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Violences / Violences

Aliénation mentale, irresponsabilité pénale et dangerosité sociale face à la justice du XIXe siècle. Étude d’un cas de fureur

Laurence Guignard
p. 83-100

Résumés

La fureur est un ancien concept appartenant au droit autant qu’à la médecine. Remise au goût du jour, au début du XIXe siècle, par les aliénistes qui en proposent des formes novatrices, cette folie délirante et menaçante a justifié, dans les années 1830, une série de verdicts d’acquittements appliquant la loi sur l’irresponsabilité pénale des déments. L’analyse du procès de Théodore Durand, accusé d’homicide, permettra de montrer l’impasse dans laquelle se trouve alors l’institution judiciaire, qui renonce à punir un acte grave, tandis que son auteur ne peut être interné parce qu’il a recouvré la raison.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 La question de la responsabilité constitue d’abord un chapitre d’ouvrages doctrinaux généraux (Chau (...)
  • 2 Cf. Lascoumes, Poncela, Lenoël, (1989); Guignard (2005).
  • 3 Foucault (1999, p. 106).

1Si l’irresponsabilité pénale des fous est une notion juridique ancienne, formulée dès le droit romain, elle prend au XIXe siècle un nouvel essor qui la place progressivement au cœur de la réflexion pénale. En témoigne, d’une part, l’article 64 du Code pénal de 1810 – « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action » – et, d’autre part, l’émergence d’un important corpus doctrinal concernant la responsabilité et l’irresponsabilité pénale1. Cet ancien principe s’inscrit dans le cadre mis en place après la codification impériale qui oriente l’institution judiciaire en un sens largement rétributif2 et qui définit la fonction de la justice comme la punition de crimes assimilés à des fautes. Elle s’appuie sur une anthropologie classique qui fait de la responsabilité du criminel un présupposé indispensable au procès pénal, un « réquisit de rationalité »3, écrit Michel Foucault. Les aliénés sont alors écartés du procès judiciaire parce qu’ils ne disposent pas de l’élément central de la responsabilité : la libre volonté.

  • 4 Gauchet (1980, p. x).

2Cette organisation cohérente ne poserait pas problème si, dans le même temps, l’évolution de la médecine des maladies mentales ne venait fragiliser les positions juridiques. Les théories médicales des aliénistes modifient en effet l’abord de la folie qui était conçue, jusqu’alors, comme l’annulation de la subjectivité du malade. Le fou était un être absent à lui-même. À partir des travaux de Philippe Pinel, au contraire, on envisage une possible gradation de la folie. Cette évolution a été finement analysée par Gladys Swain et Marcel Gauchet qui évoquent la mise en place « d’une aliénation processus, matérialisation intérieure et progressive d’une constitution intrinsèquement anormale ou d’un dérèglement de la subjectivité »4, une aliénation autorisant donc le maintien d’une part de subjectivité. On voit alors émerger l’hypothèse de lésions partielles ou ponctuelles de l’intelligence, de l’affectivité ou de la volonté : ce sont les manies de Philippe Pinel puis les monomanies d’Étienne Esquirol. En outre, au cours de leur élaboration théorique, les médecins se sont particulièrement intéressés au phénomène criminel qui focalise alors les attentions sociales. La recherche de causes explicatives les mène à suggérer que le crime, en particulier les crimes monstrueux aux motivations étranges, puisse être le symptôme unique d’une folie partielle : la monomanie homicide.

  • 5 Notamment par les travaux de Foucault (1999), Postel (1990), Pedron (1984), Swain (1997), Castel (1 (...)
  • 6 Cf. Pedron (1984).

3Il se noue alors, autour de l’article 64 du Code pénal, une problématique complexe qui plonge à plusieurs reprises l’institution judiciaire dans une véritable crise anthropologique. En effet le monomane, même s’il offre pour le profane toutes les apparences de la raison, n’a pu vouloir son crime parce que sa volonté est aliénée et doit donc, selon les aliénistes, être acquitté. Les médecins jettent ainsi le trouble sur toute activité criminelle et, partant, sur toute activité judiciaire. Ils contestent les décisions de tribunaux, suscitant dans les années 1820 de violents débats aujourd’hui bien connus5, en particulier autour des condamnations d’Antoine Léger, Auguste Papavoine et Henriette Cornier qui défraient la chronique6.

  • 7 Cf. Chauvaud (2000). Voir également Guignard (2001).
  • 8 Par exemple Faustin Hélie et Adolphe Chauveau consacrent près de quarante pages à la définition de (...)
  • 9 Pedron (1984).
  • 10 De façon générale, si l’histoire des sciences du crime s’est développée depuis une quinzaine d’anné (...)

4Durant cet affrontement virulent, l’institution judiciaire s’est défendue de doctrines offensives et est parvenue à préserver la légitimité de ses décisions. Cependant, sous la vague polémique, l’idée de nouvelles formes de folie paraît s’approfondir, la question est posée plus fréquemment aux Assises, les médecins légistes experts sont requis plus souvent7, les juristes se penchent sur les nouvelles hypothèses médicales et parfois les admettent8. Pourtant, si les historiens s’accordent à considérer qu’à « partir de 1830 le débat se dépassionne progressivement »9, la période postérieure et en particulier son versant judiciaire10, est beaucoup moins bien connue.

  • 11 Foucault (1999, p. 125).
  • 12 Gauchet (1980,p. x). Sur la fureur, voir les travaux de Foucault (1972) et Starobinski (1974).
  • 13 Cf. Mucchielli (1994); Debuyst, Digneffe, Pires (1998); Tulkens, Digneffe (1981).

5Pour saisir le sens de cet apaisement, la fureur nous est apparue comme un angle d’attaque pertinent. Cette figure ancienne de la folie que Michel Foucault définit dans l’Histoire de la folie à l’âge classique comme l’ensemble des « violences qui échappent à la définition rigoureuse du crime et à son assignation juridique »11 incarne, autant que l’inconscience délirante, le désordre et le danger et constitue en quelque sorte une « folie sociale »12. Folie à lier et à enfermer. Selon Michel Foucault, elle est intimement liée à l’expérience classique de la folie, la déraison, qui n’imposant pas de partage entre crime et folie, donne forme à une pratique d’internement où se mêlent fous et criminels. Elle approche cette notion que le droit pénal rétributif du XIXe siècle a bien du mal à intégrer, mais qui s’épanouira après 1880 avec le mouvement de la défense sociale : la dangerosité13.

  • 14 Code civil. Article 489 : Le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, démence ou de fure (...)
  • 15 Encore en 1867, Achille François Le Sellyer définit la démence comme « comprenant non seulement la (...)

6Assimilée à des pratiques qui se situent à la marge de l’activité strictement judiciaire, la fureur est pourtant présente dans les traités de droit, et ce depuis le droit romain puisque le terme furiosus apparaît aux côtés des principes d’irresponsabilité pénale et d’incapacité juridique des fous. Elle reste au XIXe siècle, en vertu du Code civil, soumise à la procédure d’interdiction d’office14 : mise sous tutelle initiée par le procureur du roi qui permet l’internement administratif des fous menaçant l’ordre public. L’archaïque fureur demeure, dans la première moitié du XIXe siècle, une catégorie opérante de la doctrine juridique15.

  • 16 Adelon, Alard, Alibert (dir.) (1812-1822, Article « Fureur »).
  • 17 L’année 1836, avec onze acquittements, constitue la plus fastueuse de la période 1826-1865. Compte (...)

