Le racisme : tolérance zéro en entreprise !

Note sous Cass, chambre sociale, 3 décembre 2014 n°13-22343, réalisée par Lolita Guilbert, sous la direction de Céline Leborgne- Ingelaere, Maitre de conférences à l’université Lille 2 CRDP-LEREDS.

Dans un arrêt rendu le 3 décembre 2014, la chambre sociale de la Cour de Cassation considère que les propos à connotation raciste tenus par les salariés dans les locaux de l’entreprise sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible de maintien du salarié dans l’entreprise peu importe la nature isolé du fait fautif.

En l’espèce, une salariée transmet un mail à la Directrice des Ressources Humaines de l’entreprise pour lui rapporter les propos racistes prononcés par deux de ses collègues à l’égard du personnel prestataire de service. Il y est fait état que lorsque deux personnes de couleur sont entrées dans leur bureau pour laver les vitres, les deux salariées ont tenu les propos suivant : « tu as vu, il y a des singes dans le bureau en train de nettoyer les vitres ». Plus encore, les deux salariées envisageaient même de leur « balancer des bananes ». Ces propos ont été entendus par plusieurs personnes dans les bureaux mitoyens, et trois attestations ont été rédigées pour témoigner du comportement de ces deux salariées à l’égard du personnel prestataire de service. Il semble que la version des intéressées délivrée lors de l’entretien préalable était divergente et peu convaincante. L’employeur procède alors à leur licenciement pour faute grave. Les salariées considérées comme étant auteurs de propos racistes, contestent ce licenciement mais sont déboutées en première instance. Les salariées interjettent appel de la décision.

La Cour d’appel de Paris, dans une décision du 4 juin 2013, considère que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où, même si ce comportement « détestable » méritait une sanction, l’employeur a pris une mesure précipitée en décidant de la sanction majeure de la perte d’emploi, se dispensant de confronter contradictoirement les intéressées et les témoins pour clarifier la position des uns et des autres, obtenir des excuses, et permettre une poursuite des relations de travail exempte de tout propos raciste. Elle expose que le caractère « habituellement raciste » de la requérante n’est pas prouvé dans le mail, qu’il s’agissait d’une salariée d’une grande ancienneté et enfin que vu le caractère isolé des faits reprochés, « la sanction majeure de perte d’emploi apparait disproportionnée ». L’employeur forme alors un pourvoi en cassation pour contester ce jugement.

A cette décision, la Cour de cassation répond que «  même lorsqu’ils représentent un caractère isolé, des propos, insultes ou injures à caractère raciste proférés sur son lieu de travail par un salarié ont pour effet de porter gravement atteinte à la dignité humaine de la personne visée et à l’image de l’entreprise […] qu’ils ont le caractère d’une faute grave justifiant qu’il soit mis fin immédiatement à la relation de travail ». Elle poursuit en déclarant que « ni l’ancienneté, ni le caractère isolé des faits reprochés ne sont de nature à disqualifier la faute ». Puis, elle vient apprécier les éléments de fait en établissant plusieurs constatations. Elle constate que les propos racistes étaient démontrés par des témoignages de plusieurs membres du personnel. Ensuite, elle constate que les explications fournies lors de l’entretien préalable n’étaient pas convaincantes, puis que les salariées, lors de l’entretien préalable n’avaient exprimé aucun regret ni aucune excuse, en continuant de nier les faits. Au regard de tous ces éléments, selon la Cour de cassation, aucun doute ne subsistait quant aux propos tenus et à l’attitude des salariées, qui ne pouvaient permettre d’envisager des excuses. Toute « confrontation contradictoire » était dès lors inutile. Elle conclut en affirmant que la procédure de licenciement avait bien été observée dans toutes ses étapes, que la confrontation mentionnée par la Cour d’appel avait bien eu lieu lors de l’entretien préalable entre l’employeur et les salariées. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.

D’après la jurisprudence, « constitue une faute grave tout fait imputable au salarié constituant une violation des obligations découlant de son contrat de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’employé dans l’entreprise pendant la durée du préavis théorique »1. Il est à noter que la que la référence au maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis théorique a été supprimée. La nouvelle définition de la faute grave est donc la suivante : «la faute grave celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Cette nouvelle définition a notamment été rappelée dans un arrêt très récent du 10 février 20152. Dans le cadre d’une telle faute, la gravité du ou des faits oblige l’employeur à se séparer immédiatement du salarié sous peine d’entraver le bon fonctionnement de l’entreprise.

En général, concernant l’appréciation de la faute grave, nombre d’éléments sont pris en compte à l’instar de la nature de la faute, le fait qu’elle soit isolée ou répétée, la nature des fonctions du salarié et sa place dans la hiérarchie, son ancienneté dans l’entreprise, son passé dans l’entreprise et en particulier s’il a déjà eu des comportements analogues ou tout du moins des comportements répréhensibles.

