1Les textes antiques —et particulièrement les textes latins— qui traitent directement ou indirectement de l’architecture domestique sont peu nombreux et tous bien connus. L’ouvrage de Vitruve mis à part, il s’agit le plus souvent de courtes mentions : conseils pratiques donnés par les « agronomes » pour la construction de bâtiments liés à la vie rurale, anecdotes de voyages, ou encore, mais plus rarement, allusions dans la littérature. Sur le thème particulier des constructions en terre crue, le recensement des références a déjà été fait et le propos de cet article n’est pas d’en reproduire une liste exhaustive (Lequément 1985). Néanmoins, comme le sens de ces citations demeure souvent imprécis ou sujet à des interprétations ambiguës, la mise en parallèle des informations qu’elles restituent avec les données archéologiques recueillies au cours des deux dernières décennies constitue un exercice intéressant.
- 2 Voir par exemple le congrès sur « les architectures de terre et de bois » qui s’est tenu à Lyon en (...)
2En effet, des progrès considérables ont été accomplis en archéologie depuis le début des années 1980, période qui coïncidait avec la découverte d’un immense patrimoine en terre crue jusqu’alors ignoré2.
Carte des sites archéologiques en France
3Actuellement, nous sommes capables non seulement de reconnaître les constructions en terre préhistoriques, proto-historiques, gallo-romaines et médiévales, mais également d’en identifier les modes de mise en œuvre avec une large gamme de nuances. Nous parvenons à ébaucher une histoire de ces techniques sur une très longue durée, à comparer les régions entre elles, ainsi que les périodes, et nous pouvons pointer l’apparition de tel ou tel procédé ou la disparition de tel autre.
4Parmi les auteurs latins qui mentionnent ou décrivent des structures en terre, plusieurs sont ces fameux « agronomes » dont les préoccupations concernent aussi bien l’architecture des maisons et des bâtiments agricoles que l’agronomie elle-même : Varron (IIe s. av. n.è.), Caton (Ier s. av. n.è.), puis Columelle (Ier s. de n.è.) et Palladius (IVe s. de n.è.), les deux derniers ayant essentiellement repris et commenté les textes antérieurs. On doit à l’architecte Vitruve, qui vécut sous le règne d’Auguste, une somme d’informations capitales sur les matériaux et leur préparation, ainsi que sur différents procédés constructifs dont il a comparé les avantages. En marge des aspects techniques, son ouvrage comporte quelques observations ethnographiques sur l’habitat romain et sur celui des provinces voisines de l’Italie : Gaules, Ibérie et Lusitanie. L’Histoire naturelle de Pline (Ier s. de n. è.), qui recèle des passages directement copiés chez Vitruve, offre également des descriptions originales du plus grand intérêt.
- 3 Strabon, Géographie, IV, 4, 3 et XIII, I, 67.
- 4 Dion Cassius, Histoire romaine, XXIX, 61.
- 5 Suetone, Vies des douze césars, Auguste, 28.
5Par ailleurs, si on peut glaner dans des récits de voyageurs (en particulier Strabon3) ou au fil des ouvrages d’histoire quelques évocations de constructions en terre, elles attirent souvent l’attention sur la vulnérabilité4 ou sur l’aspect misérable5 de cette architecture.
6Les textes réunis ici donnent une idée assez précise des savoir-faire empiriques dont disposaient maçons et architectes romains et montrent, en particulier avec Vitruve, le souci précoce de rationaliser et de normaliser des procédés, sans doute utilisés spontanément par les auto-constructeurs, afin de les hisser au rang de techniques savantes. Les descriptions de Vitruve, tout comme les remarques de Varron ou de Pline sur quelques particularismes régionaux, permettent de déterminer ce qui relève de la pratique des maçons romains et ce qui semble propre à d’autres cultures.
7Bien entendu, il n’est pas question de confronter directement les textes latins et les données de fouilles, d’abord en raison de la distorsion chronologique —les vestiges archéologiques auxquels on se réfère étant souvent antérieurs à la date d’écriture des textes— et, ensuite, parce que ces données proviennent essentiellement de la France méridionale et du nord-est de l’Espagne et non de la péninsule italique. Pour autant, loin d’être antinomiques, les informations se rejoignent et se complètent mutuellement sur la plupart des thèmes. J’ai choisi de mettre l’accent sur la construction des murs car ce sujet offre la plus grande complexité : brique crue, bauge, pisé, torchis et pans de bois sont donc examinés selon des points de vue technique et ethno-historique.
8Les textes relatifs aux finitions et aux toitures sont trop succincts et trop rares pour donner lieu à une véritable discussion et les écrits littéraires n’ont pas été pris en compte.
9— Caton, De agricultura, XVII, 14, 4
- 6 [...] lapide calce fundamenta supra terram pede, ceteros parietes ex latere.
10[...] des fondations avec de la pierre mêlée de chaux, sur une hauteur d’un pied au-dessus du niveau du sol, le reste des murs en briques crues6.
11— Varron, Res rusticae, I, 14, 4
- 7 Huius fere species quattuor, quod fiunt e lapide, ut in agro Tusculano, quod e lateribus coctilibus (...)
12(À propos des types de clôtures) Il y en a environ quatre espèces, car on en fait en pierres, comme dans le territoire de Tusculum, en briques cuites comme dans le territoire gaulois, en briques crues, comme dans la province de Sabine, en un mélange de terre et de gravier aggloméré dans des moules, comme en Espagne et dans le territoire de Tarente7.