7Or, cette figure radicale de la folie connaît, dans son versant médical, des transformations. Les aliénistes en proposent des formes ponctuelles, lui appliquant en quelque sorte la doctrine des monomanies instinctives. Ainsi, le docteur Marc peut-il écrire que « la fureur devient plus particulièrement un sujet de recherches et de méditations pour le médecin légiste, lorsqu’elle ne peut être attribuée à l’exaltation d’un délire habituel et notoire; c’est-à-dire à un état antécédent d’aliénation mentale, mais qu’elle est le résultat d’une commotion morale, brusque, imprévue16. Pourtant, loin de constituer un nouvel objet de conflit entre médecins et magistrats comme le fut la monomanie homicide, la notion de fureur, parce qu’elle est admise par la doctrine juridique, a permis dans les années 1830 la détente des relations entre médecine et justice qui s’opère ainsi, curieusement, autour d’un ancien concept associant deux réalités vouées à se dissocier devant les tribunaux : folie et criminalité. Dans ses tableaux consacrés aux « motifs des crimes capitaux », le Compte de l’administration de la justice criminelle attribue ainsi à la démence furieuse un pic d’acquittements entre 1831 et 183617.

La conjoncture judiciaire rennaise des années 1830

  • 18 Loin des turbulences théoriques de la capitale dont pâtit la cour de Versailles, elle dispose en ou (...)

8Il importait, pour mieux comprendre, d’entrer dans le domaine peu connu de la pratique judiciaire. La Cour d’assise de Rennes, de solide culture juridique et appliquant avec une grande rigueur les théories médicales nouvelles aux principes juridiques spiritualistes en vigueur, nous a paru emblématique de l’apaisement des relations entre médecine et justice18. Non parce qu’elle serait représentative d’une situation nationale moyenne mais parce qu’elle exprime avec clarté, dans sa pratique judiciaire, les tensions et les solutions théoriques de la période.

  • 19 Archives Départementales (plus loin A. D.) Ille-et-Vilaine, 2 U 707. Lettre du Dr. Toulmouche. Le r (...)
  • 20 L’argument invoqué en un tel cas par les magistrats sera, non la liberté de volonté de l’accusé mai (...)

9On y procède alors à une remarquable série d’acquittements pour cause de démence ponctuelle qui concernent, entre 1833 et 1837, tous les accusés dont le geste a été attribué à une crise de fureur ponctuelle : Joseph Janvier en 1833, auteur d’un homicide, Jean Grosdoigt en 1834 accusé d’homicide involontaire, Théodore Durand en 1835 accusé d’homicide volontaire sur son voisin, Jacques Mérillon qui a tué sa femme en 1835, Pierre Bourgneuf accusé de coups et blessures, François Marquet auteur de coups et blessures sur son père en 1835 et enfin Jean Péchot en 1836 qui a tué sa servante. On ne retrouve pas à Rennes, dans les années qui suivent, de semblable conjoncture et dans le même temps la référence à la fureur s’estompe. Ainsi la violence du comportement de Gallais est-elle perçue, en 1838, comme le fruit de ses « appétits brutaux », et attribuée à « l’imperfection de son organisation cérébrale »19. Les instincts, ce sera plus tard la dégénérescence, se fondent sur l’idée d’un déterminisme physiologique qui, éclipsant la fureur, souligne à la fois le danger et l’incurabilité et, du point de vue du droit, écarte l’hypothèse d’une quelconque irresponsabilité morale pourtant défendue par le médecin20. Gallais est condamné.

10Il nous a paru très délicat d’étudier de front cette succession de procès qui demeurent hétérogènes les uns aux autres et nous avons préféré entrer dans le détail d’une unique procédure afin de saisir les représentations et les modalités probatoires qui expliquent le verdict d’acquittement, alors que dix ans plus tôt à Paris des faits semblables avaient entraîné une condamnation.

  • 21 Archives Nationales (plus loin A. N.) BB 20 83, rapports des présidents d’assises.
  • 22 Gazette des Tribunaux, 3 juin 1835.
  • 23 Toulmouche, 1835.

11Le cas de Théodore Durand, « laboureur de trente-sept ans »21, auteur en 1835 d’un homicide commis dans « des circonstances extraordinaires »22 et acquitté en raison de son état de fureur, a retenu notre attention. Bien qu’il s’agisse d’une « petite affaire », elle figure néanmoins dans la Gazette des tribunaux et dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale23. Dans les campagnes rennaises comme ailleurs, le crime, en particulier lorsque le passage à l’acte échappe à la stricte rationalité, suscite une réaction sociale complexe qui se noue autour de la procédure judiciaire. Le dossier permet de mettre à jour la succession des divers regards portés sur le geste de l’accusé. Son intérêt réside précisément dans la convergence des opinions en ce qui concerne l’irresponsabilité de l’accusé qui pourtant n’a montré aucun signe antérieur de folie.

Les signes de la fureur

  • 24 A.D. Ille-et-Vilaine, 2 U 4 282, Dossier de procédure, Durand Théodore, 1835. Procès-verbal de la g (...)
  • 25 DP. Françoise Monail, domestique.

12« […] elle était seule à la maison lorsqu’elle vit entrer le nommé Théodore Durand propriétaire à la Bachellerie (même commune), elle lui demanda ce qu’il voulait et sans lui répondre, il chercha dans tous les appartements, ayant vu Julien Anderoie dans la cour, il courut dessus et lui assena un violent coup de râteau à dents de fer dont il était armé qui le terrassa; voyant son maître couché et baigné dans son sang elle s’était récriée et Durand s’était mis en fuite »24. « Cet homme paraissait furieux »25, affirme la domestique de la victime. Anderoie, lui, succombe cinq jours plus tard.

  • 26 DP. Procès-verbal de la gendarmerie de Domalain, 24 février 1835.
  • 27 DP. Interrogatoire de Durand.

13Comme dans les autres affaires de ce genre, c’est dès l’abord le caractère inexplicable du geste violent qui frappe les premiers témoins, les gendarmes : « il n’existait pas de haine entre eux, […] ils avaient toujours vécu en bonne intelligence »26, et l’accusé lui-même : « la veille de cette affaire nous avions bu en bonne amitié et cela ensemble une cruche de cidre »27. C’est à partir d’une préoccupation judiciaire, l’absence de motif susceptible d’établir l’intention criminelle et le mobile du crime, que vont s’élaborer des investigations qui s’orientent sur deux plans : cerner la nature de l’acte pour établir, le cas échéant, l’inconscience de l’inculpé au moment des faits, cerner le caractère de son auteur et la menace sociale dont il peut être porteur.

  • 28 Artières, Kalifa (2001, p. 240).

14C’est donc à la collecte des « faits de fureur » que s’attache cette généalogie du crime que constitue l’instruction, « où s’épaississent les traits du criminel »28. Les témoignages suscités par le juge permettent d’établir, avec une précision qui témoigne de l’intensité du regard collectif, les faits et gestes antérieurs et postérieurs à l’acte.

  • 29 DP. Julien Anderoie.
  • 30 Favret-Saada (1977, p. 27).
  • 31 Laharie (1991, en particulier p. 153).

15Si le dossier laisse paraître quelques voix discordantes telles celle du fils de la victime, un adolescent de quatorze ans, qui rapporte que pour certains « il n’était point fou, mais […] que c’était le diable qui le transportait »29, les paysans de Bais ne s’étendent pas sur des interprétations qui ne font plus alors partie des « théories officielles du malheur »30 et qui donc échappent largement à l’instruction. Seul un enfant peut s’y tromper. Le diagnostic villageois privilégie donc l’hypothèse de la fureur, livrant une image du furieux largement stéréotypée, proche de celle décrite par Muriel Laharie pour le Moyen-Âge31.

  • 32 DP. Pauline Mahé.
  • 33 DP. Emmanuel Frin, domestique meunier.

