1La technique du battage permet, à partir d’une ébauche, de mettre en forme la panse et la base des vases, voire aussi le col et la lèvre, en frappant la paroi entre un battoir et un contre-battoir. Lorsque le battoir est gravé ou entouré de cordes, cela produit une sorte de décor imprimé couvrant toute la surface travaillée. Le martèlement de la surface peut également servir, de façon plus ponctuelle, à retoucher une forme, à fermer la base des récipients ou encore à souder deux parties fabriquées séparément (Gibson & Woods 1990 : 95-96; van der Leeuw 1984 : 333).
2Dans le sud-ouest de la Corée, le battage a été utilisé pour le façonnage et le décor des céramiques —on parle ainsi de « céramiques à décor au battoir »— à partir du début de notre ère, environ quatre siècles après son introduction dans le nord de la péninsule. Intimement liée ici à la culture de l’Âge du Fer, elle a été abandonnée vers les Ve-VIe siècles, parallèlement à l’extension du royaume de Paekche vers le sud (fig. 1).
Figure 1. Carte générale du sud de la péninsule coréenne. Situation aux IIIe-IVe siècles. Paekche, Silla et Kaya représentent les trois premiers royaumes du sud de la péninsule (environ IIIe-VIIe siècles)
3Au cours des premiers siècles de notre ère, la production céramique du sud-ouest de la péninsule est également marquée par l’apparition de nouveaux types de fours et par un nombre important de pièces défectueuses (déformations, boursouflures...).
4Dans le cadre de cet article1, qui ne constitue qu’une première approche de la technique du battage en Corée, je montrerai tout d’abord que plusieurs procédés de façonnage de la base des récipients peuvent être distingués au sein de la catégorie des céramiques dites « à décor au battoir ». À partir de ces données seront appréhendées les grandes lignes de l’évolution du battage dans le sud-ouest de la péninsule. J’évoquerai également les changements occasionnés par l’adoption de cette nouvelle technique et nous verrons quelles peuvent être les raisons de son utilisation massive. Enfin, le problème du degré de maîtrise technique des potiers du sud-ouest de la Corée pendant l’Âge du Fer sera abordé, comme les relations entre le battage et les nouveaux types de four : même origine ? évolution parallèle ?
5Au début du Ier siècle de notre ère, le sud-ouest de la péninsule coréenne connaît d’importants changements qui marquent le début du deuxième Âge du Fer2. On constate, entre autres, l’accroissement de la population et des villages, la multiplication des échanges à plus ou moins longue distance, la disparition des dolmens et le remplacement des armes et des outils en bronze par leurs homologues en fer qui commencent à être fabriqués localement. À la même période, le battage est progressivement utilisé pour la mise en forme et le décor des poteries. Du bassin du fleuve Han (région de l’actuelle ville de Séoul) jusqu’aux régions côtières de l’extrême sud-ouest, cette nouvelle production céramique coexiste pendant environ deux siècles avec celle de la période antérieure, dite de tradition mumun, qu’elle remplacera peu à peu. Parallèlement, l’évolution des techniques de cuisson des céramiques est marquée par l’apparition des premiers fours dits grimpants (tŭng yo en coréen), ancêtres des fours tunnels. Semi-excavés ou creusés en sape sur une pente, ils sont de forme ovale plus ou moins régulière. En moyenne, ils mesurent 6,3 m de long et présentent une inclinaison de 18,4 degrés. Dans la province du Chŏlla, les plus anciens sont datés du IIIe siècle, mais ils sont attestés dès le Ier siècle dans la province du Ch’ungch’ŏng, un peu plus au nord (Denès 2000 : 130-131).
6Les céramiques à décor au battoir comprennent des terres cuites rouges, grises ou noires, ainsi que des poteries dures de couleur bleu-gris, parfois considérées comme des grès. Les pots globulaires ou ovoïdes, les jarres, les bols et les gobelets en constituent les formes les plus courantes, mais la production est peu standardisée. Les battoirs peuvent être entourés de cordes, mais ils sont plus souvent gravés de motifs de croisillons, de stries parallèles, ou de stries associées à un ou plusieurs traits perpendiculaires ou à un dessin en forme de patte d’oie. Sur le décor de surface obtenu avec ces battoirs s’ajoutent parfois des lignes horizontales incisées, et de larges zones peuvent également être lissées, notamment au niveau de l’épaule.
7Selon l’opinion générale (Ch’oe Pyŏng-hyŏn 1994 : 123; Ch’oe Sŏng-nak 1993 : 146; Yi Yŏng-mun 1993 : 30; Barnes 1992 : 197; Yi Sŏng-ju 1991 : 235-238), ce nouveau type de céramique se serait diffusé et développé dans la péninsule coréenne en même temps que la culture de l’Âge du Fer, sous l’influence de la céramique chinoise grise à décor imprimé de l’époque des Royaumes Combattants (475-221 av. J.‑C.) ou de la dynastie des Han (206 av. J.‑C.-220 ap. J.‑C.). Cependant, en l’état actuel des connaissances, on ne sait pas vraiment de quelle façon le battage s’est répandu en Corée, ni si les céramiques à décor au battoir du sud de la péninsule appartiennent à la même tradition que celles du nord qui sont attestées dès le IVe siècle av. J.‑C.
8Aux IIIe et IVe siècles de notre ère, les transformations socio-économiques liées à la généralisation de la métallurgie du fer et à la multiplication des échanges commerciaux aboutissent à la mise en place du royaume de Paekche dans le bassin du fleuve Han3. Cela favorise également le développement, dans l’extrême sud-ouest de la péninsule, d’une culture originale caractérisée par des sépultures en grandes jarres, relativement riches, enterrées au sommet de tertres funéraires (Denès 1995). Parallèlement, les céramiques à décor au battoir, devenues largement majoritaires, connaissent leur période d’apogée. Elles disparaîtront ensuite lentement, au cours des Ve-VIe siècles, remplacées par les céramiques grises à surface lissée, parfois décorées de motifs incisés, caractéristiques de la culture de Paekche qui s’étend peu à peu à l’ensemble du sud-ouest de la péninsule.
