Écrire l’histoire de la danse : des enjeux scientifiques aux enjeux idéologiques

Écrire l’histoire de la danse : des enjeux scientifiques aux enjeux idéologiques

Le Ballet de l’Opéra. Trois siècles de suprématie depuis Louis XIV[1]. Ce titre, celui d’un ouvrage tout récemment paru[2], nous a fait sursauter : présenter la « suprématie » comme une valeur séduisante est, pour le moins, dérangeant.

Cela apparaît d’abord, bien sûr, comme une assertion fausse. On ne peut supposer sérieusement que le Ballet de l’Opéra de Paris se soit trouvé, durant trois siècles, en position de domination, idée dont il faudrait, dans tous les cas, discuter les critères et le périmètre[3]. Un tel titre participe en fait de la concurrence que se livrent les États, les capitales, les théâtres à l’échelle européenne depuis le XVIIe siècle : affirmer que le Ballet de l’Opéra a toujours été un lieu de « suprématie », c’est faire fi de bien des métissages, des captations de savoirs et savoir-faire exogènes, sans parler des pans entiers de l’histoire de la danse qui se sont déroulés à l’écart de, voire en opposition à, cette institution. Mais surtout, cette mise en avant de la « suprématie », c’est-à-dire de la supériorité et du pouvoir sur les autres, est une position idéologique, dont on peut s’inquiéter du fait qu’elle soit postulée comme attirante pour les acheteurs visés : une idéologie délétère, qui invite à penser en termes d’infériorité et de supériorité (de classes, de genres, de nations…), et qui valorise la position de domination sur les autres. Le Ballet de l’Opéra de Paris a pu, et peut encore, servir une telle idéologie, mais le rôle d’un ouvrage scientifique doit être d’analyser les discours de propagande, et non de les reproduire.

Or c’est bien là qu’est l’enjeu. Un tel sous-titre – que le contenu du livre en question, heureusement, ne semble pas refléter – est sans doute moins un problème en lui-même, que le symptôme d’un problème plus large. Ce problème, à nos yeux, renvoie à la responsabilité des historiens. Car si ce sous-titre a pu paraître opportun à une équipe éditoriale, c’est peut-être que les historiens de la danse ont trop souvent laissé la porte ouverte à des représentations simplistes, parfois directement reprises de textes du passé qui auraient dû être étudiés en tant que discours, et non cités comme des vérités. Ainsi, on a régulièrement pu voir des travaux historiques entérinant l’idée d’une « supériorité française » telle que la clamait l’entourage de Louis XIV, ou nourrissant une forme de nostalgie face à la « pureté » d’un art qui aurait ensuite été victime d’une « dégénérescence », ou encore considérant implicitement que la danse se réduit à la danse pratiquée dans les sphères de la société les plus privilégiées…

La liste est longue de ces poncifs. Ils sont parfois véhiculés par des ouvrages relativement anciens[4] (bien qu’une distance d’une vingtaine d’années soit loin de justifier toutes les valeurs qui heurtent nos sensibilités) ; mais n’ayant que rarement été suivis de la publication de travaux actualisés, ces ouvrages font toujours autorité[5]. Si, au cours de conversations et d’échanges informels entre chercheurs, nous sommes nombreux à déplorer régulièrement l’existence de tels impensés, force est de constater qu’aucun texte à destination d’un large public n’a été produit pour faire le point sur les sens qui sont trop souvent donnés à l’histoire de la danse occidentale, notamment de la danse sous l’Ancien Régime[6]. Le présent article voudrait poser quelques jalons en ce sens, inciter à la vigilance, et ouvrir la voie à une réflexion d’envergure sur les façons d’écrire et d’utiliser l’histoire de la danse.