16Ce sont d’abord la topographie, la temporalité, l’allure qui, parce qu’elles composent un comportement hors du commun, disent aux yeux des témoins l’incongruité du geste. « Il avait couru toute la nuit »32. « Il était seulement vêtu d’une peau de chèvre et d’un pantalon. Il avait les pieds nus dans ses sabots et un mauvais bonnet sur sa tête »33. Les premières descriptions évoquent l’image ancienne, également présente dans les dossiers d’interdiction, du furieux déchaîné, errant dans la campagne la nuit, nu, ou dans un accoutrement peu ordinaire.

  • 34 DP. Pauline Mahé.
  • 35 DP. Jean-Marie Thiriot, laboureur et tisserand.
  • 36 DP. Haultin, sacristain.
  • 37 DP. Jean-Marie Voiton, garçon meunier.
  • 38 Cf. Rigoli (2001).
  • 39 Jean-Jacques Yvorel a montré que la pyromanie était pour les médecins « un meilleur cheval de batai (...)
  • 40 DP. Jaunais, officier de santé.

17Cette collecte des signes de folie fait également une large place aux « propos extravagants »34, scrupuleusement rapportés par les témoins et figurant, entre guillemets, dans les procès-verbaux : « une ligue de Chouans a voulu m’attaquer […]. Les balles sifflaient autour de moi et pourvu que j’eusse un pied en avant, je me défendai. Une des balles est restée dans mon soulier et une autre dans mon mouchoir de poche. Ils me croyaient blessé mais je ne l’étais pas »35. « Il ajouta qu’ils avaient de la cavalerie, des chevaux qui étaient énormes que ceux qui étaient cavaliers allaient boire et manger dans les maisons et que les chevaux s’en retournaient tout seuls »36. « Je cours au feu. Je croyais d’abord que c’était à Bais que le tocsin sonnait et je pressais que mon frère de la Gouesserie avait mis le feu chez lui parce que je n’avais pas voulu aller l’aider à charroyer de la feuille »37. Le délire des mots est nécessaire pour déterminer l’état mental, même si nulle interprétation n’est faite de ce délire dont les objets – ici les Chouans et le feu – possèdent par eux-mêmes force de preuve38. La thématique du feu39 est, avec le thème religieux, récurrente dans les archives que l’on a pu consulter. L’assimilation de la fureur au danger social fait de l’incendiaire une figure du furieux, et du feu le symptôme de la fureur, à tel point que l’on demande au maire de Bais si des incendies ont précédemment éclaté dans la demeure de la famille Durand. Le délire verbal fait pendant aux hallucinations, « visions fantastiques pour le feu »40, qui sont elles aussi scrupuleusement décrites.

  • 41 DP. Pauline Mahé.
  • 42 Un témoin le qualifie même de libertin.
  • 43 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil.
  • 44 DP. Julienne Jamier femme du sieur Pierre Bourdin.

18On relève ensuite la rupture des habitudes et des usages qui permettent d’établir, chez l’inculpé, un changement de personnalité dans un quotidien plus trivial : « il n’avait pas voulu coucher dans sa loge, […] il avait couché dans son lit à elle sa mère »41. Il devient dévot alors qu’il ne l’était pas42, rendant trois visites au curé dans la même journée et se signant frénétiquement. De même, l’incapacité à décoder les éléments habituels de la vie collective, témoignant du délitement d’une socialité, vient renforcer l’étrangeté de son comportement. « Ayant entendu l’angélus à Lauvigné, il reprit ‘tenez, voilà le rappel, ils sont cachés là dans les champs, ils vont venir me tuer’ »43. Les émotions de Durand sont remarquées. On note sa terreur devant son frère et sa mère qui marque l’inversion des liens familiaux. Enfin, stade ultime de l’asocialité, Durand sort du langage, tel une bête : « il se dirigeait vers nous à grands pas, comme un fou et en prononçant des sons inarticulés tels que Hou, ho, ho, il semblait malgré tous ses efforts ne pouvoir parler »44.

  • 45 DP. Jean-Marie Étienne, laboureur.
  • 46 DP. Haultin, sacristain.
  • 47 DP. Jean-Marie Voiton, garçon meunier.

19L’analyse de la physionomie arrive en dernier lieu seulement. Les témoins remarquent classiquement ses yeux, son air inquiet, sombre et taciturne. Le spectre du suicide, très proche de la folie et intimement lié à la fureur, plane : « il avait les traits si décomposés que de suite l’idée me vint qu’il avait peut-être l’intention de se détruire »45. La violence du comportement de Durand vient conclure ce portrait d’un furieux, violence portée non seulement contre la victime, mais aussi contre sa mère et un autre voisin. La conclusion des témoins s’impose dès lors : « il avait la tête tout à fait brouillée »46, ou alors, « la tête et l’esprit dérangés »47.

  • 48 C’est le cas des accusés acquittés en raison de leur état de fureur par la Cour d’Assises de Rennes (...)
  • 49 Rigoli (2001), Postel, Quetel (1994). De facon générale, il ne faut pas chercher d’opposition systé (...)

20L’ensemble des éléments réunis nous donne à voir tous les signes du dérèglement et du désordre de l’univers mental, social, sensible dans l’exercice d’une violence qui sort de son cours habituel. Sur les causes ou les antécédents de cette fureur, très peu de choses seront dites. On ne décèle, dans le dossier de procédure, ni étiologie organiciste, ni analyse psychologique. La consommation d’alcool même, pourtant très souvent avérée48, n’est pas considérée comme une cause explicative. La perception de la folie est alors une science des signes, de même que l’aliénisme consiste alors en une collecte des symptômes49, permettant d’établir une maladie qui, comme au Moyen-Âge, est extérieure au sujet, qui « possède » le malade dont la personnalité disparaît dans le délire.

21Cette double hypothèse : absence d’étiologie, disparition de la personnalité dans la crise de fureur permet, lorsqu’elle rencontre la théorie des folies ponctuelles, d’appréhender l’acte de l’accusé comme un événement isolé de sa vie, presque un accident, dans lequel sa personnalité n’est pas véritablement impliquée. La fureur l’a saisi. Son acte est fou, même s’il ne l’est pas lui-même, précisément parce qu’il n’était pas lui-même au moment de l’acte. Or, devant une justice pénale qui reste chargée de punir des actes, et non des personnes, c’est l’état mental au moment des faits qui compte.

22La fureur, telle qu’elle est décrite au village, reste intimement liée au délire. Même lorsque l’hypothèse de la monomanie homicide est avancée, comme c’est le cas dans les procès de Mérillon (1835) ou de Péchot (1836), on ne trouve pas d’acquittement fondé sur la seule lésion de la volonté ou de l’affectivité, telle que le proposent Esquirol ou Georget. L’attachement à la notion de fureur permet à la justice de résister sur ce point : c’est l’inconscience, même ponctuelle, qui fait l’irresponsabilité.

Dire le mal, dire la folie : les mots de l’assassin

23Si les dépositions des témoins concordent pour affirmer l’état de fureur au moment des faits, elles ne sont pas suffisantes aux yeux du juge d’instruction. Les investigations judiciaires concernant l’état mental laissent en effet une place importante à l’interrogatoire du prévenu. Son but est d’écarter l’hypothèse de la simulation et porte sur les faits suggérés par les dépositions des témoins, mais aussi sur les symptômes de la folie. Les juges d’instruction sont accoutumés à cet interrogatoire des aliénés, souvent ubuesque, auquel ils se livrent lors des fréquentes procédures civiles d’interdiction judiciaire.

  • 50 DP. Durand.
  • 51 Et citations précédentes, idem.