9L’étude a porté sur deux cent douze céramiques de la période d’apogée (IIIe-IVe siècles), découvertes dans la province du Chŏlla Sud, dans l’extrême sud-ouest de la péninsule, et conservées dans les musées coréens. Ces vases —estimés représentatifs de la production commune de cette période par rapport à l’ensemble des céramiques observées dans les musées ou les dépôts de fouilles, ou encore décrites dans les diverses publications— ont été sélectionnés en fonction des critères suivants : forme archéologiquement complète, contexte de découverte connu et publié, descriptions suffisamment précises et illustrations de bonne qualité. Dix-sept vases sont toutefois moins bien connus. Ils proviennent en effet de fouilles très anciennes (notamment celles du tumulus n° 9 de Sinch’on-ni) et ont été perdus ou mélangés. Ils ont néanmoins été inclus dans le corpus afin de ne pas dépareiller les ensembles clos (mobilier de tombes). Notons également que parmi les céramiques étudiées, cinquante-neuf (soit un peu plus d’un quart) ne présentent pas de traces de battage. Elles ont toutefois été conservées pour cette étude dans la mesure où elles appartiennent quand même —d’après les archéologues coréens— à la catégorie des « céramiques à décor au battoir » en raison de similitudes de pâte et d’apparence générale. En outre, il n’est pas exclu qu’elles aient quand même été façonnées par battage, soit avec un battoir lisse, soit avec un battoir gravé dont les traces ont ensuite été lissées. Sont également rattachés à cette catégorie les bols très ouverts, les petits pots à grand col et les coupelles, mais ils ont été écartés du corpus car ces formes, probablement sans relation avec la technique du battage, n’apportaient rien au propos.
10Les vases étudiés proviennent de trente tertres funéraires (71 % des vases) et de trois zones d’habitat (29 % des vases). Les tumuli renferment des structures variées : des cercueils en jarres, des sépultures en fosse avec ou sans entourage de pierres et une chambre funéraire en pierre. Les sites d’habitat, encore mal connus pour les IIIe-IVe siècles dans le sud-ouest de la péninsule, se caractérisent par des regroupements de fonds de cabane. Afin de simplifier cet exposé, les sites ont été rassemblés, en fonction de critères géographiques et chronologiques, au sein de trois groupes correspondant plus ou moins à trois étapes successives de la culture des sépultures en jarres (tab. 1, fig. 2). Tous les sites qui se trouvent en limite de la zone de répartition des sépultures en grandes jarres, supposés plus anciens que ceux du cœur de cette culture (région de l’embouchure du fleuve Yŏngsan), appartiennent au groupe I.
11Il importe de remarquer que parallèlement à leur attribution chronologique et à leur nature (funéraire/domestique), les sites étudiés reflètent également d’autres différences. Ainsi, les sites d’habitats sont non seulement un peu plus anciens que l’ensemble des sites funéraires, mais ils se situent plus à l’est, le long du fleuve Posŏng et non dans la vallée du fleuve Yŏngsan (numéros 17-19, fig. 2). Des différences dans les techniques de fouilles et la conservation du matériel archéologique apparaissent aussi de façon très nette entre les sites du groupe III (postérieurs au milieu du IVe siècle), majoritairement fouillés entre 1917 et 1938, et ceux des groupes I et II (IIIe et début du IVe siècles), fouillés et étudiés surtout à partir des années 1980. Malgré les problèmes d’interprétation que ces différences peuvent entraîner, le choix a été fait de conserver l’ensemble des sites disponibles dans la mesure où, en 1996, au moment où j’ai mené mes recherches (examen des céramiques, collecte des rapports de fouilles), les sites retenus dans cette étude représentaient les données les plus fiables et les plus complètes pour la province du Chŏlla Sud.
Figure 2. Carte de localisation des sites étudiés, province du Chŏlla Sud, IIIe-IVe siècles
12D’après les archéologues coréens qui se sont intéressés aux techniques de fabrication des céramiques protohistoriques du sud-ouest de la péninsule, celles-ci auraient été mises en forme grâce au battage à partir d’une ébauche montée aux colombins (Ch’oe Sŏng-nak 1993 : 165-170; Sŏ Sŏng-hun & Sŏng Nak-chun 1986 : 134-136). À ma connaissance, l’usage d’une autre technique pour la phase qui précède le battage (modelage ou montage par plaques, par exemple) ne semble pas avoir été envisagé.
13L’usage du battage est attesté de façon claire et évidente sur la panse et la base des récipients (photo 1), non seulement par les traces laissées par le battoir décoré, mais également par les traces de contre-battoir présentes à l’intérieur de certains récipients. En revanche, la technique de façonnage de la partie supérieure des vases reste mal connue. Des traces de battage mal effacées sont visibles sur le col de nombreux vases, mais leur interprétation demeure incertaine.
Photo 1. Céramique à décor au battoir (H. 28 cm).
