qui est clairement d’origine virgilienne28, renvoie à la dimension prophétique de Virgile, dont l’œuvre, en décrivant la naissance de Rome, annonçait le futur Empire romain, mais elle souligne aussi la première annonce prophétique du poème, celle du veltro.

  • 29 C’est aussi un Dante qui «  ridussesi tutto a umiltà  » qu’évoque la vie de Dante écrite par Leonar (...)

24L’« humilis » initial de l’épître n’en prend que davantage de relief, nous invitant à y voir annoncé, et condensé, le nouvel avatar auctorial que l’exul déploie dans ce texte, où la nouveauté de son écriture prophétique entraîne la mobilisation constante de références au monde classique et de citations bibliques. Cet « humilis », déjà présent dans le passage sur le veltro d’Inf I, rend certes compte de la persistante dimension virgilienne de son prophétisme, mais il désigne en même temps la distance qui sépare sa première occurrence de sa reprise actuelle, dans un contexte historique inédit où Virgile devient l’un des pivots de son prophétisme impérial. De l’« umile Italia » d’Inf I à l’« humilis ytalus » de l’épître V il y a une continuité d’autant plus revendiquée qu’il s’agit aussi d’une autocitation. L’urgence absolue de prendre la parole, à laquelle l’épître répond, lui impose cependant de revenir sur ce syntagme pour en rectifier la portée : non plus l’attente messianique d’un sauveur aux contours flous, mais l’engagement radical dans le présent d’une initiative politique à soutenir par des moyens renouvelés, à la hauteur de cette circonstance exceptionnelle29.

  • 30 Les Florentins avaient, depuis le début, adopté une attitude négative envers l’empereur  : ils n’av (...)
  • 31 Ep. VI, [3], 11  ; [3], 13-14  ; [4], 15, etc.
  • 32 Ep. V, [8], 25  : «  Non etenim semper nos agimus, quin interdum utensilia Dei sumus  ».

25Dans l’épître VI, du 31 mars 1311, « Dantes Alagherii florentinus et exul inmeritus » s’adresse aux « scelestissimis Florentinis intrinsecis », de sorte que la redéfinition, toujours en cours depuis l’Ep. II, d’une identité double, intérieurement scindée, voire déchirée, est soulignée par les trois termes qui, dans les deux trinômes, sont redistribués dans les figures rhétoriques du polysyndète et de l’asyndète. La resémantisation, déjà advenue, du « a patria pulsus » (Ep. II) par « florentinus » comporte maintenant la mise en relief d’une opposition radicale d’avec ses concitoyens, puisque l’adjectif intrinseci (« du dedans ») s’oppose aux Florentini extrinseci dont Dante fait toujours partie, du moins officiellement. Or, cette opposition dénotative, ne relevant que de la terminologie officielle, est précédée par le superlatif « scelestissimis » ; ainsi l’« inmeritus » n’en est que mieux fondé, évidemment, mais ce n’est pas là le plus important : l’aune pour mesurer la scélératesse des Florentins est constituée maintenant par leur comportement à l’égard de la mission impériale30. La dimension existentielle de “florentinité” est maintenue, même si elle semble désormais se circonscrire à l’aspect géographique ; cependant le hiatus qui s’est créé par rapport à la population et aux valeurs qu’elle véhicule est de plus en plus profond. L’insistance sur les vices de la cité ne peut donner qu’encore plus de force aux vertus de l’épistolier et à la véridicité de ses dires prophétiques31. Depuis l’épître V, qui le désigne comme l’instrument de la parole de Dieu32, il est en effet devenu le messager dont la parole subjective n’est plus au service du conflit qui se joue entre lui et sa ville, mais d’une vérité objective parce qu’elle est divine.

  • 33 Ep. VII, [8], 30.
  • 34 Ibid.  : «  de même alors, redevenus citoyens et respirant en paix, nous recompterons une par une, (...)