24Dans le cas de Durand, l’accusé a recouvré ses esprits quelques jours après la mort de sa victime, c’est donc un homme sain d’esprit qui est interrogé à deux reprises par Maurice Taburet, juge d’instruction du tribunal de Vitré. La ligne de défense de Durand repose sur trois éléments : altération de la mémoire, irrationalité du geste, absence de mobile puisqu’il n’avait aucune raison objective de tuer Julien Anderoie dont il dit ne pas même connaître l’opinion politique. Trois éléments qui s’expliquent par l’inconscience propre à la fureur : « les oreilles me tintaient fortement depuis la veille au soir. Il me semblait voir et entendre autour de moi sept à huit personnes qui me tiraient des coups de fusil »50. Néanmoins dit-il, « c’était la première fois de ma vie que j’éprouvais pareille chose »51. S’il avoue avoir été fou au moment des faits, il se garde par avance de la marque stigmatisante de la folie qui pourrait, le cas échéant, entraîner son internement.

  • 52 Idem.
  • 53 Idem.
  • 54 Idem.

25Lorsqu’on l’interroge sur la nature de son geste, Durand affirme que « le mal l’y a poussé », qu’il avait « le sang tourné » et qu’il fallait « que ce soit un tour que l’on [lui] ait joué »52. Par ces trois réponses, Durand évoque des conceptions anciennes de la fureur : la possession diabolique, la bile noire de la mélancolie, le mauvais sort. « Le mal », qui confond violence et maladie, l’a pris subitement le jeudi 19, dit-il : « comme j’allais pour me coucher entre le huit à neuf heures du soir » et s’en est allé sans coup férir trois jours plus tard. Le dimanche 22, « j’en fus débarrassé dans mon lit où j’étais lors couché; et cela entre les six à sept heures du soir »53. Le délire cependant paraît s’être installé quelque temps auparavant, puisqu’il dit, lors de son premier interrogatoire : « plus de huit jours, d’avant que j’aie donné un coup de râteau à Anderoie que j’éprouvai dans la tête et que je voyais et entendais autour de moi des gens armés de bâton et de fusils qui voulaient me tuer »54.

  • 55 Idem.
  • 56 DP. Ordonnance de prise de corps, 16 avril.

26Ces auto-interprétations sont reçues avec une certaine circonspection par le juge d’instruction Maurice Taburet, qui évoque avec hauteur, « ce que vous appelez le mal »55. Elles ne font plus partie des hypothèses recevables auprès d’un public cultivé, prêt cependant à admettre celle d’une éphémère fureur. On comprend mal, de même, que Durand se souvienne de tout sauf « du fait le plus propre à se graver profondément dans sa mémoire »56, le coup mortel. La folie selon les magistrats, comme le suggèrent également les témoins, même si elle est ponctuelle ne peut connaître de gradation dans son intensité, l’éclipse de la volonté doit être complète.

Résister au délire

  • 57 Toulmouche, 1835. Il y voit une réponse édifiante à ceux qui pensent que les « conseils de la relig (...)
  • 58 DP. Jean Chumier, curé.

27Dans leur recherche de preuves et dans leur volonté d’écarter l’hypothèse de la simulation, les magistrats s’intéressent aux éléments qui montrent qu’on a lutté contre le délire. Les voies de recours contre la folie sont rares dans les campagnes rennaises de la première moitié du XIXe siècle. Durand, cherchant « les moyens qui lui semblaient les plus propres à l’apaiser », écrit le docteur Toulmouche57, s’attache d’abord aux instances spirituelles. La dévotion (prières, signes de croix, confession) paraît en effet accompagner la crise de fureur : Durand rend ainsi trois visites au curé dans la journée du crime. Il se confesse une première fois avant le crime, vers sept heures du matin. L’échange semble avoir été peu approfondi, puisque le prêtre avoue dans sa déposition ne pouvoir se prononcer sur l’état de ses facultés intellectuelles. Se sentant « encore gêné »58, Durand retourne au presbytère vers neuf heures, sans succès.

  • 59 DP. Haultin, sacristain.
  • 60 DP. Julien Jamin, 41 ans, officier de santé et adjoint au maire.

28Et c’est à nouveau chez le curé qu’il se rend après le crime, vers cinq heures du soir. Il se heurte alors à de nettes réticences du prêtre, peu disposé à un tête-à-tête avec ce furieux. Sommé par les villageois de « descendre puisque Durand voulait lui parler »59, le curé élude l’affaire et lui refuse la confession : « il ferait rire de lui comme trop dévot »60.

  • 61 Il est « maintenu de force au lit ». DP. F. J. M. Hirou, docteur médecin.
  • 62 DP. Pauline Mahé.

29De même, pour l’entourage inquiet, hors de la pure et simple contention qui n’interviendra qu’après le crime mobilisant plusieurs voisins61, peu de moyens se présentent et c’est aussi le curé que la mère de Durand va voir pour lui dire « que son fils était fou depuis deux jours »62.

  • 63 DP. François Jaunais, officier de santé.
  • 64 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil.

30Nul ne songe, semble-t-il, à faire venir un médecin alors que Durand donne de sérieux signes de folie. On ne convoque les secours médicaux que lorsque son comportement devient véritablement effrayant, c’est-à-dire après le crime. Un chirurgien de Louvigné est alors appelé par le frère de l’accusé et examine Durand peu de temps après le crime. Il pratique deux saignées successives : le samedi et le dimanche. La saignée reste le mode de traitement de l’aliénation mentale privilégié par tous les médecins, aliénistes compris, même si certains réclament une certaine modération dans son usage. Durand tint lui-même l’écuelle, soulignent les magistrats, ce qui atteste à la fois son consentement aux soins et son état de calme relatif. C’est une « saignée copieuse »63, selon l’expression du médecin qui l’a pratiquée : « Il resta environ un quart d’heure tranquille. Il se mit ensuite à trembler, la sueur lui dégouttait et il eut une faiblesse. Il revint une ou deux minutes après et fut encore tranquille »64. L’objectif est donc d’affaiblir le malade afin de le rendre inoffensif.

  • 65 DP. Durand.
  • 66 DP. François Jaunais, officier de santé.
  • 67 Léonard (1978).
  • 68 DP. Procès-verbal de gendarmerie de Domalain, 24 février 1835.

31L’officier de santé Jaunais lui administre également un traitement fait « de bouteillées »65, c’est-à-dire de potions, des remèdes qui purgent, un « traitement débiliant »66, dit le médecin. On reste dans la médecine humorale très en faveur dans les campagnes rennaises de l’époque67, ce à quoi répond le brigadier de gendarmerie qui arrête Durand, affirmant « qu’il jouissait parfaitement de tout son bon sang »68.

Les pratiques infrajudiciaires

  • 69 Fabre (1991, p. 108).

32Immédiatement après le crime, les premières stratégies de défense se mettent en place. Pour les villageois de la commune de Bais qui construisent ce que Daniel Fabre a appelé « une interprétation ‘indigène’ de la folie »69, le crime est aussitôt et presque unanimement compris et associé à la fureur. Le premier souci est cependant d’éviter l’intervention extérieure de la justice.

33« – Ce ne sera peut-être rien, mais cependant, si cet homme vous faisait des affaires.

  • 70 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil relatant un échange entre M. Jaunais, chirurgien et Théodore D (...)

34– S’il faut s’arranger, répond Théodore, nous lui paierons ce qui lui appartiendra »70.

  • 71 Sur cette question du règlement infrajudiciaire des conflits, cf. Garnot (1996); Ploux (1992).
  • 72 Farcy (1996).
  • 73 Garnot (1996b).

