L’histoire dans l’espace public. Producteurs, pratiques, transmissions entre Atlantique et Méditerranée

Ce colloque entend observer et analyser les nouvelles façons de produire ou d’expérimenter l’histoire, de parler de l’histoire ou de la mobiliser dans l’espace public. Ces pratiques qui ne relèvent pas du champ académique sont en effet régies par d’autres contraintes et motivations que celles de la recherche. Elles se développent hors des murs de l’institution ; on peut faire l’hypothèse cependant qu’elles imprègnent la conscience historique des contemporains au point parfois de contribuer à la structurer. Dans cet esprit, il s’agit de s’intéresser non pas aux travaux historiens, mais aux différentes formes de recours à l’histoire par des acteurs sociaux, économiques ou politiques – régions, communes, partis, associations, entreprises, … – ou encore par les artistes, de même qu’aux aux modes d’appropriation du passé qui en résultent.

En étudiant ces usages, l’idée n’est pas de remettre en question leur légitimité ou de traquer les falsifications ou les anachronismes éventuels, mais bien de prendre la mesure de la diversité des modalités d’élaboration du passé et d’apprécier la fonction assignée à l’histoire dans le contexte contemporain – dans sa singularité comme dans sa diversité.

C’est dans cet esprit que nous avons choisi de prendre en compte trois espaces qui coexistent, se rencontrent, se chevauchent ou se confrontent : l’espace atlantique, l’espace européen et l’espace méditerranéen.

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APPEL A COMMUNICATIONS : Commerces avec l’histoire

Un appel à communications est lancé sur le thème “Commerces avec l’histoire. Producteurs, pratiques, transmissions entre Atlantique et Méditerranée” pour un colloque qui se tiendra au MuCEM (Marseille) les 1, 2 & 3 octobre 2015. Les propositions d’intervention devront parvenir avant le 15 mars 2015.

 Argumentaire 

Les travaux menés sur les usages publics de l’histoire et sur le rapport social au temps (historicité), comme ceux conduits sur le rôle social de l’historien, ont connu un très fort développement depuis les années 1980, en lien notamment avec l’essor des thématiques mémorielles et patrimoniales. Si ce colloque tient compte de ces travaux et de ceux de la galaxie de la Public History américaine, qui entendait s’adresser à un large public, il se propose néanmoins d’adopter une approche non-normative des usages contemporains non-académiques de l’histoire, celle-ci étant entendue comme un récit validé visant à la compréhension de ce qui est advenu.

Il s’agit d’observer et d’analyser  les nouvelles façons de produire ou d’expérimenter l’histoire, de parler de l’histoire ou de la mobiliser dans l’espace public. Ces pratiques qui ne relèvent pas du  champ académique sont en effet régies par d’autres contraintes et motivations que celles de la recherche. Elles se développent hors des murs de l’institution ; on peut faire l’hypothèse cependant qu’elles imprègnent la conscience historique des contemporains au point parfois de contribuer à la structurer. Dans cet esprit, il s’agit de s’intéresser non pas aux travaux historiens, mais aux différentes formes de recours à l’histoire par des acteurs sociaux, économiques ou politiques – régions, communes, partis, associations, entreprises, … – ou encore par les artistes, de même qu’aux aux modes d’appropriation du passé qui en résultent.

En étudiant ces usages, l’idée n’est pas de remettre en question leur légitimité ou de traquer les falsifications ou les anachronismes éventuels, mais bien de prendre la mesure de la diversité des modalités d’élaboration du passé et d’apprécier la fonction assignée à l’histoire dans le contexte contemporain – dans sa singularité comme dans sa diversité. Les modalités très diverses du « faire de l’histoire » que nous voulons explorer en priorité ne ressortissent donc pas explicitement à la nébuleuse des contestations très médiatisées de l’histoire dite « officielle » ou aux dénonciations récurrentes des historiens professionnels. Même si ses acteurs entendent faire entendre une « autre » histoire, il s’agit plutôt de pratiques de l’histoire « d’à côté » qui ne se préoccupent pas vraiment ni des croisades idéologiques contre l’histoire « officielle » ni des tentations corporatistes qui peuvent affleurer à l’occasion chez certains historiens professionnels.

Dans cet esprit, faire commerce de l’histoire relève de logiques de séduction ou de « spectacularisation » comme de logiques économiques – dont celles du tourisme – imbriquées dans des stratégies qui peuvent être aussi, parfois en même temps, à visée mémorielle ou identitaire de reconnaissance.

Cependant, si le moment présent possède bien un certain nombre de traits singuliers dont rend compte l’importance des revendications mémorielles ou la porosité croissante de la frontière tracée à grand peine en Europe et dans le monde anglo-saxon à la fin du XIX siècle et plus récemment au Maghreb, entre professionnels de l’histoire et amateurs du passé, ces écritures et ces pratiques   contemporaines se déroulent néanmoins dans des conjonctures politiques et sociales nationales très différentes qui appellent une approche comparée.

C’est dans cet esprit que nous avons choisi de privilégier trois espaces qui coexistent, se rencontrent, se chevauchent ou se confrontent : l’espace atlantique, l’espace européen et l’espace méditerranéen, à partir de trois grands axes de questionnement.

1° De nouveaux producteurs d’histoire ?

Le premier axe porte sur les producteurs. Moins que jamais, la parole historienne – entendue au sens d’une parole légitimée par l’institution académique – n’a le monopole ou la maîtrise du débat public sur les questions historiques, ni sur le fond ni dans l’organisation même du débat.

À bien des égards, l’histoire est un scénario libre de droits. Dès lors, on assiste à une démultiplication des acteurs/médiateurs qui, à côté des historiens professionnels, contribuent à alimenter les débats sur le passé ; resterait cependant à périodiser plus finement le phénomène. Dans ce contexte, la construction sociale du passé ne relève pas seulement d’une transmission verticale, mais aussi d’une communication horizontale, d’une « contagion des idées », éventuellement cristallisée à partir des retombées de la production savante des historiens, mais aussi très largement à partir d’un cumul de références qui peuvent être littéraires, artistiques, cinématographiques, politiques et, de manière inégalement revendiquée, identitaires. Cette construction s’élabore à partir de toutes les représentations, transitant par la voie orale ou par l’écrit, proposées par tous ceux qui font peu ou prou commerce du passé. Comment apprécier ces investissements personnels ou collectifs ? Quelles sont les stratégies de ces producteurs qui revendiquent un droit à montrer et à vivre le passé en dehors des instances académiques traditionnelles ?

