samedi 12 octobre 2013

Peter Gray\ Les enfants d'aujourd'hui souffrent d'un grave manque de jeu



Les enfants d'aujourd'hui sont à la fois gâtés et sous pression. Sans la liberté de jouer ils ne grandiront jamais réellement.

Quand j'étais jeune dans les années 50, mes amis et moi avions deux éducations. Nous avions l'école (qui n'était pas aussi gravement importante qu'aujourd'hui), et nous avions ce que j'appelle une éducation de chasseur-cueilleur. Nous jouions dans des groupes d'âge mixe presque tous les jours après l'école, souvent jusqu'à ce qu'il fasse nuit. Nous jouions tous les weekends et tout l'été. Nous avions le temps d'explorer de toutes sortes de manières, et aussi nous avions le temps de nous ennuyer et de découvrir comment dépasser l'ennui, nous avions le temps d'avoir des problèmes et de trouver comment s'en sortir, nous avions le temps de rêvasser, de nous immerger dans nos hobbies, nous avions le temps de lire des bandes dessinées et tout ce qu'on voulait lire plutôt que les livres qu'on nous assignait. Ce que j'ai appris dans mon éducation de chasseur-cueilleur m'a été bien plus utile dans ma vie adulte que ce que j'ai appris à l'école, et je pense que les autres personnes de mon groupe d'âge diraient la même chose si elles prenaient le temps d'y réfléchir.
Cela fait maintenant plus de 50 ans qu'aux Etats-Unis nous avons réduit graduellement les chances des enfants de pouvoir jouer, et la même chose est vraie de beaucoup d'autres pays. Dans son livre Les Enfants en Jeu: Une Histoire Américaine (2007), Howard Chudacoff fait référence à la première moitié du 20ième siècle comme « l'âge d'or » du jeu libre des enfants. Aux alentours de 1900, le besoin de de main d’œuvre enfantine avait baissé, et donc les enfants avaient beaucoup de temps libre. Mais alors, à partir de 1960 ou peu avant cela, les adultes ont commencé à rogner cette liberté en augmentant le temps que les enfants devaient passer au travail et, encore plus important, à réduire la liberté des enfants de jouer seuls, même quand ils n'étaient pas à l'école et qu'ils ne faisaient pas leurs devoirs. Les sports dirigés par les adultes ont commencé à remplacer les jeux 'spontanés'; les cours dirigés par les adultes hors de l'école ont commencé à remplacer les hobbies; et les peurs des parents les ont poussés, de plus en plus, à interdire aux enfants de sortir jouer avec d'autres gosses, loin de chez eux, sans supervision. Il y a beaucoup de raisons à ces changements, mais la conséquence, sur plusieurs décennies, est une baisse continue et finalement dramatique dans les occasions pour les enfants de jouer et d'explorer à leurs propres manières.
Sur les mêmes décennies où la possibilité pour les enfants de jouer a baissé, les troubles mentaux ont augmenté chez les enfants. Ce n'est pas que nous voyons des troubles qui nous avaient échappé auparavant. Les questionnaires destinés à évaluer l’anxiété et la dépression, par exemple, ont été donnés sans changement à des groupes normatifs d'écoliers aux États-Unis depuis les années 50. Les analyses des résultats révèlent une augmentation continue, essentiellement linéaire dans l'anxiété et la dépression des jeunes ces dernières décennies, de telle sorte que les taux de ce qu'on diagnostiquerait aujourd'hui comme des troubles généralisés d'anxiété et de dépression majeure sont cinq à huit fois plus élevés que dans les années 50. Sur la même période, le taux de suicide des jeunes entre 15 et 24 ans a plus que doublé, et pour les enfants en dessous de 15 ans, il a quadruplé.
Le déclin des occasions de jouer a aussi été accompagné d'un déclin dans l'empathie et d'une montée du narcissisme, qui ont tous deux été évalués depuis la fin des années 70 par des questionnaires donnés à des échantillons représentatifs d'étudiants universitaires. L'empathie est la capacité et la tendance à voir les choses des yeux d'une autre personne et de ressentir ce que cette personne ressentit. Le narcissisme fait référence à une estime de soi exagérée, couplée avec une absence d'inquiétude pour les autres et une incapacité à se connecter émotionnellement. Le déclin de l'empathie et la montée du narcissisme sont exactement ce qu'on attendrait chez des enfants qui n'ont que peu d'occasions de jouer socialement. Les enfants ne peuvent apprendre des compétences et ces valeurs sociales à l'école, parce que l'école est un environnement autoritaire, et non démocratique. L'école encourage la compétition, et non la coopération; et les enfants n'y sont pas libres de partir quand d'autres ne respectent pas leurs besoins et leurs désirs.
Dans mon livre, Libre d'Apprendre (2013), je documente ces changements, et j'avance que la montée des troubles mentaux chez les enfants est en grande partie le résultat de la baisse de la liberté de ces derniers. Si nous aimons nos enfants et que nous voulons les voir fleurir, nous devons leur laisser plus de temps et de possibilités de jouer, pas moins. Pourtant les décisionnaires et les philanthropes puissants continuent à nous pousser dans la direction opposée -- vers plus d'éducation, plus de tests, plus de direction adulte des enfants, et moins d'occasions de jouer librement.
J'ai récemment participé à un débat sur une radio avec une femme qui représentait une organisation nommée le Centre National du Temps et de l'Apprentissage, qui milite pour une journée et une année scolaire plus longue aux États-Unis (vous trouverez un enregistrement du débat ici). Sa thèse -- en cohérence avec le but de son organisation et les encouragements du Président Barack Obama et de la Secrétaire à l’Éducation Arne Duncan -- était que les enfants ont besoin de plus de temps à l'école qu'aujourd'hui requis, pour les préparer au monde compétitif d'aujourd'hui et de demain. J'ai avancé l'inverse. L'invité a introduit le débat avec les mots suivants: « Est-ce que les étudiants ont besoin de plus de temps pour apprendre, ou est-ce que les étudiants ont besoin de plus de temps pour jouer? »
Apprendre contre jouer. Cette dichotomie semble naturelle aux gens comme mon hôte radio, mon adversaire au débat, mon Président, ma Secrétaire de l’Éducation -- et peut-être à vous. Apprendre, selon cette opinion presque automatique, c'est ce que font les enfants à l'école et, peut-être, dans d'autres activités dirigées par des adultes. Jouer, au mieux, est une pause rafraîchissante pendant l'apprentissage. De ce point de vue, les vacances d'été ne sont qu'une longue récréation, peut-être plus longue que nécessaire. Mais voici un autre point de vue, qui devrait être évident, mais apparemment pas: jouer c'est apprendre. Pendant le jeu, les enfants apprennent les leçons les plus importantes de la vie, celles qu'on ne peut apprendre à l'école. Pour bien apprendre ces leçons, les enfants ont besoin de beaucoup jouer -- énormément, sans interférence des adultes.
Je suis un psychologue de l'évolution, ce qui signifie que je m'intéresse à la nature humaine, sa relation à la nature des autres animaux, et comment cette nature s'est formée par sélection naturelle. Mon intérêt particulier est le jeu.
Les jeunes de tous les mammifères jouent. Pourquoi? Pourquoi dépenser de l'énergie et risquer de perdre des membres ou même la vie en jouant, quand ils pourraient juste se reposer, bien à l'abri dans un terrier quelque part? C'est le genre de question que posent les psychologues de l'évolution. Le premier à avoir traité cette question spécifique d'une perspective évolutionnaire était le philosophe et naturaliste allemand Karl Groos. Dans un livre sorti en 1898, Le Jeu des Animaux, Groos a avancé que le jeu venait de la sélection naturelle, qu'il était un moyen pour les animaux de pratiquer les compétences dont ils ont besoin pour survivre et se reproduire.
Cette « théorie du jeu pour l'entraînement » est bien acceptée par les chercheurs de nos jours. Elle explique pourquoi les animaux jouent plus dans leur jeunesse (ils ont plus à apprendre) et pourquoi ces animaux qui dépendent le moins d'instincts rigides pour la survie, et qui dépendent le plus de l'apprentissage, sont ceux qui jouent le plus. Dans une large mesure, on peut prédire comment un animal jouera en sachant quelle compétence il doit développer pour survivre et se reproduire. Les lionceaux et les autres jeunes prédateurs jouent à traquer, bondir ou pourchasser, tandis que les jeunes zèbres et d'autres espèces de proies jouent à la fuite et à l'esquive.
Groos a écrit un deuxième livre en 1901, Le Jeu des Hommes, dans lequel il étendit ses percées sur le jeu animal aux êtres humains. Il fit remarquer que les êtres humains, ayant bien plus à apprendre que les autres espèces, sont les animaux les plus joueurs. Les enfants humains, contrairement aux jeunes des autres espèces, doivent apprendre plusieurs talents et compétences selon la culture dans laquelle ils se développent. Donc, la sélection naturelle chez les humains a favorisé une forte poussée chez les enfants d'observer les activités de leurs aînés et d'incorporer ces activités dans leur jeu. Il suggéra que les enfants de toutes les cultures, quand on les laisse jouer librement, jouent non seulement aux talents qui ont de la valeur partout (comme la marche sur deux pieds et le fait de courir), mais aussi aux talents qui sont spécifiques de leur culture (comme par exemple tirer des arcs et des flèches ou rassembler des troupeaux).
Mes propres recherches continuent le travail pionnier de Groos. Une branche de cette recherche est consacrée à l'examen de la vie des enfants dans les cultures de chasseurs-cueilleurs. Avant le développement de l'agriculture, il y a près de 10 000 ans, nous étions tous des chasseurs-cueilleurs. Certains groupes de gens ont réussi à survivre en tant que chasseurs-cueilleurs jusqu'à nos jours et ont été étudiés par des anthropologues. J'ai lu toutes les études que j'ai pu trouver sur les enfants parmi les chasseurs-cueilleurs et il y a quelques années j’ai fait une petite étude de 10 anthropologues, dont sept avaient vécu dans des cultures de chasseurs-cueilleurs sur trois continents différents.
Les chasseurs-cueilleurs ne possèdent rien de semblable aux écoles. Les adultes croient que les enfants apprennent par l’observation, l’exploration et le jeu, et ainsi ils leur accordent tout le temps de faire ces choses. En réponse à une de mes questions, "De combien de temps de jeu disposent les enfants de la culture que vous avez observée?", les anthropologues ont répondu à l’unanimité que les enfants étaient libres de jouer presque tout le temps, de l’âge d’environ 4 ans (où on les estimait assez responsables pour se balader, loin des adultes, avec un groupe d’enfants d’âges mixtes) jusqu’à leur milieu /fin d’adolescence (quand ils commenceront, à leur propre initiative, à prendre des responsabilités adultes). Par exemple, Karen Endicott, qui a étudié les chasseurs-cueilleurs Batek de Malaisie, a rapporté: « Les enfants avaient la liberté de jouer presque tout le temps; personne ne s’attendait à ce que les enfants fassent le moindre travail sérieux avant qu’ils ne soient dans leur fin d’adolescence. »