Traces de battage bien nettes sur la panse et la base, lissage sur l’épaule. Deux registres décoratifs distincts : sur la panse, décor régulier de stries parallèles recoupées par un trait perpendiculaire, et sur la base, décor plus grossier de stries parallèles recoupées par un motif en forme de patte d’oie. Site de Sinch’on-ni, tumulus n° 6 (deuxième moitié du IVe - début du Ve siècles). D’après Sŏ Sŏng-hun & Sŏng Nak-chun 1988, p. 255, n° 26
14Dans le cadre de ce travail, je me suis donc limitée aux différentes techniques de façonnage de la jonction entre la panse et la base des récipients, partie des céramiques intimement liée au battage. Il n’a pas été possible de réaliser des moulages des traces imprimées en surface par les coups de battoirs successifs, ni d’avoir recours à des analyses pétrographiques. Cependant, un certain nombre de traits propres aux effets décoratifs du battage ont pu être pris en compte, comme la distinction entre plusieurs types de décors au battoir sur un même vase, l’orientation et la qualité des motifs imprimés par la batte ou encore les relations entre battage et zones lissées. Différents éléments morpho-technologiques simples à observer ont aussi été retenus : un change-ment dans l’épaisseur de la paroi au niveau de la limite entre deux registres décoratifs, la présence de traces de lissage à la jonction entre la panse et la base, et la présence de fissures au niveau de cette même jonction. Les informations proviennent de mes observations ou des indications portées dans les rapports de fouilles. Je me suis également appuyée sur les études ethnographiques, nombreuses concernant le battage (Pétrequin & Pétrequin 1999; Gallay et al. 1998; « Terre africaine » 1994; Ho Chuimei 1984; Kirk 1984; Kroun 1984; Mourer 1984; Simmonds 1984; van der Leeuw 1984; Woods 1984; Tobert 1984; Biagini & Mourer 1971).
15D’un point de vue morphologique, quatre types de base peuvent être distingués (pour dix-sept vases, la forme de la base n’a pas pu être identifiée avec certitude, cf. p. 1) :
Base plate très large ( base 1/2 panse) : 40 vases;
Base pointue ou arrondie : 22 vases;
Base bien ronde ou légèrement aplatie : 84 vases;
Base rentrante ou plate ( base 1/2 panse) : 49 vases.
16Des exemples de chaque type de forme sont présentés sur la figure 3.
17D’un point de vue technologique, les bases plates très larges, avec un angle marqué par rapport à la panse et sans trace de battage au niveau de l’assise, se distinguent nettement des bases rondes, pointues-arrondies et rentrantes. Celles-ci présentent généralement des traces de battage et il semble qu’elles aient toutes été, dans un premier temps, façonnées avec une forme arrondie. L’assise a ensuite été aplatie ou rendue concave pour obtenir respectivement des bases plates ou rentrantes (le façonnage d’une base rentrante selon ce principe est décrit dans un exemple ethnographique, Kroun 1984 : 291, ill. p. 301).
18Deux types de bases ont donc été distingués pour l’étude des techniques de façonnage : celles qui montrent un angle net par rapport à la panse (larges bases plates) et celles qui, au contraire, s’inscrivent dans le prolongement de la panse, sans angulation (bases rondes, pointues-arrondies et rentrantes).
Figure 3. Les différentes formes de bases des céramiques étudiées pour les IIIe-IVe siècles (les décors éventuels ne sont pas indiqués)
19Le corpus comprend quarante pots avec une large base plate, surtout fréquents dans les sites d’habitat du IIIe siècle (tab. 4). Quatorze d’entre eux présentent des traces de battage sur la panse (surtout des motifs de croisillons, voir tab. 3) effacées par lissage au niveau de la jonction avec la base. Ces traces de lissage semblent indiquer que la panse a d’abord été façonnée comme un cylindre, légèrement mis en forme par battage, et que la jonction avec le disque de la base a été réalisée dans un second temps (fig. 4a). La seule analyse des profils de la paroi ne permet toutefois pas de le vérifier, mais ce procédé qui consiste à ajouter la base plate après façonnage de la panse est également décrit dans les études portant sur les céramiques de la période des Ier-IIIe siècles dans la même région (Ch’oe Sŏng-nak 1993 : 177-179). De ce fait, on suppose, à titre d’hypothèse qu’il conviendra de vérifier ultérieurement, par des expérimentations notamment, que les vingt-six pots à large base plate sans trace de battage ont également été montés de cette façon.
20Lorsque la base s’inscrit dans la continuité du profil de la panse (bases rondes, pointues-arrondies et rentrantes), trois situations peuvent être distinguées en fonction des traces laissées par le battage : 1) battage continu sur la panse et la base; 2) battage formant deux registres distincts sur la panse et la base; 3) battage limité à la base, la panse étant lissée.
21Sur certains vases, le décor au battoir couvre la base et les parties inférieure et médiane de la panse en un seul registre uniforme. Le battage a donc été effectué en continu sur la panse et la base (fig. 4b). Cette technique de mise en forme de la base par un battage continu est attestée sur vingt-six céramiques (au moins 12 % des pots étudiés), dont la moitié sont des jarres profondes ou ovoïdes à base pointue-arrondie (tab. 2). Dans la majorité des cas, les motifs imprimés par battage sont des croisillons couvrant toute la panse, éventuellement recoupés par quelques lignes lissées horizontales. Un seul exemple de motifs de stries parallèles a été noté (tab. 3). Le battage en continu sur la panse et la base a été identifié sur seize vases provenant des sites d’habitat (IIIe siècle), ainsi que sur quelques vases provenant des sépultures des groupes II (début IVe siècle) et III (mi-IVe-début Ve siècles) (tab. 4).
22Une autre technique de façonnage de la base a été identifiée sur soixante-treize céramiques (au moins 34 % des pots étudiés, tab. 2) qui présentent deux registres distincts (photo 1) sur la panse et la base (deux décors au battoir différents par leurs motifs ou par l’orientation des traces de battage). Un montage en deux phases successives peut ainsi être mis en évidence (fig. 4c). Dans 40 % des cas (vingt-neuf individus) la limite entre les deux registres correspond à un changement dans l’épaisseur de la paroi, à une fissure et/ou à des traces de lissage.
23D’autre part, sur au moins treize vases, les traces du battage de la base recoupaient celles de la panse, indiquant ainsi l’ordre de succession des opérations réalisées. Sur deux de ces pièces, le décor au battoir de la base recouvrait aussi de façon très nette les lignes horizontales incisées sur le décor au battoir de la panse. L’ensemble du décor de la panse aurait donc été réalisé avant le façonnage définitif de la base.