Mieux connaître ces passionnés d’histoire – généalogistes, amateurs de reconstitutions historiques, témoins privilégiés ou descendants de périodes traumatiques, écrivains, cinéastes ou politiques, qui aspirent à « entrer en » et « dans » l’histoire comme acteurs « à part égales » de la reconstruction vivante du passé, tel est l’un des objectifs du colloque.

2° De nouvelles pratiques d’histoire ?

Le second axe porte sur les pratiques et les expériences de fabrication de l’histoire. Les multiples recours au passé que l’on peut observer en de nombreuses circonstances de la vie sociale fournissent des ressources cognitives, argumentatives, symboliques et affectives qui constituent une réserve de matériaux toujours adaptables selon les situations ou les dispositions d’esprit des sujets. On assiste ainsi à de nouveaux phénomènes d’appropriation de l’histoire par une expérimentation individuelle et collective, par une préhension du passé – sorte de forme vécue de la connaissance – encore trop peu étudiée : spectacles, reenactment, histoire expérimentale et appliquée, histoire vivante, expériences ludiques – jeux vidéos –, pratiques du numérique – webdocumentaires, romans graphiques (graphic novels), docu-fictions, blogs – bandes dessinées, romans… Souvent frappées d’une sorte d’illégitimité héritée des normes académiques, ces formes d’appropriation et de reconstitution du passé n’en représentent pas moins un vecteur majeur de mise en histoire et participent à la structuration de la conscience historique des contemporains. Ne constituent-ils pas de facto une multitude de « petits récits » complémentaires, réparateurs, voire alternatifs ou contradictoires pour certains, à côté ou à la place des différentes versions des « grands récits » nationaux ? Mieux les connaître, étudier leur diffusion, la part de transaction que nécessite leur élaboration et mesurer leur prégnance est le second objectif de ce colloque.

3° De nouveaux modes de transmission de l’histoire ?

La question de la transmission et celle de la réception ou de l’appropriation forment le troisième grand axe d’interrogation du colloque. La question de la médiation, mais celle aussi de l’efficacité des outils et dispositifs proposés dans le cadre des « politiques de la mémoire », font l’objet de recherches de plus en plus nombreuses. Avec la multiplication des musées qui se proposent explicitement de répondre à la demande sociale, on peut s’interroger sur le type de vision du passé que cette patrimonialisation suppose, et surtout sur la finalité de ces initiatives institutionnelles. D’autant plus qu’il existe désormais toutes sortes de médiatisations concurrentes, utilisant des supports très variés, qui induisent des interactions spécifiques entre producteurs et récepteurs des discours mémoriels. Ces médiatisations se révèlent particulièrement efficaces pour s’approprier un passé qui engage à redéfinir des questions d’ordre identitaire ou des projets politiques, sinon religieux. De plus, la poussée de l’individualisme et des identités de groupes associées à des stratégies éditoriales, médiatiques et numériques favorisent le sentiment que chacun peut s’exprimer sur le passé et en rendre compte publiquement. Enfin, force est de constater que ces nouvelles productions d’histoire intéressent et même fascinent les publics. Impossible par exemple de ne pas prendre en considération les succès éditoriaux ou l’attraction économique pour des mises en scènes (reconstitutions à grand spectacle, jeux vidéo) à ambition historique. D’un point de vue sociologique, ces sollicitations du passé qui affectent les sociétés contemporaines peuvent apparaître comme un moyen de se rassurer face à un monde en mutation, face à l’impression d’être menacé par des forces hostiles (l’Islam, l’Europe, la mondialisation…) destructrices d’identités « naturalisées » ou encore comme la nécessité de se (re)positionner dans des contextes politiques et sociaux conflictuels (héritages coloniaux traumatiques, révolutions dans le monde arabe, …) Le troisième grand objectif du colloque sera de progresser dans l’étude de la mesure de l’efficacité relative de ces médiations concurrentes.

Direction

Maryline Crivello, TELEMMe, Karima Dirèche, IRMC, Patrick Garcia, IHTP et Université Cergy-Pontoise, Jocelyn Letourneau, CÉLAT.

Organisateurs

L’UMR 7303 Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionnale-Méditerranée, Aix-Marseille, Université, CNRS (TELEMMe) ; l’Institut d’histoire du temps présent, UPR 301 du CNRS (IHTP) ; l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, USR 3077, ministère des Affaires étrangères et européennes, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et CNRS (IRMC) et le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions à l’Université Laval (CÉLAT).

Ce colloque est organisé  en lien avec les travaux de l’axe 4.1. Figures du temps, projections de l’avenir de l’UMR TELEMMe et du programme ANR Histinéraires La fabrique de l’histoire telle qu’elle se raconte. Il bénéficie d’ores et déjà de partenariats avec le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), le centre de recherche Civilisations et Identités Culturelles Comparées  de l’Université de Cergy-Pontoise (CICC) et l’Ina-Méditerranée. D’autres collaborations sont en cours avec l’IMéRA, le LabexMed et la Casa de Velasquez.

Modalités de soumission

Les propositions d’intervention, d’environ une page ou 500 mots maximum, en français ou en anglais, devront être envoyées à l’adresse suivante, accompagnées d’un résumé, d’un titre et d’une bibliographie indicative, avant le 15 mars à l’adresse suivante : telemme@mmsh.univ-aix.fr

La proposition devra être accompagnée d’une notice biographique précisant la fonction et l’institution de rattachement de l’auteur. Le comité scientifique fera connaître les propositions retenues au mois de mai.

Lieu

MuCEM, Musée des Civilisations Européennes et Méditerranéennes à Marseille.

Dates

1, 2 et 3 octobre 2015.

Langues

français / english.

Comité de pilotage

Denis Chevallier, MuCEM
Maryline Crivello, TELEMMe
Christian Delage, IHTP
Karima Dirèche, IRMC
Patrick Garcia, IHTP et Universtié de Cergy Pontoise
Jocelyn Létourneau, CÉLAT
Pierre Sintes, TELEMMe

Comité d’organisation

Vincent Auzas, IHTP
Marie-Françoise Attard, TELEMMe
Christian Delacroix, IHTP
Lydie Delahaye, IHTP
Aude Fanlo, MuCEM
Nicolas Moralès, IMéRA-TELEMMe
Agnès Rabion, TELEMMe
Candice Raymond, IREMAM

Comité scientifique

Bendana Kmar, Université de la Manouba
Jean-Luc Bonniol, Centre Nobert Elias
Natalie Zemon Davis, University of Toronto
François Dosse, IHTP
Daniel Fabre, LAHIC
Jesús Izquierdo Martín, Universidad Autónoma de Madrid
Philippe Joutard, EHESS
Hadibi Mohand-Akli, Université de Tizi-Ouzou
Sune Haugbolle, Københavns Universitet
Anne Hertzog, Université de Cergy-Pontoise
Kevin Kee, Brock University
Françoise Lantheaume, Université Lumière Lyon 2
Emmanuel Laurentin, France-Culture
Jean-Clément Martin, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Nicole Neatby, St. Mary’s University
Pascal Ory, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Ourania Polycandrioti, National Hellenic Research Foundation
Henry Rousso, IHTP
Laurier Turgeon, CÉLAT