C’est tout à fait en accord avec la théorie de Groos sur le jeu en tant qu’entraînement. Les garçons jouaient interminablement à pister et à chasser, et les filles et les garçons jouaient à trouver des racines consommables. Ils jouaient à grimper aux arbres, à cuisiner, à construire des huttes, et d’autres artefacts cruciaux pour leur culture, comme par exemple des canoës faits à partir de troncs d’arbre. Ils jouaient à discuter et débattre, parfois en mimant leurs aînés ou en essayant de voir s’ils pouvaient comprendre les choses mieux que les adultes l'avaient fait la nuit d’avant, autour du feu. Ils dansaient joyeusement leurs danses traditionnelles de leur culture et chantaient les chansons traditionnelles, mais ils en créaient aussi de nouvelles. Ils ont créé et joué des instruments musicaux similaires à ceux que les adultes de leur groupe créaient. Même les petits enfants jouaient avec des choses dangereuses, comme des couteaux et le feu, et les enfants les laissaient faire, parce que "Comment ils vont apprendre à utiliser ces choses autrement?" Ils ont fait tout ceci, et plus, pas parce qu’un adulte leur a demandé ou les y a même encouragé, mais parce qu’ils en avaient envie. Ils l’ont fait parce que c’était fun et parce que quelque chose au fond d’eux, le résultat de siècles de sélection naturelle, les poussaient à jouer à des activités culturelles appropriées pour qu’ils deviennent des adultes compétents et instruits.
Dans une autre branche de mes recherches, j’ai étudié comment les enfants apprenaient à une école radicalement alternative, Sudbury Valley School, pas loin de chez moi au Massachusetts. On l’appelle une école, mais elle est aussi éloignée que possible de ce qu’on appellerait normalement "école". Les étudiants -- qui ont entre 4 et 19 ans -- ont la liberté de faire tout ce qu’ils veulent, toute la journée, tant qu’ils ne brisent pas les règles de l’école. Les règles n’ont rien à voir avec l’apprentissage; elles concernent le maintien de la paix et de l’ordre.
Pour la plupart des gens, cela paraît insensé. Comment peuvent-ils apprendre quoi que ce soit? Et pourtant, l’école existe depuis 45 ans et possède des centaines de diplômés, qui vont très bien dans le monde réel, pas parce que l’école leur a appris quoi que ce soit, mais parce qu’elle leur a permis d’apprendre tout ce qu’ils voulaient. Et, en accord avec la théorie de Groos, ce que les enfants dans notre culture veulent apprendre quand ils sont libres se trouve être des compétences qui sont valorisées dans notre culture et qui mènent à de bons boulots et des vies satisfaisantes. Quand ils jouent, ces étudiants apprennent à lire, calculer, et utiliser des ordinateurs avec la même passion joueuse avec lesquels les enfants chasseurs apprennent à chasser et à garder des troupeaux. Ils ne pensent pas nécessairement être en train d’apprendre. Ils pensent juste qu’ils sont en train de jouer, ou qu’ils « font des trucs », mais dans le même temps ils font de l’apprentissage.
Encore plus important que des compétences spécifiques, les attitudes qu’ils acquièrent. Ils apprennent à prendre leurs responsabilités pour eux-mêmes et pour leur communauté, et ils apprennent que la vie est amusant, même (peut-être surtout) quand cela comprend faire des choses difficiles. J’ajouterais que ce n’est pas une école hors de prix; elle opère avec moins de la moitié des fonds par étudiant qu’une école publique, et beaucoup moins que la plupart des écoles privées.
La Sudbury Valley School et notre bande de chasseurs-cueilleurs sont très différentes les unes des autres de nombreuses manières, mais elles sont similaires dans le fait qu’elles fournissent ce que je considère des conditions essentielles pour optimiser les capacités naturelles des enfants de s’éduquer eux-mêmes. Elles partagent l’attente (et la réalité) sociale que l’éducation est de la responsabilité des enfants, ce n’est pas quelque chose que les adultes leur font, et elles fournissent une liberté illimitée aux enfants pour jouer, explorer et poursuivre leurs intérêts propres. Elles fournissent aussi d’amples opportunités de jouer avec les outils de la culture; un accès à une variété d’adultes attentionnés et instruits, qui sont des aidants, pas des juges; et le mélange d’âges mixtes parmi les enfants et les adolescents (le jeu d’âge mixte conduit plus à l’apprentissage que ceux qui sont tous au même niveau). Enfin, dans les deux environnements, les enfants sont immergés dans une communauté morale stable, de sorte qu’ils acquièrent les valeurs de la communauté et un sens de responsabilité pour les autres, pas simplement pour eux-mêmes.
Je n’espère pas convaincre la plupart des gens, d’ici tôt, que nous devrions abolir les écoles telles que nous les connaissons aujourd’hui pour les remplacer par des centres de jeu auto-dirigé et d’exploration. Mais je pense qu’il y a une chance de convaincre la plupart des gens que le jeu hors de l’école est important. Nous en avons déjà trop retiré; nous ne devons pas en retirer plus.
Le Président Obama et son secrétaire de l’éducation, Arne Duncan, avec d’autres défenseurs d’une éducation plus conventionnelle et de tests plus nombreux, veulent que les enfants soient mieux préparés au monde d’aujourd’hui et de demain. Mais de quelle préparation a-t-on besoin? Avons-nous besoin de plus de gens qui sont bons à mémoriser des réponses, et les recracher? Qui font soigneusement ce qu’on leur dit, sans poser de questions? Les écoles sont conçues pour enseigner aux gens à faire ces choses, et elles sont plutôt bonnes à ça. Ou est-ce que nous avons besoin de plus de gens qui posent de nouvelles questions et trouvent de nouvelles réponses, qui pensent de manière critique et créative, qui innovent et qui prennent l’initiative, et qui savent comment apprendre sur le tas, à leur propre rythme? Je parie qu’Obama et Duncan seraient d’accord que tous les enfants ont besoin de ces compétences de nos jours, encore plus que par le passé. Mais les écoles sont épouvantables pour enseigner ces compétences.
Cela fait plus de 20 ans maintenant que les leaders de l’éducation aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie nous encouragent à imiter les écoles asiatiques -- surtout celles du Japon, de Chine et de Corée du Sud. Les enfants là-bas passent plus de temps à étudier que les enfants américains, et ils ont des scores plus élevés dans les tests internationaux standardisés. Ce que le secrétaire américain à l’éducation ne comprend, ou ne reconnaît, apparemment pas, c’est que les leaders de l’éducation dans ces pays-là considèrent maintenant de plus en plus que leur système éducatif est un échec. Tandis que leurs écoles sont superbes pour faire en sorte que leurs étudiants aient de bons résultats aux tests, elles sont très mauvaises pour produire des diplômés qui sont créatifs ou qui ont un véritable goût de l’apprentissage.
Dans un article nommé « Le test auquel les écoles chinoises échouent encore » paru dans le Wall Street Journal en décembre 2010, Jiang Xuekin, un éducateur chinois de renommée, a écrit: « Les échecs d’un système de mémorisation par cœur sont bien connus: manque de compétences pratiques et sociales, absence d’auto-discipline et d’imagination, perte de curiosité et de passion de l’apprentissage... Nous saurons que nous avons réussi à changer les écoles de Chine quand ces scores [aux tests standardisés] descendront. » En attendant, Yong Zhao, un professeur d’éducation américain qui a grandi en Chine et qui se spécialise dans la comparaison entre le système d’éducation américain et chinois, remarque qu’un terme habituel utilisé en Chine pour faire référence aux diplômés est gaofen dineng, ce qui signifie « scores élevés mais faibles capacités ». Parce que les étudiants passent presque tout leur temps à étudier, ils ont peu d’opportunités d’être créatifs, de prendre des initiatives, ou de développer des compétences physiques et sociales: en bref, ils ont peu d’opportunités de jouer.
Malheureusement, alors que nous utilisons de plus en plus de curriculums standardisés, et alors que nous occupons de plus en plus le temps de nos enfants avec des devoirs, les résultats de notre éducation ressemblent de plus en plus à ceux des pays asiatiques. Un premier faisceau de preuves nous vient des résultats d’un ensemble de mesures de créativité -- nommées les Tests de Pensée Créative Torrance -- rassemblés parmi des échantillons normatifs d’écoliers américains de la maternelle au lycée (à 17-18 ans) sur plusieurs décennies. Kyung-Hee Kim, un psychologue de l’éducation à l’Université de William et Mary en Virginie, a analysé ces résultats et rapporté qu’ils ont commencé à baisser en 1984 ou peu après, et ont continué de baisser depuis lors. Comme le décrit Kim dans son article « La crise de la créativité, » publié en 2011 dans le Journal de la Recherche sur la Créativité, les données indiquent que « les enfants sont devenus moins expressifs émotionnellement, moins énergiques, moins parleurs et verbalement expressifs, moins humoristiques, moins imaginatifs, moins non-conventionnels, moins vivants et passionnés, moins perceptifs, moins aptes à relier des choses apparemment sans relation, moins synthétiseurs, et moins susceptibles de voir les choses d’un point de vue différent. »
Selon les recherches de Kim, tous les aspects de la créativité ont baissé, mais la plus grande baisse est dans la mesure nommée «élaboration créatrice,» qui évalue la capacité à prendre une idée en particulier et à l’étendre d’une manière intéressante et nouvelle. Entre 1984 et 2008, la note moyenne sur l’élaboration dans le test de Torrance, pour toutes les années à partir de la maternelle, a chuté de plus d’une déviation standard. En d’autres termes, cela signifie que plus de 85% des enfants de 2008 ont eu des scores moins élevés sur cette mesure que les enfants de 1984. Si les «réformateurs» de l’éducation ont ce qu’ils veulent, elle baissera encore avec la possibilité pour les enfants de jouer. D’autres recherches, par le psychologue Marc Runco et par des collègues du Centre de Créativité Torrance à l’Université de Géorgie, montrent que les résultats aux Tests de Torrance sont les meilleurs indicateurs dans l’enfance que nous avons de leur futur succès dans le monde réel. Ils sont de meilleurs indicateurs que le QI, les notes à l’école ou les jugements par les pairs de qui réussira le mieux.
On ne peut pas enseigner la créativité; on ne peut que la laisser fleurir. Les petits enfants, avant de partir à l’école, sont naturellement créatifs. Nos plus grands innovateurs, ceux qu’on appelle des génies, sont ceux qui retiennent d’une manière ou d’une autre cette capacité de l’enfance, et qui l’utilisent pour construire, jusqu’à l’âge adulte. Albert Einstein, qui apparemment détestait l’école, faisait référence à ses succès dans la physique théorique et les mathématiques comme du « jeu de combinaison. » Un grand nombre de recherches ont démontré que les gens sont les plus créatifs quand ils sont habités par l’esprit du jeu, quand ils se voient engagés dans une tâche pour le fun. Comme l’a montré la psychologue Teresa Amabile, professeur à la Harvard Business School, dans son livre La Créativité en Contexte (1996), et dans nombre d’expériences, la tentative d’augmenter la créativité en récompensant les gens ou en les plaçant dans des concours pour voir qui est le plus créatif a l’effet opposé. Il est difficile d’être créatif quand on s’inquiète du jugement des autres gens. A l’école, les activités des enfants sont constamment jugées. L’école est un bon espace pour apprendre ce que quelqu’un d’autre veut que vous fassiez; c’est un endroit terrible pour pratiquer la créativité.
Quand Chanoff et moi avons étudié des diplômés de Sudbury Valley dans le cadre de notre écrit « L’éducation démocratique: Qu’arrive-t-il aux jeunes qui ont la responsabilité de leur propre éducation? », nous avons demandé les activités auxquelles ils jouaient en tant qu’étudiants et quelles carrières ils poursuivaient depuis qu’ils avaient obtenu leur diplôme. Dans beaucoup de cas, il y avait une relation directe entre l’un et l’autre. Les diplômés continuaient de jouer aux activités qu’ils adoraient en tant qu’étudiants, avec la même joie, la même passion et la même créativité, mais maintenant ils gagnaient leur vie avec. Ils étaient des musiciens professionnels qui avaient joué intensément la musique quand ils étaient étudiants, et des programmeurs qui avaient passé la plupart de leur temps en tant qu’étudiants à jouer avec des ordinateurs. Une femme, qui était la capitaine d’un vaisseau de croisière, avait passé la plupart de son temps à jouer sur l’eau, d’abord avec des bateaux jouets et puis avec des vrais. Un homme qui était un mécanicien et un inventeur recherché avait passé son enfance à jouer à construire des choses et à les démonter pour voir comment elles fonctionnaient.