13— Vitruve, De architectura, II, 3
- 8 Non enim de harenoso neque calculoso neque sabulonoso luto sunt ducendi, quod, ex hisgeneribus cum (...)
14(À propos des briques crues) En effet, il ne faut pas les faire de terre mêlée de sable, ni de gravier, ni de sabulo, car si elles sont faites avec ces matériaux, d’abord les briques sont trop lourdes, ensuite, lorsque la pluie les éclabousse, elles tombent en morceaux et se désagrègent et les pailles n’y adhèrent pas. Au contraire, il faut les faire à l’aide de terre argileuse blanchâtre, ou avec de la terre rouge (ocre ?) ou du sabulo mâle8.
15On fait trois types de briques : l’un d’eux qui est appelé « lydien » en grec, est celui que nous utilisons, il est long d’un pied et demi et large d’un pied. Les deux autres types se trouvent dans la construction des bâtiments grecs : l’un est dit pentadoron, l’autre tetradoron.
- 9 Fiunt autem laterum genera tria : unum, quod graece Lydium appellatur, id est quo nostri utuntur, l (...)
16En même temps que ces briques, on fait des demi-briques. Quand on bâtit, on dispose d’un côté une rangée de briques et, de l’autre côté, des demi-briques9.
17— Vitruve, De architectura, II, 8
- 10 Latericii vero, nisi diplinthii aut triplinlhii fuerint, sesquipedali crassitudine non possunt plus (...)
18[...] Mais les murs de briques, s’ils ne sont pas faits de deux ou trois briques et n’ont qu’un pied et demi d’épaisseur, ne peuvent soutenir plus d’un étage10.
- 11 Summis parietibus testacea sub tegula subiciatur altitudine circiter sesquipedali habeatque project (...)
19[...] Sur le haut des murs, au-dessous du toit, il faut établir une maçonnerie de terre cuite d’environ un pied et demi de hauteur, formant une corniche en surplomb11.
20— Pline, Naturae historiarum, XXXV, 49
21Les briques ne doivent pas être faites avec un matériau sableux à gros grains ou à grains fins, encore moins caillouteux, mais d’une terre argileuse blanche ou de terre rouge, ou même de sabulo, si c’est du « sabulo mâle ». [...] il faut que le mélange ait bien macéré avant d’être façonné.
- 12 Lateres non sunt ex sabuloso neque harenoso multoque minus calculoso ducendisob, sed ecreteso et al (...)
22[...] Il y en a trois sortes : la Lydienne, que nous utilisons, est longue d’un pied et demi et large d’un pied [...]12.
23— Pline, Naturae historiarum, VII, 57, 194
- 13 Laterarias ac domus constituerunt primi Eutyalous et Hyperbius frates Athenis [...]
24Les premiers à construire des maisons en briques crues furent les frères Euryalos et Hyperbius, d’Athènes [...]13.
25— Palladius, Opus agriculturae, I, XI
- 14 Quod si latericios parietes in praetorio facere volveris, illud servare debebis, ut perfectis parie (...)
26Parce que si vous voulez faire des murs de briques dans la maison du propriétaire, vous devez procéder de sorte que sur la partie supérieure des murs achevés, on place sous le toit une maçonnerie en terre cuite, haute d’un pied et demi, avec des corniches saillantes [...]14.
27— Palladius, Opus agriculturae, VI, 12
- 15 Sint vero lateres longitudine pedum duorum, latitudine unius, altitudine quater unciarum.
28Mais que les côtés soient d’une longueur de deux pieds, d’une largeur d’un pied et d’une hauteur de 4 pouces15.
29La portée de ces textes est très inégale : simples témoignages sur l’emploi de la brique crue au cours des deux siècles précédant le règne d’Auguste, dans les cas de Caton et de Varron, mais véritables recommandations techniques en ce qui concerne les trois autres. Toutefois, les similitudes flagrantes entre les textes trahissent le recopiage pur et simple de l’ouvrage original de Vitruve.
- 16 Néanmoins ce format est notamment attesté dans une construction nimoise du Ier s. de n. è. (≥ 60 x (...)
- 17 En effet, si ce module a bien été employé à Narbonne et à Olbia, à l’époque augustéenne, il existe (...)
30Si l’on se fie à ce dernier, durant la période augustéenne, la brique usuelle des Romains mesurait un pied et demi de long sur un pied de large, alors qu’elle atteindrait deux pieds de longueur quelques siècles plus tard, aux dires de Palladius. Des variations de modules aussi importantes peuvent s’expliquer par un accroissement de la taille des briques au Bas-Empire, bien que le format démesuré indiqué par Palladius implique un poids élevé et une manipulation difficile16. Pourtant, si l’on se réfère aux données de l’archéologie, aucune préférence pour un module particulier ne se manifeste clairement dans les constructions gallo-romaines et la vérification mériterait d’être effectuée dans l’architecture de Rome. Pendant la Protohistoire, en France comme en Espagne, tout se passe comme si chaque agglomération avait élaboré ses propres modules. Comprenant souvent une brique et une demi-brique, ceux-ci variaient au cours du temps, comme on l’a démontré à Martigues et à Lattes (Chausserie-Laprée & Nin 1987 : 71 ; Chazelles 1997 : 60, fig. 52). On constate que le format théoriquement privilégié à l’époque augustéenne existe, parmi d’autres, à toutes les périodes17, mais on peut se demander si certaines dimensions courantes à partir des IIe et Ier s. av. n. è. autour de Marseille (Baou-Roux, Entremont, Glanum, Mimet), ainsi qu’à Lattes, ne s’insèrent pas, quand même, dans un système de briques et demi-briques, dont l’élément entier serait effectivement le module vitruvien. Par la suite, dans les villes romaines (Nimes, Orange, Aix-en-Provence, Lyon, etc), si les briques sont généralement rectangulaires, on n’enregistre pas non plus de format universel.