Transferts culturels versus « suprématie »

Parler de « suprématie », c’est imaginer un modèle s’imposant aux autres (autres lieux de danse, autres danseurs, autres pays…), en sens unique. On peut remarquer que les historiens de la danse ont eux-mêmes laissé la voie ouverte à cette conception de la circulation des danses et des façons de danser. Ainsi, un colloque récent, organisé à Versailles, s’intitulait « La danse française et son rayonnement[7] ». Bien entendu, un tel titre ne pose pas de problèmes idéologiques comme le fait la valorisation d’une « suprématie », mais on peut remarquer qu’il reprend lui aussi une image du passé sans la discuter – s’engageant sur une pente glissante. L’image en question est aisément rattachable à celle du roi-soleil dont les rayons se répandraient sur toute l’Europe : elle laisse penser qu’un art « rayonne » naturellement sur des lieux, des cultures, des individus que l’on est alors tenté d’envisager comme « récepteurs » passifs.

Penser qu’un art ou une culture « se diffuse » de soi-même, éclaire les autres de sa « suprématie », c’est précisément ce qu’interdisent nombre de travaux d’histoire, et d’autres sciences sociales, des trente dernières années. Dès 1987, la notion de « transferts culturels » proposée par Michael Werner et Michel Espagne a permis de mettre à distance l’idée d’« acculturation » (marquée par l’idée d’une assimilation progressive de la culture « réceptrice » à la culture « émettrice ») pour envisager les emprunts d’une culture à l’autre sur un nouveau mode[8] : une « mise en relation de deux systèmes autonomes et asymétriques[9] ». Une culture accueillant des éléments exogènes ne le fait qu’au terme d’un processus de sélection des éléments ainsi accueillis, et les transforme autant qu’elle se transforme en incorporant ces nouveautés. La culture « émettrice » ne sort pas indemne de cette interprétation et se reconfigure elle aussi dans ce processus. Une telle conception des échanges, des emprunts réciproques d’une culture à l’autre, suggère que la « réception » (d’un art, d’une pratique, d’une idée…) n’est jamais passive ; elle est « le lieu et le lien d’un usage, donc d’une recréation[10] ».

Ainsi, parler de « suprématie », c’est oublier qu’un art qui circule ne s’impose pas de façon homogène et planifiée. Il ne s’agit pas de nier les stratégies de pouvoir ni les phénomènes de coercition : ainsi, il est manifeste que la danse française a, à certaines époques, suscité l’admiration et l’envie de plusieurs danseurs des autres pays européens, leur fournissant un modèle ; l’État français a encouragé cette admiration, et cherché à la développer. Mais face à ce soi-disant « modèle français » (dans le domaine de la danse comme dans les autres), il faudrait, comme le remarquait Robert Mandrou dès 1977, s’interroger « sur la signification qu’il convient d’accorder à des phénomènes qui méritent plus que des énumérations complaisantes[11] ». On découvre alors que bien des marques supposées de la « suprématie française » sont à nuancer largement, voire se limitent à des discours, politiques et idéologiques. Que bien des phénomènes présentés comme un « rayonnement » d’un centre vers une périphérie, comme une « exportation » vers des territoires quasi-colonisés, étaient en réalité des importations, organisées de façon volontaire par des acteurs de ces cultures « réceptrices » qui poursuivaient, à travers ces importations, leurs propres projets et stratégies (qu’un regard ethnocentriste ne permettait pas d’observer). On découvre encore que dans ces processus, les arts qui circulent font l’objet d’appropriations, reconfigurations créatives sur lesquelles leur « culture d’origine » n’a que peu de prise. Et que l’admiration pour une culture artistique d’ailleurs est rarement univoque – ainsi, la danse « française », au moment où elle était louée et imitée dans les pays étrangers, suscitait aussi des moqueries et satires, voire des contestations, qui pouvaient même devenir le moteur de créations, en réaction à ces « modèles »[12].

S’attacher à ces circulations conduit également à observer, en sens inverse, les apports « étrangers » qui ont fait la « danse française »[13]. On oublie trop souvent de citer les circulations d’artistes, dans toute l’Europe, qui ont nourri la danse en France de sources venues d’Italie, d’Angleterre, d’Espagne, d’Allemagne, de Russie, entre autres[14]. Pour ce qui est du XIXe siècle, reprenant sans examen critique des discours de l’époque qui cherchaient à dénigrer des genres spectaculaires venus d’ailleurs, plusieurs ouvrages relèguent ces genres au rang d’expressions mineures, de divertissement – seul le ballet romantique français étant considéré comme art[15]. De tels discours sont régulièrement fondés sur des « caractères nationaux » particulièrement réducteurs et sur une conception des rapports avec l’« autre » considérés comme suspects, voire dangereux[16].