26Si l’épître VI aux Florentins se configure donc comme un dialogue “personnel” entre Dante et ses concitoyens, dont il se sert pour peaufiner sa figure d’exilé, l’épître VII à Henri, du 17 avril 1311, tout en reprenant la formulation protocolaire désormais usitée, récupère aussi la voix chorale de l’épître V, mais pour exclure, au préalable, les scelestissimi Fiorentini des « omnes Tusci » au nom de qui elle parle : « devotissimi sui Dantes Alagherii Florentinus et exul inmeritus ac universaliter omnes Tusci qui pacem desiderant, terre osculum ante pedes ». Dante lui-même définit, à la fin de l’épître, avec plus de précision, ses compagnons comme étant des exilés33. De cette façon, l’épistolier s’unit, au moins émotionnellement, à tous les exilés qui ont comme objectif non seulement de rentrer à Florence, mais aussi de rétablir l’humanité sur le droit chemin. Car, s’il s’efforce de se reconstruire en tant qu’être et intellectuel, son aspiration est de retrouver le statut de civis, perdu avec la sentence d’exil. La formule qui conclut l’épître à l’empereur insiste bien sur cet aspect civique : « ita tunc cives et respirantes in pace, confusionis miserias in gaudio recolemus34 ». La déchirure entre le civis (florentinus) et l’« exul » qui parcourt ces premières épîtres est destinée à ne jamais se refermer ; au contraire elle suivra une voie qui l’élargira davantage.

  • 35 Ep. XI, [8], 17, 18.
  • 36 Ep. XI, [5], 9.
  • 37 Ep. XI, [6], 13.
  • 38 Ep. V, [8], 25.

27L’épître XI aux cardinaux fera de nouveau retentir, avec ses tons annonciateurs, cette même voix qui parle au nom de la communauté humaine, sans cependant qu’il y ait aucune allusion autobiographique à l’épistolier. Trois ans après sa dernière implication publique en faveur de l’empereur, toujours plus isolé et détaché de la réalité florentine, Dante s’approprie une civitas de nature morale et religieuse à la fois, grâce à laquelle il peut contribuer à l’intérêt commun, devoir de chaque homme public, et par là justifier son existence. Encore une fois le rédacteur se fait le porte-parole de tous ceux qui murmurent ou se taisent35, s’exprimant même pour les autres frappés d’aphasie. Or, non seulement il ne parle pas en son propre nom, mais encore une fois il revendique son rôle d’intermédiaire entre Dieu et les hommes36, se proposant, comme seul objectif, d’allumer chez les prélats la rougeur de la confusion37. Par ce service “instrumental”, Dante-émetteur à la fois se décharge de toute implication subjective, car sa parole est la parole divine38, et condamne tous ses adversaires comme ennemis de Dieu. Sa probité, réaffirmée avec force, n’émerge que davantage du contraste avec l’indignité de ses destinataires.

L’« exil » sublimé par la fermeté

28Le 19 mai 1315, à l’occasion de la fête de la Saint-Jean, Florence promulgue une nouvelle amnistie générale pour les exilés, à condition qu’ils reconnaissent leur faute, payent une somme d’argent et fassent preuve de repentance publique. Dante, qui est cette fois-ci parmi les graciés, refuse une telle proposition. Nombre de parents et d’amis, parmi lesquels un non identifié « pater », semblent avoir écrit au poète pour l’encourager à accepter les propositions et rentrer à Florence. Il nous est parvenu la lettre de réponse de Dante à ce « pater » dans laquelle le sentiment d’estime et d’affection exprimé est remarquable. La lettre, par son style intime et personnel, est l’un des plus touchants écrits dantesques car elle donne libre cours, plus que son auteur ne le fait (ou ne s’autorise à le faire) ailleurs, à toute la souffrance, l’étonnement et l’écart qui le séparent, vraisemblablement à jamais, de ses concitoyens ; tous les efforts fournis par Dante pour se forger une image de philosophe, de litteratus e de prêcheur de justice, se sont soldés par un échec. Si Dante ne s’était jamais plié auparavant à aucun compromis, à présent, tout en ne renonçant pas à son souhait de revoir sa ville, il s’indigne d’avoir été assimilé aux « bannitorum » de droit commun et autres hommes infâmes (« cuiusdam Cioli et aliorum infamium »). Dans cette épître, qui est acéphale des formules protocolaires, le choix du mot « exul », ancien d’environ dix ans, est clairement explicité, à l’intérieur du texte, par la parole de Dante.