- 18 « Il s’agit d’un sable grossier qui ne pouvait être qu’un ingrédient de fabrication ».
31Concernant le choix des terres destinées à être moulées, la première recommandation ne pose pas de problème : les auteurs écartent les matériaux trop sableux ou trop riches en cailloux qui sont lourds et sujets à l’érosion. Plus difficile à comprendre, le terme sabulo, parfois traduit en français, à la suite de Claude Perrault, par « sablon mâle » et plus récemment par « sable grossier » (Croisille 1985 : 274, note 17018), pourrait correspondre tout simplement à un matériau de texture limono-sableuse ou sablo-limoneuse, c’est-à-dire à une terre fine, mais plus meuble que l’argile. L’énumération des matériaux recommandés par Vitruve sous-entend une réelle diversité granulométrique —depuis les argiles (plutôt que la craie retenue par certains traducteurs) et les ocres (terre rouge) à la texture très fine jusqu’à ce sabulo nécessairement plus grossier— qui correspond tout à fait à celle que l’on observe sur les adobes protohistoriques et romaines. Les constructeurs ont habituellement utilisé les matériaux disponibles dans leur environnement proche, quitte à les amender si leurs qualités plastiques laissaient à désirer : ajout de fibres végétales pour accroître la cohésion interne, inclusions minérales dans les terres trop argileuses, etc.
32Mais que les terres soient blanches ou rouges n’a pas d’importance intrinsèque : ces couleurs évoquent soit des carrières connues de Vitruve autour de Rome, soit des terres qu’il a vu employer par des maçons. Bien souvent dans les ensembles bâtis, les briques montrent des teintes variées car les terres provenaient de carrières différentes ou de faciès distincts au sein d’une même carrière. Sur les sites de France méridionale et de Catalogne implantés dans des zones lagunaires ou des deltas de fleuves —tels que Lattes, Martigues, Salses, Montlaurès, Ullastret, etc.—, les couleurs des briques vont du jaune pâle au noir, selon que les limons sont issus de zones oxygénées par des apports réguliers d’eau claire ou de zones vaseuses, riches en matières organiques (photo 1).
Photo 1. Mur en adobes de couleurs diverses sur soubassement en pierre. Habitat ibérique d’Illa d’en Reixac (Ullastret, Espagne). (H. Gazzal)
- 19 Sur le site de hauteur du Marduel par exemple, les briques anciennes ont été moulées à partir de te (...)
33L’archéologie révèle aussi que les hommes n’ont pas toujours pris la peine d’aller extraire les matériaux idoines. Si cet effort se vérifie pour les périodes anciennes, aux VIe et Ve siècles, à une époque où la brique représentait encore une technique nouvellement adoptée et pour laquelle les constructeurs ne s’étaient pas affranchis des normes qui l’accompagnaient19, il est rarement constaté pour les derniers siècles de l’Âge du fer. En effet, dans les agglomérations de Lattes, de Martigues ou du Marduel, les gravats produits par les démolitions de bâtiments ont fréquemment été substitués aux matériaux de carrières, afin de faire l’économie du transport.
34Sur la fabrication proprement dite du matériau avant le moulage, notons que l’ajout de pailles correspond bien à une forme d’amendement des terres couramment enregistrée dans les briques gauloises et ibériques : les fibres végétales qui stabilisent la terre en limitant le retrait des argiles apparaissent sous la forme de négatifs quand on brise les adobes. Par ailleurs, l’expression macerari rencontrée chez Pline doit être comprise littéralement, plutôt que dans le sens d’« humecté » (Croisille 1985) : il est en effet recommandé par les constructeurs (contemporains) de laisser « pourrir » ou macérer pendant plusieurs jours la terre mélangée avec la paille et l’eau, afin que les mottes fondent, que les argiles aient le temps de gonfler et qu’une réaction chimique se produise sous l’effet de la fermentation des végétaux. Le mélange n’en sera que plus homogène et les risques de retrait diminués.
- 20 On admet que la hauteur d’un mur en brique peut atteindre huit fois sa largeur (Doat et al. 1979 : (...)
35C’est dans la manière d’agencer les briques que les témoignages archéologiques s’écartent le plus des textes latins. Aucun site gaulois ou ibérique n’a confirmé la disposition décrite par Vitruve, selon laquelle chaque assise de briques comporte une rangée de briques, accolée à une rangée de demi-briques : les parois mises au jour par les fouilles sont toujours constituées par une seule rangée de briques, le plus souvent disposées en panneresses (photos 1, 2 et 3). L’explication tient au fait que, pour Vitruve, les maisons romaines étaient destinées à posséder des étages, alors que les habitations de l’Âge du fer —et même celles du Ier siècle en règle générale— en comportaient rarement. Il est exact que la hauteur d’une paroi de brique est liée à son épaisseur20 et, comme le remarque l’architecte, on ne saurait élever un étage à partir de murs de largeur inférieure à un pied et demi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les constructions en brique étaient proscrites à Rome.
