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La civilisation est-elle une discipline ? N’est-elle pas plutôt un champ, celui du monde anglophone, labouré et ensemencé par les Sciences Humaines et Sociales, dans leur diversité ?  La question est peut être académique, mais légitime. En effet, dans de nombreux pays, les « études anglaises », comme on les appelait jadis fort impoliment, se limitent à la littérature et à la langue. Jusqu’aux années 1960, les cours de « civilisation » dans les universités françaises avaient pour but d’apporter aux littéraires des éléments contextuels plaisants ou utiles à la compréhension des œuvres. Du côté des sciences politiques, l’intérêt que « la crise britannique au xxe siècle » avait suscité dans les années 1930 s’estompa après la guerre, au profit des Etats-Unis ou de l’Allemagne, pour des raisons géo-politiques compréhensibles.

La crise intellectuelle des années 1960 a eu au moins le mérite de décloisonner les disciplines et de permettre des croisements féconds, qui, en France, ont connu depuis des destinées aussi différentes que celles de la littérature comparée, de la communication (créée par un angliciste, Robert Escarpit !) ou l’alliance de la psychanalyse et de la littérature, ou … la civilisation dans le champ des langues étrangères. Dans le monde anglophone, la même soif d’innovation et de décloisonnement a donné naissance aux Cultural Studies, dont l’histoire mouvementée est bien différente de la nôtre, et qui ont subi plusieurs mutations génétiques dans un contexte spécifique.

A partir du début des années 1970, les nouvelles Unités d’Enseignement et de Recherche, devenues depuis UFR, créées par la loi Edgar Faure de I968 pour permettre à la génération de mai de donner libre cours à sa créativité, devinrent un cadre propice à la pluridisciplinarité. Le contexte politique complexe des années 1970 a donc vu à la fois l’émergence de la civilisation comme composante à part entière des études de langues, et l’apparition de filières linguistiques sans littérature, les Langues Etrangères Appliquées, dans lesquelles il était fait appel à la civilisation. L’analyse politique des LEA reste à faire. Au centre du dispositif académique, l’agrégation donnait droit de cité à la civilisation, à parité avec la littérature et la linguistique en 1977, date de l’ouverte de l’option « civilisation ». Ceci était pour une part dû au travail intense accompli par Monica Charlot, professeur à Paris III. Le dispositif comportait donc deux éléments : la demande des universités en enseignants chercheurs compétents en civilisation, et une procédure de légitimation, l’agrégation. Il n’en manquait plus qu’un troisième, la recherche collective. C’est à cette tâche que s’attelèrent Monica Charlot et ses complices, avec la création du Crecib. En effet, à l’origine, la civilisation avait dû compter sur le renfort précieux d’historiens (Roland Marx) ou de juristes (Jean Pierre Ravier) ayant une dilection particulière pour la Grande-Bretagne, mais qui n’avaient pas un bagage d’anglicistes. C’est cette lacune que le Crecib s’est efforcé de combler. Le réseau national, à partir des années 1980, regroupait à l’origine un petit nombre de chercheurs, souvent formés dans la matrice naturelle des sciences politiques. Peu à peu, il est devenu réellement représentatif de la diversité de nos approches. Au début des années 1980, l’arrivée dans le champ de la civilisation de l’équipe de Paris VIII, menant depuis les maquis de la Seine St Denis des travaux sur le mouvement ouvrier sous la houlette de François Poirier a fait perdre au réseau son aspect un peu compassé, hérité de la rue St Guillaume.

Le réseau est devenu le lieu d’accueil de tous les chercheurs travaillant sur le monde britannique, quelle que soit l’époque choisie et la discipline : histoire, sciences politiques, sociologie, économie, droit. Réunis deux fois par an lors du congrès et de la réunion d’octobre de la SAES, mobilisés par la publication d’une revue dûment reconnue, la Revue Française de Civilisation Britannique, les membres du Crecib jouent leur rôle à la fois au sein des Equipes d’accueil ou UMR de leurs universités et au sein de sociétés spécialisées en termes de champ, de période, ou d’approche. Le Crecib, dans ce contexte, est un instrument précieux. En effet, les politiques de la recherche menées par les ministères imposent souvent la création de centres de recherches locaux regroupant toutes les composantes des « études du monde anglophone », ce qui peut parfois ravaler la civilisation au statut qui étaient le sien aux débuts de la Vème République, celui d’adjuvant ou d’auxiliaire. Le besoin d’un regroupement des civilisationnistes autour de leurs propres problématiques est, pour rester dans le registre historique, « une ardente obligation ». La fréquentation des autres composantes des études d’anglais est naturelle, mais ne peut pas remplacer le contact avec les Sciences Humaines et Sociales.

La création de sociétés spécialisées, que la plupart des membres du Crecib fréquentent ou animent est extrêmement positive, et a puissamment contribué à l’ouverture de la discipline vers des secteurs éloignés de Westminster, pour aller vite. Le Crecib constitue pour tous ces secteurs non seulement un tremplin, mais une sorte de Commonwealth bienveillant, respectueux des indépendances et propice aux rencontres et aux projets communs.

Le bureau du Crecib souhaite faire de ce site un instrument au service de tous les civilisationnistes, visiteurs de passage, étudiants, chercheurs et curieux. Bienvenue à toutes et à tous.

Jean Paul Révauger
Président du Crecib
février 2013