vendredi 19 décembre 2014

Pièces d'échecs : Souvenir des Tupamaros

par   Rolando Gómez, 18/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Piezas de ajedrez: Recuerdo tupamaro

Le sénateur Enrique Erro * est venu dans ma cellule le soir où on lui a annoncé sa prétendue libération (nous avons su plus tard que ce ne était pas le cas, mais seulement un transfert à une prison de Buenos Aires). Il venait réclamer à l'avance ce que je lui avais promis : lui offrir le jeu d'échecs que je fabriquais à la main avec de la mie de pain, et qu'il lui avait tant plu me regarder le faire avec patience et du temps à revendre.
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Le jeu n'était pas encore terminé. J'avais commencé par les pions, faciles à faire, qui avaient une tête ronde, une coiffure avec une frange et une jupe à franges supposée leur donner un aspect de pages médiévaux. Mais ceux dont j'étais le plus fier étaient les fous : un casque à pointe, un blason médiéval sur la poitrine, et une lance verticale réalisée en insérant un cure-dent dans la mie avant qu'elle sèche. Les pièces noires étaient colorées avec du café; les blanches avec de la simple salive et un séchage prolongé, ce qui leur avait donné une couleur jaunâtre. Les pièces contenaient des inserts de couleur opposée. Par exemple, le bouclier des fous noirs avait une croix blanche incrustée, le bouclier des fous blancs un cheval noir. À cette époque, j'avais suffisamment de temps pour essayer différents styles et techniques, ce qui me permettait d'écarter ceux qui ne me satisfaisaient pas. Les chevaux avaient un aspect assez réaliste. Le roi blanc, qui était alors le seul que j'avais fait, avait une longue barbe en relief et brandissait une épée couleur café. L'ensemble qui commençait à prendre forme était d'une certaine manière impressionnant. Je n'avais jamais pensé jusqu'alors avoir des qualités d'artisan.

Le vieil Uruguayen appréciait mon travail, et lors d'une des nombreuses séances de partage de maté il me fit promettre de lui offrir le jeu complet lorsqu'on le remettrait en liberté, chose qu'il attendait à tout moment dans sa cellule étouffante de la prison de la ville de Resistencia,  dans la province du Chaco, en Argentine.

J'avais été transféré à cette prison, avec plusieurs autres prisonniers politiques, depuis Rawson et la répression de notre grève de la faim. Dès notre arrivée, nous avons tous réalisé que les conditions à Resistencia étaient très bonnes : liberté de réunion, régime de visites, bon climat et bonne nourriture.
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La population de prisonniers politiques était strictement compartimentée entre les organisations majoritaires à ce moment-là : PRT-ERP et Montoneros. Il y avait quelques prisonniers du PC, qui, naturellement, se sont joints aux Chiliens de l'Unité Populaire.

Face à la réalité de ce pavillon de prisonniers très cadré, et afin d'éviter les discussions politiques inutiles et échauffées qui ne me mèneraient nulle part, j'ai demandé aux Uruguayens de faire partie de leur groupe, ce qu'ils ont accepté. Ils étaient presque tous des militants du Mouvement de libération nationale Tupamaros, tant de son aile politique que de son bras militaire. Il y avait Pancho, un cadre intellectuel de Montevideo qui faisait office de chef. Un basané de type canarien, dont le nom m'échappe, était un cadre militaire qui avait fait une tatusera ** dans sa boutique de fruits et légumes et avait été découvert; il n'a jamais raconté qui ils avaient détenu dans cette tatusera. Pour tous, le vieil Enrique Erro, qui n'avait jamais été membre des Tupamaros, était certainement le phare, leur exemple et leur référence.

J'ai beaucoup appris dans les quelques semaines que j'ai partagées avec eux. Pancho, dont le vrai nom était en fait François –il était fils de Français - m'a enseigné le peu de français que je baragouine encore. À part les meilleures leçons d'histoire de la République orientale de l'Uruguay, j'ai appris à préparer le maté comme il se doit, sans gaspiller l'herbe, en agitant la paille patiemment vers le côté sec de la calebasse. Je me suis familiarisé avec le folklore, la musique et l'humour orientaux. J'ai mémorisé les paroles des chansons de Viglietti et Zitarrosa. J'ai encore la calebasse enveloppée de fourrure de taureau que m'a donnée le Canarien quand arriva mon tour d'être libéré.