36La nécessité d’élever les briques sur des soubassements en pierre pour limiter les remontées capillaires d’humidité dans les murs, prescrite par les auteurs latins (un pied de haut au minimum d’après Caton), n’avait pas échappé aux constructeurs protohistoriques car les murs périmétraux en sont toujours dotés, contrairement aux refends et aux cloisons qui reposent directement sur le sol (photos 1 à 3). Leur hauteur varie en fonction du contexte : terrain plus ou moins humide, sol plat ou en pente, etc., de la hauteur à donner aux édifices et de la disponibilité plus ou moins grande de pierres dans l’environnement.
- 21 Voir par exemple le chapitre sur les sols : pavimenta, Vitruve, VII, 1.
- 22 Un procédé similaire, mais transposé puisqu’il est réalisé à l’aide de tuiles courbes (imbrices), s (...)
- 23 Vitruve II, 1 : « À Marseille, au lieu de tuiles, les maisons sont couvertes de terre pétrie avec d (...)
37Au registre de la protection des murs de brique crue, se trouve chez Vitruve comme chez Palladius une recommandation assez peu explicite, compte tenu de l’expression employée. Ils préconisent en effet de recouvrir les derniers centimètres des murs sous le toit d’une « structura testacea » formant une corniche saillante. Certains traducteurs, tel Pairault pour Vitruve, au XVIIe siècle, avaient opté pour « tuileau » qui désigne en réalité un mortier grossier de chaux et de céramique broyée21. Les traducteurs modernes considèrent qu’il s’agit simplement de briques cuites (comme René Martin dans sa traduction de Palladius ou L. Callebat pour le Livre II de Vitruve). Effectivement, dans d’autres chapitres du livre de Vitruve, par exemple quand il est question des maçonneries (II, 8 De generibus structurae), le mot testacea s’entend vraisemblablement comme un synonyme de brique cuite ou, à la rigueur, de tegula puisque l’on sait que les tuiles cassées étaient couramment remployées dans la maçonnerie des murs. On pourrait aussi imaginer qu’il s’agisse de pièces de terre cuite spécialement conçues, des sortes de larmiers servant à éloigner les eaux de ruissellement de la façade, mais on ne connaît pas de céramiques architecturales susceptibles d’avoir rempli cette fonction. Aussi la proposition de J.-M. Croisille semble-t-elle très satisfaisante car, selon lui, la structura testacea serait une maçonnerie formée par plusieurs rangs de briques cuites, disposés en surplomb, comme on voit de nos jours sur des maisons du sud-ouest de la France22. En tout cas, qu’il s’agisse de tuile ou de brique, il est peu probable que ce mode de protection ait eu cours en Gaule du temps de Vitruve car les Gaulois —qui n’avaient jamais employé la tuile comme matériau de couverture— ont tardé à adopter les terres cuites dans la maçonnerie. L’architecte en donne lui-même le témoignage en décrivant les toits en terre de Marseille23ainsi que les couvertures en chaume ou en bardeaux de bois en usage dans plusieurs provinces.
- 24 À Marseille en revanche, les briques répertoriées sont le plus souvent franchement rectangulaires, (...)
38La remarque de Vitruve au sujet de la forme des adobes, soulignant la préférence des Grecs pour la forme carrée, appelle quelques commentaires. En effet, alors que la plupart des gisements indigènes de Gaule ont produit uniquement des briques rectangulaires, certains ont eu également recours à des modèles carrés (photo 2). À Lattes, par exemple, des murs furent édifiés au IVe siècle avec des briques qui s’apparentent au pentadorôn (environ 38-40 cm de côté), tandis que ces modèles ont été par la suite spécialement destinés à la réalisation de structures horizontales comme les sols ou les banquettes. Il est particulièrement significatif que dans la ville grecque d’Agde, le format de brique identifié soit non seulement carré à toutes les époques, mais qu’il corresponde de surcroît au pentadorôn grec évoqué par Vitruve24 (Nickels 1995 : 72). Par ailleurs, se pose la question de l’origine des briques crues, sur le plan général et plus particulièrement en Italie. Sous l’allusion légendaire qu’utilise Pline citant nommément deux « inventeurs » athéniens, transparaît incontestablement la connaissance de monuments bâtis en brique, très anciens et parfois réputés dans le monde grec. Vitruve, qui mentionne pour sa part, dans un autre chapitre, de nombreux édifices publics grecs comme des temples et des palais, ne dit rien au sujet de l’introduction de cette technique en Italie, en Gaule ou en Ibérie : cette manière de construire y est simplement constatée.
- 25 Hérodote, notamment, reconnaissait dans les Etrusques les descendants démigrants originaires de Lyd (...)