35L’arrangement71 est une pratique extrêmement répandue encore au XIXe siècle, particulièrement en Bretagne72, préconisée dans l’affaire qui nous occupe par les gendarmes eux-mêmes. Comme l’a montré Benoît Garnot pour l’Ancien Régime, il dépend de trois facteurs : l’appartenance à la communauté, le respect de règles de comportement en particulier celles qui relèvent de l’honneur et le danger qu’un individu paraît faire courir à la communauté73, trois critères qui laissent supposer que Durand est bien intégré dans la communauté et que, malgré son crime inexplicable, il n’est pas perçu comme un individu dangereux.

  • 74 DP. Sébastien Hunant, notaire.
  • 75 Idem.

36C’est ici le diagnostic des médecins concernant les blessures de la victime qui permet de fixer « le prix qui devait être payé »74. Les protagonistes se rendent devant Sébastien Hunant, notaire de Bais, mais ce dernier refuse de rédiger l’acte de la transaction en l’absence d’Anderoie. L’accord fait donc simplement l’objet d’une attestation sur papier libre, signée par le notaire et le médecin, fixant la somme de « cent trente francs, y compris les frais de médecins ». Le notaire précise bien que « si la mort s’ensuivait, la transaction devenait illusoire puisque la justice poursuivrait nécessairement »75. L’affaire sera donc portée devant le juge.

  • 76 DP. Jean-Marie Thiriot, laboureur et tisserand. Sur la question de la cruauté envers les animaux vo (...)
  • 77 DP. Julien Jamin, officier de santé.
  • 78 Idem.
  • 79 DP. Julienne Jamier.
  • 80 DP. Pierre Bourdin, laboureur.
  • 81 DP. Julien Jamin, officier de santé.

37Face aux magistrats, la communauté paraît se resserrer pour fournir une unique version des faits, taisant les conflits, insistant sur l’absence d’antécédent et surtout sur le caractère « doux et sociable » de Durand qui « n’était même pas cruel envers les animaux »76. La solidarité villageoise connaît cependant des failles. Certains témoins, proches de la victime, cherchent à aiguiller l’enquête vers les Assises en écartant l’hypothèse de la folie. Ils confirment que l’enjeu est bien la dangerosité potentielle de l’inculpé, faisant état de son caractère violent, « assez sombre »77, de son intempérance, de sa tendance à l’ivresse : « Il est querelleur et redouté quand il a bu »78. « Il est comme fou quand il est ivre »79, il n’a jamais donné « antérieurement aucun signe de folie et de fureur »80. Ils ajoutent qu’Anderoie et Durand « ne passaient pas pour partager les mêmes opinions politiques »81 suggérant ainsi un possible mobile. On sent à quel point, dans une telle configuration, la limite entre folie et criminalité est mince et perméable.

  • 82 DP. Lettre du maire de Bais envoyée directement au procureur du roi.

38Les témoignages pèsent finalement en faveur de Durand, en particulier grâce à la déclaration du maire qui fait autorité en matière de réputation : il est « d’un caractère tranquille », « quand il est ivre il est querelleur et craint », mais « il n’était pas ivre le jour du crime »82. Tout concourt donc à montrer que si l’acte de Durand est compris comme le résultat de sa fureur, l’homme social, lui, est intégré et accepté par sa communauté.

La normalisation judiciaire

  • 83 DP. Réquisitoire à fin d’audition de témoin, 4 mars.

39L’instruction judiciaire veut établir un niveau de certitude garantissant la sérénité des débats d’Assises, en particulier sur la question de l’aliénation mentale dont on sait qu’elle sera soulevée par la défense. Pour cela, les magistrats approfondissent les hypothèses concurrentes à la folie : la colère et l’ivresse. « Est-il d’un caractère violent ? Est-il intempérant et s’enivre-t-il souvent ? Quand il a bu est-il querelleur et redouté ? Le 21 février, avant de commettre le crime, était-il ivre ? Où et avec qui avait-il bu ? La veille s’était-il enivré et avec qui ? »83. Il s’agit de tracer le caractère, le comportement, la réputation de Durand. Mais dans cette enquête, les magistrats se heurtent à l’opacité de la communauté villageoise.

  • 84 Chauvaud (2000).
  • 85 DP. Jaunais, officier de santé.

40L’expertise médico-légale offre à la justice un instrument plus efficace, précisément parce qu’elle propose un avis indépendant et connaît au XIXe siècle un important développement84. Comme dans les autres affaires de la même époque, la présence médicale est forte tout au long de l’instruction : Théodore Durand a ainsi été visité par quatre médecins au moins. Parmi ceux-ci, seul François Jaunais, l’officier de santé qui l’a soigné immédiatement après le crime, pointe les symptômes de l’aliénation mentale en une analyse qui, si elle insiste davantage sur la physionomie, diffère peu de celle des témoins : « un bouleversement complet dans les idées, l’œil tellement fixe qu’il pouvait considérer pendant un laps de temps assez considérable un objet sans le moindre clignotement des paupières, la coloration assez prononcée de la face et son poulx […]. Il parlait ainsi quelquefois avec une loquacité exubérante et d’autres fois il restait sombre et rêveur »85.

  • 86 DP. François Hirou, docteur médecin.
  • 87 DP. certificat du Dr. Hardy, 9 avril.

41Ceux qui l’examinent ensuite, à la requête des magistrats, le considèrent tous comme sain d’esprit et ne fournissent donc pas de cause pathologique au comportement de Théodore. François Hirou, docteur médecin, l’a visité pour savoir si l’on pouvait le transporter à la prison de Vitré et affirme qu’il « jouissait de toutes ses facultés intellectuelles dans toute leur intégrité »86. Puis, le Docteur Hardy, médecin de la maison d’arrêt de Vitré, qui a « attentivement observé l’état mental du nommé Théodore Durand », estime qu’il « n’est atteint ni de manie, ni de démence, ni d’imbécillité »87.

  • 88 DP. Ordonnance de prise de corps, 16 avril.

42Au terme de l’instruction, le mystère reste entier : « on chercha inutilement le motif qui porta l’inculpé à maltraiter ainsi le malheureux Anderoie »88, conclut la Chambre du conseil. Les preuves de démence sont bien minces, réduites aux signes d’une brève folie rapportés par des témoins et à la déposition d’un médecin. Le geste criminel reste une inexplicable mise hors de soi dont les traces ont disparu et dont les prolongements possibles restent dans l’ombre.

  • 89 Idem.
  • 90 Réquisitoire du Parquet, 28 avril.

43La procédure judiciaire concernant l’irresponsabilité des déments est alors peu fixée. L’examen de la pratique judiciaire montre ainsi dans les années 1820-1830 une juxtaposition de décisions hétérogènes : verdicts d’acquittement, d’absolution, simples renvois indéfinis ou non-lieux à suivre ordonnés soit par la Chambre du conseil soit par la Chambre des mises en accusation. C’est cette dernière forme qui paraît alors en voie de s’imposer. Face à l’ensemble des éléments qui constituent le dossier, les magistrats tergiversent. Ils décident, dans un premier temps, qu’ils ne peuvent « rendre à la société un homme aussi dangereux »89. Le Parquet considère au contraire dans son réquisitoire que l’article 64 est applicable, puisqu’il concerne l’état de démence au temps de l’action et que l’instruction établit « l’accès de folie furieuse »90. Mais finalement, l’acte d’accusation insiste sur le caractère sombre de Durand, sur son habitude à s’enivrer et sur les avis médicaux. Il sera donc jugé aux Assises.

Non coupable

  • 91 Gazette des Tribunaux, 3 juin 1835.