29Le rattachement à la tradition latine, où l’« exul » pouvait garder sa dignité et son intégrité par un acte d’éloignement volontaire, explique sa détermination à se différencier du bannitus médiéval, stigmatisé comme un paria et associé aux « infâmes ». Désormais, après cette ultime humiliation infligée et ce désenchantement supplémentaire, l’exil n’est plus un affront, un déni d’identité, mais il devient le privilège des justes, un choix éthique incontournable.

L’exil « choisi »

30Cette nouvelle conscience de soi, et du décalage entre celle-ci et son identité civique, se cristallise dans l’intitulatio de l’épître XIII à Cangrande della Scala. Le syntagme « exul inmeritus » cède ici la place à la locution « florentinus natione non moribus », expression d’une florentinité désormais dichotomique.

  • 39 Ep. IX, 5.

31La déception due aux derniers événements, la conduite de Florence lors de la mission de Henri, l’évidence que la prière « ut qui romani principatus imperio barbaras nationes et cives in mortalium tutamenta subegit, delirantis evi familiam sub triumphis et gloria sui Henrici reformet in melius39 » ne sera pas accomplie, l’amertume de voir, au contraire, triompher cet aevum delirans qu’il avait empêché en vain de s’imposer renforcent sa persuasion d’une distance irrécupérable entre lui et ses concitoyens ; « Florentinus natione », Dante l’est et il le restera, mais en refusant toute appartenance morale.

  • 40 Que peuvent-ils représenter les vers de Par XXV, 1-9, sinon une requête de réintégration  ? Mais un (...)

32Cette auto-conscience qui, dès les premières épîtres, s’est affirmée dans le contenu, mais surtout dans le génial emploi du lexique latin, trouve sa confirmation dans le cheminement auctorial et dans les Églogues. En effet, si Dante nie tout lien avec Florence en tant que communauté d’individus, il reste attaché à la ville où il est né et à la langue qu’il a apprise enfant. C’est peut-être là l’explication de son refus ferme de composer une œuvre poétique en latin, comme l’y pousse Giovanni del Virgilio, qui pouvait lui garantir la couronne poétique et, pourquoi pas, le retour à Florence. Dante décline l’offre car, à ce moment de son parcours, ayant rejeté tout lien avec la conduite des Florentins, la plus forte attache qu’il gardait avec sa ville natale était la langue. Comme il l’avait déjà écrit au « pater » de l’épître XII, il veut bien rentrer à Florence, mais par une autre voie que celle de l’oblatio de la Saint-Jean, et la seule voie pour Dante passe par le poème : « Se mai continga che ’l poema sacro / al quale ha posto mano e cielo e terra, / sì che m’ha fatto per molti anni macro, / vinca la crudeltà che fuor mi serra / del bello ovile ov’io dormi’ agnello, / nimico ai lupi che li danno guerra ; / con altra voce omai, con altro vello / ritornerò poeta, e in sul fonte / del mio battesmo prenderò ’l cappello40 ».

33La stratégie personnelle qu’il avait poursuivie lors de son exil n’avait pas porté les fruits qu’il en avait sans doute escomptés en vue du retour à Florence. Dans cette perspective, le rapport avec Florence, interdit au niveau politique, se réalise au niveau linguistique par le « poème sacré », auquel il délègue la condamnation des mœurs florentines – qui n’est pas un but en soi, mais constitue un passage obligé dans le parcours ascensionnel du viator, le pèlerin qui n’est que temporairement exilé dans l’outre-tombe.

34L’exil concrètement vécu, douloureux, problématique, sûrement nostalgique, qui lui a imposé de se reconstruire une identité dont les épîtres montrent l’affirmation autant que l’évolution toujours nécessaire, lui donne finalement l’occasion d’une parole renouvelée et d’une poésie “jamais dite”.

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Notes

1 Pour une «  reconsideration  » historique de cette sentence et de la suivante, cf. Giuliano Milani, «  Appunti per una riconsiderazione del bando di Dante  », in Bollettino di italianistica, VIII, n. 2, 2011, La letteratura italiana e l’esilio, p. 42-70.

2 Des pratiques de ce genre étaient très répandues à l’époque  ; les condamnations étaient infligées souvent dans le feu de l’action par les vainqueurs eux-mêmes, qui prononçaient leurs sentences sur la base de simples rumeurs, cf. Jacques Heers, L’esilio, la vita politica la società nel Medioevo, Napoli, Liguori editore, 1997, p. 67-68. Cependant la valeur probatoire de la «  fama publica  » était admise dans les procès médiévaux.

