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Chroniques et Commentaires

Réponse à Alain Testart pour sa “Réponse à François-René Picon, ‘Ce qu’esclave veut dire’”

François-René Picon
p. 178-179

Texte intégral

1Alain Testart, ami et collègue, me fait l’honneur de répondre aux commentaires que son livre sur l’esclavage m’avait invité à écrire et auxquels il adresse un certain nombre de critiques. Elles portent presque exclusivement sur les quelques réflexions que j’ai faites à propos des indiens Guajiros —connus aujourd’hui comme Wayú— chez qui j’ai eu la chance de séjourner et de travailler. J’ai le plaisir de pouvoir répondre brièvement à ses critiques que je prendrai dans l’ordre inverse de leur exposition afin que les deux textes puissent se lire d’une seule traite.

2Tout d’abord, j’ai bien compris ce qu’entend Alain Testart par prix de la fiancée —avec ou sans retour. Je me demandais simplement, sans doute de façon peu claire, où situer, dans ce contexte, le paiement que font le fiancé et ses parents matrilinéaires pour un mariage dont les enfants appartiendront au lignage de l’épouse —matrilinéarité oblige. Ce paiement semble être à fonds perdus sauf qu’au mariage de la première fille (et celle-là seulement), le fiancé et son groupe de parents recevront « en retour » un prix supérieur à celui qui a été acquitté. Retour particulier, certes, mais retour quand même.

3Deuxièmement, la très brève référence au modèle lignager ne concerne pas le problème de l’esclavage mais celui du pouvoir et donc de la présence dans certaines sociétés de traits favorisant l’apparition de l’État.

4Ensuite, il est souvent dit que l’esclavage existe ou existait en Guajira. Il reste, mais ce serait ouvrir là un long débat, qu’il m’est difficile d’adhérer sans réserves à cette vision des choses et ce, en raison des données ethnographiques et historiques (ou ethnohistoriques, si l’on veut) recueillies sur le terrain et dans les archives. À l’évidence, les personnes en situation de dépendance sont nombreuses en Guajira, mais elles se trouvent presque toujours à l’intérieur de la parenté (lignage ou clan) —et la notion de clientélisme ne me semblait pas totalement hors de propos. Quant aux nombreuses guerres intestines (le terme de guerre est un peu fort), elles durent souvent très longtemps, entre paix précaire et conflit ouvert, et cette durée laisse bien peu de place à celles qui voient l’extermination du groupe vaincu, guerres que l’on aime à raconter mais qui doivent aussi et peut-être surtout être comprises comme un modèle, comme un ethos énoncé et affiché.

5Quatrièmement, si j’ai agrémenté de guillemets les « esclaves noirs » qui accompagnaient parfois certains caciques guajiros (lors de rencontres avec les autorités coloniales, ce que j’ai omis de préciser), j’ai également noté que c’était « à la mode espagnole » pour souligner qu’il s’agissait d’un emprunt, d’une mise en scène faite par ces caciques, à la fois alliés et ennemis des Espagnols. Par ailleurs, comme nombre d’esclaves fugitifs se réfugiaient en Guajira, ce n’était certainement pas pour risquer de retomber dans l’esclavage.

6Enfin, j’ai sans doute mal apprécié la différence entre gagé et esclave pour dettes, négligé le « peut-être » dans « on retrouve peut-être cette institution chez les Guajiros », ce « peut-être » auquel correspond le point d’interrogation sur la carte que j’avoue ne pas avoir discerné.

7Je conclurai rapidement —car les pages me sont comptées— par deux remarques. D’une part, sous forme d’autocritique : mes formulations n’étaient peut-être pas assez nettes, sans doute ai-je fait des erreurs d’appréciation; il est certain, en revanche, que je suis tombé dans le travers que je dénonçais, à savoir que lui opposer l’ethnographie n’est pas forcément la meilleure façon de lire Alain Testart que j’ai involontairement entraîné avec moi sur ce registre alors que je voulais seulement compléter une toute petite partie des données analysées. D’autre part, j’aurais surtout aimé avoir son opinion sur quelques points qui me semblaient importants tels que, par exemple, sa conception de l’apparition de l’État, ou cette double loi sociologique (statique et dynamique) que je crois bien avoir vue, ou enfin ces sociétés primitives, référent négatif et sujet central implicite, sur lesquelles je m’interrogeais et que, de manière un peu provocante, je qualifiais de « bonnes à penser » . Je regrette son silence sur ces questions peut-être trop générales ou, qui sait, infondées. Mais puisque nous sommes collègues et amis, je trouverai bien un jour prochain l’occasion de les lui poser, oralement cette fois.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François-René Picon, « Réponse à Alain Testart pour sa “Réponse à François-René Picon, ‘Ce qu’esclave veut dire’” », Techniques & Culture [En ligne], 42 | 2003, mis en ligne le 06 novembre 2007, Consulté le 26 décembre 2009. URL : http://tc.revues.org/142

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Auteur

François-René Picon

« Techniques et culture », Université Paris 5 - René Descartes

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