Aucune de ces personnes n’auraient découvert ses passions dans une école standard, où une liberté étendue de jouer n’existe pas. Dans une école standard, tout le monde doit faire les mêmes choses que les autres. Même ceux qui ont un intérêt dans une chose apprise à l’école apprennent à se calmer parce que, quand il y a la sonnerie, ils doivent passer à autre chose. Le curriculum et l’emploi du temps les empêchent de poursuivre un intérêt d’une manière créative et personnellement significative. Il y a des années, les enfants avaient du temps en dehors de l’école pour poursuivre leurs intérêts, mais aujourd’hui ils sont tellement occupés avec les devoirs et d’autres activités dirigées par les adultes qu’ils ont rarement le temps et l’occasion de découvrir et de s’immerger en profondeur dans des activités qu’ils apprécient réellement.
Pour avoir un mariage heureux, de bons amis, ou des partenaires de travail utiles, nous avons besoin de savoir comment nous entendre avec d’autres gens: peut-être la compétence la plus essentielle dont tous les enfants ont besoin pour avoir une vie satisfaisante. Dans les bandes de chasseurs-cueilleurs, à la Sudbury Valley School, et partout où les enfants ont un accès régulier à d’autres enfants, la plupart des jeux sont sociaux. Les jeux sociaux sont l’académie pour apprendre les compétences sociales.
La raison pour laquelle le jeu est une manière aussi puissante de transmettre des compétences sociales est qu’il est volontaire. Les joueurs sont libres de quitter le jeu, et s’ils sont malheureux c’est ce qu’ils feront. Tous les joueurs le savent, et ainsi le but, pour tous les joueurs qui veulent que le jeu continue, est de satisfaire ses propres besoins et désirs tout en satisfaisant ceux des autres joueurs, de sorte qu’ils ne partiront pas. Le jeu social comprend beaucoup de négociation et de compromis. Si Betty l’autoritaire essaie de faire toutes les règles et de dire à ses camarades de jeu ce qu’ils doivent faire sans s’occuper de leurs souhaits, ses camarades de jeu vont partir et la laisser toute seule, pour faire leur jeu autre part. C’est une motivation puissante de faire plus attention à eux la prochaine fois. Les camarades de jeu qui partent pourraient aussi avoir appris une leçon. S’ils veulent jouer avec Betty, qui a des qualités qu’ils aiment, ils devront être plus clairs la prochaine fois, et rendre leurs désirs clairs, pour qu’elle n’essaie pas de tout contrôler et de gâcher la partie. Pour s’amuser dans le jeu social vous devez être affirmatif mais pas dominateur; cela est vrai pour toute la vie sociale.
Regardez n’importe quel groupe d’enfants en train de jouer et vous verrez beaucoup de négociation et de compromis. Les enfants en maternelle qui jouent à « la maison » passent plus de temps à voir comment jouer qu’au jeu lui-même. Tout doit être négocié -- qui sera la maman et qui sera le bébé, qui pourra utiliser quel objet, et comment l'histoire va se dérouler. Les joueurs talentueux utilisent des questions pour transformer leurs assertions en requêtes: « Imaginons que le collier est à moi, d’accord? » Si ce n’est pas ok, une discussion a lieu.
Ou regardez un groupe d’âge mixte qui joue au baseball « ramassé ». Une partie de baseball ramassé est du jeu, parce qu’elle est dirigée par les joueurs eux-mêmes, et non par des autorités extérieures (les coachs et les arbitres) comme une partie dans une Ligue de Petits. Les joueurs doivent choisir leur camp, négocier des règles pour coller aux conditions, et décider ce qui constitue une faute. Ils doivent coopérer non seulement avec les joueurs de leur équipe, mais aussi avec ceux de l’équipe adverse, et ils doivent être sensibles aux besoins et aux capacités de tous les joueurs. Big Billy est peut-être le meilleur lanceur, mais si les autres veulent avoir une chance de lancer, il ferait mieux de les laisser essayer, sinon ils partiront. Et quand il lance au petit Timmy, qui commence tout juste à apprendre les règles, il ferait mieux de la lancer gentiment, droit à la batte de Timmy, il ferait mieux de faire son meilleur lancer, parce que Wally se sentirait insulté autrement. Dans le jeu ramassé, faire en sorte que le jeu continue et soit amusant pour tout le monde est bien plus important que de jouer.
La règle d’or du jeu social n’est pas « Comporte toi avec les autres comme tu voudrais qu’ils se comportent avec toi. » Mais plutôt quelque chose de beaucoup plus difficile: « Comporte toi avec les autres comme ils voudraient que tu te comportes avec eux» Pour faire cela, vous devez vous mettre dans la tête des autres et voir les choses de leur point de vue. Les enfants pratiquent cela tout le temps dans le jeu social. L’égalité du jeu n’est pas l’égalité de l’identité. Elle est plutôt l’égalité qui vient du respect des différences individuelles et du fait de traiter les besoins et les souhaits de chacun avec une attention égale. C’est aussi, je pense, la meilleure interprétation qu’on peut faire de la phrase de Thomas Jefferson selon laquelle tous les hommes naissent égaux. Nous ne sommes pas tous pareillement forts, pareillement intelligents, pareillement en bonne santé; mais nous avons tous pareillement droit au respect et pareillement droit de satisfaire nos besoins.
Je ne veux pas idéaliser les enfants. Tous les enfants n’apprennent pas ces leçons facilement; les brutes existent. Mais le jeu social est de loin le lieu le plus efficace pour apprendre de telles leçons, et je soupçonne que la forte impulsion des enfants pour de tels jeux est survenue, dans l’évolution, principalement dans cet objectif. Les anthropologues rapportent une absence presque entière de brutalité ou de comportement dominateur dans les bandes de chasseurs-cueilleurs. En fait, un autre label régulièrement utilisé pour décrire de telles sociétés en bande est celui des sociétés égalitaires. Les bandes n’ont pas de chefs, pas de structure hiérarchique d’autorité; elles partagent tout et coopèrent intensément pour pouvoir survivre; et elles prennent des décisions qui affectent toute la bande avec de longues discussions qui recherchent le consensus. Une des raisons qui font qu’elles en sont capables, je pense, se trouve dans la quantité extraordinaire de jeu social dont ils bénéficient dans l’enfance. Les compétences et les valeurs pratiquées dans de tels jeux sont précisément celles qui sont essentielles à la vie dans une bande de chasseurs-cueilleurs. Aujourd’hui vous pourriez survivre sans ces compétences et ces valeurs, mais, à mon avis, vous ne seriez pas heureux.
Donc, le jeu enseigne les compétences sociales sans lesquelles la vie serait malheureuse. Mais il enseigne aussi comment gérer des émotions intenses et négatives comme la peur et la colère. Les chercheurs qui étudient le jeu animal avancent que l’un des objectifs principaux du jeu consiste à aider les jeunes à apprendre comment faire face émotionnellement (ainsi que physiquement) aux urgences. Les mammifères juvéniles de nombre d’espèces se mettent délibérément et de manière répétée dans des situations modérément dangereuses et effrayantes dans leur jeu. Selon les espèces, ils peuvent sauter maladroitement en l’air pour rendre l’atterrissage difficile, courir le long du bord d’une falaise, se balancer d’une branche d’arbre à l’autre suffisamment haut pour qu’une chute fasse mal, ou jouer au combat de manière à se mettre chacun son tour dans des positions vulnérables dont on doit alors s’échapper.
Quand ils sont libres, les enfants humains font la même chose, ce qui rend leur mère nerveuse. Ils s’administrent de la peur, pour atteindre le plus haut niveau qu’ils peuvent tolérer, et apprendre à y faire face. De tels jeux doivent toujours être auto-dirigés, jamais imposés ou même encouragés par une figure d’autorité. Il est cruel d’obliger les enfants à vivre des peurs pour lesquelles ils ne sont pas prêts, comme les profs de gym qui demandent à tous les enfants d’une classe de monter des cordes, ou de se balancer d’un stand à l’autre. Dans ces cas, les résultats peuvent être la panique, le malaise et la honte, ce qui réduit la tolérance future de la peur plutôt que de l’augmenter.
Les enfants font aussi l’expérience de la colère dans leur jeu. La colère peut naître d’une poussée accidentelle ou délibérée, ou d’une moquerie, ou d’un échec dans le fait d’avoir le dernier mot dans une dispute. Mais les enfants qui veulent continuer à jouer savent qu’ils doivent contrôler leur colère, et l’utiliser de manière constructive dans l’auto-affirmation, et non pas pour se défouler. Les crises de colère peuvent fonctionner avec les parents, mais elles ne fonctionnent jamais avec les camarades de jeu. Il y a des preuves que les jeunes des autres espèces apprennent aussi à réguler leur colère et leur agressivité à travers le jeu social.
A l’école, et dans d’autres environnements où les adultes sont au pouvoir, ils prennent des décisions pour les enfants et résolvent leurs problèmes. Dans le jeu, les enfants prennent leurs propres décisions et résolvent leurs propres problèmes. Dans les environnements dirigés par des adultes, les enfants sont faibles et vulnérables. Dans le jeu, ils sont forts et puissants. Le monde du jeu est le monde d’entraînement de l’enfant pour être un adulte. Nous pensons que le jeu est une chose puérile, mais pour l’enfant, le jeu est l’expérience d’être comme un adulte: d’être auto-contrôlé et responsable. Dans la mesure où nous enlevons le jeu, nous privons les enfants de la capacité de pratiquer l’âge adulte, et nous créons des gens qui traverserons leur vie avec un sens de dépendance et de victimisation, un sens qu’il y a une autorité qui doit leur dire quoi faire et comment résoudre leurs problèmes. Ce n’est pas là une manière saine de vivre.
Les chercheurs ont développé des moyens d’élever de jeunes rats et de jeunes singes de manière à ce qu’ils vivent d’autres formes d’interaction sociale que le jeu. Le résultat est que les animaux privés de jeu sont émotionnellement handicapés quand on les teste en tant que jeunes adultes. Quand on les place dans un nouvel environnement modérément effrayant, ils se gèlent de terreur et n’arrivent pas à surpasser leur peur pour explorer le nouvel espace, comme un rat ou un singe normal le feraient. Quand on les place avec un pair inconnu ils sont capables de se recroqueviller de peur ou d’exploser d’agressivité inappropriée et inefficace, voire les deux.
Ces dernières décennies, nous avons en tant que société conduit une expérience de privation de jeu sur nos enfants. Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas absolument privés de jeu comme l’ont été les rats et les singes dans les expériences animales, mais ils en sont bien plus privés que les enfants ne l’étaient il y a 60 ans, et beaucoup, beaucoup plus privés que les enfants des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Les résultats, je pense, sont arrivés. La privation de jeu est mauvaise pour les enfants. Entre autres choses, elle encourage l’anxiété, la dépression, le suicide, le narcissisme et la perte de créativité. Il est temps de mettre un terme à l’expérience.