24La plupart des vases sur lesquels on reconnaît ce processus de façonnage en deux étapes distinctes possèdent une base ronde, aplatie ou rentrante, plus rarement pointue (tab. 2). Contrairement au cas du battage continu sur la base et la panse, les motifs de stries parallèles sont ici largement majoritaires sur la panse et la plupart des motifs de croisillons sont associés à une large zone lissée sur l’épaule. Les motifs cordés sont également bien représentés (tab. 3). Ces vases proviennent de l’ensemble des sites étudiés (tab. 4).
Figure 4. Représentations schématiques des différentes techniques de battage de la panse et de la base des vases. La forme de l’ébauche est seulement donnée à titre indicatif, la technique d’ébauchage n’ayant pas fait l’objet d’une étude à ce stade
25Seize individus (7,5 % des pots étudiés) ne présentent des traces de battage que sur la base, généralement ronde (tab. 2). Les motifs les plus fréquents sont les croisillons (tab. 3). Dans le cas de ces récipients, aucune étude n’a encore été menée pour savoir si la panse a d’abord été travaillée au battoir puis lissée avant la mise en forme de la base ou si elle a simplement été façonnée aux colombins, le battage étant réservée à la base. L’emploi d’un battoir lisse pour la panse n’est pas non plus à exclure. Comme précédemment, plus d’un tiers des vases comporte un changement d’épaisseur de la paroi, des fissures et/ou traces de lissage au niveau de la jonction base/panse (six individus sur seize, soit 37,5 % des cas).
26Il serait tout à fait instructif de mieux comprendre le mode de façonnage de ce type de vases, découvert dans les sites des deux premiers groupes, pour pouvoir les situer par rapport aux autres céramiques à décor au battoir.
27Les exemples ethnographiques montrent que les trois types de relations base/panse observées au sein du matériel archéologique étudié peuvent être le résultat de multiples chaînes opératoires. Pour simplifier, on peut distinguer quatre tendances générales.
281) L’ébauche est préparée avec une base ronde ou plate avant d’être mise en forme par battage. Cette technique est pratiquée dans l’île Yami, à l’extrême nord des Philippines : le potier travaille d’abord des plaques d’argile qu’il assemble en une sorte de cylindre à fond plat qui sera ensuite mis en forme par battage pour obtenir une jarre à fond rond (Kroun 1984 : 287-291).
292) L’ébauche se limite à une panse dont la partie inférieure n’est pas fermée : le battage permet d’arrondir la panse et d’étirer la pâte pour fermer la base. On trouve plusieurs exemples de cette technique : dans la région du Kavango en Namibie (Woods 1984 : 306); au Cambodge pour les céramiques traditionnelles (Biagini & Mourer 1971 : 201-206; Mourer 1984 : 29-30); dans l’île Negro aux Philippines (van der Leeuw 1984 : 334); au Sri Lanka (Kirk 1984 : 2-3); ou encore dans le nord-est de la Thaïlande (Ho Chuimei 1984 : 263-264, ill. p. 278).
303) La panse et la base sont préparées séparément : le battage assure ensuite la jonction des deux parties et la mise en forme définitive. On peut citer l’exemple de pots à cuire fabriqués sur l’île Negro aux Philippines : les deux parties des récipients sont moulées, puis jointes une fois sèches, la forme finale étant donnée par battage après une autre phase de séchage (van der Leeuw 1984 : 335).
314) La base peut être façonnée à partir d’une plaque d’argile travaillée par battage sur un moule convexe, par exemple un pot retourné (Gallay et al. 1998, pl. 16-17, fig. 79, 82 et 84). Au Nigeria (village Hausa de Naraguta près de Jos), la base est moulée à partir d’une plaque d’argile circulaire placée sur le fond d’un pot retourné et martelée avec une batte en bois jusqu’à obtention d’une forme semi-sphérique. La pièce est ensuite retravaillée par battage et complétée aux colombins (Simmonds 1984 : 58). On trouve aussi une méthode proche, pour des formes rondes à large ouverture, chez les potières Bamana de Kalabougou au Mali (« Terre Africaine » 1994 : 32).
32Dans le cas d’une base moulée, la panse est généralement ajoutée ensuite. Dans les trois premiers cas, la mise en forme finale par battage peut s’effectuer soit en continu sur la panse et la base, soit de façon distincte pour la base, en retournant la pièce et/ou en changeant d’outil entre les deux étapes (battage de la panse/battage de la base).
33En définitive, il est difficile, avec les données aujourd’hui disponibles, de déterminer le type d’ébauche réalisé avant battage. La solution serait sans doute de mettre en œuvre un programme d’expérimentations afin de tester les différentes chaînes opératoires possibles et de comparer les vases expérimentaux aux vases archéologiques. Il serait notamment intéressant de savoir si la dernière méthode (battage de la base sur un moule convexe) n’a pas pu être employée pour les céramiques du corpus dont seule la base est travaillée par battage.
34À la période où apparaissent les premières céramiques à décor au battoir, la production dominante est caractérisée par des pots et des jarres sans décor, montés aux colombins, dont toutes les formes présentent une base plate. Leur ouverture est généralement évasée (figure 5A, B) et certains récipients sont munis de préhensions en forme de corne de bœuf. Cette production, relativement homogène, dite de tradition mumun (« sans décor » en coréen), se situe dans la continuité des céramiques de l’Âge du Bronze (Ch’oe Sŏng-nak 1993 : 142, 144).
