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Du monoxyle comme expression sociale

La technologie symbolique chez les Moken. L’histoire d’un mo

Symbolic technology among the Moken. The history of a mo
La tecnología simbólica en los Moken. La historia de un mo
Jacques Ivanoff
p. 199-231

Résumés

Les Moken, nomades marins de l’archipel Mergui (Thaïlande-Myanmar) ont construit un bateau exceptionnel, représentant un équilibre parfait entre nécessité économique (déplacement en famille pour collecter sur les estrans et les récifs coralliens, échancrures pour plongeurs), écologique (eaux des littoraux peu profondes, mangrove mais aussi voyages inter-îliens) et symbolique (la coque monoxyle est un corps humain, les échancrures symbolisent la condition humaine —donc misérable— et les bordés ont permis l’émergence de l’identité moken). Nous verrons donc, particulièrement à travers l’étude de la virure de maintien, le mo, comment les Moken ont su réaliser leurs objectifs nomades en intégrant dans leur technique navale leur identité qui leur a permis de survivre jusqu’a nos jours.

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Texte intégral

1Comme Georges Condominas (1986) parle de technologie rituelle à propos des Mnong Gar, j’ai employé le terme « technologie symbolique » (voir Jeanne et Jacques Ivanoff 1990) pour insister sur le fait que ces deux domaines de la culture —technique et symbolique— sont liés dans l’esprit des Moken.

2Pour n’avoir pas su comprendre que les Moken sont des hommes qui réfléchissent les particularités de leur société, leurs observateurs n’ont jamais découvert la sensibilité, l’intelligence, la résistance et l’adaptabilité de ces nomades. Les techniques, le mode d’acquisition des denrées alimentaires, obéissent à des lois culturelles et les freins sociaux à l’innovation traduisent des choix, non des incapacités. Ainsi les paradoxes de la société —refus de l’agriculture alors que le riz est la nourriture principale, refus d’accumulation pourtant possible, refus de certaines techniques de pêche, assez étonnant pour des marins...— trouvent-ils une explication dépassant les jugements de valeur sur un peuple qui a toujours été considéré comme un accident de l’histoire.

3Après les observations des premiers administrateurs et missionnaires du Ténasserim de la deuxième moitié du XIXe siècle, peu de recherches scientifiques sérieuses furent entreprises sur les Moken et plus particulièrement sur leurs bateaux. Cependant, de nombreux commandants de bâtiments anglais (W. Carrapiett 1909, G. Ambler...) ainsi que certains missionnaires (R. C. Menzies, W. White 1977...) ont décrit, en quelques pages parfois, l’étrange bateau moken. En 1938, H. Bernatzik fut le dernier à avoir travaillé chez eux et à nous en offrir une courte description, certes partiale, mais précieuse. Après lui, seul le livre de D. Sopher sur le nomadisme marin mérite d’être mentionné.

4Avec la langue, seule l’embarcation des nomades semblait digne d’intérêt pour les chercheurs et les observateurs, réalisation visible d’un peuple jugé culturellement pauvre. Or ces auteurs, bien que souvent marins eux-mêmes, n’ont pas perçu que le bateau était, outre une merveille technique, le support matériel de la destinée moken. En se focalisant sur l’aspect technique, on vouait les Moken aux oubliettes de l’histoire. Réduire les bateaux à de simples moyens de transport, de cabotage ou de pêche, c’est tuer le système nomade.

  • 2 M. Blanche Lewis (1960 : 62) qui transcrit le mot kabang pense au mon bεη, au vieux môn kb aή, peut (...)

5Le bateau moken, le kabang2 (fig. 1), plus que l’instrument de la mobilité, plus qu’une embarcation, est un moyen de production et une preuve d’ingéniosité technique ; c’est un microcosme du monde nomade vu par les Moken, le support de leur histoire et de leur idéologie, des rêves et des conflits du groupe. Il permet de retracer l’émergence de la société tout en expliquant les raisons de la relation paradoxale qui lie les Moken à leur environnement. Sur les « chairs vivantes » du bateau moken, nous découvrirons les mobiles culturels historiques et mythiques qui marquent aussi la technologie et les symboles dévoilés par l’analyse de la construction navale.

  • 3 Les traductions sont de l’auteur.

6Après avoir été relégués « très bas dans la liste des sauvages non civilisés3 » (Menzies 1860, cité par Temple 1897 : 125), les Moken furent reconnus grâce à leur technique navale : la première description technique intéressante du bateau moken revient à J. Anderson qui écrit :

Figure 1. Le bateau moken
A. Échancrure avant (« bouche ») D. Virures de mantien extérieures G. Gouvernail
B. Monoxyle (« corps ») E. Aviron H. Haubans
C. Stipes F. Échancrure arrière (« anus ») I. Mât
J. Barre de gouvenail K. Poutre faîtière L. Voile
M. Béquille de soutien de la poutre faîtière N. Toit

  • 4 Communication personnelle de Christopher Court : il s’agit du nom donné aux Moken par les Birmans p (...)

« Comme l’a remarqué Helfer, le véritable foyer d’un Selung4 c’est son bateau. Il est fait d’un tronc d’arbre évidé et mis en forme extérieurement selon des lignes gracieuses jusqu’à atteindre la forme requise, la proue et la poupe se terminant en une partie de peu d’épaisseur, et dans laquelle est découpée une grande échancrure semi-circulaire qui sert de marche pour les enfants qui montent sur le bateau quand il repose sur la plage, tandis que les hommes l’utilisent également comme une marche pour monter sur le bateau en sortant de l’eau. A la poupe, la partie qui se trouve sous l’échancrure est plus relevée qu’à la proue où elle s’avance pour fendre les flots. Une série de membrures est installée à l’intérieur du bateau, suffisamment longues pour dépasser les cans d’un pied environ. Un certain nombre de couches superposées de stipes du palmier connu par les Birmans sous le nom de yen-gan sont ajustées en séries longitudinales sur les parties intérieures et extérieures dépassant des membrures et sont reliées par des rotins. Les renforts ainsi formés sont solidement reliés aux bords du monoxyle, et ceci est rendu possible parce qu’ils sont attachés sur une barre de bois longitudinale à l’intérieur des membrures. Les renforts sont rendus étanches en les remplissant avec une substance connue par les Selungs sous le nom de pway-ngyet [...]. Un siège est construit pour le barreur et les deux tiers extérieurs du bateau sont pontés en plate-forme de lamelles de bambou. Un certain nombre de pièces verticales en bois élèvent le bateau à partir des renforts pour soutenir les côtés de la seule partie du bateau couverte par les Selungs faite de nattes grossières de feuilles de Pandanus, étalées sur un cadre fait de deux morceaux de bois fourchus à environ trois pieds de hauteur, attachés par leur milieu à chaque extrémité du pont et sur lesquels repose une perche en bambou. Le couvert est ainsi aisément amovible et n’est utilisé, selon la règle, que lorsque les bateaux sont au repos. Le petit foyer est composé d’un lit de sable entouré d’un mince cadre en bois et occupe une partie du pont. La voile carrée est aussi faite de feuilles de Pandanus, d’abord chauffées sur un feu pour les assouplir, puis roulées sur un bâton pour les aplatir ; les feuilles sont attachées ensemble en bandes successives avec des fibres de rotin. Quelques nattes, quelques grossiers instruments de cuisine, des cuillères en coquillage, des bambous pour conserver l’eau douce, des harpons pour les poissons et les cochons complètent le mobilier d’un bateau. » (1890 : 18-19).

  • 5 Il s’agit en fait de la résine de Dipterocarpacées, surtout de l’Hopea odorata (avec lequel on fait (...)

7On découvre dans cette description beaucoup d’éléments importants, notamment sur le calfat que peu d’auteurs décrivent et dont je doute moi-même de la présence systématique. Cependant, il faut prendre en considération les précisions de J. Anderson, car l’espèce de damar (pway-ngyet)5 qu’il décrit semble être d’un usage commun à son époque pour la protection des stipes (en fait pour les solidifier, « faire solide », bo ketchap). Le damar était aussi vendu. La description des échancrures nous intéresse particulièrement, mais elles sont uniquement mentionnées pour leur utilité technique. Toutefois, l’auteur a bien noté leurs différences de formes qui rappellent, comme nous le verrons plus loin, les distinctions entre sous-groupes. J. Anderson oublie l’aspect symbolique —essentiel— de ces échancrures qui sont une des marques principales de l’identité nomade : est Moken l’homme qui possède un bateau échancré. Ce sont ces deux aspects de la technique, historique et symbolique, passés sous silence par les auteurs, que je propose de décrire ici.