Ainsi, trop souvent, les travaux historiques ont évacué des aspects tels que les échanges, les collaborations, les métissages et les appropriations – particulièrement à l’œuvre dans le milieu de la danse, marqué par les transmissions orales. Étudier la danse avec les outils conceptuels et les attentions qui permettent de voir aussi ces dimensions, c’est, non plus faire l’histoire d’une suprématie qui n’a que peu de sens, mais chercher à comprendre des dialogues, des créations collectives, des transformations réciproques : des mises en commun d’imaginaires autant que des enjeux de pouvoir, des rivalités mais aussi des utopies partagées… Afin d’éclairer des histoires riches et toujours complexes, qui ne sont pas moins passionnantes que celles qui tâchent d’établir une hégémonie.

De l’usage des mots en histoire

Les exemples de discours historiques mentionnés ci-dessus relèvent d’une conception des rapports entre différentes cultures qui, comme on vient de le voir, mériterait amplement d’être revue. Mais ils témoignent aussi de l’utilisation d’un vocabulaire spécifique : des champs lexicaux récurrents diffusent, dans l’historiographie de la danse, des valeurs et des schémas de pensée qu’il est urgent d’interroger.

On peut, pour cela, se reporter à un travail entrepris en 2008 : l’analyse des références historiques utilisées dans les discours de Nicolas Sarkozy[17]. L’inflation des termes historiques, le recours systématique à des personnages connus par toute la communauté nationale avaient fini par alerter le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire. Cette réaction légitime de la communauté historienne invitait un grand public à comprendre les ressorts d’une instrumentalisation constante de l’opinion publique (convoquer Napoléon Ier, par exemple, était une façon d’associer la France à l’idée de grandeur – d’empire – à un moment où les Français découvraient la crise des subprimes). Au-delà des méconnaissances scientifiques que cet ouvrage relevait, il était avant tout question de montrer comment l’énonciation même de certains termes permettait d’actionner des sentiments de fierté nationale, de communautarisme, de patriotisme, etc. Ce travail rappelait, à la suite de Lucien Febvre, qu’« une histoire qui sert est une histoire serve[18] ». Il s’agissait donc de réfléchir autant au sens des mots et de leurs implications qu’aux enjeux de l’histoire dans l’espace public[19].

Dans l’historiographie de la danse, un tel examen met en évidence l’utilisation privilégiée de termes comme « règne », « suprématie » ou « triomphe » : parfois effectuée à bon escient pour déconstruire les mécanismes de l’imposition d’un pouvoir, elle n’est souvent qu’un outil de narration (voire de « théâtralisation ») facile, qui plaque sur des réalités sociales un mode de compréhension simpliste et sans nuances[20]. La rhétorique de l’ « apogée » et de la « décadence[21] » affirme quant à elle une vision téléologique de l’histoire, mais aussi un idéal nostalgique de la « pureté[22] » qui serait ensuite « pervertie[23] » : de tels termes viennent essentialiser une « identité » qui sert à opposer les cultures, d’une façon extraordinairement peu féconde – nourrissant la peur de l’autre et du changement.

  

L’histoire a une fonction politique, et l’historien ne peut pas ignorer que dans les choix qu’il fait, il y a des enjeux, un positionnement par rapport au passé, mais aussi par rapport au présent. Produisant des modes d’intelligibilité du monde, l’historien est responsable des représentations qu’il crée – car les représentations sont actives et travaillent nos pratiques, nos relations aux autres, nos décisions[24]. L’histoire de la danse ne saurait se considérer comme dispensée de ces questions fondamentales et de la vigilance qu’elles doivent susciter : elle doit interroger les « portes d’accès au passé[25] » qu’elle choisit, les banalités historiographiques, les éléments que l’on croit savoir, et mettre en œuvre la plus grande méfiance vis-à-vis des usages de l’histoire qui visent à illustrer ou légitimer une prétendue « identité » et un pouvoir sur les autres.