35Les plus anciennes céramiques avec des traces de battage (généralement des motifs de croisillons sur toute la panse) restent assez mal connues. Il semble que d’un point de vue morphologique elles se situent dans la continuité des céramiques de tradition mumun, avec cependant l’apparition, notoire, de jarres avec une base ronde. Ces nouvelles formes, instables sans support, impliquent certainement des changements dans l’utilisation des récipients, mais les données archéologiques liées au contexte de découverte des céramiques n’apportent pas d’informations à ce sujet. Curieusement, cette importante évolution morphologique ne ressort pas des études de M. Ch’oe Sŏng-nak, pourtant très précises et approfondies pour les trois premiers siècles de notre ère dans le sud-ouest de la péninsule. De son point de vue, la plupart des formes des céramiques à décor au battoir sont héritées de celles de tradition mumun, l’apparition des pots à panse et base rondes n’étant indiquée que de façon presque anecdotique (Ch’oe Sŏng-nak 1993 : 163). Peut-être faut-il y voir le reflet du peu d’intérêt généralement porté au battage et à ses caractéristiques. Dans tous les cas, on connaît mal les modalités d’apparition et de développement des premières céramiques à base ronde.
36Parmi les céramiques du corpus étudié, certaines s’inscrivent parfaitement dans la continuité de la production des deux premiers siècles de notre ère (fig. 5C).
37Il s’agit tout d’abord des pots à large base plate et à panse très peu bombée, dont un peu plus d’un tiers présente des traces de battage, seule différence notable par rapport aux pots de tradition mumun. Ces récipients, surtout fréquents dans les sites du IIIe siècle, se raréfient ensuite progressivement (tab. 5).
38Les jarres sur lesquelles le battage de la panse et de la base est uniforme se situent également dans la continuité des plus anciennes céramiques décorées par battage connues pour le sud-ouest de la péninsule. Comme nous l’avons vu, elles se distinguent cependant, par leur base arrondie, des jarres de tradition mumun dont l’assise, même très étroite, est toujours plate (fig. 5). Elles proviennent principalement des sites d’habitat du IIIe siècle, mais on les trouve aussi dans les sépultures du IVe siècle (tab. 4 et 5). Celles qui ont été découvertes dans les fonds de cabane sont très profondes ou ovales, à fond presque pointu et ouverture très simple (H entre 30 et 40 cm environ). On suppose qu’elles ont servi à faire bouillir de l’eau du fait de leur fréquente association avec des vases dont le fond est percé de plusieurs trous, probablement pour la cuisson à la vapeur. Elles sont parfois aussi utilisées pour former des cercueils en jarre(s) de petite taille. (Voir par exemple les sépultures en jarre(s) n° 6 et n° 15 du tumulus n° 4 de Mansu-ri à Yŏngam. Sŏng Nak-chun & Kim Kil-sik 1990 : 59).
39En revanche, les céramiques dont la base a été façonnée selon un processus distinct de celui de la panse, ainsi que celles dont seule la base est travaillée par battage, ne trouvent pas d’échos, du point de vue des formes, des décors ou des techniques de façonnage, dans les céramiques des premiers siècles de notre ère connues pour la région du Chŏlla Sud. Les premières représentent pourtant déjà environ un tiers de la production dans les sites du IIIe siècle. Elles deviennent ensuite largement majoritaires (tab. 5). Il serait intéressant d’approfondir la question de leur origine. S’agit-il d’une évolution locale au cours du IIIe siècle ? Ou d’un apport extérieur, peut-être depuis la région du bassin du fleuve Kŭm plus au nord ?
Figure 5. Évolution des formes entre le Ier siècle avant J.-C. et le milieu du IIIe siècle de notre ère dans la province du Chŏlla Sud.
Ce tableau s’inspire en partie de celui de Ch’oe Sŏng-nak 1993 (tableau n° 2, p. 243), mais les vases ont été remis à l’échelle. À partir du IIIe siècle, de nouvelles formes apparaissent et la production devient très hétérogène, rendant difficile le choix de récipients représentatifs
40Les jarres dont seule la base comporte des traces de battage sont surtout bien représentées dans les sites du groupe II (tab. 5). On peut aussi noter, à titre indicatif, qu’à deux exceptions près, elles proviennent toutes de la zone centrale de la culture des sépultures en grandes jarres. Cependant, ce type de céramiques soulève encore trop de questions pour pouvoir en tirer des conclusions.
41L’origine d’une autre catégorie de céramiques, typiques des sites du début du IVe siècle, pose également problème. Leur fabrication se caractérise par l’usage d’un battoir entouré de cordes, et non gravé. Dans notre corpus, dix vases relativement homogènes appartiennent à cette catégorie. Il s’agit de grands pots globulaires (30 à 40 cm de haut) à ouverture étroite, décorés de façon tout à fait particulière d’impressions cordées verticales recoupées par plusieurs lignes horizontales incisées, avec une large zone lissée sur l’épaule. Deux d’entre eux présentent un battage continu sur la panse et la base (tab. 3).
42Les traces du battage, qui occupaient la plus grande partie de la panse jusqu’au début du IVe siècle, sont progressivement effacées sur l’épaule, zone la plus visible des vases. Le lissage de la jonction entre le col et la panse prend en effet de l’importance et évolue en une zone lissée, généralement réalisée avec soin, qui s’étend plus ou moins bas sur la panse. Parallèlement, l’engouement pour les formes à base ronde, surtout abondants au IIIe siècle, finit par s’atténuer, et à partir du milieu du IVe siècle, les pièces à base rentrante ou aplatie, toujours façonnées au battoir, se multiplient.
43Parmi les céramiques des Ve-VIe siècles4, une grande majorité a une base nettement plate; et, fait nouveau, un pied assez haut (parfois ajouré) est ajouté sur le fond des pots avec une base ronde. Dans les régions situées plus au nord, les piédestaux et les pièces tripodes se développent également. En même temps, les traces de battage disparaissent. On peut se demander si la persistance de ces formes à base ronde, auxquelles un pied est ajouté, n’indique pas, pour une partie de la production, une continuité des techniques de fabrication. Il est en effet possible que l’usage du battage perdure, au moins pour le façonnage de la base, même si les traces en sont effacées : sont-elles lissées ou est-ce la technique de façonnage qui a changé ?