C'étaient des gens sympathiques. Merveilleux, dirais-je. Des patriotes petit-bourgeois uruguayens, honnêtes et désintéressés. J'ai partagé avec eux la vie quotidienne et les groupes d'étude, car la discussion politique sur la lutte de classe en Argentine n'avait aucune importance pour eux, tandis que moi, j'essayais de garder une distance diplomatique avec leurs discussions sur l'Uruguay, au cours desquelles il n'y avait jamais de polémique entre eux.

Personnellement, j'ai constaté que pour ces gens merveilleux, auxquels par accident l'histoire offre une deuxième chance aujourd'hui, l'idéologie et la tradition marxiste internationale étaient totalement étrangères. C'est sûrement toujours le cas.
NdT
  * Enrique Erro (Montevideo, 14 septembre, 1912- Paris, 1er octobre 1984): député du Parti national à partir de 1954, devient ministre de l'Industrie et du Travail en mars 1959 dans le premier gouvernement "blanc" depuis 1865 [les deux partis traditionnels uruguayens, dont la fondation remonte à 1836, sont le Parti national, dit blanc (conservateur) et le Parti libéral, dit rouge)x. Son désaccord avec la politique imposée par le FMI conduit à sa destitution janvier 1960. En 1971, il est parmi les fondateurs du Front large (Frente Amplio), avec son groupe d'origine radicale appelé "Patria Grande", et il est élu sénateur. En 1973, la justice militaire, qui, un an plus tôt, avec la Loi de Sécurité de l'État, avait imposé sa juridiction dans les procédures contre des membres de la guérilla, demande au Parlement de lui retirer son immunité parlementaire, l'accusant d'être impliqué dans des contacts le Mouvement de libération nationale - Tupamaros. Le parlement rejette la demande, et est dissous par le président Juan Maria Bordaberry le 27 juin.
Erro, qui était en Argentine au moment du coup d'État, y reste et milite contre le régime militaire uruguayen avec Zelmar Michelin et d'autres politiciens démocrates. Pour ces activités,  il est arrêté le 7 mars 1975 par le gouvernement argentin et reste détenu jusqu'au 5 novembre, 1976. Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz sont assassinés en mai 1976.
Après sa libération, Erro se rend à Paris, où il s'installe jusqu'à sa mort, de leucémie, quelques semaines avant les élections mettant fin à onze années de dictature militaire en Uruguay.

** Tatusera: prison du peuple, en argot argentin

mercredi 17 décembre 2014

De la Bataille d'Ayacucho aux 43 d'Ayotzinapa

par José Steinsleger, 10/12/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original:
De Ayacucho a los 43 de Ayotzinapa

Les astérisques renvoient à des notes du traducteur

Deux Amériques: celle du «Nord convulsif et brutal»* qui regarde celle du Sud avec un intérêt méprisant et avide, et celle qui, il y a 190 ans, a mis fin au pouvoir espagnol dans les plaines d'Ayacucho (Pérou, 9 décembre 1824). À laquelle le Mexique se rattache-t-il ?

9 décembre 1824 : La glorieuse bataille d'Ayacucho gagnée par l'armée patriotique sous le commandement du général Antonio José Sucre a assuré l'indépendance de l'Amérique du Sud
Deux Bolivar: celui qui, face à l'énorme défi de son projet politique, estimait qu'il avait "labouré la mer" mais a néanmoins continué à dire : "Nous ne pouvons vivre que de l'union". Quel est le «nous» qui convient au Mexique?

Deux Mexique: la "nation américaine" de Hidalgo et Morelos et celui, néoporfiriste*, qui nie et occulte les «faits» de son histoire, en les réduisant à de simples «événements» sujets à «interprétation». Et pour lesquels il n'y a donc pas une vérité unique, destructrice et brutale.

Comme cela arrive pour ceux qui sont en avance sur l'histoire, il est vrai qu'il n'y eut pas beaucoup de clarté dans les fondations politiques de la première indépendance*.

On croyait que face au blocus continental contre le Royaume-Uni décidé par Napoléon, le soutien anglais à la cause indépendantiste faciliterait les choses. Mais dans les ports du sud où ses navires jetaient l'ancre, Londres a inventé un État fonctionnel à ses marchés. Tandis que, dans le nord, la Doctrine Monroe, décrétée par Washington un an avant la victoire d'Ayacucho, conduit à la perte par le Mexique de la moitié de son territoire et à mettre le pays en tête  du classement mondial des victimes d'interventions impérialistes.