39En Italie, les vestiges actuellement répertoriés par l’archéologie n’étant pas antérieurs à la colonisation grecque, on peut légitimement hésiter entre un réel apport hellénique, à l’instar de ce qui s’est produit en Gaule du sud, et une invention par les Etrusques puisque les plus anciens témoignages de briques crues —qui remontent au VIIe siècle— se rencontrent dans des agglomérations étrusques (Russellae ou Vetulonia, entre autres). On pourrait donc envisager une situation comparable à celle de l’Espagne où les peuples ibères du centre de la péninsule bâtissaient en briques moulées dès la fin de l’âge du bronze, dans des contextes culturels pré-coloniaux (Chazelles 1995). D’ailleurs, quoique Pline attribue à des Grecs l’invention de l’adobe, force est de constater, d’une part, l’usage traditionnel d’un format de brique rectangulaire en Italie qui se démarque des modèles helléniques et, d’autre part, le fait que cette brique est qualifiée de « lydienne » par le même Pline, comme par Vitruve. Or, on sait que cet adjectif était employé concurremment à celui d’étrusque par les Romains, en vertu de la provenance orientale de ce peuple, admise par plusieurs auteurs latins25 Il était donc reconnu implicitement, à l’époque d’Auguste, que le type de brique en vigueur avait pour sa part une origine strictement autochtone en Italie puisqu’il était « étrusque ».
- 26 Ce mode de construction a été mis en évidence à Mailhac, sur le gisement de plaine du Traversant, p (...)
40En France, l’apparition de la brique moulée coïncide exactement avec l’arrivée des Phocéens à Marseille. En effet, quoique des fouilles récentes aient mis en évidence à Mailhac (Aude), dans un habitat du Bronze final IIIb (IXe-VIIIe siècle av. n. è.), des constructions formées par des blocs de terre plastique agglomérés, il s’agit là d’une variante de la bauge qui ne peut pas être retenue comme un antécédent gaulois de la brique proprement dite26. Les caractéristiques de la brique sont, d’une part, le moulage des éléments qui en facilite le calibrage et, d’autre part, le fait que ceux-ci sont préalablement séchés avant utilisation.
Photo 2. Mur en adobes rectangulaires, disposées en panneresses sur un solin en pierre. Habitat gaulois de Saint-Pierre-les-Marrigues (B. du Rh.). (C. Lagrand)
Photo 3. Mur de refend en adobe, sans soubassement. Habitat gallo-romain de Nimes (Gard). (P. Garmy)
41Vitruve II, 1
- 27 Primumque furcis erectis et virgulisinterpositis luto parietes texerunt. Alii luteas glaebas arefac (...)
42(à propos de l’habitat des premiers hommes) [...] « Après avoir dressé des pieux fourchus, ils y entrelacèrent des branchages qu’ils enduisirent de boue pour faire des murs. D’autres bâtirent des murs avec des mottes de terre [...] »27.
43La première partie de la phrase concerne sans ambiguïté des structures en torchis sur poteaux porteurs mais la seconde, qui a rarement retenu l’attention des traducteurs, peut aujourd’hui prendre un sens concret à la lumière des connaissances rassemblées sur la construction en bauge ces dernières années, en France méridionale et en Espagne. Vitruve, qui dresse à sa manière un historique des modes de construction depuis la Préhistoire (étonnamment réaliste d’ailleurs), attribue également ces deux procédés —jugés rudimentaires et archaïques— aux peuples de la Gaule, de l’Ibérie, de la Lusitanie et de l’Aquitaine.
- 28 Le caractère indigène et très ancien des techniques du façonnage direct est désormais démontré par (...)
44Les découvertes de Mailhac évoquées ci-dessus apportent une antériorité du plus grand intérêt à ce mode de mise en œuvre de la terre crue, identifié jusqu’à maintenant uniquement dans des agglomérations gauloises employant conjointement la brique crue. Les gisements de Martigues (l’Ile et Saint-Pierre) où les maisons furent indifféremment bâties en terre massive ou en adobe entre la fin du VIe s. et le Ier siècle av. n. è. (Chausserie-Laprée 2000 ; Chausserie-Laprée et Chazelles 2001), ainsi que plusieurs agglomérations voisines de l’étang de Berre attestant aussi l’usage de la bauge durant les IIe et Ier siècles av. n. è. (Marignane, Mouriès...), laissaient déjà pressentir le caractère autochtone de cette technique qui s’est maintenue en Provence durant tout l’Âge du fer, à côté de celle de la brique empruntée au monde grec28. En Languedoc, au contraire, ce procédé qui demande le maniement de très importants volumes de terre semble délaissé avant la fin du IVe siècle C’est en tout cas ce que l’on observe à Lattes où les contraintes liées à l’urbanisme, à savoir l’insertion des habitations dans des lots aux limites strictes, ont pu conduire à préférer les murs de briques, plus étroits (Chazelles 1999).
45Les parois en bauge du Ve siècle av. n. è. de Lattes et de Martigues possèdent effectivement des largeurs imposantes, jamais inférieures à 60 cm et approchant plus souvent des 80 cm, qui autorisent l’absence de solin en pierre, ces structures n’ayant pas à craindre la sape de leurs bases, contrairement aux parois de brique. Il est probable que leurs élévations présentaient un fruit important, ce que les vestiges conservés ne permettent pas d’appréhender (photo 4).
- 29 En Afghanistan ou au Yémen, on construit des murs épais à partir de boules de terre humide projetée (...)
46On constate une amélioration sensible de la technique sur les gisements provençaux, qui traduit une maîtrise accrue des possibilités offertes par le matériau « terre » : au fil du temps les parois sont devenues plus étroites, se sont dotées de soubassements en pierre et ont certainement pu égaler les performances de la brique crue. La référence de Vitruve à des « mottes de terre » pourrait par conséquent s’appliquer à une des nombreuses variantes de la construction en bauge mises en évidence à la fouille (Chazelles 1999) et illustrées de nos jours par des comparaisons ethnographiques29.