On peut constater en l’espèce que c’est ce qu’a essayé de faire la Cour d’appel. En effet, elle affirme qu’étant donné l’ancienneté des salariées, l’absence de reproches à leur encontre durant leur carrière, et en prenant en considération le fait que ce soit un acte unique, la sanction de la perte d’emploi était disproportionnée.

Dans notre espèce, l’argumentation de la Cour d’appel parait alors justifiée. En effet, les allégations contre les deux salariées émanent d’autres salariés, par le biais d’attestations. Ce ne sont même pas les victimes elles-mêmes qui ont souhaité en faire part à l’employeur mais bien des personnes qui ont été témoins des agissements. Peut-être que les victimes elles-mêmes ne se sont pas senties offensées par les propos, ou du moins pas assez pour rapporter les faits à l’employeur ? En réalité, elles n’ont établi des attestations que tardivement, pour les joindre à celles des salariés qui s’étaient plaints auprès de ce dernier. De plus, dans la plupart des arrêts de la Cour de cassation, les juges font mention « d’antécédents disciplinaires », de « manquement réitéré tout au long de la relation contractuelle », mais rares sont les sanctions aussi radicales concernant des salariés avec une grande ancienneté, pour un « fait isolé ». Pour finir, il n’y a pas eu de confrontation entre les deux salariées et les témoins. Par conséquent, selon la Cour d’appel, les propos et positions des différentes parties au litige n’étaient pas claires, ce qui ne permettait pas à l’employeur de sanctionner les salariées par une faute grave.

Cependant, la Cour de cassation à elle adopté une politique beaucoup plus stricte et a analysé les éléments d’une manière totalement opposée. La décision de la Cour de cassation peut se comprendre au vu du contexte récent, notamment dans le cadre de l’affaire qui opposait la ministre Christiane Taubira et une élue front national. Dans cette affaire, l’élue Front national avait comparé Christiane Taubira à un singe, et avait écopé de 9 mois de prison ferme et de 50 000€ d’amende par un jugement du Tribunal de Grande Instance de Cayenne en date du 15 juillet 2014.

La différence dans notre cas d’espèce est que les propos ont été prononcés dans le cadre professionnel. Rappelons que dans l’entreprise, la liberté d’expression des salariés est le principe. Toutefois, cette liberté peut être restreinte conformément à l’article L1121-1 du code du travail. Cet article dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Un arrêt du 14 décembre 1999 nous confirme également que « sauf abus, le salarié jouit hors et dans l’entreprise de sa liberté d’expression qu’il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché»3. Cette liberté d’expression est une liberté fondamentale. La Cour Européenne des droits de l’Homme est même venue ajouter que cette liberté d’expression protège également les idées qui choquent et qui inquiètent4. Les conditions pour pouvoir sanctionner un salarié pour les paroles qu’il a prononcé peuvent donc se diviser en deux hypothèses. Soit il y a un abus caractérisé par une injure, une diffamation, ou une atteinte à la réputation. Dans ce cas, les paroles prononcées sortent du cadre de la liberté d’expression et peuvent être sanctionnées5. Soit, l’abus n’est pas forcément caractérisé par l’injure ou la diffamation mais la restriction est justifiée à la fois par la nature de la tâche à accomplir mais également par le but recherché. Par exemple, dans l’arrêt du 8 décembre 2009 Dassault Système ((Ccass, soc, 8 décembre 2009, 08/17191 Dassault système)), la liberté d’expression d’un salarié a pu être restreinte pour éviter la divulgation d’informations confidentielles par le salarié auprès d’un tiers.

En notre espèce, les propos racistes employés par les deux salariées constituaient nécessairement une injure à l’égard des deux laveurs de vitre. Au-delà, ces injures, même prononcées dans un cadre privé, ont été entendues par les personnes visées et par d’autres collègues. La Cour de cassation a donc ici considéré que les salariées avaient fait un usage abusif de leur liberté d’expression, et que cet usage abusif constituait une faute grave, justifiant la rupture de leur contrat de travail.

Le racisme sous toutes ses formes est une problématique récurrente, combattue de front par la société.

Au-delà de cette politique « anti-racisme », il y a tout de même un autre aspect à relever ; l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.

En effet, l’employeur est responsable de la santé physique et psychique de ses salariés. Cette obligation est posée à l’article L4121-1 du code du travail qui dispose que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment par la prévention des risques professionnels […]. Par conséquent, il doit agir à la fois en amont et en aval de tout événement qui pourrait mettre en péril leur santé. On peut penser que cette atteinte à la dignité de ses salariés, pourrait entrainer chez eux des conséquences sur leur bien être dans l’entreprise et sur leur santé. Sa responsabilité serait de facto, engagée pour manquement à son obligation de sécurité, qui est, depuis les célèbres arrêts Amiante de 20026, une obligation de sécurité de résultat. L’obligation de sécurité de résultat imputable à l’employeur signifie que dès lors qu’un salarié subit un dommage, qu’il soit physique ou mental, la responsabilité de l’employeur est nécessairement engagée.