Quelques règles de base de la discipline historique sont là pour nous y aider. La nécessité de croiser les sources, qui permet d’éclairer différents points de vue (et non pas seulement, par exemple, les discours de la direction d’une institution au détriment de ses salariés, d’une capitale au détriment de la province, ou d’un pays au détriment du reste du monde). La nécessité, aussi, de contextualiser, de replacer les textes et les images dans les logiques de leurs producteurs – et non pas de s’en saisir pour illustrer un schéma interprétatif pré-établi.

Soulignons pour finir que les projets de recherche qui mettent en œuvre ces façons de faire de l’histoire, rigoureuses et ouvertes à la complexité des échanges et des circulations, existent bel et bien. Il est urgent qu’ils soient reconnus et utilisés par ceux qui, notamment dans le milieu de l’édition et de l’enseignement, diffusent des histoires de la danse aveugles à ces nouvelles études. Citons, par exemple, les travaux en histoire des spectacles qui visent à décentraliser le regard : jusqu’à présent, les études historiques avaient rarement porté sur les lieux de danse ou de théâtre de province (la centralisation française – historiquement construite – guide l’intérêt vers les grandes capitales culturelles, de même que la richesse des sources conservées dans les « grandes » institutions) ; aujourd’hui, un programme portant sur les personnels dramatiques, répertoires et salles de spectacles en province est en train de nous sortir de l’ornière « Paris sinon rien »[26]. D’autres études portent sur les caricatures dont la danse française faisait l’objet à l’étranger au XVIIIe siècle, éclairant le caractère multiple et contrasté de la réception d’un modèle dominant[27]. Concernant la période contemporaine, des recherches en cours sur le ballet de l’Opéra de Paris sous l’occupation allemande font salutairement voler en éclats l’image d’une institution répandant tout au long de son histoire la « splendeur française »[28]. Une synthèse récente sur l’histoire de la danse dite moderne met au cœur de son interprétation la « fascination des ailleurs » et les transferts culturels[29]. On pourrait citer bien d’autres travaux, stimulants, novateurs, nuancés. Ils éclairent des aspects méconnus de l’histoire. Ils nous invitent à revisiter nos connaissances, mais aussi nos façons de penser. Et montrent, en acte, que l’histoire de la danse mérite bien mieux que des affirmations péremptoires de supériorité.

Emmanuelle Delattre-Destemberg, Marie Glon, Vannina Olivesi

Pour citer cet article : DELATTRE-DESTEMBERG Emmanuelle, GLON Marie, OLIVESI Vannina, « Écrire l’histoire de la danse : des enjeux scientifiques aux enjeux idéologiques », article mis en ligne le 9 décembre 2013 sur le carnet de recherche de l’Atelier d’histoire culturelle de la danse, URL : http://ahcdanse.hypotheses.org/


[1] Auclair M.,  Ghristi C. (dir.), Le Ballet de l’Opéra. Trois siècles de suprématie depuis Louis XIV, Paris, Albin Michel/ Bibliothèque nationale de France / Opéra de Paris, 2013.

[2] Et auquel nous avons collaboré, en ne découvrant le sous-titre « Trois siècles de suprématie depuis Louis XIV » qu’une fois l’ouvrage imprimé.

[3] Comment expliquer, par exemple, la difficulté pour l’institution académique de former des danseurs solistes durant la seconde moitié du XIXe siècle ? Que faire des autres scènes européennes qui sont, elles aussi, des pôles de création et où circulent des danseurs d’écoles de danse reconnues ?

[4] Et reprenant fréquemment les récits proposés par des ouvrages plus anciens encore, comme ceux de Léandre Vaillat ou André Levinson : les schèmes interprétatifs de l’histoire de la danse se sont reproduits en restant spectaculairement à l’écart des réflexions sur l’épistémologie et la méthodologie historique.