8Il fallut attendre les travaux de P. Ivanoff (1972) pour que le bateau ne soit plus un simple objet décrit hors de son contexte social. Pièce maîtresse de l’énigmatique société moken, tel un silencieux gardien du passé et du futur, lien magique unissant la forêt, le ciel, la mer et la terre, le kabang est son microcosme mythique, retraçant son histoire malaise et littorale. Pat exemple, l’organisation des bancs de nage rappelle aujourd’hui aux hommes l’organisation des bateaux malais, et les génies qui vivent encore sur le kabang sont des ancêtres malais. Mais la symbolique et la technologie sont bien moken. Mobilités physique et sociale dépendent du bateau ; c’est le bateau qui rapproche les conjoints ; il est également l’espace des excès amoureux et des transgressions de tabous sexuels (adultère et inceste); c’est l’attachement de l’enfant à sa mère symbolisé par ses virures nommées « mère » et « enfant » et qui, côte à côte, grandissent et forment la superstructure technique comme le cadre social des relations humaines. On doit toujours se souvenir que les singularités moken —par exemple, la pratique exclusive de la pêche au harpon— sont des choix de civilisation associés à des codes culturels révélés en partie par les mythes.

9Lorsque Gaman, héros de l’épopée du même nom, intégré dans le monde nomade des Moken, doit construire un bateau pour assurer à son couple la stabilité nécessaire, il demande l’aide des autres membres de la communauté afin de respecter certaines règles.

« Gaman. Demain vous me montrerez où et comment abattre un arbre car je ne sais même pas de quel côté utiliser la cognée. Du côté tranchant ? Du côté talon ? Demain, si je frappe l’arbre avec le tranchant, il se brisera, la lame pénètrera dans l’écorce.

Kèn. Si elle pénètre l’écorce, elle pénétrera mon corps et brisera mes os [...]. Venez tous aider mon mari à trouver un arbre pour son bateau. Montrez-lui comment le briser, en couper les extrémités, retourner le tronc, évider le ventre. Descendez-le ensuite sur le rivage où mon père égalisera et planera le monoxyle. Des hommes tailleront les stipes pour les bordés et les perceront pour les attacher avec des liens, d’autres couperont du rotin pour les cordages et d’autres enfin des palmiers. Chacun de vous en coupera un peu. Il faudra trouver un arbre pour les barrots d’écartement et pour ceux nécessaires aux différents bancs de nage, au banc du gouvernail et au gouvernail. Ensuite il faudra faire la voile, les avirons et enfin le gouvernail.

Gaman. Oh ! Kèn, l’arbre doit suivre le soleil. Quand le tronc s’écroulera, le soleil devra descendre au pied de la montagne. Les aînés ont dit qu’il devra être long de six brasses, deux coudées, main ouverte et un poing. Les stipes devront avoir la même longueur. Et vous mes aînés qui savez attacher le fer de l’herminette à son manche en bois et qui savez ajuster la cognée dans son manche en bois ! Évidons le ventre, dégraissons les joues, tirons le monoxyle ! Pour cela je vous demande sept jours ». (Extraits de l’épopée de Gaman).

10Les différentes étapes de la construction d’un bateau moken sont ici énumérées : la coupe du tronc, l’évidage, l’écartement des parois (fig. 2), la pose des stipes (fig. 3), le gouvernail, les cordes, la voile et les avirons. Il faut remarquer l’identité de nature revendiquée par la femme de Gaman entre son corps et l’arbre lors de l’abattage. C’est elle qui souffrira lorsque mordra la hache, comme les arbres souffraient de la morsure des lames des premiers humains aux temps de l’indifférenciation entre les végétaux et les hommes. C’est d’une part ce temps mythique d’identité de nature que retrouve l’homme en abattant l’arbre, mais c’est surtout le rappel, dans la vie quotidienne, de la naissance de l’homme moderne telle qu’elle a été définie dans l’épopée de Gaman. L’homme et le bateau ne font qu’un et l’identité de nature rappelle aux hommes que sans leurs bateaux, ils ne sont plus nomades, ils ne sont plus Moken.

  • 6 François Renault suggère que le monoxyle est peut-être porteur à l’arrière et que dans ce cas le ma (...)

11Le kabang varie en taille, de 7 à 11 mètres de long en moyenne. Sa profondeur est de 1,30 m à 1,50 m. Sa largeur maximale au maître-bau situé au centre du bateau6, est d’environ un quart de la longueur. Les importantes proportions du maître-bau donnent au bateau une forme évasée et l’expression « coquille de noix » lui sied parfaitement, impression accentuée par le faible tirant d’eau et l’absence de quille. Mais cette coquille de noix est une merveille technique, adaptée aux estrans qu’elle fréquente (photo 1).

  • 7 Nous pourrions appeler « flancs » les bordés du monoxyle moken car le terme « bordés » laisse enten (...)

12La coque est composée de deux parties bien distinctes dont la nature, la densité, la couleur semblent s’opposer : une œuvre vive monoxyle, creusée dans un tronc d’arbre à fond lourd faisant office de quille et une superstructure en stipes, matériau très léger qui s’appuie sur les cans du monoxyle pour le rehausser et qui constitue le bordé7.

Figure 2. La préparation du monoxyle pour l’écartement des parois

Figure 3. Empilement des stipes
A. Mortaise D. Stipes
B. Longue virure pleine E. Piques de bambou pointues
C. Membrures

Photo 1. Les Moken plongent pour collecter des produits échangés contre du riz (Archipel Mergui, cl. MAP 2000)

  • 8 Mes transcriptions sont données dans un système francisé dont voici les correspondances avec l’Alph (...)

13Mais ce sont surtout les monoxyles (mat8) et l’attention qu’ils requièrent qui rythment la vie des îles. Ils forment le corps de la technologique symbolique navale, d’une part parce que toutes leurs parties constitutives ont des références anthropomorphes (sculpture de la bouche, affinage des joues, dégraissage du cou, arrondi du ventre...) (fig. 4), et d’autre part car ils montrent, par leur assimilation à un corps humain ingérant et évacuant —les échancrures étant considérées comme une bouche et un anus—, l’impossibilité d’accumuler. Les monoxyles, en passant de la forêt à la mer, résument l’histoire des Moken, anciens chasseurs-cueilleurs devenus plongeurs-collecteurs.

Figure 4. Monoxyle et corps humain
A. laké : « ventre »
B. ok : « diaphragme »
C. tabing : « côté »
D. kang data : « mâchoire supérieure »
E. kang lebuk : « mâchoire inférieure »
F. tebin : « joue »
G. tuko : « cou »
H. bahoy : « épaule »
I. mum : « flancs »
J. badjang : « rein »
K. bulut : « derrière »
L. kang : « bouche ouverte »

14Le travail du monoxyle n’est pas régulier : à une semaine d’évidage et de halage intensif succède parfois un long temps mort. Les monoxyles évidés sont nombreux dans le campement, sur les plages ou même sur l’estran. Après avoir été tirés ou hissés sur la plage, ils sont dolés, planés et peaufinés puis, traînant dans le clapotis des vagues, ils trempent après avoir été passés au feu. On les admire, on les critique aussi.

15Ce n’est que lorsque le bateau est complètement achevé, et qu’on le met à l’eau, qu’il prend sa véritable place. Toute la flottille —30 à 50 personnes— participe à ce grand moment et, ponctués de héééé hélaaaa, nos « ho hisse », des vœux sont exprimés sous forme répétitive pour ne pas briser l’effort. On demande alors au bateau d’être un bon compagnon et aux esprits d’accompagner les hommes... Le bateau est devenu un être vivant. Il a sa place dans la société.

L’histoire d’un mo

Bordés et mobilité

  • 9 De toute façon les auteurs se sont trompés puisque dans le mot okèn il s’agit d’une voyelle antérie (...)

16Longtemps les observateurs associèrent la virure de maintien (le mo) des bordés en stipes de palmier (fig. 5) à la première syllabe du nom de l’ethnie, pensant que la deuxième syllabe tirait son origine du mot okèn9 « eau salée ». N’eût été cet élément technique important, on ne se serait sans doute jamais posé la question de l’origine de l’ethnonyme. Le terme mo veut bien dire « immerger » ; c’est un diminutif de lemo, dont le préfixe le, utilisé dans le langage poétique, tombe en langage courant. Le terme ne fait que répondre concrètement et techniquement à une sentence mythique, celle de Sibian condamnant sa sœur Kèn à l’immersion. Les termes « immerger Kèn », lemo kèn puis mo kèn, ont donné au groupe sa nouvelle identité reproduite dans la structure du bateau. Sibian condamna également son peuple à l’errance en l’obligeant à conserver la marque de ses sentences sut les bateaux, les échancrures : « Je veux que vos bateaux aux bordés en stipes aient une bouche qui mange et un arrière grand ouvert », déclara-t-elle.