3 Pour la sentence de janvier 1302, cf. Il libro del chiodo. Archivio di Stato di Firenze, riproduzione in fac-simile con edizione critica, Francesca Klein (éd.), avec la collaboration de Simone Sartini, introduction de Riccardo Fubini, Roma, Polistampa, 2004, p. 168-170  ; Une première édition de ces sentences se trouve dans Fabrizio Ricciardelli (éd.), Il libro del chiodo, Roma, Istituto storico per il Medioevo, 1998  ; Christine Shaw, The Politics of Exile in Renaissance Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 5-4, 54-56, 59-64, 68-69.

4 Dante Alighieri, Epistole, Egloghe, Quaestio de aqua et terra, in Id., Opere minori, vol.  III, t. II, Arsenio Frugoni, Giorgio Brugnoli, Enzo Cecchini e Francesco Mazzoni (éds), Milano-Napoli, Ricciardi, 1989 (à partir d’ici Ep.).

5 Par XVII, 61-69  : «  E quel che più ti graverà le spalle, / sarà la compagnia malvagia e scempia / con la qual tu cadrai in questa valle  ; / che tutta ingrata, tutta matta ed empia / si farà contr’a te  ; ma, poco appresso, / ella, non tu, n’avrà rossa la tempia. / Di sua bestialitate il suo processo / farà la prova  ; / sì ch’a te fia bello / averti fatta parte per te stesso  » («  Et ce qui pèsera plus, à tes épaules, / sera la compagnie méchante et bornée / avec qui en ces avallées tu vas choir  : / qui toute ingrate, démente et impire / se montrera contre toi  ; / mais peu après, / elle, non toi, en aura rouges les tempes. / De sa bestialité, son mode d’agir / fera la preuve  ; si bien qu’il sera beau / de t’être fait un parti pour toi-même  »). La traduction est de Jean-Charles Vegliante (Dante Alighieri, La Comédie, traduction par Jean-Charles Vegliante, Paris, Imprimerie nationale, 1995-2007, 3 vol. ).

6 Dans cette citation et dans les autres, c’est nous qui soulignons.

7 Ep. II, [I], 3  : «  il convient que moi-même je plaigne mon malheur, moi qui chassé de ma patrie et mis au ban contre mérite, sans cesse repesant tous mes méchefs, me venais consoler en lui d’un cher espoir  ». La traduction est d’André Pézard, Dante Alighieri, Œuvres complètes, traduction et commentaires par André Pézard, Paris, Gallimard, 1965, Bibliothèque de la Pléiade.

8 Ep. II, [3], 7-8 et Dante Alighieri, Convivio, a cura di Franca Brambilla Ageno, Firenze, Le Lettere, 1995 (Edizione nazionale delle opere di Dante, 3), I, iii, 4 (à partir d’ici Conv.).

9 Ep. II, [I], 3 ; III, 1 ; V, 1 ; VI, 1 ; VII, 1. Dans les deux autres passages le mot indique les exilés de Jérusalem (Ep. VII, [8], 30) et en général tous les exilés sans précision particulière (Ep. XII, 1).

10 Le syntagme deviendra protocolaire dans les épîtres “politiques” (V, VI, VII).

11 Elisabetta Graziosi, «  Dante a Cino  : sul cuore di un giurista  », in Letture Classensi, 26, 1996, p. 55-91.

12 Cf. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. aug., Niort, L. Favre, 1883-1887, t. 1, col. 551b, 556c, 558c.

13 Quelques années après, Bartolo di Sassoferrato écrira un Tractatus de bannitis (ou bannitorum) publié dans Consilia, Quaestiones et Tractatus Bartoli a Saxo Ferrato, Venetiis, apud Iuntas, 1570, fol. 133rA-133vA. Cf. Christian Zendri, «  Éléments d’une définition juridique de l’exil  : le “Tractatus de bannitis” de Bartolo da Sassoferrato (1314-1357)  », Laboratoire italien. Politique et société, 3-2002, «  La République en exil (xve-xvie siècles)  », p. 33-49.