Le 11 février 1814, le Directeur suprême des Provinces unies du Rio de la Plata, Gervasio Antonio Posadas, théologien et philosophe, publia un avis insolite: 6000 pesos étaient offerts pour la tête de José Artigas, le Protecteur des peuples Libres, déclaré «ennemi de la patrie".
Les premières luttes, féroces,  laissaient peu d'espace pour penser le sens de l'indépendance. Mais Artigas, présentant son projet au gouvernement de Buenos Aires en 1814, déclarait : "L'indépendance que nous préconisons ... n'est pas une indépendance nationale; par conséquent, elle ne doit séparer aucun peuple de la grande masse que doit être la patrie américaine, ni introduire aucune différence dans les intérêts généraux de la révolution ".

En 1826, Bolívar avait convoqué le Congrès amphictyonique de Panama, torpillé par ses ennemis. Et le même sort échut à celui qui devait être sa continuation au Mexique. Quatre ans plus tard, la Grande Colombie éclatait en cinq morceaux, et les nouvelles «républiques indépendantes» se déchirèrent pendant  40 années de guerres fratricides: fédéraux et centraliste, républicains et monarchistes, libéraux et conservateurs, hispano-américains et "panaméricains".

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la cause de l'unité latino-américaine fait son grand retour :  au Costa Rica le flibustier esclavagiste William Walker est mis en déroute  tout comme les armées françaises au Mexique, ou encore le génocide financé par la Banque de Londres dans la guerre du Paraguay ; la guerre du Pacifique, qui a laissé la Bolivie sans accès à la mer ; l'émergence des USA comme nouvelle puissance impérialiste dans les guerres d'indépendance de Cuba et de Porto Rico, et l'imposition de la carotte "panaméricaine" aux  "peuples de couleur."

Au début du siècle dernier, un fait qui n'avait pas été pensé aux USA et en Europe, la révolution mexicaine, a représenté l'effort politique, militaire et culturel le plus important depuis que l'Amérique latine avait recommencé à se regarder et à réfléchir sur elle-même.

Sans cette révolution, rien de ce qui s'est passé ensuite n'aurait eu lieu. Ni l'épopée de Sandino et des sandinistes ni la révolution cubaine et bolivarienne ni les démocraties qui ont retrouvé leur vigueur dans le sud, et qui, au milieu du monde, près de Quito, ont inauguré ces derniers jours (sans que les médias en soufflent mot) l'édifice formidable de l'Unasur, qui cherchera à harmoniser les "villageois vaniteux"*.

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Lors d'un forum tenu la semaine dernière à Santiago du Chili, la cheffe du FMI, Christine Lagarde, a qualifié de non viables et de "plat de spaghettis" le Mercosur, l'Alba et la CELAC *. Et pour ne pas être en reste, deux économistes de "supergauche" sont également tombés d'accord pour dire que ces mêmes organisations étaient des " nouilles".

Il est connu que pour l'empire les sigles valides sont ceux du FMI, de la Banque mondiale (BM),  de l'ALENA (ou NAFTA, en anglais), de l'AP (Alliance du Pacifique), du G20, de l'OMC, et la plus sinistre de tous : l'Aspan (Accord pour la sécurité et la prospérité de l'Amérique du Nord), signé par le Mexique, les USA et au Canada à Waco (Texas, 2005), dont le contenu n'a pas été divulgué.
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émula, 2007
Avec l' Aspan, le Mexique a été officiellement intégré dans la zone de «sécurité nationale» de Dieu. C'est-à-dire le Commandement Nord du Pentagone.

Bien. Si l'Aspan a été conçu pour notre sécurité ... serait-ce trop demander qu'un quelconque politicien de progrès ou intello consacré par les médias (en plus de citer Freud, Fromm, Gandhi, Deleuze, la «banalité du mal» d'Hannah Arendt et tout le tintouin) ailler demander à l'ambassade (US) de l'avenue de la Reforma (respectueusement, bien sûr et sans bisous) si elle dispose d'une quelconque donnée fiable sur ce qui est vraiment arrivé aux 43 garçons disparus à Iguala?

Ou est-ce que vraiment un groupe de voyous et de flics faméliques ont autant de pouvoir que l'empire le plus redoutable que l'humanité ait jamais connu, celui qui a retrouvé Ben Laden et se vante que rien ne disparaît dans ce monde parce que nous sommes, Dieu merci, tous surveillés?