44Afin de mieux cerner les raisons de l’adoption relativement rapide de la technique du battage et de son utilisation massive, il m’a paru intéressant d’évaluer les avantages et les inconvénients liés à sa pratique (outre son aspect éventuellement décoratif), ainsi qu’à la production de vases à fond bien rond qu’elle entraîne généralement, comme le montrent des exemples ethnographiques au Cambodge, en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie, dans les Moluques centrales ou aux Philippines (Mourer 1984 : 33, et notes 15 à 20, p. 43).
45En fait, la principale difficulté du montage au battoir semble liée à son apprentissage, car cette technique nécessite un haut niveau de savoir-faire, ce qui implique généralement le déplacement de spécialistes (Pétrequin & Pétrequin 1999 : 75). Cela constitue peut-être une piste pour expliquer son adoption rapide dans le sud-ouest de la péninsule coréenne.
46Le battage présente peu d’inconvénients si ce n’est le problème de la qualité de la pâte, qui doit être travaillée lorsqu’elle a la consistance du cuir. Si l’argile est trop molle, l’outil sera vite obstrué; si au contraire elle est trop sèche, le battage n’aura que peu d’effets et pourra provoquer des fissures (Pétrequin & Pétrequin 1999 : 75; Gibson & Woods 1990 : 42-43). En revanche, les avantages ne manquent pas. Cette technique, qui permet d’étendre la paroi et de la rendre très fine, réduit en effet la porosité de la pâte en augmentant sa cohésion, sa densité et sa solidité (Pétrequin & Pétrequin 1999 : 75; Gibson & Woods 1990 : 95-96; Mourer 1984 : 31). Notons que dans les exemples khmers, pour ne citer que ceux-là, un grand vase de 45 cm de diamètre fabriqué par battage présente une paroi d’environ 3 mm, pèse moins de 3 kg et peut porter un poids qui correspond à sa capacité de 20 à 30 litres (Mourer 1984 : 32). Pour ces différentes raisons, les pots travaillés par battage sont employés pour le transport et la conservation des liquides, aussi bien que pour la cuisson des aliments (Gibson & Woods 1990 : 95-96; Tobert 1984 : 223; Simmonds 1984 : 57, 63; Kroun 1984 : 286). C’est en outre une technique fiable et économique (Kirk 1984 : 3), qui ne nécessite qu’un matériel très simple (Simmonds 1984 : 58).
47De plus, les décors imprimés près de l’encolure assurent une meilleure préhension, alors que ceux qui se trouvent à la base des pots renforcent leur solidité et leur procurent une assise plus stable grâce à la rugosité du relief (Mourer 1984 : 33; Biagini & Mourer 1971 : 207-208, fig. 18-19 p. 214 et fig. 20 p. 215). La rugosité de la surface obtenue par martèlement avec un battoir non lisse pourrait également accroître la zone de surface et favoriserait l’absorption rapide de la chaleur du feu5 (Simmonds 1984 : 64).
48D’autre part, les céramiques à base ronde et corps globuleux s’avèrent bien adaptées à la cuisson des aliments, car leur forme supporte mieux les déformations dues aux chauffages et refroidissements successifs. Dans le cas des fonds plats, l’angle situé à la jonction entre la base et la panse risque de casser lors de ces déformations (Gibson & Woods 1990 : 34). Les vases à fond rond sont en outre facilement placés sur un foyer constitué de quelques pierres (Mourer 1984 : 33), sur lequel ils peuvent être tournés régulièrement pour obtenir une meilleure répartition de la chaleur et donc une cuisson plus homogène des aliments. Placés sur un anneau, ils sont également très pratiques pour un transport sur la tête. Lorsque la base est plus pointue (comme pour les jarres profondes) ils sont bien adaptés pour être portés sur l’épaule avec les bras levés, plutôt que sur la tête (Simmonds 1984 : 63-64). Grâce à leur forme, ils peuvent également être placés dans un trou creusé dans le sol pour servir au stockage à long terme.
49Dans le sud-ouest de la péninsule coréenne, les céramiques des IIIe-IVe siècles présentent souvent des traces « d’accidents »; elles constituent donc de bons témoins des difficultés rencontrées par les potiers. Avant d’analyser la nature de ces « accidents » et de voir ce qu’ils révèlent sur la maîtrise des techniques et leur relation avec le battage, disons quelques mots de l’argile et des modes de cuisson.
50Le choix de l’argile et sa préparation ne sont pas sans conséquences, non seulement pour obtenir de bons résultats en fonction de la technique de montage choisie, mais surtout pour limiter les risques d’accidents (déformations, fissures, éclatements) lors des phases de séchage et de cuisson. Pour ne donner qu’un exemple, on note, dans une étude ethnographique réalisée au Soudan, l’emploi de deux dégraissants différents pour la fabrication d’un même vase, l’un pour le corps qui est travaillé par battage, l’autre pour le col et la lèvre qui sont montés aux colombins (Tobert 1984 : 223). La fonction de la pièce peut également entrer en ligne de compte, une argile grossière étant mieux adaptée, par exemple, à des récipients destinés à la cuisson des aliments (Simmonds 1984 : 65). Le battage, quant à lui, nécessite une argile ferme, solide et assez plastique, mais pas trop collante, c’est-à-dire bien dégraissée, assez rugueuse (Mourer 1984 : 31).
51Dans les rapports de fouilles coréens, les indications disponibles sur l’argile concernent le plus souvent l’aspect général de la pâte (fine ou grossière), la nature et l’importance des éléments non plastiques (argiles ne contenant pratiquement pas d’inclusions, argiles peu ou très sableuses, argiles contenant des inclusions autres que sableuses), ainsi que la couleur et le degré de dureté des pâtes, ces deux dernières caractéristiques étant liées non seulement au type d’argile employé, mais aussi au degré et au mode de cuisson. Toutefois, ces données ne sont pas toujours très précises et homogènes, et il est pour l’instant difficile d’en tenir compte pour aborder le problème de la maîtrise des techniques, notamment des relations entre l’argile, les techniques de montage et la cuisson.
