L’entrée en Allemagne

Comme nous sommes en période de vacances, j’ai entrepris de commencer par le quatrième thème, c’est-à-dire le passage de la frontière des prisonniers de guerre et leur entrée en Allemagne.

J’ai commencé par la lecture de témoignages de prisonniers relatés soit immédiatement dans des carnets publiés ensuite ou retrouvés par les familles, soit plus tard – de la fin de la guerre jusqu’aux années 1980, moment où la mémoire des prisonniers de guerre sort de l’ombre -. Pour l’instant, il apparaît que le passage non pas de la mais des frontières (souvent Belgique, Luxembourg puis Allemagne) se fait le plus souvent par train. Les quelques prisonniers qui en parlent évoquent un accueil neutre des Allemands, sans cri ni haine et en sont étonnés.

Mais je me suis également tournée vers le DHI – Institut historique allemand (http://www.dhi-paris.fr/) – pour étudier le passage et le déplacement des prisonniers du côté allemand. Je recommande chaudement le DHI à tous ceux qui ne le connaissent pas  et qui travaillent sur l’Allemagne et les rapports Allemagne-France de l’Antiquité à nos jours. La bibliothèque est magnifique, située dans un hôtel particulier du Marais à Paris, l’accueil est remarquable, les bibliothécaires très efficaces. Ne connaissant pas les sources et archives allemandes, ni où les trouver, j’ai posé des questions hier et ai reçu une réponse très complète quelques heures après. Ce dynamisme est très motivant et va me permettre une vision croisée.

Quatre thèmes d’étude (pour l’instant….)

La lecture du livre de Sylvain Rappaport, La Chaîne des forçats, m’a fourni de nombreuses idées et permis, en complétant avec mes connaissances, d’aboutir à quatre thèmes (pour l’instant…) :

1) La défaite, au regard des vainqueurs, les Allemands; au regard des PG mais aussi de la population française.

2) Le transfert : son organisation  par les Allemands : volonté de créer à ce moment une image particulière ? de mettre en place un transfert rapide ou au contraire lent ?…mais aussi le ressenti des PG.

3) L’intervention d’institutions : le respect de la Convention de Genève ? le rôle de la Croix Rouge ? des Eglises ? du gouvernement français (les PG ne sont pas transférés dès leur capture) et/ou des autorités locales.

4) L’Allemagne : le passage de la frontière fait-il l’objet d’un cérémonial ? les réactions de la population allemande ? les réactions des PG ?

J’ai déjà travaillé sur des sources allemandes (les photographies prises par les soldats allemands du transfert des PG, conservées à l’ECPAD)  et sur les témoignages des Français (PG et civils), mais pas avec ces quatre thèmes. Je fais donc affiner cela et me mettre à la recherche des sources allemandes, car le dernier thème est le plus neuf pour moi. Je suis preneuse de toutes suggestions, concernant notamment les sources en Allemagne.

L’entrée dans la captivité

C’est le ressenti du prisonnier de guerre qui m’intéresse actuellement. Comment se fait et surtout comment est vécue l’entrée dans la captivité pour un soldat français en 1940 ? Je pense ici aux différentes conditions de la capture, mais aussi à tout ce qui dépouille le soldat de son identité militaire (en tenant compte des différences entre les militaires de carrière et les mobilisés) et de la confiscation de ses souvenirs personnels. Puis ce soldat, qui n’en est plus un puisqu’il est désarmé mais reste néanmoins en uniforme, dans un statut étrange, est emmené en Allemagne. Dans quelles conditions et comment perçoit-il ce déplacement et cette arrivée dans un nouveau pays ?

Deux livres m’inspirent actuellement pour y réfléchir :

– les prisonniers de guerre allemands de Fabien Théophilakis, Fayard, 2014

-la chaîne des forçats (1792-1836) de Sylvain Rappaport, Aubier, 2006

Dans un premier temps, je vais m’appuyer sur des témoignages que j’avais recueillis et sur les nombreux livres écrits par les prisonniers de guerre.

Au commencement…

C’est en lisant le livre de Catherine Nay paru en 1984 Le Noir et le Rouge. Histoire d’une ambition, consacré à François Mitterrand, que j’ai trouvé mon sujet de maîtrise. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Mitterrand, en stalag, a participé à la rédaction du journal de son camp. Comme l’étude des journaux constitue généralement les premiers pas d’une recherche historique, je me suis lancée, sur les conseils de Jean-Jacques Becker et Jean-François Sirinelli, dans l’analyse des journaux de trois stalags : L’Equipe du stalag XVIIA, L’Ephémère du stalag IXA – auquel François Mitterrand a participé – et L’Optimiste puis le Piaf, du stalag IIB. Mes axes de recherche étaient doubles : comprendre comment des hommes mobilisés ont vécu une captivité dont la durée leur était inconnue, et tenter d’apporter un éclairage nouveau sur ces hommes de l’entre-deux guerres qui restèrent captifs, en pleine force de l’âge, durant cinq années. Je soutins ma maîtrise en 1987.