Si les salariées avaient réitéré leurs propos racistes en présence des personnes de couleurs, leurs agissements auraient pu constituer un harcèlement moral, puisque selon l’article L1152-1 du code du travail « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Enfin, la Cour vient préciser que la confrontation entre les victimes et les salariés auteurs des propos litigieux n’était pas nécessaire, les seules explications fournies dans le cadre de l’entretien préalable constituant une confrontation contradictoire.

Il convient tout de même de s’interroger, en prenant en considération les termes employés par la Cour de Cassation, sur l’issue de ce litige si les deux salariées avaient reconnu les faits et s’étaient excusées. En effet, elle indique qu’« aucune des deux salariées n’ayant au cours de l’entretien préalable exprimé aucun regret ni formulé d’excuses et ayant persisté à prétendre que les propos en cause ne s’adressaient pas aux laveurs de vitres […] ». On voit que la Cour de cassation essaye d’obtenir la réparation la plus juste possible pour les salariés victimes. Dans ce cadre, elle considère que l’attitude des salariées était néfaste et qu’en conséquence, les salariés victimes méritaient une meilleure réparation que des excuses, de la part de personnes qui n’avaient pas l’air de regretter leurs paroles, en se contentant de les nier.

La Cour de cassation n’a fait que constater les circonstances pour être convaincue de la réalité des propos, et dès lors que leur réalité a été établie, elle n’a pas recherché les conséquences de cette faute sur la société ou les salariés eux-mêmes, alors même que la Cour d’appel elle, sans contester la réalité des faits, s’est bornée à constater les conséquences disproportionnées des licenciements prononcés.

Cette décision s’inscrit dans une politique stricte à l’égard de toute forme de racisme en entreprise. L’employeur doit rester vigilant pour prévenir et sanctionner tout comportement raciste.

Lolita Guilbert
Master 2 Droit de la santé en milieu de travail

  1. Ccass, soc, 3 décembre 2014 n° 13/19888 []
  2. Ccass, soc, 10 février 2015 n°14/02608 []
  3. Ccass, soc, 14 décembre 1999 n°97/41995 []
  4. CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, n°39293/98 []
  5. Ccass, soc, 4 février 1997, n°96/40678, (campagne de dénigrement menée contre l’employeur []
  6. Ccass, soc, 28 février 2002 n°00/11793 Amiante []

L’irrecevabilité des éléments apportés par un salarié destinés à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral peut dégénérer en abus

Note sous Cass., soc, 28 janvier 2015 n° 13-22378, réalisée par Romain Courbon, sous la direction de Céline Leborgne-Ingelaere, Maître de conférences à l’Université de Lille 2, CRDP-LEREDS.

Dans un arrêt de rejet du 28 janvier 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation dessine les contours des « éléments de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral » admis au titre de l’aménagement de la preuve énoncée par le législateur (1). A cette occasion, les juges de la Haute Cour précisent les cas dans lesquels, en plus de ne pas être suffisants pour laisser présumer un harcèlement, les faits invoqués peuvent dégénérer en abus, justifiant alors le licenciement disciplinaire pour faute grave du salarié, empreint de mauvaise foi (2). Si cette décision intervient dans un contexte jurisprudentiel foisonnant en matière de harcèlement, son intérêt réside dans la clarification d’interrogations plus ponctuelles mais qui n’en demeure pas moins essentielles, concernant l’établissement d’un tel comportement.

En l’espèce, une salariée engagée en tant qu’employée d’exploitation est licenciée pour faute grave pour avoir porté des accusations mensongères de harcèlement moral à l’encontre d’un supérieur hiérarchique. La Cour d’appel refusant de lui octroyer des dommages-intérêts, la salariée forme un pourvoi qui donne lieu à la décision présentement commentée.

L’insuffisance des éléments apportés par la salariée pour laisser présumer une situation de harcèlement moral

Suite à son licenciement, la salariée saisit notamment les juridictions de trois types de demandes : des dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour manquement de l’employeur à son obligation de protection contre les agissements répétés de harcèlement moral et pour manquement à son obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral, en se fondant sur la jurisprudence récente qui autorise que ces manquements, dès lors qu’ils sont établis, donnent lieu à indemnisation séparée (Cass., soc., 6 juin 2012 n°10-27694).