Quelques repères bibliographiques

– Andrieu C., Lavabre M.-C., Tartakowsky D. (dir.), Politiques du passé. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2006
– Bonniol J.-L., Crivello M. (dir.), Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXe siècles), Aix en Provence, Publications de l’Université de Provence, collection « Le temps de l’histoire », 2004.
– Brinkley D., « History Maker. How Tom Hanks is redefining America’s past », Time Magazine, 15 mars 2010, p. 40-45.
– Conrad M., et al., Canadians and Their Pasts, Toronto, University of Toronto Press, 2014.
– Crivello M. (dir.), coordonné par Basset K., Nicolaïdis D., Polycandrioti R., Les échelles de la mémoire en Méditerranée XIXe-XXIe siècle, Arles, Actes Sud, 2010.
– Crivello M., Garcia P., Offenstadt N. (dir.), Concurrence des passés. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix en Provence, Publications de l’Université de Provence, 2006.
– De Groot J., Consuming History. Historians and Heritage in Contemporary Popular
Culture, Londres, Routledge, 2009.
– Delacroix C., Dosse F., Garcia P., Historicités, Paris, La Découverte, 2009.
– Dirèche K., « Convoquer le passé et réécrire l’histoire. Berbérité ou amazighité dans
l’histoire de l’Algérie », in Pierre-Robert Baduel (dir.), Chantiers et défis de la recherche sur le Maghreb contemporain, IRMC-Karthala, Tunis-Paris, 2008, p. 471-473.
– Fabre D., Bensa A. (dir.), Une histoire à soi. Figurations du passé et localités, Paris,
Editions de la MSH, 2001.
– Grangaud I., Messaoudi A. et Oualdi M., « Besoins d’histoire. Historiographies et régimes
d’historicité au Maghreb à l’aune des révolutions arabes », L’année du Maghreb, numéro 10, CNRS Editions, 2014.
– Haffemayer S., Marpeau B., Verlaine J., Le spectacle de l’histoire, Rennes, PUR, 2012.
– Hartog F., Régimes d’historicité Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.
– Haugbolle S., War and Memory in Lebanon, New York, Cambridge University Press, 2010.
– Jewsiewicki B., Létourneau J. (dir.), L’histoire en partage : Usages et mises en discours du passé, Paris, L’Harmattan, 1996.
– Kee K., Pastplay. Teaching and Learning History with Technology, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2014.
– Khalili L., Heroes and Martyrs of Palestine: The Politics of National Commemoration, New York, Cambridge University Press, 2007.
– Létourneau, Jocelyn, Je me souviens ? Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse, Montréal, Fides, 2014.
– Lowenthal D., The Past is a Foreign Country, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1985.
– Martin J.-C. et Suaud Ch., Le Puy du Fou en Vendée. L’histoire mise en scène, Paris, L’Harmattan, 1996.
– Mermier F., Varin C. (dir.), Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), Paris, Arles, Sindbad/ Actes Sud, 2010.
– Mermier F.et Puig N. (dir.), Itinéraires esthétiques et scènes culturelles au Proche-Orient, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, 2009.
– Neatby N., Hodgins P., dir., Settling and Unsettling Memories. Essays in Canadian Public History, Toronto, University of Toronto Press, 2012.

Le temps des archives … audiovisuelles

Qu’est-ce qui fait histoire ? Et si, pour évoquer un événement donné, nous remontions le cours du temps afin de mieux l’appréhender et le comprendre ?

Le temps des archives : une façon de rembobiner le cours de l’histoire, pour aborder, avec Emmanuel Laurentin et quelques invités et grands témoins, des événements-clés à travers des images et des sons issus du fonds de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

Une façon de partir en quête des petites et grandes mythologies des décennies écoulées

http://www.mucem.org/fr/node/1766

29 septembre 2014  au MuCEM. Apprendre à décrypter les films.

29 septembre 2014 au MuCEM. Apprendre à décrypter les films.

Les reconstitutions historiques (Reenactment). Pratiques sociales et imaginaire du passé

"Médiévales" à Jumièges (2014)

“Médiévales” à Jumièges (2014)

 

Depuis une trentaine d’années les pratiques de reconstitution du passé mobilisent une « façon de faire » l’histoire par ceux qui ne sont pas dans des institutions savantes reconnues. L’étude des reconstitutions historiques montre que l’histoire abordée, non pas comme « compréhension » mais comme « appréhension » du passé, une forme vécue de la connaissance, dépasse largement les frontières nationales. Cependant ces pratiques se révèlent particulièrement efficaces pour s’approprier un passé qui engage à parler des questions locales et à redéfinir des identités nationales emboîtées. Ces bricolages identitaires et historiques peuvent être interprétés comme des discours privilégiant l’exception et le repli et des résurgences de populisme ou comme l’expression des diversités, revendiquant le droit d’ « être soi mais ensemble » à travers des projets collectifs qui engagent l’avenir. Ces usages et ces liens sociaux qui se ramifient autour de passions partagées interrogent non seulement les rapports au passé mais aussi les projets politiques en charge de ce besoin d’identité et d’historicité.

Sans doute dès 1960, année de création du « Son et lumière » du Lude, puis sous l’impact, en 1977, du succès inégalé de la cinéscénie du Puy du Fou, chaque petit « pays » de France prétend mettre en scène quelques tableaux vivants d’un fabuleux passé. Mais loin d’établir une « exception française », ce mouvement de reconstitution de l’histoire reprend la longue tradition anglo-saxonne de l’Histoire vivante ou Living History dont l’objectif est de reconstituer des tranches de la vie militaire ou civile quotidienne du passé. Les sensibilités qui s’expriment font de l’histoire non pas une culture savantemais une véritable pratique sociale et culturelle, où le quotidien s’invente par mille manières de braconner. Un rapport à l’Histoire, somme toute ludique et festif, et qui pourrait apparaître comme insignifiant, simple épiphénomène touristique, s’il ne possédait pas, incidemment, par la réactivation identitaire qu’il génère, tous les ingrédients d’usages politiques les plus divers, à l’échelle locale ou nationale.