44C’est au jury que l’on remet la tâche de trancher cette délicate question. Si les débats qui précèdent l’acquittement échappent en grande partie à l’historien, nous savons par la Gazette des Tribunaux que l’intervention d’un médecin, appelé par le président de la Cour d’assises en vertu de son pouvoir discrétionnaire, a été décisive. Le Docteur Pinault, professeur de chirurgie, « a déclaré qu’il lui semblait indubitable que du 19 au 22 février Durand a été atteint d’une aliénation mentale qui lui a laissé peu de moments lucides et que si, depuis, il n’a point donné d’autres signes de folie, c’est le résultat de la saignée qui lui fut faite le 22 au matin. […]. Après cette déposition si positive de l’homme de l’art, peu de choses restait à faire à la défense »91. Les affaires contemporaines que nous avons abordées attestent la même tendance : Janvier, Grosdoigt, Mérillon, Bourgneuf et Péchot sont acquittés conformément à l’avis d’un médecin présent à l’audience. Elles témoignent, en ce qui concerne la Cour d’assises de Rennes, du poids de l’avis médical autant que de l’apaisement des relations entre les médecins et des magistrats qui montrent une grande maîtrise des débats. Cette intervention médicale apparaît cependant largement comme une caution scientifique suscitée a posteriori par le président de la Cour d’assises. D’autant que, ne fournissant pas de véritable explication médicale au crime – il s’en tient au diagnostic vague d’aliénation mentale –, la déclaration du Docteur Pinault, si elle fait pencher la balance dans le sens de l’irresponsabilité, ne parvient pas à réconcilier l’acte inexplicable et son auteur perçu comme une personne normale.

  • 92 Archives Nationales, BB 2083, rapports des présidents d’Assises.

45Le consensus paraît avoir été grand autour de cette décision, au point que le président des Assises regrette dans son rapport « que ni la Chambre du conseil du tribunal, ni la Chambre d’accusation de cette Cour n’aient cru devoir ordonner la mise en liberté de cet individu. […] Suivant moi, écrit-il, l’état de démence de Théodore Durand résultait suffisamment de l’instruction »92. Ce consensus ne porte pas exactement sur la nature de la folie : il s’agit, pour le docteur Pinault d’une aliénation mentale, pour d’autres d’une crise de fureur, tandis que les anciennes explications demeurent présentes aux esprits rustiques. Mais tous s’accordent à penser que Théodore Durand n’est pas responsable d’un acte qu’il n’a pu vouloir librement au moment où il est littéralement et brutalement pris par la fureur.

  • 93 AD. Ille-et-Vilaine, 3 U 4 20, jugement du 21 décembre 1835. Précisons que Mérillon a tué sa femme (...)

46Reste à savoir ce qu’il est advenu de cet accusé acquitté. On ignore si Durand fut interdit, les archives sont lacunaires sur ce point. Mais en revanche, le cas Mérillon jugé par le tribunal civil de Rennes quelques mois plus tard, nous permet de penser qu’il ne le fut pas. Le tribunal civil renonce à prononcer l’interdiction judiciaire réclamée par le procureur du roi, parce qu’ » il n’est articulé aucun acte de la vie antérieure du sieur Mérillon, il ne lui est attribué aucun acte depuis son absolution qui puisse conduire à penser que l’imbécillité, la démence ou la fureur ait jamais été et surtout soit aujourd’hui son état habituel »93, ce que réclame l’article 489 du Code civil régissant l’interdiction. Le crime est annulé, la démence a disparu. L’accusé acquitté, ni criminel ni fou, est donc purement et simplement libéré.

Conclusion

47Ce qui frappe dans ce dossier, c’est à la fois la fragilité de la preuve de la folie et la relative indifférence face à la dangerosité potentielle de l’accusé. On accepte l’idée d’une perte de conscience momentanée débouchant ponctuellement sur un acte violent qui échappe à la volonté du sujet. Entre 1830 et 1838, la Cour d’assises de Rennes entérine donc l’hypothèse esquirolienne d’une fureur ponctuelle enlevant au malade sa responsabilité pénale et, conformément aux principes doctrinaux en vigueur, elle acquitte les accusés. Il ne faudrait cependant pas comprendre cette décision comme le simple résultat d’une pénétration des idées médicales qui s’imposeraient à un public de plus en plus nombreux. Même si l’avis médical concernant la possibilité d’une telle pathologie pèse fortement sur la décision des jurés, c’est ici plutôt une combinaison de points de vue aux logiques différentes qui rend possible le verdict. L’assentiment de la communauté villageoise qui ne veut pas se séparer de Durand puisque son comportement social n’est pas mis en cause nous paraît ainsi crucial, de même que l’opinion des magistrats prêts à accepter l’idée d’un délire ponctuel.

48Sur ce point, la position des médecins est de peu de recours. Ils ne proposent, ni pendant l’instruction, ni pendant le procès, d’explication permettant de réconcilier l’homme social et le geste furieux dont l’auteur ne serait pas véritablement le sujet. La nécessité d’une telle explication ne paraît d’ailleurs pas s’imposer aux contemporains. De même que l’on accepte l’idée d’un symptôme unique d’aliénation mentale, on admet celle d’un moment isolé d’aliénation. Mais cette discontinuité que les médecins ne parviennent pas à réduire rend problématique la double décision judiciaire qui considère Théodore Durand à la fois comme irresponsable pénalement et, civilement, comme un sujet de droit doté de sa pleine capacité juridique.

  • 94 Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1835, 14, pp. 426-431. Le Dr. Toulmouche est méde (...)
  • 95 Idem.

49C’est seulement après le jugement qu’un médecin plus averti se penche sur ce cas et propose une solution. Le docteur Toulmouche décèle la maladie mentale dont est atteint Durand : « Les symptômes développés chez Théodore ne sont autres que des hallucinations accompagnées de fureur. […] Ils constituent un des états que l’on est convenu de désigner sous le nom de manie »94. Il rétablit ainsi, par son diagnostic, la continuité entre l’état habituel de l’accusé et l’accès de fureur qui constitue la phase de crise de la maladie, et surtout, – il est le premier – il donne à cet accès une origine : « Un dérangement fonctionnel, en lui-même peu grave, a pu donner lieu au bouleversement de l’intelligence de Théodore, savoir un battement anormal des artères carotides à leur passage à travers le canal creusé dans le rocher »95. Cette nouvelle cohérence médicale, qui place dans le corps l’origine des troubles de l’âme, pourra justifier l’internement des malades, indépendamment de la question de la capacité civile, tandis que les asiles se chargeront explicitement de la sécurité publique.

  • 96 La loi des 16-24 août 1790 charge l’autorité administrative « du soin d’obvier ou de remédier aux é (...)
  • 97 Voir note 99.
  • 98 Circulaire du ministère de la Justice du 26 avril 1826 : « Le ministère public peut et doit toujour (...)
  • 99 Très précisément décrite par les travaux de Castel (1976) et Quetel (1988).
  • 100 Loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, article 18 : à Paris, le préfet de police, et dans les départe (...)

50Il convient ici de revenir sur la question de la dangerosité qui fait l’objet, au même moment, d’une active recomposition. Au cours du premier XIXe siècle, la justice se voit progressivement dessaisie du problème de la dangerosité des fous, même si l’internement des aliénés menaçant la sécurité publique reste soumis à l’interdiction judiciaire96. Cependant, depuis la « crise » de la monomanie homicide, on voit se développer l’inquiétude à l’égard des aliénés criminels dont le danger est évoqué dans les dossiers de procédure à partir des années 183097. L’interdiction, dont la nécessité est dans un premier temps réaffirmée pour ceux qui se font de « la démence ou de l’imbécillité un moyen justificatif »98, ne permet pas cependant de faire face aux explosions immotivées de violence. L’impasse dans laquelle se trouve l’institution judiciaire dans les années 1830, et dont profite Théodore Durand, donne tout son sens à la loi de 183899 sur les aliénés qui confie la gestion des fous dangereux à l’autorité administrative et aux médecins des asiles100.