Aux termes de l’article L.1152-1 du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». La preuve d’un harcèlement pouvant être difficile à apporter, le législateur prévoit un aménagement de la charge de la preuve afin de faciliter sa caractérisation, à l’instar de celle retrouvée en matière de discrimination. Il incombe au salarié d’apporter seulement des éléments de faits, énonce l’article L.1154-1 du même Code. Ainsi, « le salarié n’est tenu que d’apporter des éléments qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral » (Cass., soc., 30 avril 2009 n°07-43219) dès lors que « la charge de la preuve ne pèse pas sur le salarié » (Cass., soc., 15 nov 2011 n°10-30463). L’employeur doit, lorsque le salarié établit les éléments laissant présumer un harcèlement, prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, selon une formule constante de la jurisprudence sociale. Encore faut-il qu’en amont les éléments de faits apportés permettent en eux-mêmes de présumer l’existence d’un tel harcèlement.

« des accusations formulées pour la plupart en termes généraux »

En l’espèce, aucune présomption n’a pu être établie. En effet, la jurisprudence exige d’établir une certaine matérialité des faits afin qu’ils puissent laisser présumer l’existence d’un harcèlement. Ainsi, les faits doivent être non seulement établis, mais aussi précis et concordants (Cass., soc., 15 nov 2011 n°10-10687), caractéristiques que ne remplissent pas de simples accusations, corroborées par aucun autre « élément de fait » et ne reposant sur aucun témoignage solide. Ainsi, la Cour de cassation a déjà rejeté le moyen d’un salarié invoquant des tracts critiques et une attestation d’un salarié intérimaire, constituant des « accusations générales […], ces seuls éléments ne suffisent à caractériser l’existence d’agissements répétées qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail » (Cass., soc , 9 juin 2010 n°09-40.544).

« le syndrome anxio-dépressif, en l’absence de constatations médicales antérieures au licenciement, était insuffisant à caractériser une situation de harcèlement moral et s’expliquait par des problèmes d’ordre personnel ».

La Haute cour a déjà reproché à une Cour d’appel d’avoir balayé l’argument de la dépression du salarié, dès lors qu’elle n’avait pas recherché, d’une part, si les autres faits allégués par la salariée étaient établis, notamment le retrait arbitraire de son statut de cadre, la stagnation de sa rémunération, la suppression de ses primes et la détérioration de ses conditions de travail et, d’autre part, si ces faits étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral (Cass. soc., 24 sept. 2008, no 06-45.579). En effet, si dans cette affaire, le malaise collectif des autres sages-femmes d’une clinique ne permettait pas, en soi, d’établir l’existence d’agissements répétés de harcèlement moral, paramètre vague, les juges auraient néanmoins dû s’intéresser aux autres éléments apportés.

Dans notre espèce, aucun élément matériel ne vient au secours de l’allégation du trouble anxio-dépressif qui comme tel, et en l’absence de constatations médicales, n’est pas doté d’autorité suffisante. Une telle allégation des troubles sans avis d’(in)aptitude du médecin du travail et/ou d’arrêt de travail du médecin traitant, ne peut suffire dès lors que ces déclarations sont dénuées de force matérielle qu’une autorité médicale aurait pu conférer. Dès lors, il aurait fallu a minima pour la salariée qu’un médecin constate son état antérieurement ou que son argumentaire soit corroboré par d’autres éléments. Une interprétation a contrario de l’arrêt nous permet d’observer que sur ce dernier point, l’arrêt du 28 janvier n’est qu’un rappel. En effet, la chambre sociale a déjà pu juger qu’est constitutive de harcèlement moral l’attitude de l’employeur qui provoque des répercussions sur la santé de la victime, telles qu’un état de dépression établi par certificat médical (Cass. crim., 14 mars 2005, no 05-84.191). Ainsi, l’exigence probatoire de l’article L.1154-1 du Code du travail n’est pas satisfaite.

Pour pouvoir se prévaloir d’une atteinte à sa dignité, un des motifs visé par le législateur comme constitutif du harcèlement moral et que la salariée a invoqué, il est nécessaire que cette dernière établisse des éléments présentant un degré de solidité suffisant, et qui font défaut dans la présente affaire. En l’espèce, l’argument du « trouble anxio-dépressif » venant s’ajouter aux accusations ne suffit pas, même en les constatant « ensemble ».

Conformément à une jurisprudence bien établie, ce sont bien les faits apportés par la victime qui, pris dans leur ensemble, permettent au juge de se prononcer sur l’existence ou non d’un harcèlement et le cas échéant, d’observer in concreto les répercussions réelles sur la victime (Cass., soc., 15 nov 2011 n°10-10687 précité). Ainsi, dans un arrêt rendu le même jour que celui commenté (Cass.,soc., 28 janv 2015 n°13-27361) , il est reproché à une Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la modification unilatérale des fonctions du salarié avec affectation à des tâches ne relevant pas de sa qualification, et si les faits de non-paiement de la prime de treizième mois et d’absence d’organisation d’une visite médicale de reprise ne laissaient pas présumer un harcèlement. Doit ainsi être cassé l’arrêt d’appel qui, pour refuser les demandes du salarié, considère que celui-ci présente uniquement des courriers de protestation qui ne sont étayés par aucun élément concret. Un minimum de fais matériels devant être présenté, la Cour de cassation ne peut ici que conclure en énonçant que les éléments apportés par la salariée « ne reposant, pour la grande majorité d’entre eux, sur aucun élément et dont elle s’est d’ailleurs avérée incapable de préciser la teneur, qu’il s’agisse des faits ou des propos dénoncés, s’en tenant à des accusations formulées pour la plupart en termes généraux », ne suffisent pas.