Encore peu connues des historiens du temps présent, les reconstitutions historiques rappellent sans doute les usages du passé qui prolifèrent au XIXème siècle, projets de muséographies ou expressions folkloriques. Les similitudes avec des fêtes telles que Moros y Cristianos de Valencia ou le Palio de Sienne, traditions urbaines, populaires et festives, commémorant en costume « d’époque » un épisode de l’histoire de la localité, sont aussi tangibles. Cependant, le plus souvent, les acteurs des reconstitutions historiques revendiquent cette filiation plus récente, celle qui les rattache au mouvement international en faveur de l’Histoire Vivante particulièrement important depuis une trentaine d’années en Angleterre, aux USA et au Canada. C’est explicitement le cas pour les reconstitutions des batailles de Gettysburg, de Hastings ou de Waterloo. Ces démonstrations militaires spectaculaires rassemblent annuellement des milliers d’amateurs d’Histoire Vivante venus de différents pays, au goût affirmé pour les activités concrètes et un besoin partagé d’ « endosser » le passé. D’ailleurs, cette expérimentation physique et visuelle du passé est très certainement l’une des spécificités de la période récente.

De fait, l’histoire montrée, jouée, narrée, témoigne d’un besoin d’éprouver le passé, de s’en abreuver et de le revêtir, lié à un goût immodéré pour une histoire quotidienne « vue et vécue par le peuple ». Les pratiques de ces acteurs croisent nécessairement la constitution d’un savoir cautionnée par la discipline historique et l’exigence de l’expertise. Et justement, la conception de l’histoire, selon les cas, peut mener de la confection du vêtement ou d’une arme de combat, valorisant alors les savoir-faire manuels, ceux des couturières ou des « bricoleurs », à la lecture assidue d’un historien patenté. Ainsi, une partie de la société s’exprime à travers ces engouements individuels et collectifs, expérimentant, au présent, de nouvelles formes de sociabilité et témoignant d’un engagement quasi-militant pour l’Histoire ou ce qui est compris comme étant de l’histoire. Ces reconstitutions sont manifestement une façon de se fabriquer sa propre mémoire historique à partir d’un mélange de souvenirs scolaires, d’ouvrages vulgarisés et de références cinématographiques ou télévisuelles.

Contrairement aux « batailles de mémoire » qui investissent le champ historiographique contemporain, une lame de fond draine des mémoires historiques essentiellement consensuelles, à travers les reconstitutions. Il n’y a pas d’enjeux brûlants dans ces mises en scène, cependant cette sensibilité à l’histoire et en particulier à l’histoire antérieure à celle du 20ème siècle, démontre que la passion pour le passé n’est pas désuète. De plus, bien que l’histoire locale soit souvent privilégiée, la mémoire historique transmise, avec les approximations qui la caractérisent, génère une intégration à des sentiments collectifs d’appartenance. Mais, ce phénomène, jusqu’ici, a été peu mis en valeur. Cependant, de mai à octobre, la France redécouvre dans les sites les plus reculés des héros oubliés, se peuple de campements gallo- romains ou médiévaux, voit défiler les somptueux costumes des aristocrates de la Renaissance ou combattre férocement de preux chevaliers quand s’éloignent au loin les troupes napoléoniennes. Les lieux les plus divers prennent les couleurs des « sons et lumières » qui sont les ressorts d’une vision spectaculaire et ré enchantée du passé. L’historien n’a pas à faire à une « demande sociale » mais à des pratiques sociales auxquelles il ne participe quasiment pas. L’histoire se fabrique ou se façonne, de la main des hommes, sans grand recours à sa production. Au mieux, l’archéologie expérimentale rejoint parfois celle des reconstituteurs. Revues, forums, sites web unissent ces nouveaux acteurs du passé qui ressentent une profonde légitimité dans leur souci pédagogique et de vulgarisation.

L’histoire représentée se termine toujours dans la joie et l’espérance, la vision du futur n’est jamais tragique selon le cycle inévitable des périodes qui alternent bonheurs et malheurs. Les guerres du 20ème siècle sont revisitées afin de lisser, dans une visée commémoratrice et pacificatrice, les nouvelles alliances ou l’absurdité des conflits qui dépassent les combattants ou la population civile. Ces spectacles se présentent comme un travail de deuil collectif face aux traumatismes du 20ème siècle ou aux abus mémoriels contemporains. L’histoire devient le lieu où se puisent les ressources d’un changement de valeurs communes ou individuelles. Elle conjugue diversité des savoirs potentiels à acquérir et dimension ludique et conviviale. Par son caractère informel, cette appréhension du passé dépasse largement les frontières nationales, puisqu’on la retrouve chez les pays anglo-saxons qui font figure de précurseur. Le Moyen Age, particulièrement présent dans le monde de la reconstitution, peut être pensé comme « nostalgie » du passé. La recollection collective du passé ne reprend en rien la réalité de la mémoire des faits mais simplement les pensées liées au passé. Cette fameuse «nostalgie» inspire la reconstitution historique en toute manifestation employant l’histoire comme toile de fond, pour produire des lieux « hors du temps », qui se trouve dans des espaces imaginaires de la mémoire. L’idée du passé domine la réalité de l’histoire.

C’est donc à un univers disparate, pour le moins pittoresque, qu’adhèrent ces « passionnés » d’histoire, issus d’une société des loisirs et de l’épanouissement individuel.  Ces manifestations qui prolifèrent aujourd’hui, bien ancrées dans le tissu économique et politique local, bénéficiant de l’argent public, drainant plusieurs milliers d’acteurs et de spectateurs, ne sauraient être vues comme des réjouissances ordinaires. Ainsi, que dire de ces investissements personnels ou collectifs ? Quelles sont les stratégies des acteurs qui revendiquent un droit à montrer et à vivre le passé hors des instances traditionnelles ? Comment apprécier ces narrations historiques locales dans leur rapport au temps de l’histoire ?

Pour en savoir plus 

Publications de Maryline Crivello (Habilitation à diriger des recherches autour du phénomène des reconstitutions historiques en France et en Europe)

http://telemme.mmsh.univ-aix.fr/membres/Maryline_Crivello

– « Comment on revit l’histoire. Sur les reconstitutions historiques (1976-2000) », Mémoires en miroir. Autour d’une Méditerranée plurielle, La Pensée de Midi, Philippe Joutard dir., numéro 3, Actes Sud, Hiver 2000, p. 69-74.

http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=LPM_003_0069

– “Du passé, faisons un spectacle ! Les reconstitutions historiques de Grans et Salon en Provence”, ” Dramaturgie du politique “, Sociétés et représentations, numéro 12, Centre d’histoire sociale de Paris 1, novembre, 2001.

– « La geste des temps. Symbolique et dramaturgie du passé (1957-2002) » Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXe siècles), Maryline Crivello, Jean-Luc Bonniol dir., Publications de l’Université de Provence, collection « Le temps de l’histoire », 2004, p. 53-64.