17Les bordés, ngoman, des bateaux moken sont très particuliers, et constituent l’une des plus grandes originalités de leur construction. Ils se différencient nettement de la coque monoxyle par leur couleur, leur évasement, leur forme. Ils sont en stipes de palmier Zalacca rumphii et étaient le souci permanent des Moken avant l’arrivée des moteurs. Si leur légèreté permet un maniement facile de l’embarcation, sous voile notamment, leur entretien est fastidieux. Ils pourrissent rapidement et doivent être changés régulièrement. Ces opérations sont assez longues. Il faut aller en forêt chercher ces précieux palmiers, mettre le bateau en cale sèche, enlever les vieux stipes et refaire l’armature qui maintiendra les nouveaux stipes. Ainsi le bateau, instrument de la mobilité, porte-t-il dans sa structure des éléments qui le lient à la terre et obligent les Moken à une sédentarisation qui, bien que provisoire, n’en demeure pas moins dangereuse pour l’identité du groupe.

Figure 5. Le système du mo, virure de maintien
A. Monoxyle C. Virure n° 1, le mo, la « longue vivure mère »
B. Membrures D. Virure n°2, laserre-bauquière, la « virure mère »
E. Virure n° 3, la « virure mère » F. Virure n° 4, la « virure enfant »
G. Virure n° 4b, la « virure enfant » H. Virure pleine
I. Bordés en stipes

18Depuis quelques années, les bordés des bateaux moken ont évolué (photo 2). Ils ne sont plus réalisés en stipes, une spécificité de l’ethnie, leur valeur symbolique étant moins forte que celle des échancrures ou de l’ethnonyme. Des traces demeurent cependant, qui ont résisté aux intempéries de l’histoire. Nous les retrouvons avec la virure de maintien, le mo, qui subsiste sur tous les bateaux actuels bien que dépourvue de toute justification technique (fig. 6). Mais cette virure de maintien symbolique tend à disparaître elle aussi.

Photo 2. Construction d’un kabang avec des bordés en planches (cl. MAP, 1999)

Figure 6. Le mo, la virure de maintien
A. Monoxyle
B. Virure pleine
C. Stipes
D. Virure
E. Liens de rotin

19Il faut remarquer que l’évolution technique des bordés a entraîné l’emploi du calfat. Certains auteurs, comme R. C. Temple (1897 : 124), W. White (1997 : 41), J. Anderson (1890 : 19) attestaient cette présence du calfat. Pourtant il n’était pas nécessaire de calfater les bordés en stipes de Zalacca rumphii, les Moken sont d’ailleurs d’accord sur ce point. Le calfat est nécessaire pour les bordés en planche aux jointures toujours douteuses mais pas pour les stipes de palmier, gonflés d’eau, s’ajustant de façon remarquable bien que la résine soit utilisée pour durcir les stipes. Deux sortes de calfats permettent l’étanchéité des bordés de planches. L’écorce des arbres ut (Eugenia sp.) et sisian (Dipterocarpatus grandifolius) malaxée avec des fragments de termitière (rappelant les descriptions de J. Anderson sur une sorte de damar) dans un peu d’eau, donne une pâte qui sera appliquée dans les interstices préalablement comblés avec de vieux bouts de tissus et de sacs de riz réduits en charpie. L’autre système consiste simplement à acheter de la poudre à calfat que l’on dilue dans l’eau.

20Ce changement va de pair avec l’introduction du moteur qui, en permettant au bateau de s’alourdir, a fait disparaître la contraignante réalisation de bordés classiques. La mobilité n’en a pas pour autant été accentuée, car le moteur emprisonne les Moken dans un cycle infernal de dettes et de productivité auquel s’ajoutent les inévitables ennuis mécaniques qui leur imposent d’aller souvent à terre, chez le taukè, pour les pièces de rechange.

21Les stipes sont percés avec un coupe-coupe spécialement étudié puis successivement empalés sur les piques de bambou pointues, chevilles, penè, plantées verticalement dans des trous ménagés à cet effet dans les cans, ce qui n’est pas sans rappeler certaines techniques indonésiennes de fixation de bordés où les planches du bordés sont attachées avec des chevilles verticales à partit des cans. H. Spearman (1880), en rapportant de façon précise les descriptions de missionnaires, est ainsi le seul auteur à fournir une information exacte sur ce point.

22Les membrures découpées, naturellement courbes, dépassent effectivement du bateau après avoir épousé la forme intérieure du bordé, mais contrairement aux affirmations de D. Sopher (1977), aucun des stipes n’y est fixé avec des liens de rotin, kway. L’importance de l’évasement (laké, « ventre ») du bordé est en fait imposée aux stipes par deux longues allonges inclinées vers l’extérieur, de chaque côté du monoxyle, au maître-bau. On introduit leur base dans un trou ménagé dans la virure pleine longitudinale. Les membrures découpées qui dépassent sont fixées dans l’embarcation après la construction du bordé.

23L’extrémité inférieure de chacun de ces membrures découpées vient mourir dans sa mortaise ménagée dans la virure pleine. Aucune varangue ne relie les membrures qui se trouvent en vis-à-vis sur chaque bord. Et bien que leur fonction première soit de maintenir la courbure de l’écartement supérieur du bordé, elles ne forment pas, à proprement parler, de couples.

24Sur les cans de la zone centrale du monoxyle, les stipes sont de longueur réduite ; mais aucune des extrémités de ceux-ci ne va jusqu’à la proue, kolo, ou la poupe, bulut. Les uns au-dessus des autres, ces stipes remplissent en quelque sorte la déclivité centrale du monoxyle. Au maître-bau, ils atteignent environ un tiers de la hauteur totale du bordé. Les stipes ne suivent donc pas la tonture et viennent mourir aux extrémités, évitant ainsi une hauteur démesurée à l’étrave et à l’étambot, qui aurait interdit l’accès à bord par les extrémités (à cause du balancement), seul accès possible pour un nageur au mouillage.

25Les stipes suivants reposent sur toute la longueur du can. Si cela est nécessaire, les Moken introduisent où que ce soit des tronçons de stipes de un à deux mètres de long dans le bordé, pour rattraper la différence de niveau. Si ceux de la partie supérieure ne sont pas suffisamment longs, il faut en placer deux bout à bout. Leurs pointes effilées se rejoignent au centre, tandis que les extrémités plus épaisses rejoignent l’avant ou l’arrière du can.

26Au-dessus de l’étrave et du gouvernail, tchekut, les extrémités des stipes sont aplaties au maximum sur une longueur de vingt cm environ, afin de ne pas surélever inutilement l’avant et l’arrière du bateau. Les stipes qui forment cette jonction sont peu nombreux. Pour un bord, sur une moyenne de trente-cinq stipes superposés au maître-bau, sept seulement atteignent les deux pointes du monoxyle (le bateau idéal devrait compter cinquante stipes de part et d’autre, plus trois grands stipes qui couvriraient toute la longueur du bateau, de la poupe à la proue). À l’arrière et à l’avant du bordé, on compte environ quatorze extrémités de stipes aplatis et maintenus par de solides liens de rotin. Une longue plaquette de bois en forme de triangle isocèle, la guirlande, maintient l’écartement intérieur des extrémités du bateau (photo 3).

27Comme nous l’avons vu, ces stipes écorcés se gonflent au contact de l’eau et assurent ainsi l’étanchéité parfaite de la coque. Les Moken passent cependant une couche de résine sur les bordés afin de les rendre solides et les faire durer six mois plutôt que trois.

28Cette pièce maîtresse du bateau porte en elle une grande partie du savoir technologique et symbolique du bateau moken. Depuis l’adoption des planches qui ont remplacé les stipes de palmier pour les bordés (due à l’introduction du moteur), sa présence ne s’impose plus. Mais il est intéressant de remarquer que ce mo existe encore et que sa valeur est donc désormais uniquement symbolique. Pour la société moken, la valeur symbolique compte plus que la valeur technique puisque c’est elle qui permet de s’affirmer, de se différencier, d’exister. Depuis longtemps, les auteurs se sont penchés sur le problème du mo et surtout de son homonymie avec la première syllabe du nom de l’ethnie moken, comme nous l’avons déjà signalé.

Photo 3. Empilement et attachement des stipes sur l’extrémité du monoxyle. La pièce de bois plein posée au-dessus des échancrures est utilisée pour attacher les stipes et les virures

« Les très légères parois latérales sont maintenues et renforcées par des poteaux de bambous géants plus lourds et plus épais. L’un de ceux-ci est habituellement placé au-dessus des lisses en tiges de palmiers, formant le plat-bord final du kabang. Cependant beaucoup de bateaux, sinon tous les bateaux décrits, paraissent avoir un autre poteau de bambou incurvé qui fait partie de la portion extérieure de la lisse, à environ vingt-cinq centimètres en dessous de la face supérieure du plat-bord. À ce sujet, White nous conte une histoire en relation avec l’histoire supposée des Mawken. Selon celle-ci, quand les Mawken furent amenés à devenir des nomades marins, ils construisirent des bateaux avec des plats-bords insuffisants ; c’est ainsi qu’au cours de la mauvaise saison, un grand nombre d’entre eux coulèrent. Avertis par cette triste expérience, les Mawken surélevèrent de vingt-cinq centimètres environ, les rangées de tiges de palmier. Ce franc-bord ajouté se distingue encore du franc-bord d’origine par la membrure de bambou qui va de l’avant à l’arrière et qui marque l’emplacement du vieux plat-bord. Les gens appelaient cette membrure de bambou, maw ou "noyade" ce qui "perpétue leur triste histoire bien que cette membrure n’évoque pas chez eux un mauvais souvenir, mais plutôt le symbole de la sécurité". Cependant cet élément n’est pas toujours présent : Anderson ne le mentionne pas [...]. » (Sopher 1977 : 187).