Je souhaitais continuer sur ce sujet et notamment sur la propagande notamment celle réalisée par le maréchal Pétain dans les camps mais Yves Durand l’avait déjà largement abordé dans le livre fondateur des recherches sur les prisonniers de guerre paru en 1980 : La captivité : Histoire des prisonniers de guerre français : 1939-1945, FNCPG-CAMT. Une maîtrise, soutenue par Philippe Goldman, avait étudié La propagande allemande auprès des prisonniers de guerre à travers le Trait d’Union, 1940-1945. D’anciens prisonniers de guerre, rencontrés pour ma maîtrise, m’avaient majoritairement exprimé leur déception de ne pas avoir été objets de recherche jusqu’alors. Ils l’expliquaient par le fait que les Français ne les aimaient pas car ils avaient été particulièrement soutenus par la propagande du Maréchal pendant la guerre. Cette réflexion m’avait marqué, mais je n’y avais pas vu (encore) un sujet possible.

Cherchant un sujet de DEA, Jean-Pierre Rioux me signale que les archives du Centre national de la cinématographie sont très peu exploitées. Je commence alors une recherche sur La politique du festival de Cannes (1946-1959) sous la direction de Serge Berstein, que je soutiens en 1994 à l’institut d’études politiques de Paris. Pouvais-je continuer dans cette voie ? Difficilement et pour deux raisons : il est difficile de travailler dans les milieux du cinéma, très fermés et les archives du CNC n’étaient pas classées. Plusieurs années de travail en perspective avant de pouvoir commencer les recherches ! Néanmoins, je ne me suis pas fourvoyée dans ce thème puisque de multiples discussions avec mon frère m’amène à comprendre que je peux continuer à travailler sur le cinéma tout en y associant les prisonniers de guerre, le nombre de films sur ce thème étant important. J’ai élargi cette idée et j’ai donc finalement commencé une thèse sur L’Image des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale – 1940-2000, sous la direction de Jean-Jacques Becker, que j’ai soutenu en décembre 2002. La réalisation de cette thèse a duré huit années, car je travaillais à temps plein en même temps, professeur d’histoire-géographie en lycée depuis 1992.

Prisonniers de guerre

Ce carnet de recherches a pour but de prolonger le travail de recherche effectué dans le cadre d’une thèse de doctorat d’histoire soutenue à Paris X-Nanterre en 2002, sous la direction de Jean-Jacques Becker. Le sujet en était : ” L’image des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale (1940-2000)” . À la différence des prisonniers de guerre de la Grande guerre, ceux de la Seconde n’ont jamais été oubliés. Grâce au film La Grande Illusion, qui sort en 1937 et ressort en 1946, ils sont dans tous les esprits, d’autant que chaque famille connaît un prisonnier. Une image schématique, mais dans laquelle les Français se reconnaissent, se développe : les prisonniers sont des victimes, des Français moyens. Cette image naît pendant la guerre et se maintient après, grâce au cinéma, à la littérature, et à des témoignages autocensurés pour correspondre à l’image déjà construite. Craignant de devoir se justifier de la défaite française, les prisonniers de guerre s’auto-épurent en effet et opèrent un tri dans leurs récits : or l’image de l’opinion publique à leur égard n’est négative que durant l’été et l’automne 1945, en liaison avec le procès Pétain. Mais ils sont reconnus officiellement comme des combattants dès 1949. Cette image constamment présente dans la société évolue peu, et seulement en fonction des capacités d’identification et des aspirations des Français : le prisonnier de guerre est un homme ordinaire face au résistant gaullien dans les années 1960 ; il n’aime pas la guerre alors que la décolonisation bat son plein ; il témoigne que l’ennemi peut être humain quand la Guerre froide diabolise l’autre. Dès les années 1950, des voix très minoritaires s’élèvent au sein de la communauté des anciens prisonniers contre cette image qui ne met en valeur ni leurs souffrances particulières, ni les valeurs auxquelles ils sont attachées. Les années 1970, qui éclairent les zones de la Seconde Guerre mondiale jusque là restées dans l’ombre, sont le moment choisi par les prisonniers pour rétablir une image plus conforme à ce qu’ils ont subi, sans succès cependant, les Français ne pouvant s’identifier à une image trop précise. Pour intégrer cet échec, les anciens prisonniers développent aujourd’hui l’idée selon laquelle chaque captivité étant unique, aucune image ne saurait être fidèle. J’ai élargi mes recherches tout d’abord dans un ouvrage paru en 2010 chez Economica : Les Prisonniers de guerre français. Enjeux militaires et stratégiques (1914-1918 et 1940-1945). Je suis actuellement deux axes de recherche : – le transfert des prisonniers de guerre en 1940 et leur arrivée en Allemagne. J’ai commencé à travailler sur le regard des civils sur le transfert des prisonniers de guerre français en Allemagne en 1940, dans une communication au colloque international d’histoire militaire de Trieste (« Conflits militaires et populations civiles : guerres totales, guerres limitées et guerres asymétriques ») en 2008 (Actes édités par la Commission italienne d’histoire militaire à Rome en 2009); – les universités dans les camps de prisonniers de guerre en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale (article sur les universités dans les Oflags à paraître dans la revue Inflexions).