– « Les braconniers de l’Histoire. Les reconstitutions historiques : nouveaux lieux du politique ? », Concurrence des passés. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Maryline Crivello, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt dir., Publications de l’Université de Provence, 2006, p. 49-58.

– « Entrer en histoire. L’évocation de l’épopée napoléonienne », Individu, Récit, Histoire, Maryline Crivello, Jean-Noël Pelen dir., collection « Le temps de l’histoire », Publications de l’Université de Provence, 2008, p. 199-209.

– «Pour une poétique du passé. Les reconstitutions historiques au XXe siècle.», in Pascale Goetschel, Sylvie Le Dantec dir., Lire, Voir, Entendre. La réception des objets médiatiques, Publications de la Sorbonne, Paris, 2010, p. 95-102.

– « Mise en spectacle de la Provence aujourd’hui. »,  Les fêtes en Provence, autrefois et aujourd’hui, Régis Bertrand dir., PUP, 2013, p. 205-210.

– « Le chantier médiéval de Guédelon.  Une entreprise de fabrication de l’imaginaire historique », La mosaïque des racines. Pouvoirs, cultures et sociétés en France et en Méditerranée (XVIe-XXIe siècle), Olivier Raveux, Isabelle Renaudet dir., PUP, 2013, p. 310-322.

– « Usages publics et mises en spectacle de l’histoire dans la France contemporaine : contrastes mémoriels”, “Les usages du passé”,  Cahiers d’histoire immédiate, numéro 43, FRAMESPA-CNRS, Toulouse, octobre 2013, pp. 7-21.

– http://www.liberation.fr/societe/2012/05/30/aimer-l-histoire-est-une-chose_822511

Individu, récit, histoire

Maryline CrivelloJean-Noël Pelen (dir.), collection “Le temps de l’histoire”, PUP, 2008.

Individu

S’inscrivant dans la lignée de l’histoire culturelle, cet ouvrage collectif aborde les représentations de l’histoire, son écriture, de l’ego-histoire aux Grands Récits à travers les diverses postures : acteurs, témoins, historiens, où se rencontrent l’individu et le récit de l’histoire. l’ouvrage s’appuie sur la notion d'” identité narrative ” proposée par Paul Ricœur. Il s’articule, dans un premier volet, autour des ” expériences de soi et écritures de l’histoire ” afin d’interroger les relations du sujet historien au récit que celui-ci produit de l’histoire. Le second volet ” Le moi face à l’histoire “, se déplace de ma démarche historiographique vers la réception ou la narration de l’histoire par ses acteurs ou témoins, ordinaires ou reconnus. Les expériences, souvent fortes, montrent alors à quel point l’histoire dialogue inévitablement avec la constitution intime du sujet. Ainsi, la question transversale est bien de savoir comment le récit intime s’articule aux récits historiques et comment il est travaillé par des représentations de l’histoire.

Façonner le passé – Cultures de l’histoire

Bonniol Jean-Luc et Crivello Maryline (dir.)

Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXIe siècles), collection “le temps de l’histoire”, PUP, 2004.

Nous sommes capables de fabriquer le passé à la demande, de le façonner autour d’images , d’objets, de reconstitutions, où le passé est, précisément, “rejoué”. Ces pratiques, inspirées par des imaginaires, s’inscrivent dans ce qu’il est possible d’appeler des “cultures de l’histoire”, diverses selon les époques. Cet ouvrage les replace dans la longue durée et s’efforce de comprendre leur intensification contemporaine, liée aux transformations d’ensemble des rapports au passé. Les exemples sont pris notamment dans les domaines de l’archéologie, de l’iconographie, des commémorations, des fêtes et spectacles d’histoire.

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Concurrences des passés

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Usages politiques du passé dans la France contemporaine

Sous la direction de Maryline Crivello, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt
Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, Coll. « Le temps de l’histoire »,
2006, 300 p.

Longtemps, la nation a été le lieu par excellence d’un usage transitif de l’histoire. Elle apparaît aujourd’hui comme une échelle parmi d’autres, souvent moins investie que le local ou le régional et fragilisée par l’émergence de niveaux supranationaux. Cette nouvelle configuration bouleverse l’économie des usages de l’histoire. Il en résulte notamment une concurrence des passés tandis qu’un nouveau type d’historicité se développe dans lequel ” rendre présent ” voire ” sortir du temps ” l’emportent sur l’esquisse d’un devenir commun et où le patrimonial prend le pas sur l’historique. La situation des historiens professionnels s’en trouve modifiée. Elle est affectée tant par la démultiplication des producteurs d’histoire que par la concurrence des associations à vocation mémorielle ou patrimoniale. Fondé sur une série d’études topiques, l’ouvrage analyse comment s’opère la confrontation des mémoires et des histoires qui singularise la scène contemporaine et les enjeux historiographiques et civiques qui en découlent.

Les présents de l’historien

Publication de Patrick Garcia

“Ce texte retrace une série de présents successifs traversés au cours d’un cheminement qui va de l’engagement politique à l’étude des usages politiques du passé ou encore à celle de l’écriture de l’histoire et de son enseignement, mais ce cheminement n’a rien d’une trajectoire nécessaire. Bien sûr en raison de la façon dont le récit de ces présents est construit, comme de son premier destinataire – un jury universitaire –, il ne peut que procéder d’une mise en cohérence a posteriori. J’ai toutefois tenté de laisser à la contingence, au hasard, aux rencontres, leur juste place. Mes lieux d’histoire ont été le plus souvent des lieux institutionnellement faibles comme les IUFM, ou des lieux choisis en marge de l’institution comme la revue EspacesTemps ou bien encore le « DDG » – l’attelage que nous formons depuis près de quinze ans avec Christian Delacroix et François Dosse –, mais j’avoue avoir toujours trouvé en m’investissant dans ces périphéries une liberté qui me convient. Au fil des pages j’ai donc tâché, de bon gré, persuadé que l’exercice m’était profitable, d’ouvrir ma boîte à outils, de montrer les articulations d’un parcours et les ressorts d’un faire de l’histoire.”

 

source : http://www.publications-sorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100293270

Journées d’études Ecriture de l’histoire et mobilisation des mémoires sur le web (France-Méditerranée) : acteurs et témoins, MMSH, 10 et 11 décembre 2013 [compte-rendu].