Vraiment ... quels vents d'Amérique pourraient oxygéner le cœur troublé, accablé, brisé des Mexicains? Ceux du nord, qui le tuent et exploitent, ou ceux du sud, qui de Juarez aux 43 d'Ayotzinapa les reconnait comme frères?

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Harper, Peña Nieto et Obama au "Sommet des leaders d'Amérique du Nord", à Toluca, Mexique, février 2014
NdT
*Allusion à l'expression utilisée par José Marti la veille de sa mort, dans une lettre à Manuel Mercador où il parlait du "Nord convulsif et brutal qui nous méprise".
* "Le villageois vaniteux croit que le monde entier se réduit à son village, et pourvu qu'il en soit le maire, ou qu'il mortifie le rival qui lui a pris sa fiancée, ou encore que ses économies grossissent dans sa tirelire, la voilà qui tient pour parfait l'ordre de l'univers, sans rien savoir des géants aux bottes de sept lieues qui peuvent l'écraser sous leur botte, ni du combat des comètes dans le ciel qui traversent les airs, endormies, engloutissant des mondes. Tout ce qui en Amérique tient encore du village, doit se réveiller. Notre temps n'est pas de ceux où l'on peut se coucher la tête dans un foulard, mais où les armes doivent tenir lieu d'oreiller, comme au temps des guerriers de Juan de Castellanos : les armes de l'intelligence, qui triomphent des autres. Des tranchées d'idées ont plus de valeur que des tranchées de pierre."
José Marti, Notre Amérique, in La Revista Ilustrada de Nueva York, 10 janvier 1871, republié dans El Partido Liberal, Mexico, 30 janvier 1891
* Néoporfiriste : de Porfirio Díaz, qui fut président-dictateur du Mexique de 1876 à 1911 et que seule la révolution parvint à chasser du pouvoir. Son règne fut baptisé le porfiriat (porfiriato). Mort en exil à Paris, il a laissé un mot : le porfirisme et son avatar, le néoporfirisme, incarné aujourd'hui par le PRI au pouvoir de nouveau depuis 2012, après l'avoir été de 1929 à 2000.

* "Celle qui a un spaghetti dans le cerveau est Mme Lagarde elle-même"- Nicolás Maduro, président du Venezuela, Telesur, 12/07/2014
 

mardi 16 décembre 2014

La bataille pour le Mexique

par John M. Ackerman, 15/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, TlaxcalaOriginal: La batalla por México

À la mémoire de Vicente Leñero, Anayeli Bautista*et Erika Kassandra,
graines de la seconde révolution mexicaine
Le mouvement qui a émergé suite à la disparition et au massacre des étudiants d'Ayotzinapa a d'énormes implications mondiales et historiques. La bataille pour les ressources naturelles, la culture millénaire et le système politique mexicains constitue une épreuve de force à la fois pour l'oligarchie mondiale et son appareil répressif et pour la mobilisation citoyenne mondiale pour la paix, l'environnement et la justice. Il est de la responsabilité de tous les Mexicains à l'intérieur et à l'extérieur du pays, ainsi que des citoyens concernés à travers le monde de mettre leur grain de sable pour assurer que la crise actuelle ne débouche pas sur une renaissance du fascisme mondial et, au contraire, ouvre la voie à la libération humaine.


"1808-1936 :de nouveau pour l'indépendance de l'Espagne", affiche de l'artiste espagnol Renau (1907-1982)
Le Mexique joue aujourd'hui un rôle similaire à celui de l'Espagne pendant la guerre civile de 1936-1939. Le résultat tragique de ce conflit a ouvert la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cinq mois seulement après que le général Francisco Franco eut proclamé sa victoire sur les forces républicaines en 1939, réalisée avec le soutien de l'Allemagne nazie, Adolf Hitler envahit la Pologne. Par la suite le nombre de personnes exterminées chaque jour dans les "camps de concentration" du Troisième Reich devait se multiplier exponentiellement.

Au cours de cette guerre civile, USA, la France et la Grande-Bretagne ont observé passivement et ont été complices de la destruction de la démocratie en Espagne, puis dans toute l'Europe. Aujourd'hui, de la même manière, ces mêmes puissances facilitent la destruction de la démocratie mexicaine en couvrant et en avalisant aveuglément une classe politique qui a complètement perdu la confiance de son peuple.