29Les théories historico-épiques de W. White sont probablement fausses mais présentent un double intérêt : d’abord celui de montrer qu’on ne peut expliquer la technique navale moken sans avoir recours à une analyse de la mémoire collective moken qu’il appelle « histoire »; c’est le premier pas vers une analyse symbolique de la construction navale. Il faut ensuite comparer ce texte avec la tradition orale des Moklen. Il s’agit du conte de l’ancêtre Sampan dont voici des extraits :

« Les vieux Moken racontent qu’un oiseau blanc lui [Sampan] servit de guide. Il portait sur ses épaules la peau de l’ogre qu’il donna à son beau-frère et ce dernier devint le maître des terres de cette région. Mais ce dernier ne l’aimait guère et ne fit rien pour le récompenser de son courage.

  • 10 On remarquera l’analogie avec Kèn, la belle-sœur de Gaman. Il semble que l’interdit de proximité de (...)

Sampan. Nous ne pouvons rester là où se trouve mon beau-frère10. Chargez un grand navire et montez tous dedans.

Ceux qui ne purent monter à bord construisirent des petits bateaux échancrés et suivirent le bateau de Sampan. Mais bien vite les stipes des bordés pourrirent et les marins durent s’arrêter.

Marins. Nous ne pouvons plus avancer ; arrêtons-nous et cultivons des champs et des rizières.

  • 11 Nom par lequel les Moken appellent les Moklen (vivant sur le littoral entre Thai Muang et Takuapa d (...)

Des groupes de quatre ou cinq bateaux s’arrêtèrent donc et firent des champs pour pouvoir se nourrir. Quand les enfants grandirent ils voulurent partir à la recherche de Sampan mais leurs stipes pourris ne le leur permettaient pas. Tour à tour les bateaux s’arrêtaient jalonnant la route de Sampan que personne ne parvint à rejoindre. Tous ceux qui le suivirent devinrent des Korat11. Beaucoup de Moken vivent dans les îles car ils suivirent Sampan qui s’enfuyait de Thaïlande sur son gros navire. »

30Tous les auteurs se sont dès lors penchés sur une alliance potentielle entre la technique et la culture. Leopold Ainsworth, un marchand-aventurier qui s’installa dans les îles Mergui et travailla avec les Moken, a résumé l’originalité du nom et restitué une partie de la vérité sur sa haute valeur explicative et symbolique :

« Cette pièce supplémentaire est particulièrement intéressante puisque les nomades marins en ont dérivé leur nom. Le franc-bord est marqué par une membrure de bambou, appelée par les gens le Maw ou Immergé, car sans lui les bateaux coulaient et leurs occupants étaient immergés. Oken est leur mot pour l’eau salée, et ces deux mots semblent avoir été attachés ensemble, et le mot Mawken, qui est leur nom par lequel ils se nomment, voudrait dire "immergés dans la mer". » (Ainsworth 1930 : 20).

31Cet extrait du chaleureux livre de L. Ainsworth montre que les auteurs et observateurs avaient compris qu’il existait une étroite relation entre technique et symbolique sans pourtant en découvrir les vraies raisons.

32On avait compris en partie l’étroite et vitale relation de l’homme à son embarcation. Bien que le mo, « virure de maintien des bordés », limite des oeuvres vives du bateau, fût assimilé à la survie de la mobilité sur mer des Moken (lemo, « immerger »), la deuxième partie du nom (okèn, « eau salée ») renvoyait encore à une explication mécaniste liant le nomade à son environnement, une explication fonctionnelle qui sembla satisfaire les chercheurs pour plus d’un demi-siècle. Ainsi la déchéance du nomade était, pensait-on, acceptée par le nomade lui-même qui se reconnaissait soumis à l’élément maritime, l’eau salée, et lié à son bateau par un élément technique, la virure.

33L’hypothèse de D. Sopher sur la valeur fonctionnelle du mo (le maw des Anglo-saxons) est d’autant plus intéressante que les seules informations de la littérature sur ce sujet sont les descriptions inexactes de W. White. Cependant, contrairement à ce qu’affirme D. Sopher, tous les bateaux portent cette ceinture de maintien. Et l’omission de J. Anderson qu’il cite n’est nullement significative, d’abord parce que la description de ce dernier tient en une page et demie et qu’il en parle, d’une manière peu orthodoxe il est vrai, mais qui nous permettait de soupçonner un tel système. Elle est loin d’être exhaustive et certains éléments fondamentaux n’y sont pas mentionnés. J’ai moi-même vu une centaine de bateaux. Tous disposaient de cette ceinture de maintien alors même qu’elle se justifie moins, si ce n’est plus du tout, depuis l’adoption des bordés en planches qui ont détrôné les traditionnels stipes. Pour le mo comme pour la plupart des autres éléments du bateau, l’aspect symbolique est primordial et l’emporte sut la fonction technique.

34Ce mo consiste en une longue virure de bois résistant (Oncosperma tigillaria). À intervalles réguliers, tous les 30 cm environ, un lien de rotin le relie à la coque, aux stipes et aux autres virures, lui donne la vague apparence d’un bambou, et pourrait rappeler un flotteur. Cela explique l’affirmation de W. White dont les observations paraissent brèves et superficielles et qui tirait ses renseignements du récit de ses informateurs plutôt que d’observations directes.

35Cette ceinture de maintien, ou virure, ne se présente pas du tout comme un ancien plat-bord de renforcement et ne protège aucun des stipes (photo 4). Elle est tout simplement plaquée sur le bordé. Les ligatures de rotin qui traversent horizontalement l’entassement des stipes, l’attachent à l’intérieur du bateau sur un relief de bois solidaire du monoxyle, la « virure pleine ». Celle-ci tient d’abord le mo et est reliée aux autres virures ; elle tire vers l’intérieur l’ensemble du bordé, l’affermissant et le serrant de façon à ce que les pressions s’exercent de l’extérieur vers l’intérieur. La virure intérieure inférieure est attachée à la virure inférieure extérieure, également partie du mo mais qu’on peut également appeler « serre-bauquière » (ou serre de bouchain ou serre jumelle). Cette deuxième virure intérieure inférieure, la serre-bauquière, n’est pas directement plaquée sur la face intérieure du bordé. Des membrures transversales courbes, semblables à des barrots, se glissent entre elle et le bordé tous les mètres environ. Cette deuxième perche est un véritable double intérieur de la première perche extérieure, la préceinte. On appelle d’ailleurs ces perches « mère » et « sein », ou « mère » et « fils ». Elles sont de même longueur, de même densité, de même forme : solidaires grâce aux liens de rotin, elles supportent les bancs de nage qui constituent le pont. Nous remarquerons que jusqu’à maintenant, les éléments de la technologie des Moken se rapportant au monoxyle étaient désignés par des termes « humains » asexués. Le monoxyle raconte la condition de l’homme alors que la superstructure parle de l’organisation sociale, de la différence culturelle et de classification, donc de différences d’âge et de sexe (fig. 7).

36Une troisième virure, également en Oncosperma tigillaria, est placée à l’intérieur du bateau, horizontalement, à 5 cm environ au-dessus de la précédente. Elle est ligaturée à la première et à la deuxième virure par des liens de rotin verticaux, placés tous les 50 cm. Elle est également reliée au plat-bord par d’autres attaches en rotin.

37Le plat-bord lui-même est maintenu sur les stipes du bordé par ces mêmes liens de rotin. Il consiste également en une virure en bois Oncosperma tigillaria, placée sur l’arête extérieure du bordé pour le protéger. Enfin, une autre virure, toujours en Oncosperma tigillaria, fendue en deux dans le sens de la longueur, repose à plat sur le dernier stipe du bordé. Ces deux virures, la quatrième et la cinquième, et les deux ou trois stipes qu’elles protègent, sont solidement ligaturées par des liens de rotin qui se prolongent jusqu’au fond du bateau pour être amarrées solidement à la troisième perche placée au dessus des bancs de nage et attachée à son tour par des liens de rotin à la deuxième virure, celle qui supporte les éléments du pont.

38Toutes ces virures, et particulièrement la virure mère, le mo, sont attachées par des groupes de ligatures de rotin. Outre ces ligatures, présentes sur tout le long de la virure, il en existe trois autres réparties en différents groupes : toto kolo, « attache avant »; toto thong, « attache centre » (banc de nage du même nom); toto mebay, « attache arrière ».