[5] De tels ouvrages sont par exemple présentés comme des références fondamentales pour la préparation de l’examen d’histoire de la danse dans le cadre de l’obtention du Diplôme d’Etat de professeur de danse. Voir la bibliographie de C. Rousier (dir.), L’Histoire de la danse : repères dans le cadre du diplôme d’Etat, Pantin, Centre national de la danse, 2000.

[6] Lire pour exemple la construction du discours royal et du rapport au corps : Apostolidès J.-M., Le Roi-machine, le spectacle et la politique au temps de Louis XIV, Paris, Éd. de Minuit, 1981.

[7] « La danse française et son rayonnement (1600-1800) », colloque organisé en décembre 2012 par l’Association pour un Centre de Recherche sur les Arts du Spectacle aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Centre de musique baroque de Versailles (FRE 3493 du CNRS), le Centre de recherche du château de Versailles. Les communications de ce colloque ne reflétaient pas une vision aussi simpliste des échanges culturels ni de la position française ; l’une des demi-journées était d’ailleurs intitulée « Transferts culturels ». C’est le titre qui pouvait ouvrir la voie à des représentations biaisées des phénomènes d’échanges et d’appropriations. Loin de vouloir mettre en cause les organisateurs de ce colloque, nous soulignons ici sa dimension représentative de discours très généralement utilisés ou admis par les historiens de la danse. L’une des auteurs du présent texte, Marie Glon, a d’ailleurs participé à ce colloque sans penser à profiter de l’occasion pour questionner le bien-fondé et les sous-entendus de son intitulé.

[8] Espagne M., Werner M., « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (1750-1914) », Annales E.S.C., juillet-août 1987, n° 4, pp. 969-992.

[9] Espagne M., Werner M., Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1988, p. 5.

[10] Ory P., « Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? », dans Yves Michaud (dir.), Université de tous les savoirs. Qu’est-ce que la société ?, tome 3, Paris, Odile Jacob, p. 26.

[11] Mandrou R., L’Europe « absolutiste ». Raison et raison d’État 1649-1775, Paris, Fayard, 1977, p. 186.

[12] Par exemple une caricature telle que « The French dancing master », [Londres], Picot & Delatre, [1771], image accessible en ligne sur la Yale University Lewis Walpole Digital Collection, n°771.07.27.01 : http://images.library.yale.edu/walpoleweb/fullzoom.asp?imageid=lwlpr03133

[13] Un ouvrage publié récemment prend acte de ce phénomène à l’époque contemporaine dans divers domaines culturels, y compris la danse : Ory P. (dir.), Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Paris, Éditions Robert Laffont, 2013. Un colloque en 2008 a ouvert de nouvelles perspectives en s’interrogeant sur l’interpénétration d’acteurs français et étrangers et de leurs rapports avec le répertoire français diffusé, traduit ou remanié sur des scènes à l’étranger. La notion de suprématie est, dans cette réflexion collective, bien étudiée comme une construction dont les mécanismes et les limites sont identifiés. La domination du théâtre français à l’étranger est analysée comme la manifestation et l’héritage des politiques culturelles de l’époque moderne. Yon J.-C. (dir.), Le Théâtre français à l’étranger, histoire d’une suprématie culturelle à l’étranger, Paris, Nouveau Monde, 2008.

[14] On peut citer par exemple un catalogue des documents transcrivant les danses au XVIIIe siècle – travail monumental qui par ailleurs force l’admiration, et est utilisé tous les jours par les historiens de la danse – qui répertorie les œuvres des maîtres de danse français vivant en France, en incluant celles des maîtres de danse français travaillant et publiant à l’étranger, mais en excluant celles, pourtant similaires, de leurs confrères étrangers, au motif que la « belle dance » serait un art français. Lancelot F., La Belle dance : catalogue raisonné fait en l’An 1995, Paris, Van Dieren, 1996.

[15] Naugrette F., « La périodisation du romantisme théâtral », dans Roxane Martin et Marina Nordera (dir.), Les Arts de la scène à l’épreuve de l’histoire, Paris, Honoré Champion, pp. 145-154.