14 Le champ juridique romain disposait de termes bien précis pour indiquer les différents châtiments, deportatio (perte des droits liés à la civitas romana, confiscation des biens, infamie et donc impossibilité de rédiger un testament, mais pas de condamnation par contumace, absolution du déporté par l’empereur ou le sénat, pas de condamnation à la peine capitale systématique, etc.), relegatio (dans un lieu précis et sans confiscation des biens, elle peut être prononcée par contumace, suppose la cognitio criminis, infamie, etc.) et la interdictio aqua et igni  ; d’ailleurs les «  exilés  » aussi pouvaient assumer des dénominations différentes, transfuga/hostis populi romani, cf. C. Zendri, Éléments d’une définition juridique de l’exil, art. cit., p. 37-39, 41-43.

15 Giuliano Milani, L’esclusione dal comune. Conflitti e bandi politici a Bologna e in altre città italiane tra xii e xiv secolo, Roma, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 2003.

16 Isidori Hispalensis Episcopi Etymologiarum sive Originum libri XX, W. M. Lindsay (éd.), Oxford 1911, liber V, [28]  : «  Exilium dictum quasi extra solum. Nam exul dicitur qui extra solum est. Unde postliminium redeuntibus, hoc est de exilio reducendis, qui sunt eiecti in iniuria, id est extra limen patriae.  »

17 Marcus Tullius Cicero, Pro Coecina, xxxiv, 100.

18 Cf. aussi Par XVII, 46-48 pour la reprise de l’épisode mythologique.

19 «  Quanquam Sarnum biberimus ante dentes et Florentiam adeo diligamus ut, quia dileximus, exilium patiamur iniuste  ».

20 Pour une analyse des problématiques liées à la chanson, cf. les contributions Umberto Carpi, La nobiltà di Dante, Firenze, Polistampa, 2004, et Enrico Fenzi, «  Tre donne 73-107  : la colpa, il pentimento, il perdono  », in Juan Varela-Portas de Orduña (éd.), «  Tre donne intorno al cor mi son venute  », Madrid, Departamento de Filología Italiana de la Universidad Complutense de Madrid-Asociación Complutense de Dantología, 2007, La Biblioteca de “Tenzone”, 1, p. 91-124  ; Michelangelo Picone, «  Dante e la poesia dell’esilio  », in Le «  Rime  » di Dante, Atti della giornata di studi, 16 novembre 2007, a cura di Paolo Grossi, Parigi, Istituto Italiano di Cultura, 2008, p. 53-73  ; Johannes Bartuschat, «  Le Rime  », in Letture classensi. XXXVIII, «  Le opere minori di Dante nella prospettiva della Commedia  », Ravenna, Longo, 2009, p. 17-40  ; Maria Teresa Balbiano d’Aramengo, “Tre donne intorno al cor”. Saggio di psicologia dantesca, Torino, Riccadonna, 2006, I piccoli.

21 Dante Alighieri, Rime, a cura di Domenico De Robertis, 13 (CIV), p. 186-202, Tre donne intorno al cor mi son venute, v. 9-15  : «  Ciascuna par dolente e sbigottita, / come persona discacciata e stanca, / cui tutta gente manca / a cui vertute né belta non vale. / Tempo fu già nel quale, / secondo il lor parlar, furon dilette  ; / or sono a tutti in ira ed in non cale  » («  Chacune à voir est dolente et hagarde / comme lasse personne et exilée / à qui toutes gens faillent  ; / et ne lui vaut ni vertu ni beauté. / Jadis, selon leur conte, / furent des temps qu’elles trouvaient amour  ; / ore à tous sont en ire et non chaloir  »).

22 Tre donne intorno al cor, v. 73-80, «  Lors écoutant par divines paroles / soi consoler et plaindre / tels quatre hauts bannis, / honneur trouvé-je à l’exil qu’on me donne  : / si jugement ou force de destin, / veut que le monde tourne / les blanches fleurs en sombres, / tomber avec les bons vaut bien louange  ».

23 Ep. V, [1], 1  : «  À tous et à chacun des rois d’Italie et des sénateurs de la Ville sainte, et mêmement aux ducs, marquis, comtes et peuples, l’humble italien Dante Alagier, florentin et exilé contre mérite, demande qu’ils fassent paix  ».