Photo 4. Vue intérieure de la virure de maintien et installation des bancs de nage (P. Ivanoff 1973)

Figure 7. Les virures et leurs attaches, les bancs de nage, béquilles de support

  • 12 F. Renault (communication personnelle) fait remarquer qu’aux XIVe et XVe siècles, les barrots de po (...)

39Nous constatons donc que la viture mo est un des éléments d’un système remarquablement ingénieux qui facilite, en répartissant les tensions et les poussées, le maintien et la protection des stipes fragiles du bordé. D’autre part, le système permet le pontage du bateau12

Échancrures et nomadisme

Histoire et symbole

  • 13 On parle également de proue bifide. Pour ma part je préfère le terme échancrure, le mot bifide étan (...)

40Les Moken se vouent, par choix, à vivre sur la mer, et par la mer, sur des bateaux échancrés. Lors des collectes de coquillages, une de leur monnaie d’échange pour obtenir le riz qu’ils ne cultivent pas, ils auront la tête mouillée comme l’échancrure de la coque qui plonge et émerge tour à tour au gré des vagues. Le bateau porte donc la destinée des Moken, il représente le support mobile et symbolique de Kèn, chassée et immergée dans l’eau de mer ; et Kèn est devenue l’image d’une transposition de l’humanité pour laquelle l’eau est source de vie et condition du nomadisme. Le bateau est lui-même investi d’humanité, car, symbole d’un Moken devenu simple mortel, il a une « bouche qui mange », échancrure13 avant, et un « arrière qui défèque », échancrure arrière (photo 5).

41Des solutions ont été proposées à l’existence des proues échancrées, que l’on retrouve un peu partout dans le monde (Océanie, Moluques, Madura, côtes orientales de l’Afrique, Madagascar, Scandinavie...). Certains auteurs y voient des utilisations variées : marchepieds, signalisation des rochers, facilité pour tirer les bateaux sur les plages, raisons purement esthétiques, raisons techniques (manque d’épaisseur de la proue qui entraîne sa fragilité, disposition des bordés qui donne l’impression de dents, d’éperon...) Les échancrures ont certes un rôle utilitaire, le seul d’ailleurs que leur accordèrent les auteurs. Mais les pirogues de l’archipel Mergui nous montrent une dent de forme très large et plate. Elle sert bien sûr d’échelon quand on monte sut le pont (Nooteboom 1952 : 4).

Photo 5. Bateau moken échancré avec bordés en « coffrage », d’influence birmane (Birmanie, île de Ross, cl. MAP 2000)

42En effet, devenus des plongeurs, les Moken ne cessent de monter sur leurs bateaux puis d’en descendre ; les échancrures servent alors de marchepied. Cependant il est bien évident, au regard de leur importance comme signe de reconnaissance culturelle, que les échancrures des bateaux moken dépassent le cadre esthétique, technique et pratique. Elles sont l’armature sociale permettant au Moken d’actualiser son mythe, son passé, de vivre et de survivre en tant que nomade véritable, c’est-à-dire en tant qu’homme pour qui la mobilité passe avant tout.

43Les échancrures sont dessinées sur les extrémités du tronc évidé, à l’aide d’un morceau de charbon de bois puis découpées à la hache seulement après la mise à l’eau du monoxyle et l’écartement des parois. Les échancrures sont ainsi les dernières parties travaillées du monoxyle. Tant qu’il n’a pas été immergé, opération technique pour assouplir le tronc préalablement passé au feu et opération symbolique pour rappeler l’immersion de Kèn, il n’est encore ni objet culturel moken ni support du mythe. Ce n’est qu’après son initiation maritime que le monoxyle acquerra une dimension dépassant le cadre technique. Après l’immersion, on le tire sur le rivage, non loin des maisons. Il s’enrichit alors d’une bouche et d’un anus, devenant l’égal des hommes moken issus du mythe. Après son « baptême », il revient à terre pour assurer la pérennité d’un système social ; les échancrures, une fois réalisées, lui confèrent sa place particulière au sein de la communauté.

44Les échancrures sont des signes de reconnaissance pour l’ethnie : le bateau moken échancré, nyolay, s’oppose à tous les autres bateaux droits, silian, voire courbes, balu. Les échancrures sont également des signes de reconnaissances pour les sous-groupes. À Dung (îles d’Elphinstone et de Ross), elles sont plus arrondies qu’ailleurs. Les bateaux sont alors appelés langa, « échancrure s’élevant beaucoup au-dessus du niveau de la mer ». À Chadiak (île de St Matthew), elles sont plus horizontales, elles « mangent la mer »; on les nomme bating. La forme des échancrures détermine ainsi l’appartenance des nomades à des sous-groupes spécifiques.

Évolution technique et culturelle

  • 14 Ce qui tendrait à montrer l’aspect humain et surhumain du bateau. On trouve la représentation de ce (...)
  • 15 Voir CETMA, Anthropolgie Maritime, Paris, Cahier n° 5, « Les hommes et les bateaux. Usages, appropr (...)

45Comme C. Nooteboom l’avait pressenti en 1952, pour obtenir des réponses adéquates aux problèmes de technologie maritime, les échancrures par exemple, il faut se souvenir des fonctions du navire qui n’est pas seulement un moyen de transport. Nous retrouvons là le problème du nomadisme marin : l’embarcation est-elle un moyen de production, de déplacement, une habitation ou un moteur culturel ? Elle peut parfois assumer d’autres fonctions que la navigation, la pêche ou l’habitation : sanctuaire de génie ou sépulture par exemple. Les étraves décorées ou sculptées peuvent avoir de multiples formes et significations : représentation de l’œil un peu partout dans le monde14, représentation d’oiseau (Moluques), de naga (Bornéo, Chine), de crocodile (Bornéo)15...

  • 16 Ce n’est évidemment pas par impossibilité de produire que les Moken ne le font pas ; il suffit de r (...)

46Pour comprendre l’origine des échancrures, il faut se souvenir de l’idéologie sous-jacente à la logique de production nomade. Les contradictions apparentes entre potentiel de production et techniques en usage ne sont qu’apparentes, partie sensible et visible où s’exprime l’idéologie16. Les Moken ne cessent d’affirmer qu’ils peuvent accumuler des biens, tels les dons des autorités ou ceux faits aux anciens, biens immédiatement redistribués ; ils affirment qu’ils peuvent naviguer au loin et traverser par exemple l’archipel pour fuir les Birmans ; ils affirment aussi qu’ils peuvent pêcher et s’embauchent parfois dans des compagnies de pêches ; ils affirment même qu’ils peuvent cultiver la terre avec l’exemple des jardinets symboliques de saison des pluies. Or, tout ce qu’ils font concrètement s’oppose à ces possibilités. Ils ne mangent pas ce qu’ils cultivent, ils ne naviguent que rarement au loin —considérant la mer avec circonspection— et ne pêchent pas avec leur bateau.

47Pour les Moken, le bateau est davantage un moyen de mobilité et d’affirmation identitaire qu’un outil de production. Échancrures et nomadisme restent alors indissociables. Les échancrures des bateaux moken sont les plus nettes que je connaisse, elles ont une dimension symbolique primordiale. Les Moken nous montrent que, plus on s’éloigne du nomadisme véritable, moins les échancrures sont prononcées. Elles demeurent le véritable marqueur de la culture moken et la preuve de l’efficience de ses mythes. L’existence des Moken, sédentarisés sur l’île de Phuket et à son pourtour, mais qui s’adaptent aux cultures locales (ou plutôt se réadaptent aux coutumes des peuples avec qui ils étaient liés avant leur expansion archipélagique), qui abandonnent leurs bateaux pour mieux s’intégrer, c’est-à-dire produire, accumuler, pêcher..., en sont la preuve. Tous les Moken qui veulent se sédentariser sur les côtes sud-ouest de la Thaïlande sont persuadés qu’ils doivent abandonner leurs particularités ethniques pour être acceptés ; ils détruisent alors leurs bateaux et se construisent des embarcations ordinaires destinées à la pêche « classique », à la nasse et au filet.

48Par ailleurs, les Moken sont liés par bien des aspects à ces groupes issus d’une civilisation du littoral qu’ils retrouvent en se sédentarisant. En effet la route migratoire des « Hommes de la mer » partis de l’archipel des Riau-Lingga, du sud vers le nord, s’éloigne peu à peu des centres de diffusion de l’islam et du réseau malais. Mais à partir du petit archipel d’Adang (domaine des Urak Lawoi que les Moken considèrent comme des Moken), une nouvelle division s’opère selon un axe est-ouest. Car si le réseau malais est ici plus diffus, il n’en demeure pas moins présent. Les populations de la civilisation du littoral, lorsqu’elles se rapprochent trop de la côte, se font absorber et se sédentarisent (Ivanoff 1991).