Photo 4. Habitation à murs de bauche. Agglomération gauloise de Lattes (Hérault). (J.-C. Roux)
47Varron : I, 14, 4 (voir note 6)
48(À propos des types de clôtures) « [...] à partir de terre et de petits cailloux mis ensemble dans des moules, comme en Hispanie et dans le territoire de Tarente ».
49Pline : XXXV, 48
- 30 Quid ? Non in Africa Hispaniaque e terra parietes, quos appelant formaceos, quoniam in forma circum (...)
50« Pourquoi ? est-ce qu’en Afrique et en Hispanie les murs de terre qu’ils appellent formaceos (“murs moulés”) car ils sont bourrés dans un moule composé de deux planches placées de part et d’autre, plus qu’ils ne sont montés, n’affrontent-ils pas la durée, ne résistent pas aux pluies, aux vents, aux incendies plus solidement que n’importe quelle pierre ? L’Espagne peut encore voir les postes d’observation d’Hannibal et ses tours de terre placées sur les chaînes de montagnes »30.
51Palladius : I, XXXIV, 4
- 31 Alii luto inter formas clauso parietes figulatos ex partibus imitantur.
52(À propos des clôtures de jardin) « Certains, en enfermant de la boue entre des planches, imitent un peu les murs de terre »31.
53Trois remarques s’imposent : Vitruve ne dit pas un mot au sujet du pisé ; pour les agronomes, ce type de construction concerne en Italie uniquement des clôtures, jamais des murs de bâtiments ; enfin, ce type de structure si particulier évoque aussi bien pour Varron au début du Ier siècle av. n. è. que pour Pline au troisième quart du Ier s. de n. è., des modèles connus en Espagne.
- 32 Les restitutions de la fin de la phrase varient selon les éditeurs du texte latin. Pour R. Martin ( (...)
- 33 Dans certaines régions de France, en particulier dans la vallée de la Durance, on peut encore voir (...)
54Les descriptions techniques données par Varron et Palladius ne laissent aucun doute sur la réalité qu’elles recouvrent : il s’agit bien de murs composés d’éléments moulés en place dans des « formes » ou des caissons en bois32, mais une différence notable entre leurs témoignages concerne le matériau constitutif. Selon Varron, les clôtures seraient faites avec un mélange de terre et de particules minérales tandis que Palladius se réfère, au contraire, à de la terre fine (luto évoquant de la boue). Il peut s’agir d’une interprétation personnelle de la part de ce dernier, s’il ne connaissait pas cette technique de visu, ou bien d’une variété de pisé propre à une zone particulière33.
55Il apparaît, par conséquent, que la construction en pisé a été pratiquée en Italie avant le changement d’ère mais que tous les auteurs ne disposaient pas du même répertoire d’informations : en effet, ce genre de maçonnerie plutôt rustique a pu être mis en oeuvre uniquement dans certaines provinces italiques (provinces méridionales, peut-être, puisque Tarente est citée), ce qui expliquerait l’ignorance de Vitruve. Quant à Pline, qui ne le mentionne pas en Italie non plus, il paraît l’avoir découvert en Afrique et en Espagne. Malgré la concision du texte, celui-ci atteste une connaissance directe du mode de fabrication et de l’extrême résistance des édifices en pisé que Pline avait dû constater par lui-même. Les détails de la mise en œuvre « entre deux planches latérales » et du « bourrage » dans le moule (inferciuntur) sont parfaitement clairs à cet égard.
56Le témoignage de Pline est absolument essentiel pour l’histoire des techniques de construction. Sans chercher à gloser sur une tournure qui peut n’être que littéraire, il est quand même bien tentant de relever la formule « quos appelant » qui est une forme active. Il semble de la sorte que cette expression traduise un état de fait : ce sont les Hispaniques et les Africains qui nomment ainsi ce type de murs, pas les Romains. De plus, l’adjectif formaceus se présente de toute évidence comme un néologisme constitué par Pline à partir de forma (le moule, la forme) pour transcrire un terme inexistant en latin ; en extrapolant à peine, on dira qu’avec cette expression il exprime dans sa langue une notion nouvelle. Si ces arguments linguistique et grammatical conservent une certaine fragilité, ils viennent quand même corroborer, à leur niveau, les sources archéologiques conduisant à attribuer aux peuples ibères et surtout puniques l’invention de la technique des murs banchés.
- 34 Il convient dès lors de poser clairement la question au sujet des structures en terre massive repér (...)