Ces journées d’études, organisées par Maryline Crivello et Sophie Gebeil, s’inscrivent dans la réflexion menée sur Numérique et mobilisation du passé en Méditerranée (2013-2015) par le groupe 4.1 « Figures du temps, projections de l’avenir. Récits, images, cultures (espace euro-méditerranéen. XVIIe-XXIe siècle) » du laboratoire Telemme. A l’échelle de la MMSH, elles sont également portées par l’ATRI n° 4 « Patrimoine : enjeux, pratiques, représentations » et le LabexMed qui est engagé dans une réflexion sur les digital humanities.  L’objet de ces deux journées était d’interroger la place du numérique dans les modalités d’élaboration de l’histoire et de mobilisation des mémoires, en rassemblant des créateurs de contenus mémoriels en ligne, des ingénieurs, des archivistes et des chercheurs en sciences humaines et sociales (histoire, sociologie, digital studies) autour de ces questions.

Après l’introduction de Maryline Crivello rappelant la dynamique portée par le laboratoire Telemme au sein de la MMSH depuis 2001 sur le numérique, la conférence inaugurale de Philippe Joutard a exposé les défis auxquels les historiens étaient confrontés, dans un contexte de règne de la mémoire et de généralisation des usages du numérique. Depuis les années 1970, l’émergence des mémoires  a donné lieu à de nouveaux champs historiographiques fondés sur des sources orales permettant d’étudier les mémoires collectives. A partir des années 2000, l’internet a renforcé le poids de la mémoire au détriment de l’histoire. Dans un tel contexte, il est devenu indispensable de prendre en compte les sources numériques dans toute étude historique contemporaine.

Cette appréhension du numérique par les historiens n’est cependant pas sans imposer un tournant épistémologique. Ainsi, Pierre Mounier a montré comment les méthodes de l’histoire se trouvaient renouvelées par l’essor des Technologies de l’Information et de la Communication, et ce depuis le recours à l’informatique dans le cadre de l’histoire quantitative dès les années 1960. Dans cette relation singulière entre l’histoire et le numérique, le rendez-vous a parfois été manqué au regard des enjeux, pourtant fondamentaux pour l’historien, liés à la quantification, à l’archive et au récit. En soulignant l’apport des récents travaux historiographiques portant sur le numérique, Pierre Mounier a montré le rôle fondamental de l’historien dans l’élaboration d’une « lecture critique des développements actuels, aussi bien au sein des différentes disciplines des sciences humaines et sociales, que de la société elle-même ».

Parmi les défis méthodologiques, l’apparition des archives de l’internet depuis la fin des années 1990 a apporté de nouvelles sources pour l’histoire du temps présent. En France, le dépôt légal du web a été institué par la loi DADVSI de 2006  qui a confié la mission d’archivage à la Bibliothèque Nationale de France et à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). Les spécificités de ces sources ont été présentées par Claude Mussou et Louise Merzeau à partir du fonds web-média de l’INA. Si l’archive permet de pallier à l’instabilité des contenus en ligne, elle s’inscrit dans un cadre juridique, archivistique et technique qui en conditionne l’élaboration. Appréhender cette archive inédite, basée sur les principes du crawling, de l’échantillonnage et de la simulation, implique d’en saisir le processus de création qui renouvelle le rapport épistémologique au document, à la trace et à la mémoire.

La seconde journée permettait, à travers une série de projets de recherche intégrant le numérique, d’aborder les enjeux liés à l’édition en ligne et aux sources numériques en histoire. Elle a ainsi débuté par la question des usages du passé algérien dans « l’espace public » numérique dans une perspective historiographique. En présentant son doctorat en cours sur « les mémoires de l’immigration maghrébine sur le web français », Sophie Gebeil a montré comment les archives de l’internet permettaient d’étudier l’histoire des mémoires algériennes en France. Les interventions des réalisateurs de webdocumentaires mémoriels interrogeant les relations entre la France et l’Algérie, ont permis de mieux cerner les conditions de production et les motivations personnelles de ces nouveaux acteurs de la mémoire en ligne. Désireux de dépasser les clivages hérités du passé mais aussi de donner davantage de visibilité à ce qui est perçu comme un « angle mort » de l’histoire, ces derniers ont placé au centre des dispositifs  la parole aux témoins, qu’il s’agisse du 17 octobre 1961 (Olivier Lambert) ou des victimes féminines de la décennie noire en Algérie (Carole Filiu et Ferhat Mouhali). Ces exemples ont fait particulièrement écho à l’intervention de Philippe Joutard qui avait évoqué la veille, la façon dont l’histoire orale, tout comme l’histoire de l’internet, incarne une histoire démocratique, permettant de « faire parler les silencieux » et les « oubliés » du roman national.

La dernière partie des journées d’étude était  consacrée à la présentation de projets et d’expériences liés à l’éditorialisation numérique de la recherche à la MMSH. La présentation de la collection « La page et l’écran » (Bernard Cousin et Gisèle Seimandi) a mis en exergue l’évolution des pratiques depuis les premiers projets portés par le pôle Image-son en 2001 (recueil électronique). Ces projets témoignent également du caractère bénéfique de la collaboration entre chercheurs et ingénieurs en sciences de l’informatique, à l’image du site Seguier.org dédié à l’édition et à la modélisation des correspondances cet auteur du XVIIIème siècle, présenté par Eric Carroll et Emmanuelle Chapron.  Enfin, l’interdisciplinarité autour du numérique et des mémoires est à l’origine de la série filmique « Je me souviens… de la Méditerranée » dont Marianne Charbonnier s’est saisie pour bâtir une réflexion théorique sur les webdocumentaires historiques et mémoriels dans le cadre d’un doctorat en études cinématographiques.

L’histoire telle qu’elle se raconte

ANR HISTINERAIRES – La Fabrique de l’Histoire telle qu’elle se raconte – The making of history as it tells itself

Programme blanc 2013

L’IHTP À PARIS

l’UMR 7303 TELEMME D’AIX-MARSEILLE UNIVERSITE- CNRS,

CENTRE GEORGES CHEVRIER DE DIJON,

LE LARHRA DE GRENOBLE

HTTP://CRHEH.HYPOTHESES.ORG

 