49Les échancrures sont liées historiquement à l’apparition du nomadisme moken, c’est-à-dire du nomadisme idéologique. On ne peut malheureusement pas retracer leur émergence de façon précise, bien que l’on doive noter que certains bateaux birmans fluviaux aient des échancrures prononcées, notamment à la poupe. Toutefois nous ne pouvons passer sous silence les descriptions de N. Annandale qui, en 1903, visita les côtes du sud-ouest thaïlandais et décrivit des embarcations « d’hommes de la mer » ressemblant beaucoup à des Moken. Il s’agissait vraisemblablement d’une arrière-garde nomade, abandonnée par les futurs Moken partis épanouir leur culture nomade dans l’archipel Mergui. Ces « hommes de la mer infidèles », comme les nomme N. Annandale, forment actuellement le substrat nomade du littoral thaïlandais (« Hommes de Sireh », « Hommes de Lonta »...). Voici la description qu’il donne de leurs bateaux :

« Le bateau sur lequel je voyageais ressemblait à ceux des Samsam [métis Malais-Thaïs NdA] qui ont une superstructure faite de minces stipes de palmiers, mais plus élaboré. Il faisait approximativement 5 mètres de long et était plutôt étroit pour sa longueur, ce qui était nécessaire vu le fait qu’il était essentiellement constitué d’un tronc évidé. La superstructure de stipes de palmiers, de 70 cm de hauteur environ, était maintenue par des liens de rotin et une fausse virure de maintien qui projetait vers le haut son niveau à partir du tronc. Ces bandes de stipes étaient rendues plus solides par des baguettes de bois enfoncées à travers eux jusqu’aux cans du monoxyle. Ces baguettes passaient par des trous faits dans la fausse virure de maintien et, à l’exception d’une virure de bambou glissant sur le long des stipes et qui les retenait, étaient les seules attaches de cette construction qui n’utilise ni clous ni chevilles. » (Annandale 1903:62-63).

50Nous remarquons que la théorie de W. White sur l’ajout de stipes pour élever le bordé au-dessus du mo, à la suite d’une expérience malheureuse des Moken dont les bateaux coulèrent par insuffisance de hauteur de stipes et qui leur donna l’ethnonyme, trouve ici un écho. En effet, il semble que ces hommes de la mer infidèles soient déjà proches des Moken, sur la voie du nomadisme et de l’expression technique de celui-ci, mais les bordés, bien que de conception similaire, ne sont pas encore aussi élevés que ceux des Moken car ces pré-nomades n’étaient pas encore en route pour l’archipel. On peut imaginer que lorsque ces hommes de la mer embarquèrent pour les îles du large, ils surélevèrent leurs bordés. De même que les Moken n’utilisaient ni clous ni chevilles, de même les « hommes de la mer infidèles » n’utilisent rien de ce qui est manufacturé. Mais surtout, ce sont les cans du monoxyle, supports de baguettes les transperçant pour donner à la coque sa forme évasée, qui rapprochent le bateau moken de ceux décrits par N. Annandale. La technique employée par les Moken est identique (mais son utilisation plus systématique) à celle décrite par N. Annandale, et la taille de l’embarcation, plus réduite (cinq mètres contre une dizaine de mètres actuellement pour les bateaux moken). Quant aux bordés surélevés, ils puisent leur origine dans l’adaptation nécessaire des embarcations à la haute mer, quand les Moken s’élancèrent à la conquête de l’archipel Mergui. Auparavant, les bordés de stipes décrits par N. Annandale suffisaient pour des embarcations qui naviguaient dans les eaux littorales. Aujourd’hui, ils sont devenus un signe du nomadisme moken puisqu’aucune autre embarcation n’a eu besoin de développer cette partie du bateau.

51Les hommes rencontrés par N. Annandale n’en étaient encore qu’aux balbutiements de l’histoire nomade. On aurait aimé savoir si leurs embarcations possédaient des échancrures. D’autres éléments rapprochent le bateau de ces hommes de la met du kabang.

« Sur la portion arrière du bateau il y avait une plateforme de lamelles de bambou qui élevait les passagers et les marchandises bien au-dessus de l’eau de fond de cale, et un foyer, du même genre que ceux utilisés à travers la Péninsule, faisant partie du mobilier amovible. Le barreur était assis à la poupe, sur un cadre élevé au-dessus de la plateforme et décoré de motifs sculptés sur l’arrière de la planche située derrière lui. Ces motifs étaient soulignés par l’utilisation de peinture noire et blanche ; ils consistaient en de simples fleurs et étaient centrés autour d’une pièce circulaire faite à partir d’un miroir enfoncé dans le bois. Le mât n’était pas tout à fait droit ; il supportait une simple voile à bourcet de calicot, plutôt large pour la taille du bateau, et portait à son sommet un ornement ressemblant à une grenade. Les avirons étaient longs de 2,40 m environ, plutôt minces et aplatis soudainement à un certain point, et se différenciant ainsi de ceux des Samsam. Ils étaient attachés à des cordes de rotin partant du sommet des fausses membrures et courant le long du bateau. Quand la voile n’était pas utilisée, le mât était retiré et posé sur le siège du barreur d’un côté et sur un bâton fourchu de l’autre, formant ainsi une poutre faîtière pour une sorte de cabine couverte d’un kajang — fait de grossières nattes de feuilles de Pandanus cousues ensemble en bandes. » (Annandale 1903 : 63).

52Nous retiendrons que les décorations sur la planche arrière semblent être assimilables aux sculptures du mâtereau arrière du kabang et du siège du rameur birman (cf. L. Gansser et J. Ivanoff, ce volume). La voile est à bourcet et amovible et les toits, amovibles également, sont en Pandanus, comme cela se retrouve un peu partout en Asie du Sud-Est. Si nous ajoutons le foyer et les pièces amovibles et l’espèce d’échafaudage arrière pour le gouvernail et le barreur, nous retrouvons un squelette de bateau moken. Il s’agit bien d’une étape intermédiaire entre le littoral malais, musulman, agricole et pêcheur, et le monde marin des Moken qui ne pêchent pas, ne pratiquent pas l’agriculture et ont développé les potentialités techniques des bateaux. L’étape littorale est d’ailleurs fort bien représentée par les Samsam décrits par N. Annandale, ce qui confirme l’hypothèse d’une séparation progressive des populations nomades d’un littoral de plus en plus sédentaire.

Technologie symbolique et rituelle

53La symbolique prime sur le rituel chez les Moken. Cependant l’aspect rituel, moins présent et moins idéologique, existe tout de même. Le bateau est lié aux rituels de trois manières : les maquettes de bateau rejetées à la mer lors de certaines cérémonies, l’autel élevé durant le rituel annuel de la fête des Poteaux Esprits, parfois échancré, et le bateau considéré comme cercueil.

54Dans le premier cas, il s’agit essentiellement d’un rituel emprunté, ou réemprunté, par les Moken de Surin aux populations du littoral et notamment au groupe des Hommes de Sireh (du nom d’une presqu’île de Phuket). Après la mort du dernier chamane « traditionnel », les influences extérieures qui frappaient aux portes de la sacralité moken se sont ouvertes, sous l’impulsion d’un chamane plus versé dans la tradition pré-moken que dans la défense des objectifs identitaires du nomadisme moken. Alors sont apparues des maquettes de bateaux lors de la fête annuelle des Poteaux aux Esprits, à la fin de laquelle on jette désormais à la mer une maquette de bateau chargée de tous les mauvais esprits du groupe.

55Dans le deuxième cas, il s’agit de la face extérieure de la « maison sacrée », omak puti, qui reçoit les offrandes, notamment la tête de tortue dévorée par l’esprit du tigre (union de la terre et de la mer), et qui représente symboliquement l’univers avec ses quatre ouvertures. Chaque face de cet autel carré et ouvert possède une « porte », petao, pièce de bois taillée où sont fixées les bougies et dont les aspérités rappellent les montagnes. La porte ouverte sur la mer était parfois échancrée à ses deux extrémités, explicitement pour copier un bateau. Toutefois, il n’est pas possible de savoir si les Moken ont été, dans ce cas précis, influencés par la présence de l’observateur, intéressé alors par le bateau, puisque cela n’a jamais été remarqué auparavant.

56Dans le troisième cas, il s’agit de l’utilisation des proues —ou du bateau entier— comme cercueils. Aujourd’hui les morts sont enterrés avec tous leurs biens puisqu’ils sont supposés mener dans l’au-delà une autre vie. Il ne semble pas que cela ait été toujours le cas, ce qui expliquerait les déclarations de certains Moken parlant de cercueils réalisés avec la proue des kabang. Cela pourrait être confirmé dans la littérature ethnographique, notamment par J. Anderson (1890 : 31) :

« Mr. Menzies rappelle, et mes informations également, que lorsque quelqu’un semble devoir mourir, il était emporté sur une île inhabitée où le bateau était tiré sur la plage, avec une provision d’eau et de nourriture à son côté, et puis il était abandonné à son destin. S’il guérissait, il avait le bateau pour revenir ; s’il mourait, il servait de cercueil. »

57Mais ce rituel de l’enterrement des corps dans des cercueils réalisés avec la proue ne peut pas être confirmé par l’observation, ce qui revient à dire que le rite s’adapte plus vite à la réalité sociale que la technologie symbolique, plus importante donc, et qui ne varie pas.