24 De V.E. I, xviii, 3  ; II, iv, 6. Ecl. I, 15-18. Ep. XIII, [10], 31, plus l’occurrence qui nous intéresse.

25 V.N., ii, 3  ; xii, v. 32  ; xv, 1, xxi, v. 10  ; xxii, v.1, 8  ; xxiii, v. 72  ; xxvi, v. 10  ; xxvii, v.15. Conv. I, «  Voi che intendendo…  », v. 51, 89  ; ix, 1  ; x, 5  ; II, «  Amor che nella mente…  », v. 139, 150  ; ix, 4, xiii, 10  ; Inf I, 107  ; Purg I, 138  ; VIII, 27  ; X, 68  ; XXIX, 145  ; Par VI, 138  ; XI, 90  ; XXX, 5.

26 La deuxième occurrence, moins pertinente pour notre propos, est celle de Purg X, 64-66  ; dans la corniche des orgueilleux, Dante observe les bas-reliefs illustrant des scènes d’humilité  : le deuxième représente le roi David dansant devant l’arche de l’alliance. Le grand souverain juif, vainqueur du géant Goliath, se transfigure dans cette image en «  umile salmista  » qui avilit volontairement sa dignité royale pour se prosterner devant Dieu en élevant ainsi sa dignité humaine. Ce sera justement cette image que Dante reprendra ensuite pour lui conférer une fonction autobiographique.

27 Inf I, 106.

28 Publius Vergilius Maro, Aen., III, 521-524  : «  humilem que videmus Italiam  ».

29 C’est aussi un Dante qui «  ridussesi tutto a umiltà  » qu’évoque la vie de Dante écrite par Leonardo Bruni en se rapportant, probablement, à quelque mention dans ce sens dans l’épître, pour nous perdue, aux Florentins, Popule mee, quid feci tibi, mais que l’humaniste avait encore pu lire. Cf. Leonardo Bruni, Della vita studi e costumi di Dante, in Vite di Dante, a cura di G. L. Passerini, Sansoni, Firenze, 1917, § 8.

30 Les Florentins avaient, depuis le début, adopté une attitude négative envers l’empereur  : ils n’avaient pas participé à la délégation que les villes italiennes lui avaient envoyée à Lausanne et ensuite à Turin  ; ils avaient entrepris de fortifier leur ville  ; ils avaient constitué une ligue de villes guelfes en mars 1310 et soutenu ou plutôt inspiré la politique de Robert d’Anjou, et finalement décidé, en janvier 1311, de s’allier au roi de Naples et aux villes de Sienne, Pérouse et Bologne pour s’opposer à l’empereur. Et, de plus, les banquiers florentins avaient financé les actions du pape et de Robert d’Anjou contre Henri.

31 Ep. VI, [3], 11  ; [3], 13-14  ; [4], 15, etc.

32 Ep. V, [8], 25  : «  Non etenim semper nos agimus, quin interdum utensilia Dei sumus  ».

33 Ep. VII, [8], 30.

34 Ibid.  : «  de même alors, redevenus citoyens et respirant en paix, nous recompterons une par une, dans la joie, les misères de la confusion  ».

35 Ep. XI, [8], 17, 18.

36 Ep. XI, [5], 9.

37 Ep. XI, [6], 13.

38 Ep. V, [8], 25.

39 Ep. IX, 5.

40 Que peuvent-ils représenter les vers de Par XXV, 1-9, sinon une requête de réintégration  ? Mais une réintégration dont le poète pose lui-même les conditions (comme le souligne aussi le passage du subjonctif au futur de l’indicatif), qui lui permettront de rentrer, non pas en exilé humilié (et acceptant de s’auto-humilier), mais, justement, en poète, la tête ceinte de laurier.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sabrina Ferrara, « D’un bannissement subi à un exil revendiqué », Arzanà, 16-17 | 2013, 199-213.

Référence électronique

Sabrina Ferrara, « D’un bannissement subi à un exil revendiqué », Arzanà [En ligne], 16-17 | 2013, mis en ligne le 16 juin 2015, consulté le 06 octobre 2015. URL : http://arzana.revues.org/217 ; DOI : 10.4000/arzana.217

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Auteur

Sabrina Ferrara

Sabrina Ferrara est maître de conférences à l’Université de Tours. Ses intérêts portent sur la littérature italienne du Moyen Âge et sur Dante en particulier. Elle s’est occupée de théorie de la communication ainsi que d’épistolographie et de poésie politique (Cino da Pistoia). Ses recherches actuelles concernent également le premier humanisme.

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