Le projet « La fabrique de l’histoire telle qu’elle se raconte », de son acronyme HISTINÉRAIRES, se propose d’étudier les « Mémoires de synthèse des activités scientifiques » des habilitations à diriger des recherches soutenues en histoire depuis le début des années 1990 jusqu’à 2010. Ce corpus inexploité, distinct du « travail inédit » souvent objet de publication et du recueil d’articles, constitue un gisement d’informations sur la communauté historienne contemporaine. Il est susceptible de nourrir une véritable sociologie de la profession et une étude de l’historiographie et de ses évolutions non plus fondée sur les écrits de quelques chefs de file mais ancrée dans la masse des parcours de recherche d’une génération d’historiens.
Il prend acte de la valorisation de la réflexivité au sein de la communauté historienne et s’appuie sur les apports de la sociologie et de l’histoire des sciences.
À partir de ce corpus il s’agira, en premier lieu, de dresser un portrait collectif de la recherche contemporaine en histoire en analysant les itinéraires institutionnels et intellectuels des chercheurs concernés.
Au titre des aspects institutionnels nous collecterons notamment : les parcours universitaires, le temps passé dans l’enseignement secondaire, les lieux de soutenance, l’âge à la soutenance, le genre, la composition du jury, le devenir du candidat…
Au titre de l’itinéraire intellectuel et de façon non limitative : le volume de la production au moment de la soutenance, les références théoriques mobilisées (références aux sciences sociales et à la philosophie notamment), la connexion avec les historiographies étrangères, l’évolution des objets et des démarches de recherche, l’inscription revendiquée dans un « sous-champ » (histoire culturelle, histoire économique, histoire sociale…), l’inscription dans les débats historiographiques contemporains, l’implication dans la vie de la cité (réponses aux « demandes sociales », diffusion des savoirs) …
Ces données feront l’objet d’un traitement quantitatif et cartographique débouchant notamment sur une géographie de la recherche et des réseaux qui la structurent. En second lieu l’enquête s’intéressera à la façon dont les historiens ont interprété l’exercice de « synthèse des activités scientifiques » certains optant pour un CV étoffé tandis que d’autres y analysent, de façon plus ou moins soutenue, le rapport personnel qu’ils entretiennent à l’histoire qu’il produisent – intégrant, ou non, la problématique auto-réflexive impulsée par les Essais d’ego-histoire rédigés et rassemblés à l’initiative de Pierre Nora. L’enquête permettra donc de dégager l’évolution d’un genre à l’origine peu défini. Comme pour les débats historiographiques ou/et épistémologiques le traitement des informations collectées sera essentiellement qualitatif tout en intégrant les apports de l’analyse de discours. Ce corpus sera complété par des entretiens oraux avec des tuteurs d’HDR et l’étude de la genèse de cette exigence introduite avec l’arrêté du 5 avril 1988 relatif à l’habilitation à diriger des recherches.
Au total, il s’agira à la fois de dresser la cartographie d’une communauté telle qu’elle n’a jamais entreprise en s’appuyant sur ce qu’en disent ses acteurs soit le projet d’une historiographie « vue d’en bas » pour reprendre un mot d’ordre devenu classique de l’historiographie. De ce point de vue, la subjectivité à l’œuvre dans ces écrits, bien évidemment contrainte par leur caractère institutionnel, loin d’être un handicap permettra d’informer la recherche sur les stratégies institutionnelles et intellectuelles à l’œuvre.

The project “La fabrique de l’histoire telle qu’elle se raconte” (the making of History as it tells itself), also known as HISTINÉRAIRES, , has for object the study of the “mémoires de synthèse des activités scientifiques” of the habilitation (HDR) to supervise research submitted in history departments since the early 90s’ to 2010. This yet unexploited material, different from the “travail inédit” which is often published and from the article collection, has become a treasure trove of information about the contemporary historical community. Its examination will enable the establishment of a new sociology of the profession as well as a renewal of contemporary French historiography and its developments, no longer based on the writings of a few well known historians but rooted in a generation’s research paths.
It roots from the growing importance of reflexivity among the historian community and relies on the findings of sociology and the history of sciences.
The first objective of the project will be to sketch a group portrait of the present-day researchers in history through an analysis of the institutional and intellectual paths.
Among the institutional aspects, will be accounted for: the academic path, the time spent teaching in the secondary cycle, the place where the viva was held, the age and gender of the candidate, the members of the jury, the future of the candidate…
For the intellectual aspects, data on the volume of production at the time of the viva, the theoretical references made (to social sciences or philosophy), the connections with foreign historiography, the evolution of themes and approaches of research, the inscription into a specific field (cultural history, economical history, social history…), the participation to current historiographical debates, the involvement in community life (answers to the “social demands”, diffusion of knowledge) will be collected.
This information will be treated through cartographic and quantitative tools, enabling the establishment of geographical mappings of research and its structuring networks.
The second part of the project will investigate how historians interpret their exercise of synthetizing their scientific activities. Whereas some chose to provide a long resume of their accomplishments, others analyzed their personal relationship to the histories they make by sometimes integrating Pierre Nora’s auto-reflexive problematic, which started with his Essais d’ego-histoire. This investigation will reveal the evolution of a still roughly defined exercise. As with the historiographical and/or epistemological debates, the treatment of the data will mostly be qualitative while integrating discourse analyses.
This corpus will first be completed and enlightened by oral interviews of HDR tutors, and with a study of its genesis, on April 5th 1988 with the decree on the habilitation to supervise research.
The global aim of the project will be to establisha groundbreakingcartography of the community, which would rely on the writings of its members. It is a project of a historiography from below, to use a common term nowadays. From this point of view, the writings’ subjectivity present through the academic canvas, far from being a handicap, will inform research on various institutional and intellectual strategies in action.

Usages publics et mises en spectacle de l’histoire dans la France contemporaine : contrastes mémoriels

Cet article étudie les formes de restitution du passé telles que les reconstitutions historiques où se noue un dispositif inédit, où se croisent identités, politiques locales et sociétés des loisirs. Ces phénomènes identitaires ne sont pas choses fondamentalement nouvelles si l’on pointe l’héritage de l’érudition du XIXe siècle ou celui des années 1960 et 1970, lorsqu’il s’agissait de reconnaître les mémoires populaires, de rendre la parole aux silencieux, aux vaincus de l’histoire.

C’était là une période où échappaient encore aux chercheurs les risques de repli et d’enfermement. Depuis, le rôle des contre-histoires s’est bien étiolé, du fait d’une méfiance grandissante par rapports aux revendications identitaires radicalisées,  mais aussi de la montée en puissance des politiques culturelles, consommatrice de patrimoine en tout genre: le « pays cathare » est ainsi devenu un « label ».

Une nouvelle donne est depuis intervenue: la diffusion grandissante des biens de consommation touristique s’est accompagnée du développement des politiques locales à visée touristique. L’une des principales ressources, où l’argument de vente réside dans l’affirmation d’une singularité, s’est révélée être l’histoire. Cette mise en histoire des lieux a été souvent diligentée par les collectivités locales, s’agissant de relever le défi d’un tissu local déchiré ou pas encore tissé par la production d’un récit communautaire. Mais on peut faire le constat que, par un de ces projets culturels qui s’adressent à un public en quête de loisirs, les élus réassurent leur pouvoir. Par une politique de régulation de la mémoire, par le recours au récit du passé, par la mise en patrimoine, il s’agit de replacer l’institution administrative au centre du processus de reproduction sociale et symbolique dans des lieux de recomposition du social.