58Aujourd’hui l’abandon temporaire du bateau en cas de mort suspecte semble préférable. Il décourage et éloigne l’esprit du mort toujours prêt à rôder dans le domaine de son passé. Si des soupçons de sorcellerie planent sur la disparition d’un propriétaire de bateau, il faut également abandonner impérativement le bateau. Mais quelques saisons plus tard, au hasard d’une promenade sur les anciens lieux habités, les planches récupérées sur l’embarcation délaissée seront les bienvenues pour une nouvelle construction. On fuit très vite et très loin les lieux de malchance et de mort, qu’il soient bateaux ou cimetières, mais on y revient toujours, pour récupérer des biens dans le premier cas, et célébrer des rites dans le second.

59On pourrait retracer les migrations des peuples de la mer du littoral sud-ouest de la Thaïlande à travers leur évolution technique. On peut établir l’hypothèse suivante à propos de la constitution des identités.

60Une série de communautés littorales et marines issues du détroit de Malacca et réunies par des thalassocraties locales se sont épanouies librement lors du relâchement des structures étatiques (notamment celle de Riau-Johore). La plupart se sont sédentarisées d’abord dans ce même archipel puis sur les côtes de la Malaisie. Une partie atteignit l’île de Langkawi, centre de regroupement historique du nomadisme. De là, l’environnement permettait la constitution d’identités particulières : 1) populations de Sireh (une presqu’île de Phuket), de Libong et d’Adang où vivent ceux qu’il est convenu d’appeler les Urak Lawoi ; 2) populations de Lanta et du littoral de Trang et de Satun ; 3) Moklen ; 4) Moken ; 5) gens de Rawai.

61Les bateaux du premier groupe n’ont pas d’échancrures, servent à la pêche et les familles ne vivent pas à bord. Leurs bordés sont en planches et ne sont pas constitués à partir de monoxyles. Les Urak Lawoi sont des petits pêcheurs côtiers, à l’image des Malais du littoral. La différence entre Urak Lawoi et Malais est d’ailleurs plus sociale qu’ethnique, bien sûr si on ne considère pas l’islam comme marqueur identitaire malais, et leur langue est encore très proche du malais standard.

62Les bateaux du deuxième groupe sont aujourd’hui identiques à tous ceux du littoral envahi par les Thaïs et les Malais et servent à la pêche. Mais les écrits de N. Annandale, ainsi que certains substrats de ces peuples que l’on retrouve plus au nord, sur l’île de Phuket notamment, permettent de considérer ce groupe comme les premiers Moken ayant quitté les îles de Libong et Adang, bien que leurs bateaux ne fussent pas échancrés. Ils ressemblaient encore aux Malais du littoral mais certaines caractéristiques techniques, l’empilement des stipes par exemple, laissaient prévoir l’évolution vers le bateau moken.

63Les bateaux du troisième groupe sont également utilisés pour la petite pêche côtière. Ce groupe pose cependant un problème puisqu’il est difficile d’y reconnaître d’anciens Moken ou des pré-Moken. Du point de vue de la technologie navale nous dirions que ce sont des pré-Moken, ceux qui n’ont pas réussi leur sursaut nomade par insuffisance de bordé (pour reprendre l’idée de W. White), dernières traces de ces hommes de la mer infidèles qu’a croisés N. Annandale. Leurs bateaux sont petits (quatre à cinq mètres), ne sont pas échancrés mais sont faits à partir d’un monoxyle dont les cans étaient des bordés en bambou. Ils ressemblent étrangement aux bateaux décrits par N. Annandale, si l’on excepte l’inamovibilité du toit due à l’introduction du moteur.

64Le quatrième groupe, celui des Moken, a développé les potentialités techniques du bateau (échancrures, virure de maintien, poteaux sculptés...) en y introduisant une dimension symbolique essentielle, qui permet de définir une identité particulière faisant des Moken un groupe ethnique spécifique.

65Le cinquième groupe pratique la pêche et rassemble tous les gens de Rawai, sur l’île de Phuket. Il s’agit d’un groupe hétérogène : gens de Lanta sur leur route nomade, Urak Lawoi en visite prolongée, Moklen et Moken fatigués de nomadiser. Le seul dénominateur commun leur permettant de vivre ensemble est le bateau. Toutes les caractéristiques techniques particulières de chacun des groupes sont ici gommées. L’identité révélée par la technique navale est occultée pour s’assimiler à la population environnante.

66Avec l’usage du moteur, les Moken vivent dans une dépendance plus grande vis-à-vis des taukès qui détiennent les clefs de l’attribution des moteurs et définissent donc de nouvelles règles à l’intérieur du système mobile moken : les flottilles se scindent, deux ou trois embarcations équipées de moteurs en état de marche assument un nomadisme devenu impossible pour les autres. On note alors une concentration de la force productive et mobile dans certaines unités de la flottille. Les hommes partent en expédition économique de plusieurs jours, sur une ou deux embarcations, tandis que les femmes restent à terre, tentant sans succès d’oublier leur départ et la rupture d’une relation familiale. Les Moken ressemblent alors à tous les autres petits pêcheurs de la région et notamment aux Malais, qui depuis longtemps ont adopté ce système d’expédition masculine au loin. La différence ethnique s’estompe au profit d’une différence sociale. Enfin, les transformations modernes du bateau, en particulier la disparition des stipes et du toit amovible, l’usage de la propulsion mécanique et l’abandon de la voile, sont la source de soucis constants. Mais heureusement, les Moken s’avèrent d’habiles bricoleurs, malgré l’outillage restreint dont ils disposent. Néanmoins, si la solidarité du groupe permet l’entraide, il faut souvent attendre de longs mois, ou même de longues années, pour qu’une nouvelle opportunité se présente et que le propriétaire d’un bateau puisse repartir naviguer sans être un poids traîné par d’autres.

67De plus en plus, on voit des bateaux moken dans le port thaïlandais de Ranong, face à Victoria Point, port birman situé de la rive droite de l’embouchure de la rivière de Pak Chan. Les fiers maîtres des eaux et des îles sont maintenant des pauvres transporteurs de marchandises, des sous-employés possesseurs de bateaux surannés, sans grande utilité pour l’économie moderne, et dont la structure se modifie sans cesse. Les cales se rehaussent, se divisent, se remplissent (photo 6) ; les toits se réduisent et s’immobilisent, les foyers disparaissent, les échancrures se résorbent.

Photo 6. Un kabang moken avec des cales (Victoria Point, Birmanie, cl. MAP 1997)

68Parfois même, certains kabang hybrides apparaissent, monoxyles dotés d’une superstructure birmane ou même bateaux moken sans échancrure. De plus, ces bateaux s’épuisent à transporter, à pêcher, à accumuler. Ils s’épuisent tant qu’ils finissent par mourir, rendant inévitable l’intégration des Moken dans les bas-fonds que l’on n’ose même plus appeler des ports et dont les maîtres font passer les anciens taukès pour de doux commerçants. Des dizaines de carcasses de bateaux moken s’enfoncent dans les eaux boueuses de la mangrove, recouverts année après année par une indifférence destructrice. Chassez les Moken, ils reviennent ; réduisez-les en esclavage, ils survivent ; envoyez des missionnaires, protestants ou catholiques, ils résistent passivement ; confrontez-les avec les administrateurs racistes et tatillons —occidentaux et asiatiques—, et ils les « fendront fous »... Les Moken ont le savoir de la résistance passive, de la soumission temporaire, de la fuite élégante ; mais la destruction de leurs symboles entraînera leur mort.

69Les Moken de Phuket ont eux-mêmes détruit leur culture, notamment leurs bateaux, et les Moken de Birmanie, en remplissant leurs cales et en supprimant leurs échancrures, réalisent un suicide culturel ; il sera suivi par celui des anciens du groupe qui, impuissants à réguler les flux destructeurs de l’histoire, abandonnent l’un après l’autre leur responsabilité spirituelle.

70Un autre danger menace les Moken en Thaïlande, celui de la disparition des essences végétales nécessaires à leur construction navale (Boulbet 1984 : 62); et s’ils sont autorisés à construire des bateaux, ils doivent se contenter des troncs de qualité moindre. Mais nul ne sait combien de temps durera cette autorisation.

71Somme toute, on peut affirmer que la structure technique évolue plus vite que la structure symbolique, l’efficience des mythes étant ainsi révélée. Mais ce savoir parcellaire disparaît des consciences moken d’où s’effacent l’idéologie nomade et les finalités de la mobilité. Le bateau subsumait la société nomade et permettait à tous les membres de la communauté de se retrouver en accomplissant ce rite social qu’était la construction du kabang. Mais l’alliance intime de la technique et du symbolique se délite, et les deux concepts tendent à se dissocier sous la pression du système de représentations des peuples majoritaires. Cette inadéquation entre les discours idéologiques et symboliques rend inévitable une évolution profonde de la société, si ce n’est sa disparition.