lundi 9 septembre 2013

Emile Coppermann\ En ce temps-là, nous étions adolescents

Par Emile Coppermann

  
Préface du livre Les Vagabonds Efficaces
de Fernand Deligny


EN CE TEMPS-LÀ, nous étions adolescents.

Hier orphelins, les plus orphelins de la terre, maintenant redevenus enfants, ensemble, dans des maisons qui nous réapprenaient à vivre. Nos éducateurs n'en étaient pas vraiment. Échappés des égouts du ghetto de Varsovie, juifs allemands et intellectuels sans identité, comme nous ils attendaient le retour à la normale pour se confondre aux autres. Nous, nous les aimions bien. Ils ne nous enseignaient rien ou si peu. Ils nous faisaient adolescents en se refaisant eux-mêmes adultes et nous attendions autant d'eux qu'eux de nous, nous nous savions presque égaux. Parmi nous certains poursuivaient leurs études, d'autres travaillaient. Ces maisons d'enfants se vidaient le jour pour s'emplir le soir de chorales, de conférences, de répétitions théâtrales, de comités de gestion et de meetings. La nuit, nombre d'entre nous collaient des affiches: contre la guerre d'Indochine, qui commençait déjà; pour les grévistes et, les samedis et les dimanches, tous nous partions en auto-stop, vivre un ailleurs que nous transportions dans nos sacs à dos, en auberge de jeunesse.

En ce temps-là, les auberges de la jeunesse n'étaient pas des hôtels.

Relais installés grâce aux sacrifices de petits groupes locaux d'« ajistes* » sans argent, dans la grande banlieue parisienne sans grands ensembles, ou propriétés cossues de vichystes expropriés quelques mois par malentendu - la Libération, ce n'était tout de même pas la Révolution -, elles accueillaient régulièrement des milliers de jeunes, employés, ouvriers, étudiants qui les transformaient, quarante-huit heures chaque semaine, en phalanstères. Garçons et filles faisaient « colo », mettaient tout en commun, nourriture et rêves, chantaient la révolution, préparaient les caravanes ouvrières que les plus lucides d'entre eux - qui n'étaient pas encore devenus les présidents-directeurs généraux bouffis de clubs de tourisme, de sociétés d'achat ou de retraite mutuelle - voyaient pour l'avenir du mouvement militant de loisir des auberges de la jeunesse.