Depuis un arrêt en date du 24 septembre 2008 (pourvoi n°06-45579), la Haute juridiction contrôle désormais l’appréciation opérée par les juges du fonds des éléments laissant présumer un harcèlement, constituant une garantie pour le salarié. Mais, elle l’est tout autant pour les prétendus auteurs du harcèlement, comme en témoigne la décision commentée (Cass., soc, 28 janvier 2015 n° 13-22378), pour lesquels on sait que la jurisprudence de la chambre sociale n’exige plus de caractériser l’intention (Cass. soc., 13 juin 2012, n°11-11.181). En effet, un contrôle des éléments portant sur leur matérialité et leur véracité apparaît pleinement justifié, dès lors que les faits présentés par la salariée peuvent complexifier la délimitation entre un harcèlement avéré et une volonté de nuire du salarié.

Dans un autre registre, « un simple manque d’égards » envers un salarié se distingue aussi d’un harcèlement. Ce contrôle opéré par les juges de la Cour de cassation est à rapprocher de l’aménagement probatoire. En effet, si cette règle est favorable au salarié, elle ne tolère pas d’éléments insuffisamment établis qui peuvent, comme en l’espèce, constituer des abus. Dans notre présente affaire, la Cour de cassation se retranche derrière les juges du fonds et se contente de valider leur analyse pour conclure à l’absence de harcèlement et énonce ainsi « Mais attendu qu’appréciant la portée et la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, qui a relevé que les seuls faits qui étaient établis et de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement étaient justifiés par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement ». Ainsi, la preuve que l’employeur doit fournir n’intervient que lorsque les éléments de faits sont établis, et qu’ils sont jugés recevable pour permettre de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Alors, l’employeur doit prouver par des éléments objectifs que les agissements reprochés sont étrangers à tout harcèlement. En l’espèce, le licenciement disciplinaire n’est pas une conséquence du harcèlement moral puisque celui-ci n’est pas reconnu, mais bien une sanction rendue nécessaire par le comportement abusif de la salariée, matérialisé par ses accusations mensongères.

De la reconnaissance ou non du harcèlement dépendent le sort de la rupture du contrat de travail et ses conséquences. En effet, et pour rappel, un licenciement prononcé dans un contexte de harcèlement est entaché de nullité (article L.1153-4 Code trav.). Le salarié dispose alors d’une option, et peut exercer son droit à réintégration ou demander une indemnisation (article L.1235-3 Code trav.). La demande de l’employée d’exploitation portait sur la reconnaissance de la nullité du licenciement et sa réintégration en conséquence, qui faute de harcèlement, ne peuvent être prononcées. En effet, non seulement le harcèlement n’est pas avéré mais la salariée a outrepassé son droit d’apporter des éléments de faits, notamment en portant à l’encontre de l’employeur des accusations mensongères, caractérisant une intention de nuire et justifiant le prononcé d’une faute grave.

L’abus dans la preuve 

Les éléments présentés par la salariée, à savoir les accusations graves et réitérées et l’allégation de troubles anxio-dépressif, non seulement ne constituent pas les éléments de faits recevables au titre de l’article L.1154-1 du Code du travail, mais constituent un abus par l’atteinte causée à la fois au supérieur hiérarchique et à l’employeur, responsable au titre d’une obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral.

Des « accusations graves, réitérées, voire calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ainsi qu’à l’employeur, accusé de laisser la salariée en proie à ce prétendu harcèlement en méconnaissance de son obligation d’assurer sa sécurité et de préserver sa santé »L’abus ne résulte pas ici, comme on l’observe couramment en droit de la preuve, par l’illicéité dans le moyen d’obtention de celle-ci (déloyauté) mais par la teneur mensongère des propos.D’une irrecevabilité dans son action, la salariée se voit maintenant accusée d’un comportement assimilable à la « calomnie » qui se définit comme la dénonciation d’un fait qui est de nature à entraîner notamment des sanctions judiciaires et que l’on sait inexact (R.226-10 du Code pénal), caractérisant ainsi une intention de nuire.

 La frontière entre la simple irrecevabilité et l’abus

Cette démarcation est tracée par les juges entre d’une part des « accusations ayant pu être portées par simple légèreté ou désinvolture » et des « accusations graves, réitérées, voire calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ». Ainsi, dans la première hypothèse, le salarié verra les éléments apportés rejetés mais n’aura pas commis d’abus. Il y aura uniquement irrecevabilité des éléments, sans mauvaise foi, ce qui n’est pas retenu en l’espèce dès lors « qu’il ne s’agissait pas d’accusations ayant pu être portées par simple légèreté ou désinvolture ».