  • 101 Louis Joseph Ortolan donne la formulation juridique la plus explicite de cette position distinguant (...)

51La stricte séparation entre folie et criminalité, réclamée à la fois par les juristes et par les aliénistes, trouve après 1838 une traduction institutionnelle qui offre à la justice de nouvelles solutions de procédure, éclairant également la fin du cycle favorable à la fureur aux Assises. C’est le non-lieu à poursuivre qui, semble-t-il, constitue la solution privilégiée. Les archives des non-lieux sont malheureusement trop lacunaires pour pouvoir mesurer rigoureusement cette évolution. Les rares dossiers que nous avons pu retrouver, ainsi que les articles de la Gazette des Tribunaux qui laissent une place croissante à ces accès de folie furieuse meurtrière débouchant sur de simples internements administratifs, montrent néanmoins que le traitement des confins du trouble du comportement et de la maladie mentale échappe largement aux Assises qui n’ont pas vocation à discuter l’épineuse question de la responsabilité morale des accusés101.

  • 102 Cf. Demartini (2001).
  • 103 Cf. Foucault (1973).
  • 104 A.D. Ille-et-Vilaine, 2 U 707, Gallais, 1838, lettre du parquet au procureur du roi, 5 nov. 1838.

52La pratique judiciaire s’en ressent. L’analyse des dossiers de procédure permet en effet d’établir une mutation de la description des accusés « souponnés » de folie, probablement liée également au tournant répressif de l’année 1836 marquée par l’exécution de Lacenaire102, du régicide Fieschi et par le procès de Pierre Rivière103. Quand elles parviennent devant les jurés, les violences immotivées sont après 1838 assimilées, non plus à la fureur qui déresponsabiliserait, mais à l’ancienne perversité, l’amour du mal, et sont en quelque sorte criminalisées. Les accusés, « plus méchants que fous »104, sont alors sévèrement punis. L’ancien concept de fureur, resurgi au début des années 1830, peut alors tomber en désuétude.

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Notes

1 La question de la responsabilité constitue d’abord un chapitre d’ouvrages doctrinaux généraux (Chauveau, Hélie, 1837), avant de faire l’objet d’ouvrages entiers (Lévy-Bruhl, 1884).

2 Cf. Lascoumes, Poncela, Lenoël, (1989); Guignard (2005).

3 Foucault (1999, p. 106).

4 Gauchet (1980, p. x).

5 Notamment par les travaux de Foucault (1999), Postel (1990), Pedron (1984), Swain (1997), Castel (1976) et plus récemment Renneville (2003).

6 Cf. Pedron (1984).

7 Cf. Chauvaud (2000). Voir également Guignard (2001).

8 Par exemple Faustin Hélie et Adolphe Chauveau consacrent près de quarante pages à la définition de la démence pour conclure que «  par démence, on doit entendre, puisque aucun texte n’en a restreint le sens, toutes les maladies de l’intelligence, l’idiotisme et la démence, la manie délirante et la manie sans délire même partielle. Toutes les variétés de l’affection mentale, quelles que soient les dénominations que leur applique la science, quelque classification qu’elles aient reçue, […] pourvu que leur influence sur sa perpétration puisse être présumée. C’est à ces termes que se résume à nos yeux la véritable théorie de l’art. 64 » (1837, vol II, p. 244).

9 Pedron (1984).

10 De façon générale, si l’histoire des sciences du crime s’est développée depuis une quinzaine d’années, notamment sous l’impulsion de Martine Kaluszynski, Frédéric Chauvaud et Marc Renneville, elle a souvent, paradoxalement, laissé de côté l’histoire du droit et plus encore de la pratique judiciaire.

11 Foucault (1999, p. 125).

12 Gauchet (1980,p. x). Sur la fureur, voir les travaux de Foucault (1972) et Starobinski (1974).

13 Cf. Mucchielli (1994); Debuyst, Digneffe, Pires (1998); Tulkens, Digneffe (1981).

14 Code civil. Article 489 : Le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, démence ou de fureur doit être interdit, même lorsque cet état présente des intervalles lucides.Article 491 : Dans le cas de fureur, si l’interdiction n’est provoquée ni par l’époux ni par les parents, elle doit l’être par le procureur du roi, qui, dans les cas d’imbécillité ou de démence, peut aussi la provoquer contre un individu qui n’a ni époux, ni épouse, ni parent connus.

15 Encore en 1867, Achille François Le Sellyer définit la démence comme « comprenant non seulement la démence proprement dite, c’est-à-dire le dérangement des organes, mais encore, par identité de motifs, l’imbécillité, c’est-à-dire la faiblesse des organes, et, a fortiori, la fureur, c’est-à-dire la démence portée à l’excès, et produisant des actes dangereux pour le furieux lui-même et pour les personnes qui l’approchent ».

16 Adelon, Alard, Alibert (dir.) (1812-1822, Article « Fureur »).

17 L’année 1836, avec onze acquittements, constitue la plus fastueuse de la période 1826-1865. Compte de l’administration de la justice criminelle en France pendant l’année 1835 présenté au Roi par le garde des Sceaux, ministre secrétaire d’État au département de la justice et des cultes, Paris, octobre 1837.

18 Loin des turbulences théoriques de la capitale dont pâtit la cour de Versailles, elle dispose en outre de belles archives judiciaires.

19 Archives Départementales (plus loin A. D.) Ille-et-Vilaine, 2 U 707. Lettre du Dr. Toulmouche. Le rapport mérite d’être plus longuement cité : « Il était d’une voracité peu commune, d’une malpropreté habituelle, urinant chaque nuit dans son lit, malgré les menaces et les punitions. Il était en outre méchant et rusé. En un mot, on remarquait chez lui une prédominance prononcée des appétits brutaux et l’ensemble des vices qu’on observe si souvent chez les personnes abruties ou à demi idiotes, par suite de l’évolution incomplète de quelques parties de l’organe qui préside aux actes de l’intelligence. Je pense donc que Gallais ne peut être regardé comme réunissant les conditions d’un individu capable de juger sainement les conséquences des déterminations violentes auxquelles il peut être entraîné par suite de l’imperfection de son organisation cérébrale qui doit rendre pour lui beaucoup plus difficile toute lutte contre la prédominance des impulsions instinctives ou passionnelles. 25 octobre 1838. Toulmouche ».

20 L’argument invoqué en un tel cas par les magistrats sera, non la liberté de volonté de l’accusé mais sa capacité à distinguer le bien du mal.

21 Archives Nationales (plus loin A. N.) BB 20 83, rapports des présidents d’assises.

22 Gazette des Tribunaux, 3 juin 1835.

23 Toulmouche, 1835.

24 A.D. Ille-et-Vilaine, 2 U 4 282, Dossier de procédure, Durand Théodore, 1835. Procès-verbal de la gendarmerie de Domalain, 24 février 1835. Les gendarmes rapportent les propos de la fille François Nouaille, domestique du Sr. Julien Anderoie (la victime), fermier à La Touche d’Anjou en Bais.Les références au dossier de procédure du procès Théodore Durand figureront ci-dessous sous une forme plus simple : DP.