52Certains archéologues coréens (Ch’oe Pyŏng-hyŏn 1994 : 123; Yi Yŏng-mun 1993 : 30-31) considèrent que les premiers fours grimpants (proto-fours tunnels) sont apparus dans le sud-ouest de la péninsule à peu près en même temps que le battage, aux environs du premier siècle de notre ère. Cependant, en l’état actuel des connaissances, on ne peut dire s’il s’agit d’une coïncidence ou si les deux techniques ont une origine commune. De plus, on ne sait pas selon quelles modalités ces nouvelles techniques se sont diffusées. En fait, les plus anciens fours grimpants connus dans le sud-ouest de la péninsule sont datés entre le début du Ier et la fin du IVe siècle dans la région du fleuve Kŭm et du IIIe siècle dans la région étudiée ici, située un peu plus au sud. On y cuisait vraisemblablement à la fois des céramiques de tradition mumun et des céramiques à décor au battoir (Barnes 1992 : 205-206).
53Sur trente-cinq pièces du corpus, on observe de larges taches noires de formes irrégulières, correspondant à des dépôts de carbone dus au contact direct avec les flammes et les fumées ou avec du combustible partiellement consumé. Ces traces de coups de feu sont généralement liées à une cuisson en foyer ouvert, mais les changements de couleur localisés peuvent se produire dans n’importe quel type de four. En outre, ces traces peuvent être dues à une utilisation ultérieure des récipients pour cuire les aliments (Orton et al. 1993 : 222-223; Gibson & Woods 1990 : 47-49, 106). Au moins deux vases présentent sur l’extérieur de la base des traces rectangulaires imprimées assez nettement qui témoignent peut-être de l’usage de matériel d’enfournement. Il est donc malaisé de définir le type de cuisson qui correspond à chaque pièce et de savoir si elles ont été cuites dans les fours grimpants ou dans des fours plus rudimentaires.
54Certains éléments s’avèrent néanmoins intéressants dans la mesure où ils témoignent des difficultés rencontrées par les potiers dans la maîtrise technique de la fabrication des céramiques, même si, dans certains cas, la possible recherche d’un aspect décoratif ne peut être écartée6 (tab. 6).
55Les déformations constituent les témoins les plus impressionnants et les plus significatifs. Sans contour précis, elles affectent toute la céramique ou seulement une partie, souvent l’ouverture. Elles sont présentes sur quarante-deux vases du corpus (près de 20 % de l’ensemble), dix étant complètement déformés. La production d’un potier comprend toujours des pièces plus ou moins bien réussies, mais les céramiques déformées sont ici particulièrement nombreuses, et surtout, elles sont utilisées, et même placées dans des sépultures riches, et non pas abandonnées près des fours. Pour ne donner que deux exemples, neuf céramiques présentant des déformations étaient associées aux sépultures du tumulus n° 9 de Sinch’on-ni (dont trois pour la sépulture contenant une couronne et des souliers en bronze doré) et cinq à celles du tumulus n° 9 de Tae’an-ni, deux tumuli qui sont parmi les plus riches de la région à cette période.
56Les déformations des vases peuvent être attribuées à trois causes principales : le manque de connaissance du matériau; l’incapacité de travailler ce matériau; une mauvaise compréhension du processus de cuisson du four (Mourer 1984 : 33; Gibson & Woods 1990 : 24, 151; Sanders & Tomimoto 1976 : 115-116). Les déformations et autres problèmes rencontrés par les potiers résultent donc souvent d’une mauvaise adéquation entre l’argile, les techniques de montage et la cuisson. Notamment, lorsque l’argile contient trop de fondants (surtout des oxydes métalliques), comme cela semble être le cas dans le sud de la péninsule coréenne (Tite et al. 1992 : 66-68; Barnes 1992 : 200), elle fond et se déforme lors d’une cuisson à température élevée (ou irrégulière), sauf si le potier ajoute du sable ou un autre dégraissant pour la rendre moins fusible (Mourer 1984 : 31; Sanders & Tomimoto 1976 : 115-116; Biagini & Mourer 1971 : 205-206, 212-213, 219). Dans ce cas, les déformations sont associées à des cloques ou à des traces de couverte accidentelle. Les cloques (bien nettes sur huit individus de notre corpus) sont des poches d’air, intactes ou éclatées, qui boursouflent, de façon parfois spectaculaire, la surface des vases et peuvent aller jusqu’à en déformer complètement la paroi (photo 2). Elles sont causées par l’évolution des gaz pendant la cuisson, surtout quand celle-ci a été trop rapide et quand la première étape de la vitrification s’est produite avant que les matières organiques ne soient complètement brûlées (Gibson & Woods 1990 : 106). Les traces de couverte accidentelle (appelée « couverte naturelle » en coréen) ont été relevées sur six vases de notre corpus, le plus souvent sur l’épaule. La formation de cette couverte peut être due à une vitrification partielle de la pâte, notamment lorsque celle-ci est riche en fondants, mais certains auteurs attribuent également ce phénomène à des retombées de cendres chaudes à haute température. Sanders et Tomimoto (1976 : 28 et fig. 6, p. 28 ) parlent dans ce cas de « glaçure » accidentelle.
57Les renfoncements correspondent à des déformations plus ou moins circulaires et relativement localisées. Il peut y en avoir plusieurs sur une même pièce, et vingt-trois vases (près de 11 % de l’ensemble du corpus) en présen-tent au moins un. La cause de ce type de déformation serait la position de la céramique lors de la cuisson, probablement allongée sur le côté et calée avec des pierres (Sŏng Nak-chun & Kim Kil-sik 1990 : 65), ou placée en contact avec d’autres poteries pendant les phases de séchage ou de cuisson. Sur quatre pièces, on note en effet la présence d’un morceau d’une autre céramique resté collé au niveau du renfoncement, ce qui tend à montrer que les pots pouvaient se toucher lors de la cuisson, voire éventuellement s’affaisser les uns sur les autres.