C'est dans une AJ de la région parisienne - était-ce à Mantes ou bien à Taverny? - que nous rencontrâmes Fernand Deligny. Nous, enfants des maisons d'enfants, nous connaissions déjà l'auteur de Graine de Crapule. Ses « Conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver », dès 1946 quelques-uns de nos moniteurs, ajistes comme nous, les faisaient circuler. Nous en appréciions alors doublement les formules à l'emportepièce: parce qu'elles disaient juste ce que nous ressentions confusément en tant qu'enfants « inadaptés » - le mal de vivre - et parce qu'en même temps elles parlaient de nous à des éducateurs mais de notre côté, avec nous. Et les « conseils » de Fernand Deligny, nous les avions tous au cœur où nous les placions au même rang que les poèmes de Prévert, dont nous faisions des chœurs parlés. « Bandit, voyou, voleur, chenapan - c'est la meute des honnêtes gens - qui courent après l'enfant. .. » formait écho à des expériences vécues par nous, chapardages, emprunts irréfléchis ou vol à la tire, nous savions l'entreprise d'un de nos camarades, cambriolant avec les onze membres de sa bande, à 18 heures, une bijouterie près du métro Saint-Paul. Deligny parlait notre langage:
« Si tu es instituteur, va te faire refaire. Tu crois à l'efficacité de la morale psalmodiée et, pour toi, l'instruction est chose primordiale.
« Si tu viens travailler avec moi, je te donnerai les diplômés et je me garderai les illettrés.
« Et nous en reparlerons au moment de la moisson.
« L'instruction est un outil je te l'accorde, indispensable si tu veux.
« Nous, ce qui nous intéresse, c'est celui qui s'en servira ... »

Nous nous en amusions aussi parce qu'ils brisaient sèchement, comme chez Jacques Prévert, l'œuf dur du petit matin sur le comptoir de zinc, le miroir bien lisse du catéchisme pédagogique de bonne volonté. La vérité était à tiroirs.
« Voilà: tu donnes un billet de cent francs à un fugueur et tu l'envoies à la gare chercher un billet de chemin de fer. Il revient essoufflé en te rapportant la monnaie;
« -- "L'ai-je bien rééduqué?"
« Trois jours plus tard, ton cobaye pendant la nuit démonte une fenêtre et disparaît pour un certain temps.
« J'espère que tu diras:
« -- "Bien joué".
« Et que tu réserveras tes expériences pour les souris blanches ... »
Car le noir n'était plus tout à fait noir chez Deligny ni le blanc totalement blanc.

A l'auberge de jeunesse - de Taverny? - Fernand Deligny nous expliqua ce qu'il attendait des groupes ajistes de la région parisienne. La Grande Cordée, qu'il venait de créer, cherchait à mettre en place un réseau de séjours d'essai. Les pères aubergistes, animateurs permanents des auberges, prendraient en charge pour une « cure libre » des enfants caractériels graves, des psychotiques, tous rebelles aux traitements habituels. Deligny estimait que hors du climat contagieux des asiles ou des maisons spécialisées, ils avaient des chances de s'en tirer; de trouver après quelques essais, des expériences successives, ce qui les accrocherait à la vie. La présence d'adultes « normaux » devait les sécuriser. Choisissant des ajistes, c'est-à-dire prenant pour rééducateurs des mal adaptés à cette société, sa thérapie ne visait pas la simple récupération de délinquants en rupture de ban. Sa chimie pédagogique pouvait produire tout autant des contestataires politiques. Car Deligny ne renonçait pas à ses convictions politiques, ce n'était pas un éducateur « neutre ».
Ce jour-là, il ne nous parla ni charité ni pédagogie, ni bonnes œuvres mais solidarité ouvrière. Il se trouvait tout naturellement que les laissés pour compte venaient surtout des milieux populaires. Les groupes ajistes de base, qui géraient directement leur foyer, les parraineraient. A plus long terme, il fallait multiplier le nombre des couples, instituteurs, employés, ouvriers, petits artisans qui prolongeraient et relaieraient la première intervention, guideraient l'enfant dans sa vie active, jusqu'à ce qu'enfin il devienne autonome.

L'expérience se développa en 1948. A Paris La Grande Cordée se présentait comme un centre d'aiguillage, distribuant ici un récidiviste de l'escalade armée, là un aventurier en mal d'émotions fortes. Placés parfois en province, en milieu complice, des reconversions s'opéraient. Nous y assistions. Puis nous officiâmes, à quelques camarades, dans nos nouvelles fonctions. Aux Baux -- qui n'était pas encore devenu centre international de tourisme -- près de l'atelier de tissage manuel, des pris en charge par La Grande Cordée séjournaient que nous rencontrions. Mais les temps avaient changé; tôt émancipés de nos maisons d'enfants sans argent, apprentis placés, nous finissions par envier ces « inadaptés » dont les adultes continuaient de s'occuper alors qu'à leur âge, nous devions voler de nos propres ailes.

Quelques-uns d'entre nous franchiront le pas, deviendront éducateurs avec Deligny. Nous lirons plus tard l'envers de la médaille, la fuite du monde, le moyen de prolonger l'état d'avant l'« entrée dans la vie ». Devenir éducateur sublimait notre situation d'enfants en maison. Quelques autres hésiteront: la maison d'enfants, la colonie de vacances formaient des havres de paix où des rapports fraternels pouvaient être noués; une vie quotidienne plus humaine vécue. Ils seront éducateurs bénévoles, durant leurs loisirs, croyant trouver, dans des mouvements d'éducation populaires ayant pignon sur rue, les fondements libertaires développés par Deligny. Comme pour partie d'entre eux, ils y seront effectivement, il nous faudra du temps pour saisir le rôle qu'on les y fait jouer. Je comprendrai plus tard que, même lorsqu'elle veut se donner pour révolutionnaire, l'institution pédagogique tend peu à peu à se muer en son contraire au nom du sacro-saint principe de réalité. Elle peut, sans heurts graves, développer deux types de discours: à sa base pour ses militants en faveur de la liberté, sous toutes ses formes reconnues jusques et y compris la dynamique de groupe, l'anarchie spontanéiste; au sommet pour le renforcement de son pouvoir bureaucratisé. Leur coexistence suppose la préservation de l'essentiel: de l'institution en tant que telle. C'est au sommet que s'établissent les rapports avec les officines du pouvoir, dispensatrices de visas, autorisations, fonctions, subventions moyennant le respect du terrain, fixé par elles, des attributions, bref: de la finalité pédagogique.
De ce point de vue, Fernand Deligny « échouera. » Aujourd'hui aucune institution ne « continue son oeuvre », pas de centre-pilote qui lui soit confié ni méthodes reconnues (d'utilité publique?). Or sa pratique pédagogique n'a rien à envier à d'autres, au contraire, ce qui montre que ce n'est pas sur ce terrain que les choses se jugent.
En 1936, Fernand Deligny, instituteur à Paris, à Nogent puis à l'Institut médico-pédagogique d'Armentières, tente d'utiliser l'expression par le dessin, le jeu mimé, l'alphabet-geste, le récit improvisé collectivement dans des classes de perfectionnement. Il s'agit déjà pour lui de donner une parole qui ne soit par forcément mot à ceux qui en sont totalement dépourvus. Puis en 1941, il travaille à l'hôpital psychiatrique d'Armentières dans un pavillon où vivait le mélange habituel en ces lieux d'adolescents psychotiques, d'arriérés pensifs et de délinquants pour la plupart expertisés pervers ou inéducables. Ce qu'il raconte sur cette période dénote déjà un bien mauvais esprit: les « fous, » pris dans l'exode de mai 1940 vers la mer, avaient été bombardés et mitraillés. On s'apercevra, au retour à l'Asile, qu'il y a des disparus. Des mois, des années plus tard, on aura des nouvelles de certains de ces disparus, des nouvelles stupéfiantes pour l'Administration et même pour les médecins-chefs. ILS vont bien. Personne, dans leur nouvel entourage, ne s'est aperçu qu'il s'agissait de chroniques dont la Société se protégeait depuis dix ans et plus par des grilles, des sauts-de-loup et des portes de sûreté et qui étaient promis à la Morgue interne si la guerre mondiale n'était pas intervenue dans leur propre histoire. C'est là, dit souvent Deligny, qu'il a appris ce qu'il sait de psychiatrie, dans ce Pavillon 3 dont il décrira certains pensionnaires dans un livre écrit en 1942. C'est là que s'opère, grâce aux « gardiens » eux-mêmes, une modification radicale du « milieu » asilaire: suppression des sanctions, création d'ateliers d'activités manuelles, équipes de sport, sorties libres. En 1943 il ouvre un foyer: « ON m'avait demandé si je voulais organiser, sur le plan régional, la prévention à la délinquance juvénile. Faute de bâtiments, pendant la fin de l'occupation, j'avais eu l'idée d'installer un petit réseau de foyers de prévention. Dans les vieux quartiers de Lille et des environs, nous avons occupé des maisons décrétées inhabitables. Les gamins en trop y étaient chez eux. L'adulte y était rare et l'éducateur plus encore. Dans les semaines qui ont suivi la Libération, ON m'a donné une vaste villa dans la banlieue noble alors que j'avais demandé un vaste coin, dans les remparts, qui s'appelait la Solitude et c'était là qu'avaient lieu quasiment tous les crimes... si on me l'avait donné, j'y serais encore... ». L'expérience du Vieux Lille marque un tournant: les « éducateurs », auxquels Deligny fait appel, ce sont les voisins: les mêmes qui portaient plainte quelques mois auparavant contre les voyous. Deligne a créé une situation où le milieu social se prend en charge: le pédagogue spécialisé, charriant toutes les scories de la morale, n'a plus à apporter sa médiation.