Mais, entre une « particulière gravité » et une « seule légèreté », il n’est pas toujours aisé de se situer, tout comme on a pu observer qu’il peut être difficile de distinguer des propos blessants de propos inscrits dans un contexte harcelant. Pour dessiner précisément le contour même de ces notions, il est à nouveau nécessaire de se référer à l’appréciation factuelle des juges du fonds, opérée sous le contrôle des magistrats de la Cour de cassation, et qui nous renseigne sur les éléments relevant de l’une ou l’autre des catégories.

Aussi, dès lors que les accusations étaient effectivement, par leur nature, susceptibles de nuire à leur destinataire, le supérieur à l’encontre duquel elles étaient formulées, l’abus est constaté. (Cass., soc., 6 juin 2012 n°10-28345). En ce sens, des accusations mensongères de maltraitance, s’insérant dans une campagne de calomnie, procédait d’une volonté de nuire à des membres du personnel d’encadrement. (Cass., soc., 6 juin 2012 n° 10-28199). Comme dans la présente affaire, l’intention de nuire est relevée par les juges. En effet, depuis 2012, la mauvaise foi est subordonnée à la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce (Cass. soc., 7 févr. 2012, no 10-18035). En l’espèce, la salariée accusait son supérieur hiérarchique de l’avoir laissé « en proie à ce prétendu harcèlement en méconnaissance de son obligation d’assurer sa sécurité et de préserver sa santé ». La salariée, en ayant connaissance du caractère mensonger des accusations, commet un acte d’une particulière gravité, caractérisant ainsi une faute grave.

L’abus justifie le licenciement pour faute grave

Le témoignage de faits de harcèlement par des salariés qui apportent ainsi leur concours au salarié victime (sur la base de l’article L.1152-2 Code trav), mais qui à cette occasion relateraient des faits dont ils auraient connaissance de leur fausseté, caractérise leur mauvaise foi et justifie leur licenciement pour faute grave (Cass., soc., 6 juin 2012 n°10-28345 précité). A l’instar de ces salariés, il apparaît logique que celui qui accuse personnellement son employeur d’être la victime directe de ses agissements, et lorsque ces éléments sont mensongers et témoignent d’une certaine volonté de nuire, s’expose de la même manière à un possible licenciement pour motif disciplinaire.

Romain Courbon
Master 2 Droit de la santé en milieu de travail

L’employeur seul responsable du défaut d’organisation des visites médicales de reprise

Note sous Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 octobre 2014 n°13-14.969 réalisée par Audrey Sery sous la direction de Céline Leborgne-Ingelaere, Maître de conférence à l’université Lille 2.

Les employeurs sont seuls responsables du défaut d’organisation des visites médicales de reprise. En effet, l’employeur tenu d’une obligation de sécurité résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise doit en garantir l’effectivité. Le code du travail gouverne cette obligation de sécurité résultat bien qu’il ne la définisse pas. Dans un arrêt du 15 octobre 2014 rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation1 il est rappelé, une fois encore, les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité des salariés.

En l’espèce, un salarié a été en arrêt de travail pour maladie pendant une période de vingt jours, puis à la suite d’un accident du travail survenu un an plus tard, pendant plusieurs mois. Enfin, il a été licencié pour faute grave une vingtaine de jours après son retour. Or le salarié n’a pas bénéficié de visite médicale de reprise lors de son retour en entreprise. Il a donc saisi la juridiction prud’homale afin de contester le licenciement et obtenir des indemnités pour défaut d’organisation de la visite médicale de reprise.

L’article L 4121 – 1 du code du travail prévoit que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’article R 4624 -22 du Code du travail ajoute que le salarié bénéficie d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail : soit après un congé de maternité ; soit après une absence pour cause de maladie professionnelle ; ou bien après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail, de maladie ou d’accident non professionnel. Selon l’article R 4624-23, « dès que l’employeur a connaissance de la date de la fin de l’arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l’examen de reprise dans un délai de huit jours à compter de la reprise du travail par le salarié ». Cette visite est donc destinée à apprécier son aptitude à reprendre son emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation ou éventuellement de l’une et de l’autre de ces mesures. Si l’employeur n’organise pas la visite de reprise, il méconnaît son obligation de sécurité à l’égard du salarié concerné (Cass. soc. 28 février 2006  n°05-41555).