57On ne connaît en effet aucun vestige de mur en terre damée dans les gisements gaulois du sud de la France, les seules structures en terre massive étant construites en bauge, comme on l’a vu précédemment. La question ne se résout pas si simplement en Espagne où, depuis le milieu du XXe siècle, les archéologues affirment découvrir du pisé dans l’habitat ibérique. Des mises au point, animées par la volonté de ré-examiner les documents sous l’éclairage apporté par les découvertes françaises de bauge, ont été faites récemment (Belarte 1997 ; Belarte & Gailledrat 2001). Elles montrent qu’aucune certitude n’est acquise sut le sujet pour la période proprement dite ibérique (Ve-IIe siècle av. n. è.). En revanche, une autre hypothèse est en train de voir le jour avec la possible mise en évidence de parois en terre tassée dans des niveaux du VIIe siècle av. n. è, sur un grand gisement phénicien de la côte andalouse (Guardamar del Segura) (Belarte & Gailledrat 2001). C’est là une direction de recherche très séduisante puisque les seuls témoignages fiables antérieurs à notre ère dont on disposait jusqu’à présent étaient puniques. Sur les sites de Kerkouane, Carthage et Utique ont en effet été mises en évidence des constructions vraisemblablement en pisé damé, datant des IVe et IIIe siècles av. n. è. (Fantar 1984). Or, jusqu’à aujourd’hui, il n’était pas possible de préciser —faute de données sur les niveaux anciens des gisements d’Afrique— si les Phéniciens maîtrisaient déjà ce procédé à leur arrivée en Occident ou s’ils l’avaient mis au point au sein de leurs colonies : la datation haute des bâtiments de Guardamar pourrait fournir un élément de réponse en faveur de la première hypothèse. Il n’en demeure pas moins que les architectures ibériques, comme celles du Languedoc, ont toujours privilégié le recours à l’adobe et que les emplois présumés de pisé dans ce pays appartiennent à la fin de l’Age du fer (IIIe-Ier siècles av. n. è.). L’agglomération d’Ampurias, dans le nord-est de la péninsule, a conservé plusieurs édifices de période romaine (deux domus et des boutiques autour du forum) assurément bâtis en pisé (photo 5). Datés du Ier siècle de n. è., les murs encore en élévation et protégés par des enduits peints sont formés par de la terre très sableuse qui conserve des signes évidents de coffrage34 (Chazelles 1990).
Photo 5. Mur en pisé sur solin en pierre. Habitat ibéro-romain d’Ampurias (Espagne). (C.-A. de Chazelles)
- 35 Sur le site de Serra de Vaglio (Basilicate), la maison dite « Casa dei pithoi », datée du IVe siècl (...)
58En France, aucun vestige d’époque protohistorique ne permet de conclure que les bâtisseurs pratiquaient cette technique et aucune démonstration n’a encore été faite non plus à propos de la construction gallo-romaine. Il est plus difficile de se faire une opinion au sujet des habitats des peuples italiques, car la recherche thématique sur l’architecture de terre crue est actuellement moins développée en Italie qu’en France ou en Espagne. La brève mention de Varron authentifie l’existence de structures en terre banchée et damée, dans le sud de la péninsule au cours du Ier siècle av. n. è. Peut-être est-ce sur la foi de ce témoignage que certains programmes de mise en valeur des sites n’ont pas hésité à reconstituer des maisons en pisé, alors même que les données archéologiques paraissent insuffisantes pour justifier ce choix35.
59Vitruve II, 8
- 36 Craticii vero velini quidem ne inventi essent. Quantum enim celeritate et loci laxamento prosunt, t (...)
60« Mais je voudrais assurément que les murs de clayonnages n’aient pas été inventés. Autant ils sont utiles pour gagner du temps et de l’espace, autant ils constituent une calamité commune et de tout premier ordre car ils sont comme des torches préparées pour les incendies [...]. De plus, sur les ouvrages crépis, des fissures se forment du fait de la disposition verticale et horizontale des montants. En effet, lorsqu’on les enduit, ils gonflent en s’imbibant d’humidité, puis se contractent en séchant et s’étant ainsi abîmés, ils nuisent à la solidité des enduits. [...], le soubassement sera assez haut pour éviter le contact avec le radier et le pavement ; car, s’ils [les éléments en bois] sont pris dedans, avec le temps, ils pourrissent [...] »36.
61Vitruve, VII, 3
- 37 Sin autem in craticiis tectoría erunt facienda, quibus necesse est in arrectariis et transversariis (...)
62« [...] Mais, si des enduits doivent être posés sur des murs à clayonnages, il est inévitable que des fissures apparaissent le long des montants verticaux et horizontaux, parce que quand on les recouvre de terre, ils s’imbibent forcément d’humidité, puis quand ils sèchent ils se rétractent et provoquent des fissures dans les enduits, pour éviter cela... [...] »37
63Pline XXXV, 48, 14
- 38 Inlini quidem crates parietum luto et lateribus crudis exstrui quis ignorat ? Je ne suis pas d’acc (...)
64« Qui ignore en effet que les murs faits de clayonnages sont enduits de terre et qu’ils sont dressés à la manière des briques crues ? »38
65Palladius I, 19, 2
- 39 [...] vel craticiis podiis erunt discernenda granaria.
66(À propos de la construction des greniers) « [...] il suffira ou bien de diviser les greniers au moyen de séparations en claies [...] »39.
67Le principe consistant à enduire des claies (ou clayonnages) de branchages avec de la terre, que l’on désigne en français par le mot « torchis », faisait partie des procédés de construction employés par les Romains, même si Vitruve le rejette en raison de sa vulnérabilité au feu. Mais on ne peut pas donner aux parois faites de crates le sens restrictif de constructions en torchis car, de toute évidence, l’expression s’applique à des structures plus complexes, c’est-à-dire à des pans de bois hourdés de torchis. Le fait que Palladius admette ce procédé pour diviser l’espace des greniers évoque des séparations légères, basses et sans rôle porteur. En revanche, les deux extraits du livre de Vitruve comportent assez d’indices révélant des constructions à charpentes de bois, dans lesquelles les « claies » interviennent simplement en guise de remplissage. De plus, les mises en garde concernant les risques de pourriture du bois, si les sablières basses sont prises dans les pavements et ne reposent pas sur des solins maçonnés, confirment qu’il s’agit de murs de rez-de-chaussée, peut-être même de murs extérieurs. Il est intéressant de relever, cependant, que ces murs peuvent éventuellement être laissés sans enduits.