[16] Un exemple parmi de nombreux autres : « L’école classique française recherchait une beauté mesurée, une expression à la fois d’élégance et de sensibilité. Dans l’école académique est venu s’y ajouter un élément antinomique, l’apport italien, tout de vélocité, de virtuosité d’exécution, d’extériorité. » Bourcier P., Histoire de la danse en Occident, Paris, Seuil, 1994, vol. 2, p. 31.

[17] Cock L. (de), Madeline F.,  Offenstadt N., Wahnich S., Comment Sarkozy écrit l’histoire de France, Paris, Agone/Passé et Présent, 2008.

[18] Febvre L., « L’histoire dans le monde en ruines », leçon d’ouverture du cours d’histoire moderne de l’Université de Strasbourg le 4 décembre 1919, Revue de synthèse historique, t. XXX, n° 88, février 1920, pp. 1-15.

[19] Offenstadt N., L’histoire bling-bling. Le retour du roman national, Paris, Stock, 2009.

[20] Par exemple, dans le cas des rapports de genre : la première partie du XVIIIe siècle serait « l’époque de la suprématie incontestée des danseurs de sexe masculin » (Guest I., Le Ballet de l’Opéra de Paris. Trois siècles d’histoire et de tradition, Paris, Flammarion, édition revue et augmentée, 2001, p. 24) tandis que le XIXe marquerait « le règne absolu et international de la ballerine » (Christout M.-F., Le Ballet occidental, Paris, Desjonquères, 1995, p. 80).

[21] Parmi d’innombrables exemples : « Parvenu à l’apogée d’un genre diffusé en Europe au XVIIIe siècle, préservé au Danemark et en Russie, le ballet classique a progressivement connu une défaveur de la part du public, entraînant un déclin momentané à la fin du XIXe siècle. », cf. M. F. Christout, op. cit., p. 216. La danse classique n’est pas la seule à susciter ce type d’analyse.

[22]  Christout M.-F., op. cit., p. 215.

[23] Bourcier P., op. cit., p. 17.

[24] Roger Chartier rappelle que les « pratiques » et les « représentations » ne sont pas étanches, et que si les pratiques sont « incorporées » sous la forme de représentations collectives, ces représentations sont elles aussi « les matrices de pratiques constructrices du monde social lui-même ». Au bord de la falaise, Paris, Albin Michel, 1998, p. 78.

[25] Jouhaud C., Sauver le Grand-Siècle ? Présence et transmission du passé, Paris, Seuil, 2007, p. 27.

[26] Il s’agit du programme ANR THEREPSICORE, porté par des chercheurs de l’université Blaise-Pascal (Clermont 2) et de l’université Paris IV. https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=AHRF_367_0017

[27] Milhous J., « Picturing Dance in Eighteenth-Century England », Music in Art: International Journal for Music Iconography, vol. XXXVI, 2011.

[28] Nous pensons ici aux travaux, en cours, de Mark Franko sur Serge Lifar et ses liens avec le IIIe Reich.

[29] Suquet A., L’Éveil des modernités. Une histoire culturelle de la danse (1870-1945), Pantin, Centre national de la danse, 2012.


2 réflexions sur « Écrire l’histoire de la danse : des enjeux scientifiques aux enjeux idéologiques »

  1. Équipe hypotheses.org

    Chère carnetière, cher carnetier,
    Nous avons particulièrement apprécié votre billet. Pour que la communauté puisse plus aisément le découvrir, nous avons décidé de le mettre en Une d’Hypothèses.
    Bien cordialement,
    L’équipe d’Hypotheses.org

    Répondre
  2. ahcdanse Auteur de l’article

    Une autre référence utile, sur la question “A quoi servent les chercheurs en sciences sociales ?” :
    Jean-François Bayart, “Faire des sciences sociales, un acte de création”, in M. Hunsmann et S. Kapp (dir.), Devenir chercheur. Ecrire une thèse en sciences sociales, Paris, éd. de l’EHESS, 2013, p. 333-348.

    Par ailleurs, plusieurs lecteurs nous demandent s’il y a une coquille dans la citation de Lucien Febvre : “Une histoire qui sert est une histoire serve.” En fait, non : “serve” est le féminin de “serf”…

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.