Selon l’article R 4624 – 23 du code du travail, la visite médicale de reprise permet de délivrer l’avis d’aptitude médicale du salarié à reprendre son poste ; de préconiser l’aménagement, l’adaptation du poste ou le reclassement du salarié ; d’examiner les propositions d’aménagement, d’adaptation du poste ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de préreprise. Durant la période d’arrêt de travail, le contrat de travail du salarié est suspendu. Dès lors, seule la visite de reprise met fin à la période de suspension du contrat de travail. Si l’employeur n’organise pas la visite de reprise, il méconnait son obligation de sécurité. Il est donc impératif pour l’employeur d’organiser une visite médicale après chaque arrêt de travail suite à un accident de travail. Or en l’espèce ce salarié n’invoque pas pour la période en cause une modification de son aptitude au travail, ni le fait d’avoir avisé son employeur.

Il a été rappelé dans un arrêt du 13 décembre 20062 que le non respect par l’employeur de cette obligation cause nécessairement un préjudice au salarié. Ce dernier peut donc obtenir des dommages et intérêts. Traditionnellement, il était même considéré que le manquement de l’employeur permettait au salarié de solliciter la rupture du contrat de travail aux tords de l’employeur, cette rupture était même imputée à l’employeur en l’absence même de tout impact sur la santé du salarié. Cette jurisprudence semble pouvoir être nuancée aujourd’hui du fait des arrêts récents relatifs à la résiliation judiciaire du contrat de travail et à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

Pour exemple, dans un arrêt du 26 mars 20143, la Cour de cassation avait à prendre en considération la situation d’un employeur qui avait omis de faire passer la visite médicale de reprise. La solution de la Cour de cassation est assez surprenante puisque la Cour considère que l’absence de visite médicale procédait d’une erreur des services administratifs de l’employeur et que cette absence de visite médicale de reprise n’avait pas empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs mois. Un changement de position de la Cour de Cassation est perceptible puisque, dorénavant, les juges du fond seront amenés à s’intéresser au temps qui s’est écoulé après la date théorique de la visite médicale (qui n’a pas eu lieu). Autrement dit, les juges doivent s’attacher aux conséquences du manquement de l’employeur. Un salarié ne peut obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail ou ne peut se voir justifier sa prise d’acte que si les manquements de son employeur empêchent la poursuite de son contrat. La chambre sociale a ainsi décidé que :”la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail “.

Mais il semblerait que l’arrêt du 15 octobre 2014 ne s’intéresse pas aux conséquences du manquement de l’obligation de l’employeur : il y est simplement affirmé que l’employeur reste seul responsable du défaut d’organisation des visites médicales. Sous le visa des articles L 1226 – 9 et L 1226 – 13 du code du travail, la Cour de cassation précise qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre ce contrat que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie, toute résiliation du contrat de travail prononcée en l’absence de visite médicale de reprise est nulle.

Reste maintenant à savoir si les juges continueront d’appliquer la jurisprudence constante, ou bien opèreront-ils un revirement de jurisprudence en se fondant désormais sur les conséquences du manquement en cause ?

Audrey Sery
Master 2 Droit de la santé en milieu de travail

  1. Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 octobre 2014 n°13-14.969 []
  2. Cass. Soc. 13 décembre 2006 n° 05-44.580 []
  3. Cass. Soc. 24 mars 2014 n°12-35.040. Voir également Cass. Soc. 26 mars 2014 nos 12-23.634, 12-21.372 []

Obligation de reclassement en cas d’inaptitude : l’employeur doit proposer les postes temporaires

Note sous Cass. soc 5 mars 2014 n° 12-24.456 réalisée par Lucile Douchet sous la direction de Céline Leborgne-Ingelaere, Maître de conférence à l’université Lille 2.

L’arrêt du 5 mars 2014 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation apporte une précision concernant le cadre de l’obligation de reclassement qui incombe à l’employeur en cas d’inaptitude du salarié. Selon cet arrêt, le reclassement peut être recherché sur un poste temporaire.

L’arrêt commenté illustre la volonté d’assurer, autant que possible, le maintien du salarié inapte dans l’entreprise et d’assurer une recherche de reclassement effective.

En l’espèce, un salarié a été engagé le 27 novembre 2007 en tant que chef d’atelier. Du 9 novembre 2009 au 15 février 2010, il se trouvait en arrêt maladie. Au terme de celui-ci, le médecin du travail l’a déclaré apte avec réserves puis l’a déclaré inapte à son poste à la suite de deux examens médicaux. Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 1er juin 2010. En effet, l’employeur considérait qu’il ne disposait d’aucun poste administratif disponible.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin de faire reconnaître son licenciement comme sans cause réelle et sérieuse estimant que les recherches de reclassement menées par l’employeur auraient dû le conduire à lui proposer un poste temporairement vacant, en l’occurrence celui de l’une des salariées de l’entreprise en congé maternité.. Le salarié est débouté par les juges du fond au motif que l’absence d’une salariée en congé de maternité n’ouvrait pas un poste disponible mais simplement un remplacement. La Cour de cassation a cassé la décision des juges du fond au visa de l’article L1226-2 du Code du travail. Elle affirme que le caractère temporaire d’un poste n’interdisait pas de proposer celui-ci en reclassement.