- 40 Dans le Midi de la France, on le rencontre le plus souvent dans la réalisation de cloisonnements in (...)
68Pour traiter rapidement l’historique du torchis, disons que ce procédé est un des plus anciens que l’homme ait inventé pour édifier l’habitat de plein air, comme l’attestent d’innombrables exemples qui remontent au Néolithique, sur le pourtour de la Méditerranée ainsi qu’en Europe tempérée. Mais s’il est resté en usage jusqu’à l’époque romaine dans une bonne partie des pays européens, le torchis en tant que tel a pratiquement disparu des architectures méditerranéennes, laissant la place à la pierre et à la brique crue, plus rarement à la bauge40.
69En Gaule, la construction à pans de bois (ou à colombages) n’est apparue qu’à l’extrême fin de l’Âge du fer (à Entremont, fin IIe ou début Ier siècle av. n. è.) et s’est généralisée à l’époque gallo-romaine. Si elle ne semble pas attestée en Ibérie, sauf peut-être dans les régions de piémont des Pyrénées, elle est en revanche mise en évidence en Italie durant tout l’Âge du fer et sous l’empire romain. Dans certains habitats étrusques, notamment à Marzabotto dès la fin du VIe siècle, ainsi qu’à Acquarossa, les charpentes de bois étaient hourdées de torchis (Massa-Pairault 1997 : 93, note 30 et fig. 20). Pour des périodes plus récentes, des hourdis en adobe ont été signalés à Gravina, par exemple, dans des maisons du IIe siècle av. n. è. (Small 1992 : 16). Enfin, les maisons urbaines de Pompei et d’Herculanum montrent la banalisation des pans de bois, au Ier s. de n. è., à travers les étages construits en encorbellement sur les rues.
- 41 Sur le rôle de la terre crue dans la construction lyonnaise sous le haut empire, voir les travaux p (...)
70Les vestiges archéologiques viennent donc cette fois à l’appui du texte ambigu de Vitruve et, pour ce qui est de la France, ils révèlent que la technique du pan de bois a vraisemblablement été introduite par les Romains, au même titre que les mortiers à base de chaux et les diverses terres cuites architecturales. Les attestations de murs porteurs à colombages, avec sablière continue ou discontinue, isolés du sol par des solins en pierre, sont en effet assez nombreuses sous le Haut Empire : Narbonne, Nimes, Lunel-Viel, Sallèles d’Aude, Aix-en-Provence, Olbia, Lyon, etc. D’autres exemples montrent des cloisons élevées directement à partir du sol sur des sablières basses (photo 6). La préférence a souvent été donnée aux hourdis de briques crues, qui peuvent être disposées sur chant, en particulier pour les cloisons étroites (Narbonne, Nimes, Lyon), mais le torchis sur clayonnage n’a pas été négligé, surtout dans les régions septentrionales où cette technique s’était perpétuée depuis le Néolithique (Normandie, Lorraine, région Lyonnaise41).
Photo 6. Cloison à pan de bois hourdé d’adobes de chant. Habitat gallo-romain de Nimes (Gard) (P. Garmy)
71En dépit de leur caractère elliptique, les références latines sur l’architecture domestique s’avèrent d’une fiabilité inattendue. Chaque fois que des fouilles archéologiques ont été en mesure de le vérifier grâce à une bonne conservation des vestiges, on a pu constater une adéquation entre les descriptions techniques ou les témoignages ethnographiques et les constructions elles-mêmes. Il faut cependant se garder d’une foi aveugle quand on veut utiliser ces sources pour écrire ou compléter l’histoire des techniques de construction, car le véritable problème ne tient pas à la véracité des observations mais à leur manque d’exhaustivité. Par exemple, le fait que Vitruve ne dise mot au sujet des structures en pisé ou qu’il ne mentionne pas les hourdis de briques crues dans les murs à pans de bois ne signifie pas que les premières lui étaient inconnues ni que les seconds n’avaient pas cours à Rome. Les murs de clôture en pisé de la région de Tarente ont pu lui sembler sans intérêt pour un ouvrage didactique et sa diatribe sur les risques d’incendie que comportent les murs à ossature de bois aurait été moins pertinente s’il n’avait pas comparé les clayonnages à des fagots prêts pour le feu.
72Je n’ai traité dans cet article que la question des murs, mais les rapprochements entre les sources écrites et les témoins archéologiques se montrent également probants dans d’autres domaines de la construction, comme ceux des toitures, des plafonds ou des enduits muraux. Avoir pu vérifier l’exactitude des témoignages antiques sur quelques points précis permet d’accréditer d’autres assertions plus difficiles à contrôler... Par exemple en ce qui concerne les ajouts de matières organiques souvent signalés par les agronomes et, spécialement, l’amurca ce résidu liquide du pressage des olives, car l’ethnographie révèle le rôle important que joue, dans la cohésion des terres à bâtir, l’adjonction de déjections animales, de sucs végétaux divers, voire de matières organiques fossiles.
73De fait, la valeur essentielle de ces textes ne réside pas dans les informations techniques, que l’on peut en grande partie acquérir par les recherches de terrain, mais plutôt dans la présentation des manières d’habiter et de construire propres à chaque culture, région ou pays dont ils témoignent.