Photo 2. Céramique à décor au battoir (H. 38,5 cm)
Déformations avec cloques dues à une mauvaise adéquation entre l’argile utilisée et la technique de cuisson. Battage cordé sur la panse et la base, recoupé par des lignes horizontales incisées sur le milieu de la panse. Large zone lissée sur l’épaule. Site de Naedong-ni Ch’obun’gol, tumulus n° 2 (première moitié ou milieu du IVe siècle). D’après Sŏ Sŏng-hun & Sŏng Nak-chun 1986, p. 189, n° 77
58Les taches circulaires (huit individus dans notre corpus) constituent d’autres éléments qui reflètent les problèmes rencontrés par les potiers. Ces taches, situées sur la panse ou l’épaule, se caractérisent par leur forme bien ronde (photo 3). Elles sont d’une couleur différente de la couleur principale du vase, mais pas nécessairement noires, et pourraient résulter de la présence d’un support ou du contact avec l’ouverture d’un autre vase lors de la cuisson. Elles sont associées à des renfoncements dans six cas sur huit.
59Ces « accidents » (déformations, boursouflures, etc.) proviennent essentiellement des sites datés du IVe ou du début du Ve siècle, même si on trouve aussi quelques exemples de déformations dès le IIIe siècle (tab. 6). On peut donc se demander s’ils ne sont pas le reflet d’une phase de transition et d’adaptation à laquelle ont été confrontés les potiers, phase qui pourrait correspondre à la période d’adoption des premiers fours grimpants dans l’extrême sud-ouest de la péninsule. Si l’on considère qu’à cette période (IVe siècle) le battage, très largement répandu, semble parfaitement maîtrisé, il devient délicat de soutenir l’hypothèse qu’il soit apparu en même temps que les nouveaux types de fours dans le sud-ouest de la péninsule, en particulier dans le cas de la province du Chŏlla Sud.
Photo 3. Céramique à décor au battoir (H 29 cm).
Large tache noire circulaire sur la panse. Décors de croisillons formant deux registres décoratifs distincts sur la panse et la base, lissage sur l’épaule. Site de Tŏksan-ni, tumulus n° 3 (deuxième moitié du IVe - début du Ve siècle). D’après Sŏ Sŏng-hun & Sŏng Nak-chun 1988, p. 250, n° 20-2
60L’étude menée sur les formes, les décors et les techniques de fabrication des céramiques à décor au battoir des IIIe-IVe siècles dans la province du Chŏlla Sud permet de suggérer l’existence de plusieurs traditions différentes. L’une de ces traditions reflète une évolution locale et continue des céramiques de la fin de l’Âge du Bronze, d’abord sensible dans la forme des vases (pots à large fond plat, jarres profondes ou ovoïdes dont la base s’arrondit), avec l’emploi d’un battoir gravé de motifs de croisillons. En revanche, on ne trouve pas trace des autres traditions céramiques dans la région avant le IIIe siècle. L’usage de battoirs gravés de stries parallèles associé à une technique de façonnage plus complexe, la base des récipients étant travaillée par battage selon un processus distinct de celui de la panse, pourrait avoir une origine extérieure à la province du Chŏlla. Cette origine serait peut-être à rechercher dans le bassin du fleuve Kŭm, un peu plus au nord. L’utilisation d’un battoir cordé, et non gravé, pour une partie de la production pose également problème. Les vases dont seule la base présente des traces de battage, la panse étant lissée, constituent encore une autre tradition dont la valeur culturelle ou chronologique reste mal établie. Sa localisation paraît limitée, mais les données sont encore insuffisantes pour en tirer des conclusions. Il serait notamment intéressant de connaître les techniques de façonnage de ces vases (battage soigneusement lissé, battoir lisse ou colombins sans battage). Les vases qui n’ont conservé aucune trace de battage, mais dont la technique de fabrication n’a pas été examinée, renvoient à un autre aspect problématique de la production céramique.
61En définitive, il conviendrait d’une part d’élargir le corpus d’étude géographiquement, notamment vers le nord, et d’autre part de pouvoir approfondir la connaissance des techniques de fabrication en ayant recours, entre autres, à des observations pétrographiques. On comprendrait mieux ainsi le processus complexe, et probablement non linéaire, de développement des différentes traditions liées à la technique du battage dans la province du Chŏlla. Il semble en effet que seule une approche régionale fine permette, à plus ou moins long terme, d’appréhender les modalités d’une éventuelle influence des céramiques chinoises.
Tableau 1. Sites étudiés, classés par ordre chronologique
Tableau 2. Relations entre la forme de la base des céramiques et la technique de façonnage de la base (en nombre d’individus)
Tableau 3. Relations entre les motifs du battage et la technique de façonnage de la base (en nombre d’individus)
A : motifs de croisillons; BI : motifs de stries parallèles simples; BII : motifs de stries parallèles recoupées par un ou plusieurs traits perpendiculaires; BIII : motifs de stries parallèles avec dessin en forme de patte d’oie; C : motif cordé; D : lignes horizontales lissées ou incisées sur les traces de battage. Liss : large zone lissée sur l’épaule; ? : décor incertain ou pas de traces de battage.
Tableau 4. Répartition des différentes techniques de façonnage de la base dans les trois groupes de sites étudiés (en nombre d’individus)
Tableau 5. Évolution des différentes techniques de façonnage de la base (en pourcentage du nombre de vases de chaque période pour lesquels la technique a pu être identifiée)
Tableau 6. Nombre de céramiques présentant des « accidents »