C'est le Centre d'Observation et de Triage de la Région du Nord -- un centre « ouvert »: on entre, on sort -- qui occupera la villa réquisitionnée pour les officiers de l'armée américaine. Deligny en décrit les aléas dans Les vagabonds efficaces. Dès 1945, il y reçoit toutes sortes de racailles: délinquants simples qu'il s'efforce, avec la rare complicité de juges pour enfants, d'arracher à la prison, caractériels, fraudeurs précoces du marché noir dont le tort premier est de s'être fait prendre, fugueurs, ex apprentis SS. Mélange détonnant: les évadés des maisons de correction voisines donnent à l'ensemble la coloration du milieu. Certes ces visiteurs-là déteignent sur le Centre. Moins que le contraire car le plus souvent, renvoyés dans leurs centres habituels de « rééducation » -- sabots de bois, crânes rasés, uniformes bleus, et même -- odieuse survivance ma chère, comment dieu est-ce encore possible? -- la raclée, ces visiteurs emportent avec eux des idées qui feront leur chemin. En 1952, les éducateurs du centre de délinquants des Baumettes, dont la prison majeure portait en bas relief de significatives allégories sur les sept péchés capitaux, ou de rééducation de Voiron, d'Aix-les-Bains-Chambéry, de Salon, de Lèves-Chartres, parlaient encore de Fernand Deligny dont ils voulaient imposer les idées, les pauvres.
Puis il y aura La Grande Cordée. Le récit publié dans ce livre parut en 1950 dans la revue Vers l'éducation nouvelle, avec une préface du docteur le Guillant, médecin psychiatre qui, avec Henri Wallon s'intéressait à l'entreprise et acceptera de la patronner lorsque Deligny se lancera à la conquête d'un statut officiel. Parallèlement aux séjours d'essai dont le principe, suivant le Dr Le Guillant, consistait à aider l'adolescent à découvrir « l'activité concrète, les conditions affectives, le mode de vie qui lui conviendront », La Grande Cordée s'adjoint une consultation médico-pédagogique pour enfants d'âge scolaire. En cheville avec la Mutuelle de la RATP, il s'agissait d'éviter le placement d'enfants dont les parents, venus de la Lozère, ou de l'Aveyron, se retrouvaient au volant d'un bus ou dans les couloirs du métro, la pince à trous à la main, cependant que le gamin tournait mal dans les environs immédiats d'HLM. De faire en sorte que les parents se rendent compte que la cause du mal ne se trouvait pas dans l'enfant, même s'il ressemblait par le nez ou les oreilles à un oncle mort fou, mais dans tout ce « reste » que les parents subissaient: horaires de travail invraisemblables, hargne de la grand-mère déplantée dans sa cuisine trop petite, solitude effarée dans le halo de bruits de la capitale. Et il arrivait que l'enfant, délivré de son statut de « mauvais esprit » reparte sur un autre pied. Cette phrase est interprétée comme refus de la science, de la psychologie. Elle semble opposer le pragmatisme à la connaissance scientifique. Le Dr Le Guillant n'en est pas dupe, qui refuse cette opposition. En vérité Fernand Deligny avec une intuition étonnante, puisque son opposition sera l'un des chevaux de bataille des contestataires de Mai 1968, ne dispute pas de la valeur de la science en tant que science (dans les consultations du centre médico-pédagogique, on ne méprise par les tests de Rorschach: une technique parmi d'autres qui fixe, à une étape donnée, un jalon, sans plus) mais de son usage et le chemin qu'on lui trace et qu'elle suit et qui finit par l'enliser. Le psychologue, le psychosociologue deviennent des sortes de flics dont la science, comme celle de ce psychanalyste à la mode à l'heure où ces lignes sont écrites, qui explique le mouvement étudiant par la révolte contre le père, doit renforcer l'ordre établi. A tout le moins, la question d'une science bourgeoise demeure ouverte mais une chose est sûre, l'usage bourgeois de certaines sciences.

A l'époque de Deligny, époque de découverte, il n'était pas rare de voir des « psychotechniciens » lire dans les Rorschach, comme dans le marc de café, l'orientation professionnelle des adolescents qu'on leur livrait. Deligny sait que pour mesurer le quotient intellectuel d'un arriéré, d'un débile, les tests sont peut-être utiles. Mais il ne s'y arrête pas.
Au cours des meetings qui avaient lieu alors autour des thèmes de l'enfance malheureuse ou difficile ou en danger, soutenu par l'amitié d'Henri Wallon, confronté à la tribune avec des « spécialistes » et des officiers supérieurs de l'Armée du Salut, il disait que « les enfants difficiles sont à une société ce qu'une bûche de bois vert est à un poêle. Si le poêle ne tire pas, ça fume et des experts se précipitent pour tester la bûche, mettre en équation sa teneur en humidité et autres détails « scientifiques » expliquant bulles, bave, chuintements dont on ne se serait même pas aperçu si la cheminée était bien orientée ».

Ce triple non-conformisme: politique, institutionnel, pédagogique lui sera fatal. La Grande Cordée agonise et Fernand Deligny avec elle. Je me rappelle encore la déroute. Nous allions, une dizaine dans une vieille voiture, vers Mantes, rechercher Annie, une amie qui avait participé à l'aventure. Nous trouvâmes dans un petit bois de vieux baraquements humides, à moitié pourris, abandonnés, désertés, ouverts aux quatre vents. Il ne restait rien. Déserter, ce mot comporte un jugement, Deligny nous dirait qu'il ne faut pas le craindre. Il était parti rejoindre, dans le Vercors, ceux de La Grande Cordée qui ne pouvaient ou ne voulaient pas tenir debout tout seuls. Une quinzaine de « déficients » campaient aussi haut qu'ils avaient pu monter. La grande tente blanche, quelques milliers de francs et c'est tout: pas de moniteurs ni d'éducateurs. Quand Deligny est arrivé, des semaines plus tard, les paysans du coin qui, il est vrai, en avaient vu d'autres, lui ont dit que la petite bande, là-haut, avait fait moins parler d'elle qu'une colonie de vacances dûment encadrée. Et puis les plus délurés se sont mis à projeter Tempête sur l'Asie partout où ils voyaient plus de trois maisons groupées. Après le Vercors, la Haute-Loire. La trace de cette période-là, on la retrouve dans un article paru dans Vers l'Education Nouvelle -- « La caméra, outil pédagogique ».

Ensuite, autre étape, dans l'Allier, autour d'un « débile profond » qui va devenir le personnage d'un film tourné pendant trois ans, document public par lequel Deligny veut transmettre par l'image et le seon ce que ses proches et lui ont pu percevoir de la réalité d'un « idiot », Le moindre geste.
De l'Allier aux Cévennes, la même recherche se poursuit, celle d'un « milieu » dont la position prise puisse intervenir utilement dans l'histoire toute tracée de ces enfants. Que veut dire: désirer qu'un enfant psychotique ne le soit plus? Cette devinette qui, sous une forme ou sous une autre, hante ceux qui sont en fonction de « soignant », Deligny la récuse. Il m'écrit dans une lettre qui préparait l'édition de ce livre:

« Pour moi, s'il m'arrive d'être efficace dans ce qu'on appelle l'évolution d'un cas, c'est que mon objectif réel n'est pas l'évolution de ce « cas »-là, mot que je préfère écrire « gars » ou « gamin » ou « pote » ou « l'autre-là, » mais de prendre l'institué par où je peux lui mettre le nez dans sa Chose, pour lui dégonfler un peu la bedaine à prétention, le faire se tracasser sur la valeur de son petit capital d'idées toutes faites avec ses liasses de mots en « ité » en « isme » et en « ion ». Dans cette guérilla, les délinquants, les caractériels, les débiles vrais ou faux, sont des alliés étonnants, doués d'un flair qui me surprend toujours. Qu'ils aient un inconscient, voilà qui va sans dire et si je ne m'en préoccupe guère, c'est qu'il me faut regarder ailleurs, occupé que je suis à dévoiler les roueries et la perversité innée de cet institué qui a la parole, pour ne pas dire qu'il l'est. »
« Les délinquants et caractériels et débiles légers excellent dans les combats d'avant-garde. Ils s'enthousiasment et s'emballent et ils se font prendre: ils sont « réadaptés »! on les retrouve casés. Avec les psychotiques graves et les arriérés profonds, c'est une autre affaire. Il faut, avec eux, s'avancer plus profond en soi-même et s'apercevoir que l'arsenal de l'institué, sa puissance, sa permanence, ses tours de guet et ses radars sont en chacun de nous. Il est là, l'institué, solennel et puissant par le besoin que nous en avons et dont certains prétendent qu'il est l'homme inné, ce que je mets en doute... »

S'il renâcle chaque fois qu'on lui parle de méthode, c'est que « toute méthode, tout système efficaces dans le moment de leur découverte, une fois décrits, livrés, ne font que renforcer l'institué, quel qu'il soit. »

Et pourtant il écrit:

« ...Dans ce que je raconte, il y a deux parts: celle que je retrouve ici ou là, traduite en termes de bonne volonté et de réadaptation sociale, châtrée comme il se doit de l'essentiel qui est dans l'autre part que je m'acharne à nommer, à rebaptiser sans cesse: les circonstances, l'imprévu, le n'importe quoi, l'inédit, l'ailleurs, entêté à trouver le mot propre qui ne se laisse pas mettre en loi, en service, en statut comme il est arrivé à tant de maîtres-mots, un mot simple qui rappelle sans cesse que l'homme est affaire d'imagination créatrices et non référence à des lois et que le créateur, le père et tout le reste, c'est n'importe qui, c'est l'autre et c'est moi... ».