Cela se produit parce que l'arrivée d'une démocratie populaire et participative au Mexique mettrait en péril les affaires importantes des grandes puissances. Au-delà de l'intérêt évident de Washington pour le pétrole, les ressources naturelles et la drogue, le Mexique est aujourd'hui l'un des nœuds critiques pour l'articulation de la criminalité organisée et des flux financiers, légaux et illégaux, à l'échelle internationale. Des sources officielles  estiment qu'au moins 50 milliards de dollars (environ 700 milliards de pesos) sont blanchis chaque année au Mexique, mais le montant est probablement beaucoup plus élevé, vu que par sa nature, le crime est caché à la vue par les autorités. Et la plus grande partie de cet argent ne reste pas au Mexique, mais une fois "nettoyée", elle est transférée vers les USA avec le soutien deS grandes institutions financières de Wall Street.


Armes de destruction massive, par Juan Kalvellido, Tlaxcala
Selon Antonio Maria Costa, ancien chef de l'UNODC, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime,  c'est précisément par le biais d'une augmentation des flux d'argent de la drogue que le système financier des USA a pu se remettre de l'énorme crise de 2008. Dans son important reportage sur ce thème pour The Guardian, Ed Vulliamy a exposé tous les détails à propos de la complicité sanglante entre le secteur bancaire formel et les pires criminels du monde.

Par ailleurs, une étude réalisée par l'Université de San Diego estime qu'une moyenne de 252 000 armes US passent la frontière vers le Mexique chaque année, ce qui implique des gains d'environ 127 millions de dollars par an pour les fabricants d'armes dans le pays du nord. En outre, la militarisation du contrôle de la frontière USA-Mexique a généré d'énormes profits pour les trafiquants d'êtres humains. Leurs services criminels sont maintenant plus prisés que jamais pour ceux qui veulent traverser le Rio Bravo ("Rio Grande").

Et le nettoyage partiel qui s'est fait du système politique colombien, considéré à tort par certains comme un exemple pour notre pays, a aggravé la situation au Mexique. Le résultat a été le déplacement et la concentration sur le territoire mexicain de toujours plus de nœuds de communication et de centres de commandement de la criminalité organisée internationale. Un nettoyage en profondeur au Mexique forcerait inévitablement les principaux chefs du crime organisé à se déplacer vers d'autres pays ou même ou même aux USA, ce qui compromettrait la «sécurité nationale» de Washington.

Cela explique les menaces constantes de la part du secrétaire à la Marine, l'amiral Vidal Soberón, contre les normaliens d'Ayotzinapa, le peuple du Guerrero et tous les étudiants et militants dans le pays. Les câbles officiels publiés par Wikileaks ont montré que la Marine est l'institution de "sécurité" mexicaine la plus proche de Washington. L'agressivité sans précédent du Secrétaire, qui ne cesse de se mettre en avant, ne s'explique que parce qu'il se sent protégé par le gouvernement de Barack Obama, ou même reçoit ses ordres de lui.

Selon l'INEGI (Institut national de statistiques et de géographie), les citoyens dénoncent seulement 3 des 33 millions de crimes et délits commis chaque année dans le pays. Par conséquent, la seule façon de mettre fin à l'impunité sera de créer un contexte dans lequel les citoyens se sentent suffisamment en confiance pour dénoncer les violations systématiques de leurs droits, de leur vie et de leur patrimoine. Mais ce résultat ne  pourrait être atteint qu'à partir d'une transformation radicale dans l'orientation du gouvernement. Au lieu d'être des adversaires et des obstacles au libre développement du peuple, les autorités devraient agir comme ses alliés.

Ainsi, la racine des problèmes actuels dans le pays n'est pas le dysfonctionnement institutionnel ni même la corruption, mais l'absence totale de légitimité du système politique et de la classe politique qui le contrôle. Seul un nouveau gouvernement participatif et populaire pourrait commencer à résoudre les problèmes graves. Travaillons tous pour en faire une réalité et porter ainsi un coup d'arrêt historique au processus d'expansion mondiale de la répression, de l'exclusion et de l'injustice.
* Anayeli Bautista Tecpa, étudiante de l'UNAM, 23 ans, enlevée et assassinée bien que sa famille ait payé une rançon. Son corps a été retrouvé le 7 décembre dernier à Mexico.