25 DP. Françoise Monail, domestique.

26 DP. Procès-verbal de la gendarmerie de Domalain, 24 février 1835.

27 DP. Interrogatoire de Durand.

28 Artières, Kalifa (2001, p. 240).

29 DP. Julien Anderoie.

30 Favret-Saada (1977, p. 27).

31 Laharie (1991, en particulier p. 153).

32 DP. Pauline Mahé.

33 DP. Emmanuel Frin, domestique meunier.

34 DP. Pauline Mahé.

35 DP. Jean-Marie Thiriot, laboureur et tisserand.

36 DP. Haultin, sacristain.

37 DP. Jean-Marie Voiton, garçon meunier.

38 Cf. Rigoli (2001).

39 Jean-Jacques Yvorel a montré que la pyromanie était pour les médecins « un meilleur cheval de bataille quand il s’agit d’arracher à la guillotine » que la monomanie homicide (1996, p. 10).

40 DP. Jaunais, officier de santé.

41 DP. Pauline Mahé.

42 Un témoin le qualifie même de libertin.

43 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil.

44 DP. Julienne Jamier femme du sieur Pierre Bourdin.

45 DP. Jean-Marie Étienne, laboureur.

46 DP. Haultin, sacristain.

47 DP. Jean-Marie Voiton, garçon meunier.

48 C’est le cas des accusés acquittés en raison de leur état de fureur par la Cour d’Assises de Rennes dans les années 1830.

49 Rigoli (2001), Postel, Quetel (1994). De facon générale, il ne faut pas chercher d’opposition systématique entre positions médicales et positions populaires. Ainsi, cette conception ancienne de la folie n’est-elle pas en rupture avec les textes des médecins du XIXe siècle, ni avec les études traditionnelles de médecine légale, comme celle de Mahon (1801) qui insiste sur le dérangement de la parole et du comportement, ou celle de Belloc (1800) qui souligne le changement brutal de caractère du dément, ni même avec celle plus novatrice d’Esquirol qui évoque la « perversion des affections morales » du furieux (1805, p. 25).

50 DP. Durand.

51 Et citations précédentes, idem.

52 Idem.

53 Idem.

54 Idem.

55 Idem.

56 DP. Ordonnance de prise de corps, 16 avril.

57 Toulmouche, 1835. Il y voit une réponse édifiante à ceux qui pensent que les « conseils de la religion » peuvent détourner les aliénés du crime.

58 DP. Jean Chumier, curé.

59 DP. Haultin, sacristain.

60 DP. Julien Jamin, 41 ans, officier de santé et adjoint au maire.

61 Il est « maintenu de force au lit ». DP. F. J. M. Hirou, docteur médecin.

62 DP. Pauline Mahé.

63 DP. François Jaunais, officier de santé.

64 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil.

65 DP. Durand.

66 DP. François Jaunais, officier de santé.

67 Léonard (1978).

68 DP. Procès-verbal de gendarmerie de Domalain, 24 février 1835.

69 Fabre (1991, p. 108).

70 DP. Mélaine Roussel, marchand de fil relatant un échange entre M. Jaunais, chirurgien et Théodore Durand.

71 Sur cette question du règlement infrajudiciaire des conflits, cf. Garnot (1996); Ploux (1992).

72 Farcy (1996).

73 Garnot (1996b).

74 DP. Sébastien Hunant, notaire.

75 Idem.

76 DP. Jean-Marie Thiriot, laboureur et tisserand. Sur la question de la cruauté envers les animaux voir Fabre (1991).

77 DP. Julien Jamin, officier de santé.

78 Idem.

79 DP. Julienne Jamier.

80 DP. Pierre Bourdin, laboureur.

81 DP. Julien Jamin, officier de santé.

82 DP. Lettre du maire de Bais envoyée directement au procureur du roi.

83 DP. Réquisitoire à fin d’audition de témoin, 4 mars.

84 Chauvaud (2000).

85 DP. Jaunais, officier de santé.

86 DP. François Hirou, docteur médecin.

87 DP. certificat du Dr. Hardy, 9 avril.

88 DP. Ordonnance de prise de corps, 16 avril.

89 Idem.

90 Réquisitoire du Parquet, 28 avril.

91 Gazette des Tribunaux, 3 juin 1835.

92 Archives Nationales, BB 2083, rapports des présidents d’Assises.

93 AD. Ille-et-Vilaine, 3 U 4 20, jugement du 21 décembre 1835. Précisons que Mérillon a tué sa femme et a été acquitté de cette accusation (DP. 2 U 4 684). Le rapport du président d’Assises éclaire la procédure d’interdiction, et son échec : « On se propose de faire interdire Mérillon comme un homme dangereux, mais il est à craindre que si on l’a trouvé trop fou pour le condamner, on ne le trouve pas assez pour le faire interdire, car il est revenu à son état naturel » (AN. BB 20 83).

94 Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1835, 14, pp. 426-431. Le Dr. Toulmouche est médecin de la maison d’arrêt de Rennes.

95 Idem.

96 La loi des 16-24 août 1790 charge l’autorité administrative « du soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté ». L’internement des aliénés reste cependant soumise à l’interdiction judiciaire comme le précise la circulaire du ministre de l’Intérieur Portalis du 17 septembre 1804 : « les aliénés ne peuvent être détenus qu’en vertu d’un jugement des tribunaux ». Cité par Quetel (1988).

97 Voir note 99.

98 Circulaire du ministère de la Justice du 26 avril 1826 : « Le ministère public peut et doit toujours poursuivre l’interdiction d’un accusé qui se fait de la démence ou de l’imbécillité un moyen justificatif ». Cité par Gillet (1840).

99 Très précisément décrite par les travaux de Castel (1976) et Quetel (1988).

100 Loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, article 18 : à Paris, le préfet de police, et dans les départements le préfet, ordonneront d’office le placement dans un établissement d’aliénés, de toute personne, interdite ou non interdite, dont l’état d’aliénation compromettrait l’ordre public ou la sûreté des personnes. Sur ces questions, cf. Quetel (1988); Castel (1976).

101 Louis Joseph Ortolan donne la formulation juridique la plus explicite de cette position distinguant la mesure de la culpabilité qui relève des Assises et la mesure de la responsabilité qui doit intervenir en amont du procès. Ortolan (1856).

102 Cf. Demartini (2001).

103 Cf. Foucault (1973).

104 A.D. Ille-et-Vilaine, 2 U 707, Gallais, 1838, lettre du parquet au procureur du roi, 5 nov. 1838.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Guignard, « Aliénation mentale, irresponsabilité pénale et dangerosité sociale face à la justice du XIXe siècle. Étude d’un cas de fureur »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 10, n°2 | 2006, 83-100.

Référence électronique

Laurence Guignard, « Aliénation mentale, irresponsabilité pénale et dangerosité sociale face à la justice du XIXe siècle. Étude d’un cas de fureur »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 10, n°2 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 23 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/chs/219 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chs.219

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Auteur

Laurence Guignard

Laurence Guignard, 13, rue des Tanneries, F-75013 Paris, guignard-l@wanadoo.fr
Laurence Guignard termine une thèse de doctorat, Juger la folie. L’institution judiciaire et la folie des criminels (1791-1865), sous la direction d’Alain Corbin, à l’Université de Paris I. Elle a publié : « Les supplices publics à Paris au xixe siècle : l’abstraction du corps », Le corps violenté, du geste à la parole, Droz, Genève, 1998; « L’expertise médico-légale de la folie dans la première moitié du xixe siècle », Le mouvement social, Paris, octobre-décembre 2001; « L’irresponsabilité pénale dans la première moitié du xixe siècle, entre classicisme et défense sociale », Champ pénal, Responsabilité / Irresponsabilité pénale mis en ligne le 17 juillet 2005. URL : http ://champpenal.revues.org/document 368.html.

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