Et encore:

« ... Pour moi, l'endroit compte beaucoup et c'est peut-être par nostalgie de ces remparts autour de Lille où j'ai glané ma « position » libertaire que j'en suis là, dans ces vagues de pierre des Cévennes, avec une demi-douzaine de gamins qui n'ont pas la parole -- ILS ne l'ont pas du tout, alors que nous on croit l'avoir. L'un d'entre eux, toutes les dix minutes, gonfle son ventre énormément. Nous l'avons appelé Cornemuse. Et puis, par le gosier et le trou du cul, en se dégonflant, IL fait entendre La Marseillaise. Nous l'avons nommé Président. A part ça, Président Cornemuse ne dit rien, strictement rien, pas un mot. Sa main sans objet se crispe. IL chie, tout debout, face à l'histoire... »

Aujourd'hui, tout debout, face à l'Histoire pédagogique, sans pignon sur rue ni siège social; sans bureau ni buste -- pas de centre-pilote qui lui soit confié -- Fernand Deligny continue presque seul. Les « équipes de prévention », la « rééducation en milieu ouvert », les « groupes thérapeutiques » lui doivent tout ou presque. La méthode pédagogique Deligny n'est pas transmissible, elle n'existe pas. Deligny pourtant, il existe une position Deligny, qu'il trace dans Les Vagabonds efficaces:

« Tout effort de rééducation non soutenu par une recherche et une révolte sent par trop rapidement le linge des gâteux ou l'eau bénite croupie. Ce que nous voulons, pour ces gosses, c'est leur apprendre à vivre, pas à mourir. Les aider, pas les aimer... »

D'autres adolescents, comme nous hier, reconnaîtront en cet homme, un camarade, un frère qui veut les aider à vivre.



* Un "ajiste" est un membre du mouvement des auberges de jeunesse. Voir ici pour plus de contexte.

mercredi 4 septembre 2013

Article 11\ Géométrie d'un assassinat (2/2)

Par Julia Zortea

Administration privée et sous-traitance des contrôles migratoires dans le milieu maritime

Parmi les quelques milliers de passagers embarqués clandestinement chaque année sur des navires de la marine marchande, rares sont ceux qui parviennent à destination. Tandis que les Etats écartent toute possibilité d'accueil en pointant la responsabilité des transporteurs, le droit maritime international remet légalement le devenir de ces passagers entre les mains des capitaines et de leurs armateurs. En conséquence, les entreprises privées élaborent des stratégies pour expulser ces migrants sans retarder la circulation des marchandises.

Dans l'épisode précédent [1], on découvrait William Roberston, le fondateur d'une petite société familiale londonienne spécialisée dans l'extraction de migrants hors des cargos. La carrière professionnelle de ce dernier repose sur la prise en charge d'une tâche habituellement dévolue aux mutuelles d'assureurs des armateurs (les Protection & Indemnity Clubs -- P&I): négocier l'obtention des documents nécessaires auprès des consulats et organiser le retour par avion des passagers clandestins.

Des procédures d'enfermement et d'expulsion des « indésirables » ont ainsi été définies et menées par des acteurs de l'industrie maritime, pour pallier le non-interventionnisme étatique. Cette sous-traitance du contrôle aux frontières maritimes apparaît pourtant diffuse et dépolitisée: pour la marine marchande, réadmettre un migrant ne relève pas d'un choix mais d'une contrainte économique, et l'accomplissement du « sale boulot » est externalisé par les acteurs maritimes vers des « professionnels du risque » -- William Roberston, par exemple. Néanmoins, depuis 2001 et l'introduction de mesures de sécurité liées à l'antiterrorisme, les gens de mer et de port endossent des fonctions policières. Parmi elles, la répression migratoire.

S'il semble difficile de dater la mise en oeuvre de cette administration privée du fait migratoire [2], il s'avère par contre aisé d'identifier le moment précis où cette économie discrète a été ébranlée. En février 2002, le premier numéro de Beacon -- newsletter éditée par le groupe d'assureurs maritimes Skuld -- soulignait les effets néfastes des politiques sécuritaires consécutives aux événements du 11 septembre 2001 sur les procédures de rapatriement des passagers clandestins [3]. Outre une difficulté croissante à obtenir des laissez-passer et la nécessité désormais incontournable de prévoir une escorte privée lors d'une réadmission par avion, Beacon signalait également la quasi-impossibilité de débarquer des ressortissants arabes ou afghans, les Etats tiers n'autorisant plus leur transit aérien sur leurs territoires. Après s'être répandu en avertissements d'ordre pratique -- montrant combien le sécuritaire contrevenait à la performance économique --, le groupe Skuld recommandait pourtant la lecture d'un article du quotidien libanais An-hanar. Ce dernier narrait l'histoire d'un passager clandestin suspecté d'être en cheville avec Ben Laden et interpellé en possession de quatre millions de dollars. Aussi fumeuse qu'elle puisse paraître, Beacon assurait ses collaborateurs de l'intérêt d'une anecdote, qui « illustre comment le fait de voyager clandestinement peut être utilisé afin de faciliter les mouvements ainsi que les activités criminelles et terroristes ».

Ce premier numéro de Beacon s'inscrivait dans un contexte maritime marqué par la mise en oeuvre de mesures sécuritaires d'urgence par le gouvernement états-unien. D'abord traités comme des cibles éventuelles, les navires et leurs cargaisons ont été considérés comme des armes potentielles à partir du 11 septembre. En novembre 2001, l'Office des douanes et des contrôles aux frontières (CBP) établissait un système de certification -- le Customs-Trade Partnership Against Terrorism -- invitant les acteurs de la chaîne logistique à faire preuve de zèle sécuritaire en échange d'inspections plus rapides de leurs navires. Peu après, en février 2002, le CBP initiait le Containers Security Initiative (CSI). Ce programme -- aujourd'hui appliqué dans vingt-deux ports européens -- vise à identifier les conteneurs présentant « un risque terroriste » grâce à l'implantation d'agents des douanes américains, spécialisés dans le fret conteneurisé, dans les principaux ports étrangers (et réciproquement). Encouragés par l'Organisation mondiale du commerce, ces accords de collaboration douanière ont permis d'expérimenter de nouvelles techniques de contrôle fondées sur la détection (généralisation des scanners et développement de programmes informatisés d'identification des conteneurs dit « à risque »). Ces programmes demeuraient pourtant on ne peut plus classiques, leur réalisation reposant sur des métiers auxquels reviennent traditionnellement les fonctions de surveillance (police, services douaniers), et l'attention sécuritaire étant portée sur la marchandise uniquement. Structurellement, l'innovation sécuritaire devait se montrer à la mesure de l'innovation terroriste du 11 septembre. Il fallait donc aller plus loin.

Adopté en 2004 par l'Organisation maritime internationale -- sous pression des Etats-Unis --, l'International Ship and Port Security Code (ISPS) entendait responsabiliser le champ maritime afin de prévenir et de détecter une série de « menaces ». Dont, en vrac, le terrorisme, les actes de piraterie, de trafics illicites, ainsi que l'immigration dite clandestine, le sabotage et la prise d'otage. Alors que le CSI fait encore aujourd'hui l'objet de lourdes controverses [4], la certification ISPS des navires et des bâtiments portuaires constitue un enjeu déterminant au sein de l'économie maritime. Elle participe en effet de l'attractivité portuaire: un navire non labellisé peut se voir interdire de pénétrer dans un port « aux normes, » tandis qu'un bateau certifié peut refuser d'accoster dans un port insuffisamment sécurité. Au sein des équipages, les protocoles de sécurité ISPS impliquent une multiplication des tâches de prévention sécuritaire avant et pendant chaque appareillage (fouille, ronde, gardiennage). Ils imposent également la désignation d'un agent de sûreté du navire, choisi parmi le personnel en place. Considérés comme « secondaires, » ces protocoles sont souvent vécus par les équipes comme des fardeaux, mais n'en constituent pas moins de redoutables instruments de la lutte anti-migration. [5]

Auparavant considérés uniquement à l'aune des désagréments économiques causés aux compagnies maritimes, les passagers clandestins embarqués sur les navires de marine marchande sont depuis 2004 érigés en figures contrevenant à la sécurité des Etats. Et leur répression se trouve légalement reportée sur les acteurs privés de l'industrie maritime (marins, armateurs, assureurs, affréteurs). Bien que le code ISPS ne change en rien le règlement effectif des cas de passagers clandestins découverts à bord -- pris en charge par la sphère assurantielle --, il fait de la prévention migratoire un enjeu quotidien et prioritaire pour les équipages des navires. Un capitaine de cargo turc raconte: « Avant, le passager clandestin restait avec l'équipage, on regardait la télévision ensemble sans que cela ne pose de problème. A présent, je suis mal à l'aise. Il me faut expliquer à l'équipage que si j'attache ou j'enferme la personne, ce n'est pas pour lui faire du mal. Et il me faut aussi faire travailler deux marins à la surveillance de la cabine. » [6]

Géométrie élémentaire -- 1/ Les Etats sanctionnent financièrement les transporteurs s'ils convoient des migrants irréguliers. Les Etats n'accueillent pas non plus ces derniers. 2/ Les contrats passés entre les armateurs et les assureurs maritimes impliquent la prise en charge par les seconds des frais liés à la présence des passagers clandestins. 3/ Les Etats apprécient beaucoup les efforts de la sphère privée en matière de répression migratoire et font sauter les contraventions si cette dernière peut prouver qu'elle a tout fait pour éviter la présence de cette « menace ». 4/ Les marins doivent donc tout faire pour empêcher les migrants d'embarquer. Les assureurs veillent au grain. 5/ En octobre 2012, quatre migrants sont jetés par dessus bord au large des côtes algériennes par l'équipage du Hyundai Treasure Ship.

Notes

[1] Publié dans le numéro 12 d'Article 11.

[2] En 1957 déjà, l'Organisation maritime internationale essaya sans succès de sécuriser le devenir de ces passagers.

[3] Rodrigues A. et Bou-Melhem F., (2002) « How 11 Septembre changed attitudes on stowaways and why owners should be even more careful », Beacon Skuld Newsletter, #1.