Uses of the past and reenactment in contemporary France: memorial contrasts 

This article examines the forms of delivery of the historical imagery such as pageants and re-enactments which combine new theatrical devices with intersecting identities, local politics and companies devoted to leisure and entertainment. Such phenomena are not fundamentally new especially if one considers the legacy of scholarship of the nineteenth century or the 1960s and 1970s, when it the general concern was the recognition of popular history, giving voice to the silent, the forgotten of history. This was a period when researchers ignored the risks of withdrawal and isolation. Since then, the role of the alternative narrative has declined, because of a growing mistrust of radicalized claims of identity but also because of the trend toward cultural policies, favoring cultural consumption of all kinds: “Cathar country” has thus become a “label”. A new set of factors has since been brought to bear: the growing distribution and consumption of travel services supported by the development of local travel promotion policies. One of the main sources for legitimation of cultural claims of singularity has proven to be local history. The provision of an historical context of place has been the work mainly of local authorities who have taken up the challenge of repairing the local fabric where there may have been one, or of providing a fabric altogether in the form of a community narrative. One thing is certain however, by creating such cultural objects for a general public seeking recreation services, elected officials deftly prolong their term in power. By regulating memory, by recourse to historical narrative and by promoting local heritage, local authorities are placing the local administrative institution at the centre of the process of symbolic and social reproduction in public space.

Maryline Crivello, “Les usages du passé”, Cahiers d’histoire immédiate, numéro 43, FRAMESPA-CNRS, Toulouse, octobre 2013, pp. 7-21

Les échelles de la mémoire en Méditerranée

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Cet ouvrage explore le problème des mémoires en Méditerranée. La question commune qui traverse l’ensemble des textes de ce volume porte sur les liens entretenus entre l’histoire et la mémoire. Ceux-ci se trouvent au centre des débats scientifiques, sociaux et politiques, qui culminent aujourd’hui, dans la multiplication des revendications et des conflits mémoriels dont l’enjeu est l’affirmation ou la redéfinition des identités. Si la France a déjà fait l’objet de publications multiples, l’espace méditerranéen, vu sous cet angle, n’est  encore que peu étudié.

Dans cette perspective, la première partie approche la mémoire par l’ancrage spatial, par la « mise en mémoire » de l’archéologie ou d’un passé plus récent dont les formes tangibles constituent souvent des points de focalisation des récits identitaires. La seconde partie se focalise sur les mécanismes politiques de la mémoire qui prennent en Méditerranée une dimension conflictuelle relative à un passé commun (mémoire des empires ou mémoire coloniale). La dernière partie, centrée sur les enjeux franco-algériens, expose les modalités de reconnaissance de l’Autre, c’est-à-dire en fin de compte la réduction du fossé entre la mémoire nationale, produite par les canaux étatiques et la mémoire vive, celle des communautés intermédiaires qui transmettent, plus qu’un discours, une certaine sensibilité au passé.

Ces mémoires antagonistes peuvent-elles cesser d’être un obstacle au rapprochement des peuples et au contraire contribuer à apaiser les blessures à vif à la source de ces conflits ? Dans quelle mesure une démarche volontariste pour faire évoluer les représentations peut-elle réellement agir sur les mémoires ?

Beginning in the 1980s, the relationship between history and memory has been regularly a part of both scientific and political or public debates. If the subject fascinates the French — controversies concerning “memorial observances”, the colonial past or “national identity” confirm this — the subject remains little studied in light of the Mediterranean cultures. It is clear however, that international claims and conflicts are increasingly rooted in issues relating to the affirmation or the redefinition of identity, – themselves issues inextricably related to “working memory”, that is to say, the on-going work of uncovering an “incoherent past” (E.G., the Armenian genocide, ethnic genocide in Palestine or Bosnia, colonization…). The manipulation of the past for political purposes is not unique to the Mediterranean, even if the manipulation has produced disproportionate effects in this space of fragile identities. Thus, from the Balkans to the Middle East through the Maghreb, the confrontation of memory narratives – whether institutional or shared, whether mainstream or marginal – contributes to exacerbate antagonisms. This book brings together contributions from anthropologists, historians, geographers, archaeologists and political scientists to question the mechanisms producing these legacies that divide or bring people together in the same space.

Sous la direction de Maryline Crivello

Coordonné par Karine-Larissa Basset, Dimitri Nicolaïdis et Ourania Polycandrioti.
Avec des textes de Philippe Jockey, Pierre Sintès, Müfide Pekin,  Michèle Baussant, Evangelista Balta, François Siino, Karima Dirèche,  Maria Couroucli, Stéphane Michonneau, Ghislaine Glasson Deschaumes, Abderrahmane Moussaoui, Ouarda Siari Tengour, Françoise Lantheaume, Marie-Claire Lavabre et Dimitri Nicolaïdis.

Actes Sud Sciences humaines
Etudes méditerranéennes

Juin, 2010 / 13 x 24 / 432 pages 
Coédition MMSH

ISBN 978-2-7427-9007-4

Actes Sud Sciences humaines Etudes méditerranéennes Juin, 2010 / 13 x 24 / 432 pages Coédition MMSH

MUSE

MUSE Memories and Uses of the past, est consacré aux travaux de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) sur les questions de mémoire et d’ usages du passé dans l’espace euro-méditerranéen comme un lieu de partage éditorial international. Le questionnement sur la place de l’histoire dans la société contemporaine par l’approche de ses usages publics – dans lesquels se fondent les usages politiques – a ouvert des perspectives historiographiques prometteuses. Cette notion, en phase avec l’irruption du phénomène mémoriel, vient qualifier l’appropriation et le recours au passé par des acteurs sociaux ou politiques – Régions, communes, partis, associations – pour répondre à des exigences individuelles et collectives au présent. Pour autant, il ne s’agit pas pour les historiens de remettre en question la légitimité de ces usages ou de tracer les manipulations ou falsifications de l’histoire mais bien de prendre la mesure de la diversités des modalités de gestion de passé et de comprendre la fonction assignée à l’histoire dans un contexte situé. Depuis une vingtaine d’années nous traversons une conjoncture qui voit, avec la fin des grandes idéologies, le surgissement des questions identitaires dans lequel s’inscrit le «retour des mémoires» auquel on assiste un peu partout. Conflits ethnico-religieux et crises d’identité ne sont pas le seul fait des nations méditerranéennes ou du Moyen-Orient, et on assiste aussi en Europe à un repli identitaire. Ce carnet a pour objectif de mettre en avant les enjeux scientifiques, politiques et civiques de la recherche sur les « usages du passé ». Il essaiera de dresser un état des lieux actuel des travaux sur le domaine avec la volonté de décentrer le regard entre Europe et Méditerranée.