Figure 8. Adaptation : du bateau moken au bateau birman

Glossaire, identification et utilisation des plantes utiles dans la construction du bateau. Les identifications ont été faites par Tem Smitinand, directeur du Royal Forest Herbarium de Thaïlande

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Bibliographie

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Notes

2 M. Blanche Lewis (1960 : 62) qui transcrit le mot kabang pense au mon bεη, au vieux môn kb aή, peut-être au malais balai gambang. Michael D. Larrish (1994 : 2), quant à lui, écrit ; « Les Moken ont des bateaux fabriqués à la main très particuliers avec une proue et une poupe "fourchues" (kabang "bateau" de (?) PAN [Proto Austronésien, NDA] *gaban, "bifurcation" » (cf. Manguin, ce volume).

3 Les traductions sont de l’auteur.

4 Communication personnelle de Christopher Court : il s’agit du nom donné aux Moken par les Birmans puis les Anglais. En moklen tselum peut se traduire par « immerger » avec l’idée d’être « coincé » (dans l’eau boueuse d’un bras de rivière couvert de mangrove par exemple).

5 Il s’agit en fait de la résine de Dipterocarpacées, surtout de l’Hopea odorata (avec lequel on fait les monoxyles du bateau moken) qui a été travaillée par une sorte d’abeille (peut-être Trigona lœviceps).

6 François Renault suggère que le monoxyle est peut-être porteur à l’arrière et que dans ce cas le maître-bau (ou maître-couple) serait sur l’arrière du milieu (communication personnelle).

7 Nous pourrions appeler « flancs » les bordés du monoxyle moken car le terme « bordés » laisse entendre qu’il s’agit de planches découpées, équerrées, brochetées ensemble pour former le bordé. Mais là encore nous préférons conserver la terminologie utilisée par P. Ivanoff en 1972.

8 Mes transcriptions sont données dans un système francisé dont voici les correspondances avec l’Alphabet Phonétique International : la centrale /a/ est notée /e/, l’antérieure /ε/ est notée /è/, l’antérieure non arrondie /e/ est notée /é/, la postérieure arrondie /u/ demeure /u/ (prononcer /ou/), l’occlusive palatale sourde /t∫/ est notée /tch/, l’occlusive nasale vélaire /η/ est notée /ηg/, l’occlusive palatale nasale /η/ est notée /ny/, l’affriquée palatale sonore /d∫/ est notée /dj/, la semi-voyelle /j/ est notée /y/, la fricative uvulaire /o/ est notée /r/, l’arrêt glottal /?/ est noté //. Toutes les lettres écrites sont prononcées (par exemple an se prononcera ane).

9 De toute façon les auteurs se sont trompés puisque dans le mot okèn il s’agit d’une voyelle antérieure non arrondie /e/ et que dans le mot moken il s’agit d’une antérieure /ε/. De plus le /k/ est uvulaire (/q/) dans le mot moken et non pas dans le mot oken (communication personnelle de Christopher Court).

10 On remarquera l’analogie avec Kèn, la belle-sœur de Gaman. Il semble que l’interdit de proximité des parents par alliance soit une règle importante.

11 Nom par lequel les Moken appellent les Moklen (vivant sur le littoral entre Thai Muang et Takuapa dans la province de Phang Nga). Il vient vraisemblablement du nom d’un des bras d’une rivière coulant dans le district de Khura Buri.

12 F. Renault (communication personnelle) fait remarquer qu’aux XIVe et XVe siècles, les barrots de pont des navires semblent posés sur une serre intérieure et débordent du bordé sur une serre extérieure. Il s’agirait donc du même système. Il remarque d’autre part que les parois fragiles des stipes ne résisteraient pas à la pression des barres appuyées sur une seule serre-bauquière. Le mo serait alors une « serre-bauquière jumelle ». C’est presqu’une préceinte qui agit avec les deux autres serres en raidisseurs de l’ensemble « bordés-rapportées ». En effet, si techniquement les bordés sont en planches dans les hauts, son utilité n’est plus prouvée.

13 On parle également de proue bifide. Pour ma part je préfère le terme échancrure, le mot bifide étant assimilé à une fourche. Les échancrures des bateaux moken sont grandes et arrondies, fort différentes de celles que l’on peut trouver ailleurs, dans le monde insulindien particulièrement.

14 Ce qui tendrait à montrer l’aspect humain et surhumain du bateau. On trouve la représentation de ces yeux depuis l’antiquité grecque jusqu’aux bateaux actuels des côtes du Vietnam. Ils peuvent être associés au génie du bateau, l’aider à se défendre contre les mauvais esprits de l’eau... mais de toute manière, ils donnent la vie, au moins spirituelle, aux embarcations.

15 Voir CETMA, Anthropolgie Maritime, Paris, Cahier n° 5, « Les hommes et les bateaux. Usages, appropriations et représentations », 1995 ; L. Gansser et J. Ivanoff, ce volume ; présentation, ce volume.

16 Ce n’est évidemment pas par impossibilité de produire que les Moken ne le font pas ; il suffit de regarder leurs embarcations et de constater leurs connaissances théoriques de toutes les techniques de pêche et d’agriculture observées chez les peuples voisins.

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Table des illustrations

Légende Figure 1. Le bateau mokenA. Échancrure avant (« bouche ») D. Virures de mantien extérieures G. GouvernailB. Monoxyle (« corps ») E. Aviron H. HaubansC. Stipes F. Échancrure arrière (« anus ») I. MâtJ. Barre de gouvenail K. Poutre faîtière L. VoileM. Béquille de soutien de la poutre faîtière N. Toit
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 304k
Légende Figure 2. La préparation du monoxyle pour l’écartement des parois
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 388k
Légende Figure 3. Empilement des stipesA. Mortaise D. StipesB. Longue virure pleine E. Piques de bambou pointuesC. Membrures
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 192k
Légende Photo 1. Les Moken plongent pour collecter des produits échangés contre du riz (Archipel Mergui, cl. MAP 2000)
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 304k
Légende Figure 4. Monoxyle et corps humainA. laké : « ventre »B. ok : « diaphragme »C. tabing : « côté »D. kang data : « mâchoire supérieure »E. kang lebuk : « mâchoire inférieure »F. tebin : « joue »G. tuko : « cou »H. bahoy : « épaule »I. mum : « flancs »J. badjang : « rein »K. bulut : « derrière »L. kang : « bouche ouverte »
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 320k
Légende Figure 5. Le système du mo, virure de maintienA. Monoxyle C. Virure n° 1, le mo, la « longue vivure mère »B. Membrures D. Virure n°2, laserre-bauquière, la « virure mère »E. Virure n° 3, la « virure mère » F. Virure n° 4, la « virure enfant »G. Virure n° 4b, la « virure enfant » H. Virure pleineI. Bordés en stipes
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Légende Photo 2. Construction d’un kabang avec des bordés en planches (cl. MAP, 1999)
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Légende Figure 6. Le mo, la virure de maintienA. MonoxyleB. Virure pleineC. StipesD. VirureE. Liens de rotin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 172k
Légende Photo 3. Empilement et attachement des stipes sur l’extrémité du monoxyle. La pièce de bois plein posée au-dessus des échancrures est utilisée pour attacher les stipes et les virures
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 328k
Légende Photo 4. Vue intérieure de la virure de maintien et installation des bancs de nage (P. Ivanoff 1973)
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 276k
Légende Figure 7. Les virures et leurs attaches, les bancs de nage, béquilles de support
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
Légende Photo 5. Bateau moken échancré avec bordés en « coffrage », d’influence birmane (Birmanie, île de Ross, cl. MAP 2000)
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 252k
Légende Photo 6. Un kabang moken avec des cales (Victoria Point, Birmanie, cl. MAP 1997)
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 176k
Légende Figure 8. Adaptation : du bateau moken au bateau birman
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Légende Glossaire, identification et utilisation des plantes utiles dans la construction du bateau. Les identifications ont été faites par Tem Smitinand, directeur du Royal Forest Herbarium de Thaïlande
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/290/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 479k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Ivanoff, « La technologie symbolique chez les Moken. L’histoire d’un mo », Techniques & Culture, 35-36 | 2001, 199-231.

Référence électronique

Jacques Ivanoff, « La technologie symbolique chez les Moken. L’histoire d’un mo », Techniques & Culture [En ligne], 35-36 | 2001, mis en ligne le 07 septembre 2012, consulté le 16 novembre 2015. URL : http://tc.revues.org/290

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Auteur

Jacques Ivanoff

CNRS, Techniques et culture, 27 rue Paul Bert 94204, Ivry Cedex

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