[4] Des voix critiques estiment que la mesure du « 100% scanning », introduite dans le CSI en 2012, implique des dépenses disproportionnées par rapport aux risques encourus, et retarde le commerce international.

[5] Le nombre de passagers clandestins a considérablement diminué suite à l'introduction de l'ISPS. Voir rapport Migreurop 2010-2011, p. 36.

[6] Cité dans le rapport Migreurop 2010-2011, p. 55.


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lundi 2 septembre 2013

Article 11\ Géométrie d'un assassinat (1/2)





Administration privée et sous-traitance des contrôles migratoires dans le milieu maritime

Chaque année, quelques milliers de passagers embarquent clandestinement sur des navires marchands. Pour les éliminer du circuit économique, une politique migratoire privée met en équation priorités des compagnies maritimes et intérêts des états. Un monstre froid dans une mer d’huile.

William Robertson est toujours anecdotique. Au détour d’une description, dans le détail d’une procédure, il apparaît. Par instants et en des lieux divers, son souvenir appuie une histoire – il est une figure utile, édifiée dans les creux du discours indirect (rares sont ceux qui le connaissent vraiment). Dans le port de Burgas, les officiers de la Police aux frontières bulgares rapportent avoir rencontré ses hommes en 2008 [1] – depuis Londres, William Robertson dépêche. Et plus récemment, dans le port du Pirée, la correspondante locale d’une puissante mutuelle d’armateurs évoquait au tournant d’une phrase ses collaborations avec le « bon vieux Bill » [2].

A vrai dire, William Robertson est un homme de choix, discret et serviable. On le retrouve aujourd’hui dans les conseils d’administration de prestigieuses associations de sauvetage en haute-mer [3] ou d’arbitrage de contentieux maritimes [4] : de l’assistance il s’est créé un métier. Très tôt en effet, après avoir fait ses classes dans les agences d’armateurs qui bordent la River Tyne (Newcastle), le jeune garçon oriente sa carrière vers le secteur de la prévention maritime et rejoint dès les années 1970 le cercle feutré des Protection & Indemnity (P&I) Clubs. Fondées au milieu du XIXème siècle, ces mutuelles d’armateurs et d’affrêteurs couvrent, à la manière de sociétés d’assurance, l’ensemble des risques que peut rencontrer un navire [5] – sur la responsabilité, Robertson exerce ses poignets.

Le 10 septembre 2012, dans le port de Lomé au Togo, quatre dockers parviennent à se glisser dans un petit espace sous la cale du navire marchand sud-coréen Hundaï Treasure Ship, en partance pour l’Europe. C’est par nécessité – boire, manger – que les quatre hommes se présentent à l’équipage une vingtaine de jours plus tard. En prévision d’une escale à Casablanca, le commandant demande aux autorités marocaines l’autorisation de débarquer ces passages intempestifs. Celles-ci rétorquent que la procédure et les frais de rapatriement vers les pays d’origine de ces dockers (le Nigeria, la Sierra-Léone et la Guinée) doivent intégralement être pris en charge par l’armateur. Incertaines, les négociations menacent de retarder la course du navire et le Treasure quitte bredouille les côtes marocaines. Le 17 octobre, le commandant d’un porte-conteneurs libérien lance une alerte auprès des gardes-côtes algériens : les quatres se débattent dans l’eau au large de Cherchell [6].

Face à cette situation, d’aucuns diraient que les mers et les océans sont des espaces d’exception (sans foi ni loi) ; d’autres évoqueraient à l’inverse la sur-détermination marchande du milieu marin (l’humain, entre les conteneurs, n’y aurait pas sa place) ou le caractère procédurier de l’Etat marocain. Les interprétations fusent mais les faits demeurent. L’acte est violent, contraire à l’éthique maritime mais, bien que démunis, les quatre dockers ont provoqué sur le bateau une telle crainte qu’il aura fallu se débarrasser d’eux. Sur ce navire et peut-être au-delà, les passagers clandestins ont malgré eux produit un effet dans lequel « tout le monde » s’est laissé embarquer ; l’efficace de leur figure a été redoutable. Les personnes, celles qui se débattent dans l’eau, ont cessé d’exister à partir du moment où elles sont sorties de leur cachette – et, interrogé, je crois bien que l’équipage répondrait avec sincérité qu’au meurtre il a été poussé, sans être en mesure de désigner un responsable.

Entre les lignes de l’article narrant l’événement de Cherchell affleure un espace maritime découpé, où les frontières, les intérêts et les régimes de souveraineté voyagent et s’entrecroisent momentanément. Une fois découvert, le passager clandestin relève de la responsabilité du capitaine, qui représente l’armateur. Il est un « sans-droit » dont le devenir est déterminé par une compagnie maritime, laquelle se heurte quasi systématiquement à un refus de débarquement. Une enquête menée dans 22 ports de l’Union européenne par le réseau Migreurop montre que « autorités [nationales] posent comme principe que ces personnes, dépourvues de documents en règle, ne peuvent entrer sur le territoire » [7]. En 1957 déjà, l’agence onusienne en charge de promouvoir la sécurité des navires (OMI) essuyait un refus appuyé quant à la ratification d’une convention prévoyant une obligation d’accueil des passagers clandestins pour les pays signataires. Depuis, l’agence exhorte « les Etats, les ports, les compagnies maritimes et les capitaines à prendre les mesures nécessaires pour prévenir l’arrivée d’un passager clandestin ». Elle met l’accent sur « la responsabilisation des transporteurs » tout en encourageant les Etats à lever les sanctions financières et pénales prévues à cet effet si l’armateur « coopère » [8] – autrement dit, s’il empêche le passager clandestin de s’échapper du bateau lorsqu’il est à quai. Palabres.

William Robertson se mêle des affaires mais ne trempe pas. On l’imagine distant, réfléchi, mesuré. De son temps de « P&I » dans les années 1980, il était certainement de ceux qui planchaient sur les « hard cases », au rang desquels les incidents impliquant la vie humaine. Sur les listes dressées par les Clubs, les passagers clandestins côtoient sur une même ligne d’encre les déserteurs et les grévistes : l’assureur prend à sa charge les frais dérivés de leur présence, et il lui revient de résoudre l’histoire des problèmes. Achever celle du passager clandestin dépend pour beaucoup de son embarcation : si la ligne maritime est régulière, l’histoire se solde par un enfermement à bord jusqu’au retour dans le port d’embarquement – le cas est simple. Mais à l’inverse, comment boucler le voyage d’une personne partout indésirable et qui se trouve sur un tramper, un navire naviguant à travers le monde sans trajectoire fixe ?

Il est des noms et des domaines bâtis sur du minuscule et de l'a priori insignifiant. Quand en 1994, William Roberston décida d'accoler son patronyme à la résolution de cette épineuse question, il évita soigneusement de se faire ranger dans la catégorie des passionnés ou des opportunistes: sa société Robmarine Shipping (Overseas) répondait à une demande pressante. Spécialisée dans la mise en oeuvre de protocoles visant à extraire un passager clandestin d'un navire sans en retarder la course, Robmarine participe avec professionnalisme à l'élaboration d'une politique migratoire privée. Autrement dit, elle s'associe (avec les P&I Clubs qui ne recourent pas à ses services) à la définition de procédures d'expulsion alternatives à celles menées par les Etats dans le cadre de la répression des étrangers. Il faut dire qu'à bien des égards, les sociétés d'assurance du monde maritime gagnent à développer ce savoir-faire autonome -- dans les rares cas où l'Etat met son nez dans l'affaire, le bateau est immobilisé au port dans l'attente d'une décision, et la livraison retardée.

Dans le port de Burgas, en 2008, les hommes envoyés par William Roberston ont patrouillé à quai pendant quelques jours, la police locale tardant à prendre ses dispositions au sujet de quatre Algériens égarés en mer Noire sur un bateau battant pavillon panaméen. Les autre ont fini dans le centre de rétention de Bustmansi. Ils sont une exception. Pour les autres tramper boys, la procédure glisse à une allure infernale. A partir du moment où le capitaine découvre le passager, il s'agit -- pour William, pour les P&I -- de l'« identifier » afin de lui réunir un « nécessaire à prendre l'avion » [9] dans le prochain pays d'escale. Dernièrement, on trouvait sur le site internet de Robmarine une demande officielle adressée par l'Etat tanzanien aux Clubs pour leur demander de cesser de réadmettre sur son sol des passagers clandestins d'une autre origine. Et l'on se souvient de Fabio, agent P&I à Barcelone, tapant rageusement du poing sur la table suite au refus de l'ambassade marocaine de reconnaître un jeune homme sans l'avoir vu, alors que Fabio acceptait de « tout payer ». Il est des moment où la petite mécanique s'enraye. Mais ils sont toujours anecdotiques.

Notes

[1] Voir rapport Migreurop 2010-2011, p. 67.

[2] Dans un entretien mené par Max Sabadell en février 2013.

[3] Citons le Tsavliris Salvage Group.

[4] Il est membre de la London Maritime Arbitrators Association.

[5] Les P&I Clubs couvrent aujourd'hui plus de 90% des bateaux de la marine marchande mondiale.

[6] El Watan du 19/10/12.

[7] Migreurop, Op. Cit., p. 63.

[8] Cf. Circulaires du MSC/OMI

[9] Composé d'un laissez-passer de l'ambassade du pays d'origine, d'une autorisation des autorités locales, de billets d'avion et d'une escorte privée jusqu'au pays d'origine. Voir Migreurop, Op. Cit.



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