La mort, loin d’être devenue un sujet tabou dans les sociétés occidentales contemporaines, comme il est d’usage de l’affirmer depuis quelques décennies, est au contraire rendue omniprésente dans les médias : elle fait la une des journaux papier ou télévisées, constitue la trame de nombreuses fictions littéraires et cinématographiques, de séries télévisées américaines très prisées et de témoignages autobiographiques, tandis que tout un chacun est sommé, de manière itérative et insistante, de faire un travail de deuil et/ou de mémoire vis-à-vis de ses chers défunts. En revanche, il est bien vrai que la réalité concrète du cadavre tend, elle, à être occultée, phénomène qui ne peut échapper à l’ethnologue travaillant dans des sociétés autres où sa présence préside à la structuration des rites funéraires et à la gestion des réactions émotionnelles des proches. Dans l’Occident d’aujourd’hui, le cadavre humain et son traitement tendent, en effet, à être l’exclusive des institutions médicochirurgicales et médicolégales, un fait, par contraste, fort peu relevé. Les réactions émotionnelles provoquées par la perte et la mort tendent, pour leur part, à être gérées à distance de cette présence lourde et abjecte de la décomposition de l’être aimé, notamment au travers des conseils prodigués par les psy en tous genres. Cet article propose de voir dans la multiplication des films d’horreur une façon de reconnecter l’abjection du corps mort avec les réactions fortes qu’elle suscite lorsque les personnes y sont directement confrontées. Or, s’il revient aux institutions médicochirurgicales de faire le “sale boulot” à l’écart du monde profane pour rendre aux morts un aspect tolérable, il revient, par contre, aux films d’horreur de réintroduire la dimension effroyable des corps morts en voie de putréfaction. C’est du moins l’hypothèse que tentera de soutenir cet article en montrant que si la gestion du cadavre renvoie, dans le monde réel, à des formes de transgression légitimées par l’appareil juridique, il faut ajouter de la transgression à la transgression légitime pour restituer, sur un plan fictionnel, son véritable aspect horrifique et son aptitude à nous affecter profondément. Et quoi de plus transgressif, de ce point de vue, qu’un viol perpétré par un médecin légiste nécrophile dans une morgue, sujet même du court métrage du réalisateur espagnol Nacho Cerdà analysé ici ?
Death, far from being a taboo topic in contemporary Western societies, as has been commonly asserted over the past few decades, is on the contrary omnipresent in the media. Death daily makes the headlines in newspapers and on television, and provides the scaffolding for popular American TV series and autobiographical testimonials, while every one of us is repeatedly and insistently summoned upon to work out our grief and the memories we have of our dearly departed. On the other hand, what is true is that the concrete reality of the corpse tends to be obscured and concealed. This is particularly obvious to the anthropologist familiar with other societies in which the dead body’s presence presides over the organisation of funerary rituals and the managing of close ones’ emotional reactions. Indeed, in the present-day West, the human corpse and the treatments it undergoes tend to be handled by medical and forensic institutions exclusively, something which, by contrast, is rarely acknowledged. Emotional responses to death and loss tend to be managed at a distance from the weighty and wretched presence of decomposing loved ones, notably with the help of psychotherapists of various stripes. This article proposes to envisage the marked expansion of horror films as a way of reconnecting the abject character of the dead body with the strong reactions it gives rise to when people are directly confronted with it. Whereas it falls to medical-related institutions to do the “dirty work” at a remove from the profane world in a way that makes the dead more tolerable, horror films act to reintroduce the terrifying qualities of putrefying lifeless bodies. This article will present evidence in support of this hypothesis by arguing that whereas the handling of the corpse in the real world entails forms of transgression legitimized by the legal apparatus, it is necessary to add a further transgression to this legitimate transgression in order to reintroduce, in the fictional realm, the dead body’s truly horrific nature and its ability to deeply affect us. And what could be more transgressive, from this point of view, than a rape carried out by a necrophilic medical examiner in a morgue, the very subject of the short film by the Spanish director Nacho Cerdà which this text proposes to analyse ?