Rappelons tout d’abord que l’article L 1226-2 du Code du travail pose l’obligation de reclassement qui incombe à l’employeur lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail suite à une maladie ou un accident non professionnel. Dans ce cas, l’employeur doit proposer au salarié un autre emploi approprié à ses capacités. La proposition doit prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail et ses indications sur l’aptitude du salarié. L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Selon la jurisprudence, l’emploi proposé ne doit, en principe, pas entraîner une modification du contrat de travail du salarié inapte mais le seul poste disponible imposant une telle modification doit être proposé (Cass. soc 29 janvier 2002 n°99-45.989).

L’obligation de reclassement de l’employeur est une obligation de moyens renforcée. Ainsi, après sa recherche de postes disponibles et si aucun poste ne l’est, l’employeur peut alors procéder au licenciement du salarié pour inaptitude. Il devra alors prouver qu’il est dans l’impossibilité de reclasser (Cass. soc 19 octobre 2007 n°06-42963). En application de l’article L 1226-4 du Code du travail, la recherche de reclassement doit intervenir dans le mois suivant la date de l’examen médical de reprise du travail. Si, à l’issue de ce délai, le salarié n’est ni reclassé, ni licencié, l’employeur doit reprendre le versement du salaire correspondant au précédent poste du salarié.

La Cour de cassation accorde, de nouveau à travers cet arrêt, une importance particulière à l’obligation de reclassement. La recherche de reclassement ne doit pas être superficielle et doit se manifester concrètement. Il ne suffit pas pour l’employeur de dire qu’aucun poste n’est disponible. L’employeur doit même adapter un poste pour qu’il soit potentiellement conforme à l’état du salarié inapte. L’employeur ne peut pas se prévaloir de l’éventuel refus du salarié d’occuper un poste avant que celui-ci l’ait expressément donné. Ainsi, tous les postes doivent être envisagés qu’il s’agisse de postes temporaires ou de postes permanents, de postes à temps plein ou à temps partiel au sein de l’entreprise et au sein du groupe auquel elle appartient (Cass. soc. 9 janvier 2008 n°06-44407). Autrement dit, l’employeur ne doit pas prendre son obligation de reclassement à la légère. Tout doit être fait pour garder le salarié au sein de l’entreprise.

La solution apportée par la Cour de cassation est donc claire et concise. Pourtant, en la matière, la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas totalement uniforme.

En effet, elle avait déjà jugé que l’obligation de reclassement devait être recherché sur un poste dont le contrat était à durée déterminée (Cass. soc 23 septembre 2009 n°08-44.060). Mais, par la suite, elle a affirmé que les emplois momentanément vacants par suite de l’indisponibilité de leur titulaire n’étaient pas disponibles (Cass. soc 28 avril 2011 n°10-13.864). Le précédent attendu semblait alors remis en cause puisque par définition, un contrat à durée déterminée est un emploi temporaire et peut être utilisé pour remplacer un salarié absent.

Par l’arrêt de 2014, la Cour de cassation semble donc mettre fin à tout risque de divergence en affirmant que le reclassement doit être recherché sur un poste temporaire.

Elle semble même aller plus loin puisqu’un poste temporaire ne se limite pas au seul cas du contrat à durée déterminée. On peut ainsi légitimement penser qu’un poste de travail temporaire pourrait faire l’objet d’une proposition de reclassement.

Bien qu’en apparence le principe semble posé, cet arrêt de la Cour de cassation apporte de nouvelles interrogations. En effet, en suivant ce raisonnement, le salarié déclaré inapte va occuper le poste d’un salarié temporairement absent. Or, qu’adviendra-t-il lorsque ce salarié absent reviendra dans l’entreprise et reprendra son poste ? L’employeur devra-t-il reprendre la procédure de reclassement ? En principe, et à titre d’exemple, la salariée qui revient de congé maternité retrouve son poste lorsque s’achève la suspension de son contrat de travail. Le salarié inapte se retrouve de nouveau sans poste approprié à ses capacités.

Deux interprétations peuvent naître suite au principe posé par la Cour de cassation. Soit, finalement, admettre le reclassement sur un poste temporaire ne servirait qu’à retarder le licenciement du salarié inapte, dans le cas où aucun poste ne serait devenu vacant.

Soit, finalement, admettre le reclassement sur un poste temporaire laisserait plus de chance au salarié d’être par la suite reclasser à un poste stable. En effet, le salarié, le temps qu’il occupe le poste temporaire, reste dans l’entreprise. Si l’employeur reprend la procédure de reclassement et que parallèlement un poste stable est devenu vacant, celui-ci sera proposé au salarié inapte s’il correspond aux indications du médecin du travail.

Lucile Douchet
Etudiante en Master 2 Droit social, spécialité Droit du travail à l’Université Lille 2